CLARAC Albert. Contribution à la géographie médicale. Notes sur le paludisme observé à Dakar (Sénégal). Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 9-114
Identifiant
ahmc_1898_p_9_114
ark:/67375/2CJd4bMT2gMB
Auteur
CLARAC Albert
Personne
Discipline
Médecine et hygiène coloniales
Type de données
Ressources textuelles
Langue du document
Français
Nom abrégé de la revue
Annales de médecine coloniale
Nom détaillé de la revue
Annales d'hygiène et de médecine coloniales
Editeur de la revue
Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris
Date de parution
1898
Nombre de pages
106
Pathologie
paludisme
fièvre
fièvre bilieuse hémoglobinurique
quinine
vomissement
pouls
ictère
hémoglobinurie
fièvre jaune
anémie
anurie
maladie infectieuse
fièvre paratyphoïde
hydrogénosulfate de quinine
signe fonctionnel
accès pernicieux
hypertrophie
caféine
chloroforme
médicament
cachexie
diarrhée
purgatif
dépression
prostration
stéatose hépatique
tétanos maladie professionnelle
congestion
dyspnée
endémie
fièvre intermittente
fièvre rémittente
insomnie
lésion
phlyctène
pâleur
syphilis
tisane
épistaxis
état dépressif
asthénie
constipation
fatigue
hoquet
lombalgie
poison
albuminurie
douleur
ergotamine
faciès
fièvre continue
hypothermie
néphrite
parotidite
écoulement
escarre
hyperesthésie
hématurie
inflammation
kyste
lassitude
morphine
météorisme abdominal
piroplasmose bovine
plaie
polyurie
syncope
syndrome grippal
tuméfaction
typhus
urémie
abcès du foie
adynamie
apathie
apyrétique
café
café au lait
chlorure de sodium
confusion
contracture
convulsion
cylindre urinaire
douleur précordiale
douleur testiculaire
désinfectant
eau de boisson
expectoration
filariose
gastrite atrophique auto-immune
hyperthermie
lithiase
narcose
nécrose tissulaire
palpitation
sudation abondante
transpiration animale
Coordonnées géographiques
[-20,47#Madagascar]
[12,3#Afrique de l'Ouest]
[14.64504,107.5462#Indochine]
[14.66667,-61#Martinique]
[14.6937,-17.44406#Dakar]
[14.6937,-17.44406#presqu'île du Cap Vert]
[16,30#Soudan]
[16.25,-61.58333#Guadeloupe]
[18,9#Niger]
[18.2176,-67.8639#Antilles]
[22,105#Tonkin]
[28,3#Algérie]
[34,9#Tunisie]
[4,-53#Guyane Française]
[4.93333,-52.33333#Cayenne]
[5.2118,-3.73884#Grand Bassam]
[62,10#Norvège]
[8.5,-11.5#Sierra Leone]
[9.5,2.25#Bénin]
[9.5,2.25#Dahomey]
Licence
Licence ouverte - BIU Santé (Paris)
URI fascicule
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a4a63bb7
URI document
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a12300b3
Cle
ahmc_1898_p_9_114
Fichier Texte
NOTES SUR LE -PALUDISME. 9
CONTRIBUTION
À LA GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
NOTES
SUR
LE PALUDISME OBSERVÉ À DAKAR (SÉNÉGAL),
par le Dr CLARAC,
MÉDECIN EN CHEF DE DEUXIEME CLASSE.
PREMIÈRE PARTIE.
Ces notes ont pour but de résumer l’histoire du paludisme observé à l’hôpital de Dakar, de l’année 1891 à 1896 inclus.
Jusqu’à 1891, Dakar n’avait qu’une ambulance, qui fut alors transformée en hôpital.
La clientèle de l’hôpital est constituée par les malades de la garnison européenne et indigène, de la ville et des camps (Ouakam, où sont cantonnés les disciplinaires, et le camp des Madeleines, affecté aux tirailleurs sénégalais); abstraction faite des indigènes, la garnison européenne représente un effectif moyen de 600 hommes.
Les fonctionnaires européens, les employés des maisons de commerce, les marins de l’État et du commerce fournissent également un chiffre notable de malades, auxquels il faut ajouter tous les convalescents ou malades provenant soit de la côte, soit du Soudan, pour attendre leur rapatriement.
Dans cette étude, nous ferons, autant que possible,
La Rédaction des Annales laisse aux auteurs la responsabilité de leurs articles.
10 CLARAC.
abstraction de ces derniers, ainsi que des troupes indigènes, conducteurs et tirailleurs sénégalais.
Les troupes européennes de Dakar et des camps représentent, avec les fonctionnaires et les employés de commerce, un total de 800 Européens environ qui, tous ou presque tous, se font soigner à l’hôpital. Ce groupe seul nous intéresse, au point de vue du paludisme contracté à Dakar ou dans la presqu’île du cap Vert. Parmi les maladies endémiques qui sévissent sur l’Européen, le paludisme seul mérite réellement d’arrêter l’attention et on peut presque dire qu’il 1’y en a pas d’autres. Les dysenteries et les diarrhées, les affections du foie sont excessivement rares et presque toujours bénignes à Dakar. Les cas graves que l’on peut avoir à soigner à l’hôpital proviennent en général de l’extérieur. En deux années, nous n’avons constaté qu’un seul abcès du foie né sur place et de très rares cas de dysenterie, sans avoir
jamais eu à déplorer de décès du fait de ces deux maladies.
On pourrait considérer Dakar comme une de nos stations coloniales les plus saines, si Je paludisme n’y régnait en maître pendant quatre ou cinq mois de l’année (saison de l’hivernage et post-hivernage), absorbant toute la pathologie. En dehors de cette saison, les Européens n’entrent à l’hôpital que pour de rares affections sporadiques ou chirurgicales. Ce sont alors surtout les indigènes qui font les frais de la clinique avec des affections saisonnières, bronchites et pneumonies, et des maladies relevant de la pathologie externe.
DAKAR.
Dakar n’a presque pas d’histoire pathologique ; jusqu’à 1891, malgré son importance, l’ambulance de Dakar était considérée comme une annexe do l’hôpital de Gorée; c’est le contraire aujourd’hui. Dans ces conditions, on conçoit que la bibliographie médicale soit assez pauvre : en dehors de quelques rapports médicaux, d’une thèse de Santelli, que du reste nous n’avons pu consulter, de quelques pages du livre de Borias sur le climat du Sénégal, il 1’a rien ou presque rien été écrit sur Dakar, au point de vue qui nous occupe.
NOTES SI R LE PALUDISME. 11
Notre but est d’apporter un élément destine' à combler cette lacune; la question demande à être traitée plies complètement que nous ne pouvons le faire après deux années de séjour. Nous espérons cependant convaincre ceux de nos collègues qui seront envoyés à Dakar de la nécessité d’étudier avec soin la pathologie d’une localité appelée à un certain avenir, tout au moins militaire, si nous en jugeons par l’importance de la garnison et des travaux de défense qui s’y poursuivent actuellement. Il v a à peine une quinzaine d’années, on comptait à Dakar quelques rares établissements; aujourd’hui c’est une petite ville qui sera demain un grand port, si la colonie et la métropole veulent consentir à faire les sacrifices que nécessite cette transformation. En attendant, on y a construit de superbes casernes, un hôpital très bien compris; la Marine a transporté en rade ses ateliers et son personnel installés auparavant à Saint-Louis; de nombreux paquebots y relâchent journellement. D’autre part, l’installation à Dakar de l’exploitation du chemin de fer Dakar-Saint-Louis contribue à augmenter considérablement
l’importance de ce point de la côte occidentale d’Afrique.
Pour bien comprendre le développement du paludisme dans la presqu’île du cap Vert, il nous parait indispensable de tenir compte de la situation de la ville et des camps, de leur voisinage immédiat, de la constitution du sol, et enfin de la météorologie de la presqu’île.
Nous regrettons de ne pouvoir traiter complètement celte dernière et cependant si importante question, les observations météorologiques n’étant faites régulièrement à Dakar que de puis 1896.
SITUATION GÉOGRAPHIQUE.
La carte que nous donnons permet de se faire une idée exacte de Dakar et de ses environs.
Une ligne O et E partant des collines situées au N. O. de la presqu’île du cap Vert et connues sous le nom de Mamelles, pour aboutir à la mer, circonscrit un vaste triangle dont la base, attenante au continent, mesure 9 kilomètres et dont le sommet, dirigé au Sud, est représenté par le cap Manuel.
12 CLARAC.
Le long du côté Est de ce triangle, on rencontre deux promontoires : au Nord, celui de Bel-Air; au Sud, celui de Dakar. Tous deux, dirigés à l’Est, ont une étendue à peu près égale; sur le premier se trouve le cimetière, sur l’autre la ville de Dakar. Ces deux promontoires circonscrivent une baie qui est la rade de Dakar.
Le promontoire de Dakar présente la forme d’un triangle dont le sommet est dirigé à l’Est et dont la base N. S. mesure i,3oo à î ,5oo mètres. à l’Ouest s’élève le village indigène et au-delà une série de dunes de sable qui isolent en quelque sorte le promontoire de Dakar du reste de la presqu’île.
Le cap Manuel termine une petite presqu’île à l’extrémité de laquelle est construit le lazaret. L’hôpital militaire en occupe la base. Cet établissement, édifié sur un plateau assez élevé, est à un kilomètre et demi environ de la ville européenne. Le camp de Ouakam est situé à dix kilomètres de la ville,
à la base de la presqu’île du cap Vert.
Le camp des Madeleines [ 2 ] est construit au milieu des dunes, à l’Ouest de Dakar.
Tout le reste de la presqu’île du cap Vert représente une vaste plaine très basse, plus ou moins inondée pendant huit mois de l’année et qui n’est réellement asséchée que durant quatre mois(mars, avril, mai et juin); même pendant ces mois, le sous-sol est très humide et il suffit de creuser à une faible profondeur pour avoir de l’eau, alors que les puits de Dakar et des dunes sont complètement à sec.
A six kilomètres de Dakar, au-delà de Bel-Air, commence un vaste marigot, connu sous le nom de Marigot de Hann. Nous aurons 1occasion d’en reparler longuement.
La ville de Dakar est située par i à° î h' de latitude Nord et 19°46’ de longitude Ouest.
Le triangle (pie forme le promontoire est constitué par un plan incliné, s’élevant de la mer à une altitude de i5 mètres. C’est sur cette partie relativement élevée que sont construites les casernes, qui sont, par conséquent, admirablement aérées, puisqu’elles reçoivent les brises de toutes les directions.
La ville est loin d’être complètement bâtie ; bon nombre de
NOTES SUR LE PALUDISME. 13
rues, très bien tracées du reste, attendent les maisons, de sorte qu’une partie de la ville est constituée par des places ou
Quelques travaux de voirie ont été exécutés, mais il reste dans cet ordre d’idées beaucoup à faire.
Le sol de Dakar offre, au point de vue de la question qui nous occupe, un très grand intérêt. Il est constitué par une série de courbes différentes, représentées d’une façon générale par six ou sept assises, dont trois ont entre elles des différences très tranchées.
La première couche de terre végétale ou de sable est très mince sur le promontoire de Dakar et n’existe même pas du
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CLARAC.
tout en certains points. Elle est nécessairement très épaisse dans la région des dunes.
La deuxième assise est constituée par une pierre ferrugineuse, très l'épandue, et toujours la même, sur toute la côte occidentale d’Afrique, et même le long du Sénégal et dans le Soudan.
Cette couche, à laquelle nous attachons, comme on le verra, une très grande importance, « consiste en un conglomérat formé d’argile calcinée et d’un minerai de fer à l’état laitier, imbibant la masse argileuse. Analysée par M. Venturini, elle a donné :
Alumine...................................................... 9 |;r. 20
Fer pur....................................................... 37 94
ou 58 p. 100 de sesquioxyde de fer, acides phosphorique, silicique, etc.
«Celte pierre est d’une couleur sombre, terreuse et rougeâtre; elle durcit rapidement à l’air, devient même fort dure et n’est pas attaquée par les agents atmosphériques. Au moment de son extraction, elle est au contraire tondre et friable; elle est criblée dans toute sa masse de trous de forme irrégulière.» (Borius, Topographie médicale du Sénégal, p. 69.)
Cette pierre peut être comparée à une sorte d’éponge dure dont les cellules sont comblées par de l'argile et des débris organiques. Elle est très hygroscopique et, si elle sèche rapidement à l’air, elle s’imbibe avec une très grande facilité et absorbe, en un temps relativement court, le tiers de son poids d'eau.
«L’épaisseur de celte couche est très variable, 2 à 3 mètres,» dit Borius ; sur le plateau de l’hôpital, la couche mesure parfois h mètres.
Viennent ensuite une série de couches d’argile, de tripoli ou de marne, parfois mélangées à du sable; ces couches sont plus ou moins dures, perméables, et aboutissent enfin à une couche de marne imperméable, située à une profondeur plus ou moins grande. C’est au-dessus de cette couche et dans l’épais seur des précédentes que sont creusées les galeries qui alimentent Dakar en eau.
NOTES SUR LE PALUDISME. 15
Ii s’en faut de beaucoup que ces différentes couches de terrain présentent sur le promontoir de Dakar une superposition régulière. C’est ainsi que la couche de pierres ferrugineuses est beaucoup plus épaisse sur la partie élevée de la ville et diminue au fur et à mesure que l’on descend sur la plage ; l’argile affleure alors le sol, plus ou moins mélangée à des rognons de pierres ferrugineuses. Aussi, la couche imperméable se rencontre-t-elle à des profondeurs variables; alors qu’en certains points il suffît de creuser à peine le sol pour avoir de l’eau, en d’autres, il faut aller jusqu’à vingt mètres pour trouver la couche aquifère.
Le Camp de Ouakam, où sont cantonnés les disciplinaires et leurs cadres, est à 10 kilomètres de Dakar, au pied des Mamelles, à la base de la presqu’île du cap Vert. Il est construit sur une colline assez élevée au-dessus du niveau de la mer, mais autour du camp, surtout du côté Est, les terrains sont bas et inondés pendant la saison de l'hivernage. Aussi, bien que les bâtiments soient confortablement installés et le camp entre tenu avec un soin méticuleux, ce cantonnement laisse-t-il beaucoup à désirer au point de vue de la salubrité. Le paludisme y règne presque toute l’année et sévit avec d’autant plus de gravité que le personnel est constitué, en dehors des cadres, par des hommes déjà usés, et très souvent impaludés par un séjour antérieur en Algérie.
En raison même de cette situation et de ce personnel, la lièvre hémoglobinurique et les accès pernicieux sont relative ment fréquents.
Le camp des Madeleines [2] est d’une insalubrité notoire. Les seuls Européens qui y habitent appartiennent à la compagnie des tirailleurs sénégalais, dont ils constituent les cadres.
Les bâtiments sont à proximité des marais de la plaine de Ouakam. Le paludisme, sous toutes ses formes, sévit durant presque toute l’année sur le personnel européen. Ce petit noyau, dix ou douze hommes environ, fournit un pourcentage très élevé d’entrées à l’hôpital.
Ce camp est encore plus malsain que Ouakam.
L’hôpital militaire et le Lazaret sont très bien situés, sur la
16 CLARAC.
partie incontestablement la plus salubre de la presqu’île, et cependant on y constate des cas de paludisme contractés sur place.
Selon la saison pendant laquelle on considère la presqu’île du cap Vert, l’aspect en est bien différent. À partir du mois d’août, il mérite bien son nom ; même avant les pluies, les feuilles commencent à paraître. Le sol est partout recouvert d’une végétation luxuriante de plantes herbacées, qui meurent et pour rissent dès que commence la saison sèche. En même temps que disparaît cette végétation, les arbres, déjà couverts de feuilles dès le mois de juin, se dépouillent également. «Le sol aride offre l’aspect de la désolation et de la mort végétale.» (Borius.) Au début de l’occupation de Dakar, on a eu l’heureuse idée d’y planter un grand nombre d’arbres, choisis parmi les essences qui conservent leurs feuilles toute l’année. Aussi la ville offre-t-elle un aspect moins désolé. Les places et quelques rues
sont assez bien ombragées.
MÉTÉOROLOGIE.
Les observations météorologiques ne sont faites à Dakar que depuis 1895. 1 est par conséquent bien difficile d’en tirer des conclusions fermes touchant le climat de la presqu’île. Borius n’en parle qu’incidemment et le confond avec celui de Corée, ce qui ne saurait être exact en tous points.
Nous ne pourrons donc qu’indiquer cette partie de la question, qui ne pourra être élucidée complètement que plus tard, quand les observations porteront sur un certain nombre d’an nées. Nous donnons cependant le résumé des observations faites en 189b et 1896.
C’est un fait bien connu qu’il existe en Sénégambie deux saisons bien tranchées : la saison des pluies et la saison sèche. A Dakar, ces deux saisons sont nettement séparées, ce qui ne contribue pas peu à caractériser la pathologie de cette localité. La saison des pluies ou hivernage commence dans la deuxième quinzaine de juillet et prend fin dans la deuxième quinzaine d’octobre. Celte saison n’influence pas immédiatement la pathologie; la saison paludéenne ne commence guère qu’un mois
NOTES SUR LE PALUDISME. 17
plus tard, c’est-à-dire dans la deuxième quinzaine d’août, pour prendre fin dans la deuxième quinzaine de novembre. À compter de ce moment, les fièvres paludéennes que l’on constate ne sont guère que les reliquats de l’hivernage. Nous reviendrons en détail sur cette partie de la question.
Voyons d’abord quels sont les éléments constitutifs du climat de la presqu’île, et particulièrement de Dakar.
i° Température. — Jusqu’en mai, la température moyenne reste en général au-dessous de 2A0, avec des différences de 5° à (j° entre le jour et la nuit, et des écarts considérables entre les températures extrêmes.
A compter du mois de juin ou de juillet, la température moyenne oscille entre 2U° et 3o° et au-dessus, sans cependant atteindre un maximum de plus de 38°. Les écarts entre les températures extrêmes ne sont jamais de plus de h° à 5", et de a0ou 3° entre les températures moyennes. Ces faibles variations nycthémérales contribuent à rendre plus pénible la saison de l’hivernage.
Durant l’année 1895, les maxima observés ont été moins élevés qu’en 1896, et les minima plus bas. En 1896, la saison sèche a été moins fraîche qu’en 1895 et l’hivernage moins pluvieux et plus retardé; ce qui n’a pas, comme nous le verrons, peu contribué à modifier la pathologie de 1896, au point de vue du paludisme.
20 Vents. — Cette partie de la météorologie présente une certaine importance. Comme nous le verrons plus loin, on incrimine en général les marais de la pleine de Ouakam et l’on voudrait leur faire jouer un rôle prépondérant dans l’étiologie du paludisme développé à Dakar.
Pour que cette assertion fût exacte, il faudrait démontrer, abstraction faite de toute autre objection, que les vents qui passent sur les marais souillent aux époques pendant lesquelles sévit le paludisme.
Les alizés du N. E., commencent en novembre et durent, avec une fréquence et une intensité variables, jusqu’au mois
ANN. D’HYG. COLON. . — Janvier février-mars 1 8 9 8 . 1— 2
18 CLARAC.
de mai et même pendant une partie du mois de juin; Aux mêmes époques* mais plus rarement, les vents souillent du
N. N. E. et du Nord; à partir du mois de juin, des brises plus
faibles viennent un peu de louics les directions, mais le plus souvent du N. 0 ., de l’Ouest ou même du Sud ou du S. 0. Les calmes sont très fréquents.
« Au point de vue hygiénique, les vents dominants, ceux du N . E., n’arrivent à la presqu’île du cap Vert qu’après avoir perdu une grande partie de leur sécheresse, en passant sur les nombreux marécages du Cayor et du Diander. Ils ne peuvent arriver à Dakar qu’en traversant la rade et en passant sur la surface de la mer, dans une longueur de 4 milles. Si ce passage sur mer diminue encore leur sécheresse, les miasmes qu’ils ont recueillis dans leur trajet doivent perdre une grande partie de leurs propriétés malfaisantes.» (Borius.)
Les vents d’Est sont bien plus rares moins secs et moins pénibles qu’à Saint-Louis.
Nous ne pensons pas que les tornades aient une influence quelconque sur la pathologie de Dakar.
3° Pluies. — Elles commencent à la mi-juillet. Parfois il tombe une très grande quantité d’eau pendant les derniers jours de ce mois, mais c’est généralement en août que les pluies sont le plus abondantes; elles commencent à diminuer en septembre, sont très rares en octobre et cessent complètement pendant la dernière moitié de ce mois.
La quantité totale d’eau tombée est assez variable pour chaque année; c’est ainsi qu’en 1895 il est tombé 741mm tandis que le pluviomètre n’a accusé que 344 mm en 1896.
La quantité d’eau n’est pas toujours en rapport avec le nombre de jours de pluie. En 1895, on a compté à Dakar 18 jours de pluies très abondantes, alors qu’en 1896, année considérée comme très peu pluvieuse, ainsi que l’indique le tableau suivant, la pluie est tombée 29 fois.
NOTES SLR LE PALUDISME. 19
TABLEAU COMPARATIF DES QUANTITES D’EAU TOMBÉE PENDANT LES HIVERNAGES DE 1 8 9 2 À 18 9 6 INCLUS.
M0 1S. 1894. 1893. 1894. 1895. 1896. Juin....................................... o.oo85 / / xn 0 .0 1 3
Juillet................................... o.i 58 0 .09/1 o.o3o5 0.383 0 .0 7 /1/1
Août...................................... o.385 0.318 u . i - j / i o.a5i 0 .0 8 3 8
Septembre............................. o.o83 0.1 l) 1 0 .0 8 0 0.1 01 0 . 13o8
Octobre................................. o.i 51> 0 .087 II 0 .0 0 G o.o/i33
Tot aux 0 .788.5
0.5355 0 .7 h 1 o.3/i53
D’après Borius, le nombre annuel de jours de pluie est eu moyenne de 38 à Gorée, avec une moyenne d’eau de 532 mm. Les chiffres que nous fournissons pour Dakar semblent indiquer que les pluies sont actuellement plus rares dans la presqu’île du cap Vert, car, au point de vue qui nous occupe,
Gorée peut être considérée comme se rattachant à cette partie de l’Afrique.
Pour Borius la fièvre jaune n’est pas, comme on l’a écrit,
sous la dépendance directe du régime des pluies». Nous partageons absolument celte opinion, car il résulte de nombreux rapports que nous avons pu parcourir que la fièvre jaune serait toujours importée, et que certaines épidémies dont on n’a pu déterminer exactement l’origine sont dues au réveil de germes mal éteints.
La question est tout autre, en ce qui touche le paludisme, le régime des pluies a une importance capitale sur la pathologie de Dakar, comme nous le verrons dans le cours de cette étude.
Nous regrettons de ne pouvoir compléter ce court exposé de la météorologie de Dakar, en y ajoutant des observations touchant l’état hygrométrique et la tension de la vapeur d’eau. Les observations n’ont été commencées que celte année et sont, par suite, nécessairement insuffisantes.
Les observations barométriques ne présentent pas un grand intérêt. Elles fournissent à peu près les mêmes résultats qu'à
20 CLARAC.
Saint-Louis. Cette partie de la question a été longuement traitée par Borius.
PALUDISME EN GÉNÉRAL. ----- MORBIDITÉ.
La morbidité du paludisme à Dakar, depuis 1891, se trouve résumée dans le tracé ci-joint. Ces chiffres, si élevés soient-ils par rapport à la garnison, ne répondent pas cependant à la réalité, car ils ne tiennent compte que des malades traités à l’hôpital, sans tenir compte du grand nombre d’hommes traités dans les casernes. Du reste, ces renseignements, même si nous avions pu nous les procurer complètement, n’auraient présenté- qu’un intérêt relatif, les diagnostics portés à la caserne n’étant pas toujours très exacts; il y a lieu aussi de faire quelques réserves pour ceux portés à l’hôpital. Nous devons dire cependant qu’en temps d’hivernage, bien peu d’erreurs sont commises, si nous en jugeons par l’expérience faite en 1896; chez tous les malades cliniquement désignés comme atteints de paludisme, on a pu constater la présence des hématozoaires de Laveran.
Nous mettons en regard du tracé de la morbidité du paludisme celui de la morbidité générale constatée à l’hôpital de Dakar depuis l’année 1891 (voir p. 21).
Nous pouvons conclure de ces chiffres que le paludisme sévit à Dakar, avec une grande intensité, sous toutes ses formes, et cela presque exclusivement pendant la saison de l’hivernage.
En effet, pendant certaines années, le^ chiffre des entrées pour affections paludéennes a atteint, du 15 juin au 15 novembre, 100 p. 100 de la garnison européenne (années 1893- 1895).
Les fièvres ne commencent guère à se manifester qu’à la fin d’août pour cesser à peu près vers la fin de novembre, alors que les pluies ne commencent à tomber qu’en juillet pour prendre fin en octobre, vers la fin de la deuxième quinzaine de ce mois.
Comme nous le disions, au début de cette élude, le paludisme est réellement la seule affection intéressante à observer à
MORBIDITE GENERALE ET MORBIDITE DU PALUDISME COMPAREES.
22
CLARAC.
Dakar, en ce qui touche du moins l’Européen. Pendant la saison de l’hivernage paludéen (août à novembre), bien rares sont les Européens qui, sous une forme quelconque, bénigne ou grave, ne ressentent pas les effets du paludisme. Mais l’empoisonnement paludéen ne se manifeste que par de très légers et très courts accès de fièvre, parfois même par de simples embarras gastriques qu’accompagnent de légères élévations thermiques; états qui pourraient être attribués aussi bien au paludisme qu’à la saison, s’ils n’étaient rapidement modifiés par l’administration des sels de quinine.
Cette morbidité, d’abord très faible, à peine sensible pendant les deux premiers trimestres, augmente rapidement à compter du mois d’août et commence à diminuer dans le courant d’octobre, pour prendre fin en décembre. Il n’est pas rare cependant de constater des accès pernicieux pendant ce dernier mois, et c’est réellement à ce moment que la fièvre hémoglobinurique commence à se manifester. Nous verrons plus loin comment il convient d’interpréter ces faits (voir la a' partie de ce travail : Fièvres hémoglobinuriques).
Le chiffre des entrées pendant le quatrième trimestre est toujours plus élevé, parce que, en plus des cas de paludisme constatés en octobre, les rechutes sont nombreuses en novembre et en décembre, chez les malades déjà atteints pendant l’hivernage.
Le tracé, qui n’a trait qu’au paludisme de Dakar, rend bien saisissante cette marche de l’endémie : la règle est absolue, c’est en septembre et en octobre que le chiffre des entrées pour paludisme atteint son point culminant.
Pendant le mois de septembre i8 g 5 , plus de 60 p. 100 des troupes de l’artillerie de marine se sont trouvées indisponibles. Les rapports médicaux des 3“et 4e trimestres des années 1895 et 1896 permettent, en tenant compte des effectifs moyens de la garnison européenne, d’obtenir un pourcentage assez exact du chiffre des entrées.
Cette morbidité, due presque complètement au paludisme, serait vraiment effrayante si, en réalité, cet état de choses ne durait que pendant trois ou quatre mois de l’année et si de
NOTES SUR LE PALUDISME. 23
plus la mortalité n’était loin de répondre à une aussi grande morbidité.
Comme l’indique le tableau suivant (voir p. 24), l’hivernage 1895 a été particulièrement mauvais, bien plus mauvais qu’en 1896.
Nous reviendrons plus loin sur les causes de ces variations et sur certaines particularités que présente ce tableau.
Il n’est pas sans intérêt de remarquer que beaucoup d’hommes atteints de paludisme l'ont plusieurs entrées à l’hôpital dans le courant de l’hivernage et que, de plus, le chiffre des entrées serait encore beaucoup plus élevé, si à ce moment un nombre très important de convalescents n’étaient rapatriés. C’est également à ce moment de l’année que les fonctionnaires et les officiers rentrent en France.
Depuis 1891, la morbidité générale constatée par le chiffre des entrées à l’hôpital de Dakar a été de 670a et la morbidité spéciale pour affections paludéennes diverses de 3271, soit 57.5 p. 100. Ce chiffre peut même être ramené à 50 p. 100, si l’on tient compte des erreurs de diagnostic, car il est incontestable qu’en pays paludéen on est naturellement porté à attribuer au paludisme certaines fièvres qui, en réalité, n’ont rien de commun avec la grande endémie. Ces erreurs sont ce pendant rares en temps d’hivernage.
MORTALITÉ.
Comme nous le disions plus haut, la mortalité causée par le paludisme n’est nullement en rapport avec la morbidité.
Cette mortalité est.de 70, chiffre relativement faible, mais assez élevé cependant si on le met en regard de celui de la mortalité générale, qui n’est que de 154 pour le même laps de temps, soit 45,4 p. 100.
En réalité, la mortalité générale est relativement plus élevée que la mortalité spéciale imputable au paludisme.
La morbidité générale étant de 5702 et la mortalité de 154, pour la période indiquée, le pourcentage des décès est de 2.70 p. 100. La morbidité du paludisme étant de 3271 et la mortalité de 70, nous n’avons que 2, 13 p. 100.
MORBIDITÉ GÉNÉRALE DE LA GARNISON EUROPÉENNE PENDANT L’HIVERNAGE.
TROUPES EUROPÉENNESEN GARNISON
1895. 1896.
III e TRIMESTRE. IV TRIMESTRE. III C TRIMESTRE. IV TniMESTRE.
Effec- Entrées Moyenne Effec- Entrées Moyennes Effec- Entrées Moyenne Effec- Entrées Moyenne
dans la presqu’île du cap Vert. tifs à des
des
entrées tifs ii
des des
entrées tifs entrées
moyens. l’hôpital. p. 100.. moyens. l’hôpital. p. 100. moyens. l’hôpital. p. 100. moyens. l’hôpital. p. 100.
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Cadre des tirailleurs sénégalais.
NOTES SUR LE PALUDISME. 25
En ce qui concerne Dakar proprement dit, ce chiffre doit être notablement diminué, car un grand nombre de decès sont fournis par les malades provenant du camp de Ouakam, d’autres sont la conséquence des nombreuses évacuations faites sur l’hôpital. C’est ainsi que, pendant les années 1892 et i8g3, l’expédition du Dahomey a augmenté considérablement les chiffres des entrées et des décès pour affections paludéennes figurant sur les statistiques de l’hôpital.
Pendant cette période, on a constaté à l’hôpital de Dakar 17 décès chez les malades évacués du Bénin, du Soudan ou des autres points de l’Afrique occidentale.
Dans ces conditions, on peut ramener à 47 le chiffre des décès pour affections palustres, fournis par la garnison européenne de Dakar. Ce chiffre paraîtra réellement peu élevé en regard de l’importance de cette garnison.
Enfin, il importe de faire remarquer, pour expliquer une aussi faible mortalité, que, pendant la saison de l’hivernage, le conseil de santé renvoie en France tous les hommes qui 1 e paraissent pas aptes à supporter les rigueurs de celte saison.
FORMES DU PALUDISME.
L’empoisonnement paludéen se présente à Dakar sous des formes variables, assez difficiles à classer, soit à cause de cette variabilité môme, soit parce que, le plus souvent, pour ne pas dire toujours, la médication par les sels de quinine appliquée immédiatement, dès le début de l’accès, ou même antérieurement, est susceptible de modifier complètement le type de la fièvre. Comme à l’hôpital on n’observe presque jamais d’accès absolument vierge de quinine, il est difficile de faire la part de la médication dans la modification des types.
Le type banal, l’accès de fièvre à trois stades bien tranchés, nous a paru exceptionnel pendant la saison de l’hivernage; on ne le constate guère qu’au début de la saison sèche, chez des sujets antérieurement impaludés, surtout chez les cachectisés.
C’est là une observation que nous trouvons relatée dans tous les rapports de nos prédécesseurs à Dakar.
La fièvre rémittente, le type à température plus ou moins
26 CLARAC.
élevée, mais prolongée avec intermissions plus ou moins tranchées, est le type le plus fréquent. Pendant l’hivernage, c’est celui que l’on constate toujours. Selon le moment, et surtout selon le sujet, ce type s’accompagne de symptômes bilieux parfois très marqués, plus fréquents à la fin de l’hivernage.
Le frisson du début manque souvent ou passe inaperçu. Il n’a presque jamais l’intensité et la durée de la période de froid de la fièvre intermittente observée à la Guyane ou aux Antilles.
Généralement, au début de la période fébrile, les sujets, surtout quand ils subissent un premier hivernage, présentent le masque inflammatoire très marqué : yeux injectés, larmoyants, faciès rouge, etc.
La période fébrile dure trois ou quatre jours; la température, quelle que soit d’ailleurs la médication suivie, tombe à la fin du troisième jour ou au commencement du quatrième. Parfois cette période dure cinq et six jours; alors, il s’est produit au bout du troisième jour ou au commencement du quatrième un accès subintrant. Dans nombre de cas du reste, il nous a paru que la continuité de la période fébrile était la résultante d’une série d’accès subintrants intervenant à la fin d’un accès du type quotidien.
Il n’est pas rare, au cours d’un même hivernage, d’assister à des intervalles différents, à deux ou trois rechutes spontanées ou provoquées par des excès ou des fatigues. La fièvre est sou vent moins intense, mais se manifeste toujours avec le même type qu’à la première invasion.
Tel est en résumé le type de la fièvre paludéenne qui est le plus commun à Dakar.
Nous ferons remorquer que tous les malades avaient pris de la quinine avant leur entrée à l’hôpital. Il serait intéressant afin de bien préciser le type clinique, d’abandonner la maladie à elle-même, mais à coup sur cette expérience ne serait pas sans danger.
Dans certains cas, soit parce que la rémittence réelle et complète, très courte, a passé inaperçue, soit par. suite de l’intervention d’accès subintrants, la lièvre affecte la marche continue
NOTES SUR LE PALUDISME. 27
et présente alors un tracé ayant de grandes analogies avec celui de la fièvre typhoïde.
Ce type, que nous avons trouvé signalé dans les rapports médicaux de Dakar, doit être assez rare, puisqu’il ne nous a été donné de l’observer que deux fois en deux années. Peut-être que, dans ce cas, la fièvre emprunte son caractère particulier à l’intervention d’un agent infectieux, s’ajoutant au paludisme. Ces cas ne peuvent être rangés dans le groupe des typho-malariennes ; le plus grand nombre des symptômes qui caractérisent ce groupe font défaut. Le malade s’anémie très rapidement et, enfin de compte, finit par guérir. Aux An tilles, nous avons vu des accès de ce genre finir brusquement par un accès pernicieux toujours mortel.
Nous nous contentons de signaler ces cas, sans nous y arrêter, mais en constatant que la quinine est en général impuissante.
Comme nous le disions plus haut, la fièvre rémittente observée à Dakar s’accompagne souvent du masque inflammatoire et aussi d’accidents bilieux plus ou moins graves (vomissements, diarrhées, ictère), mais nous ne pensons pas que ces accidents soient le fait du paludisme proprement dit. Comme cet infectieux s’affranchit difficilement de faction du climat, ces complications bilieuses tiennent aux influences climatériques et peut-être davantage encore à la constitution des malades eux- mêmes. C’est ainsi que nous avons vu quelques-uns de nos malades présenter, chaque fois qu’ils avaient le moindre accès de fièvre intermittente ou continue, des accidents bilieux d’une gravité excessive, accidents qui dominaient absolument la maladie.
Nous n’insistons pas davantage sur ce point, ne voulant discuter aucune question de doctrine.
Sur les registres des entrées de l’hôpital, nous avons relevé, sous la rubrique de typho-malarienne, dix-sept cas de fièvre dont nous n’avons pu retrouver que des observations très incomplètes. Personnellement, nous n’avons jamais constaté de cas de fièvre appartenant au groupe des typho-malariennes imputables de toutes pièces à Dakar, pas plus du reste que de fièvre
28 CLARAC.
typhoïde née sur place. Tous les cas de fièvre typhoïde étaient importés; il s’agissait de militaires ou de marins arrivant d’Europe, le plus souvent des ports militaires où régnait une épidémie de fièvre typhoïde, au moment de leur départ.
En 1895, on a constaté à l’hôpital de Dakar quelques cas de fièvre pouvant être classés dans le groupe indiqué plus haut. Voici dans quelles conditions ces fièvres se sont produites.
Au mois d’août, un détachement de soldats venant de Brest était débarqué à Dakar, à destination de Grand-Bassam, et mis en subsistance au camp des Madeleines, qui est peut-être le point le plus paludéen de la presqu’île du cap Vert. A1 bout de quelque temps, ce détachement envoya à l’hôpital un nombre assez élevé de malades graves, présentant à peu de choses près les mêmes symptômes. Lassitude plusieurs jours avant l’entrée, fièvre continue à température très élevée dès le début, avec exaspération vespérale marquée, embarras gastrique, langue sèche, épistaxis, diarrhée bilieuse fédide, météorisme, gargouillements, taches rosées, rate hypertrophiée, délire. A l’autopsie, gaufrage des plaques de Peyer. Tous ces symptômes ont été constatés chez quatre ou cinq hommes.
Les autres malades provenant du même détachement ont présenté des signes plus ou moins graves d’empoisonnement paludéen, avec symptômes abdominaux confinant à la typhisation.
Le médecin traitant crut alors devoir porter le diagnostic de
typho-malarienne, en raison de la marche spéciale de la température et d’un certain nombre de symptômes relevant du paludisme.
En même temps que ces faits étaient constatés à l’hôpital de Dakar, un sous-officier provenant du même détachement et qui, après être resté quelques jours au camp des Madeleines, avait été dirigé sur Sédhiou, présentait des accès de fièvre intermittente qui ne cédèrent pas à la quinine et, à compter du 5 septembre, c’est-à-dire près d’un mois et demi après son départ de Brest, on constatait des symptômes typhoïdes : diarrhées, sécheresse de la langue, gargouillements.. . . subdélire, mort.
NOTES SUH LE PALUDISME. •29
Ces observations démontrent que les hommes débarqués à Dakar le 12 août étaient contaminés et portaient avec eux ou en eux le germe de la dothiénentérie, germe qui n’eût peut- être pas évolué s’ils avaient été placés dans d’autres conditions. Sous l’influence du milieu paludéen, l’infectieux typhique a commencé son évolution et les deux maladies se sont combi nées, l’élément typhogène semblant jouer dans ce cas le rôle principal, pour créer le type dupliqué typho-malarien (Fièvre malarienne typhoïde, Corre). Nul doute que dans ces conditions on eût trouvé le bacille d’Eberth chez ces malades.
Il s’agit de s’entendre sur la dénomination à donner au type clinique dont nous venons de parler. Nous voulons bien admettre qu’il ne s’agit que d’une fièvre typhoïde plus ou moins modifiée par le climat, mais modifiée aussi et surtout par l’intervention de l’infectieux malarien, modification assez profonde pour créer un type spécial et justifier une description particulière.
Ce n’est pas la première fois que des détachements arrivant d’Europe ont importé la fièvre typhoïde dans les hôpitaux et les casernes de la colonie; Dakar est à ce point de vue particulièrement menacé et, si la fièvre typhoïde n’y a pas acquis jus qu’à présent droit de cité, il est à craindre qu’elle ne finisse par s’y acclimater, comme dans plusieurs autres de nos colonies. Aussi pensons-nous que certaines mesures de préservation seraient nécessaires.
Il y aurait lieu de surveiller d’une façon particulière les détachements arrivant des ports où la maladie règne épidémiquement, de désinfecter au besoin leurs bagages, de suivre attentivement les manifestations fébriles chez les nouveaux débarqués et d’éviter surtout de les loger, dès leur arrivée, dans des camps trop exposés au paludisme.
Nous avons eu l’occasion d’observer d’autres cas, très rares du reste, qui peuvent être rapprochés des précédents, comme appartenant au groupe des typho-malariennes. Il s’agit de fièvres rémittentes de longue durée, compliquées d’accidents typhoïdes, constatées chez des sujets qui n’avaient pu être infectés par le bacille d’Eberth.
30 CLAHAC.
Dans ces cas, on se trouve en présence, non de la fièvre
typhoïde doublée de la malaria, mais de fièvre malarienne devenue typhoïde par transformation. Cette transformation étant la résultante d’une sorte d’auto-typhisation, conséquence des conditions particulières et du milieu spécial dans lesquels se sont trouvés les malades. Faut-il alors invoquer l'intervention d’un agent spécial typho-malarien, comme le pensent quelques-uns? Cette hypothèse ne nous parait nullement nécessaire pour expliquer les cas qui nous occupent.
À l’autopsie d’un des sujets, malgré les symptômes abdominaux typhoïdes très nets observés pendant la vie, les plaques, de Peyer présentaient une intégrité absolue, mais la rate était énorme et très ramollie.
L’étiologie de ce cas est assez intéressante. L’aviso l'Ardent, échoué dans le Niger depuis plusieurs mois, avait du renouveler son équipage, décimé par le paludisme. Pendant la longue immobilité de ce bateau, des hommes plus ou moins grave ment atteints avaient logé dans le poste de l’équipage. Le médecin ayant succombé, aucune mesure de désinfection n’avait été appliquée. C’est dans ces conditions que plusieurs hommes provenant du ponton Héroïne, où la fièvre typhoïde est in connue, ont été envoyés à bord de l’Ardent. Au bout d’un certain temps, cet aviso est revenu au mouillage de Dakar avec tout son équipage malade et plusieurs des hommes envoyés de l’Héroïne présentaient des atteintes plus ou moins graves de paludisme compliqué d’accidents typhoïdes.
Les faits du même genre ne sont pas rares dans l’histoire médicale de la côte occidentale d’Afrique. Les observations de Dudon (thèse de Paris) à bord de l’Armorique peuvent être rapprochées de celles faites chez les hommes provenant de l’Ardent, «tandis que certaines fièvres paludéennes évoluant à (erre, dit Dudon, se compliquaient d’accidents bilieux, celles qui prenaient naissance et se développaient à bord se compliquaient, elles, d’accidents typhoïdes graves, ayant de grandes analogies avec la dothiénentérie’).
Ces accidents étaient, comme à bord de l’Ardent, la conséquence d’une hygiène défectueuse et surtout de l’entassement,
NOTES SUR LE PALUDISME. 31
dans les postes d’équipage ou des batteries mal aérées, d’un grand nombre d’hommes atteints d’affections paludéennes. On pourra peut-être se demander si l’équipage ne consommait pas l’eau des fleuves où étaient mouillés les navires et s’il n’y a pas lieu d’attribuer à cette eau plus ou moins souillée un certain rôle dans le développement des accidents typhoïdes. Si les renseignements qui m’ont été fournis sont exacts, l’équipage de l’Ardent ne consommait que de l’eau distillée.
Nous avons pu constater un cas du même genre que ceux fournis par l’équipage de l'Ardent. Il s’agit d’un sous-officier fortement impaludé par un séjour prolongé au Soudan. Arrivé à l’hôpital de Dakar, après 18 jours de voyage, dont i5 eu chaland, dans les conditions hygiéniques les plus défectueuses, il fil à l’hôpital une fièvre rémittente de longue durée, compliquée d’accidents typhoïdes très graves.
Nous n’avons relevé dans les statistiques de l’hôpital de Dakar, depuis 1891, que 37 cas d’accès pernicieux. Plusieurs des malades ont été transportés à l’hôpital alors qu’ils étaient, déjà plongés dans le coma. Ge chiffre est assez peu élevé si on le rapproche de la morbidité générale par le paludisme, ai malades ont succombé, c’est-à-dire plus de 5o p. 100.
La forme comateuse, la plus souvent constatée, a fourni 8 décès. Après, vient la forme algide, qui a déterminé G morts. C’est surtout chez les disciplinaires déjà prédisposés par leurs antécédents morbides que les formes algide et comateuse ont été constatées. Il ne saurait plus être question de considérer les accès pernicieux comme déterminés par des poisons paludéens spéciaux; ils ne sont que la résultante de l’action produite par une forte dose de poison paludéen, sur un organisme prédisposé, l’infectieux portant plus particulièrement son
action sur un organe en état d’imminence morbide.
Un nombre relativement élevé de malades entre à l’hôpital avec le diagnostic de cachexie palustre ou d’anémie paludéenne. Ge sont des disciplinaires ou des évacués du Soudan, car tous les hommes de la garnison ayant eu des accès de fièvre assez graves et assez fréquents pour déterminer l’anémie sont renvoyés en France.
32 CLARAC.
Il nous resterait à parler de la fièvre dite bilieuse hématurique ou hémoglobinurique pour compléter cette revue rapide des formes du paludisme constaté à Dakar, mais celle très intéressante affection fait l’objet de la deuxième partie de ce travail.
é t i o l o g i e .
De prime abord, il semble difficile d’expliquer qu’une ville bâtie, comme l’est Dakar, à l’extrémité d’une presqu’île, balayée durant une bonne partie de l’année par des brises très fortes venant souvent du large, aérée de toutes parts, puisse payer un si large tribut au paludisme. Cette question est assez complexe et nous n’avons nullement l’intention de la trancher d’une façon absolue. Elle n’a jamais cessé de préoccuper le service de santé, comme l’indiquent les rapports médicaux, et c’est avec raison que le Département, qui attache l’importance que l’on sait au port de Dakar, a essayé de la faire élucider. Une dépêche du 20 février 1892 invite le gouverneur du Sénégal à fournir des renseignements sur la salubrité de Dakar et sur les mesures prophylactiques quelle comporte.
Il ne semble pas que les rapports médicaux et administratifs qui ont été fournis aient beaucoup fait avancer la question.
Quelques mesures d’assainissement reconnues indispensables depuis longtemps ont été appliquées par la municipalité, mais presque tout est encore à faire pour obtenir un assainissement relatif, assainissement qui nécessitera d’importants travaux. Avant de les entreprendre, il faudrait au moins être fixé sur les principales causes de l’insalubrité de la ville. Or, nous devons reconnaître que l’accord est loin d’être fait sur ce point. Les uns incriminent les marigots du voisinage et surtout le grand marigot de Hann, d’autres le sous-sol ou le sol même de de la ville, les émanations du rivage..., etc. Voyons quelle part
il y a lieu d’attribuer à ces différents facteurs étiologiques.
CLIMAT.
En ce qui touche le paludisme, la pathologie de Dakar est le reflet exact des saisons si bien tranchées dans la Sénégambie. Dans les premiers mois de l’année, on peut parfois se
NOTES SUR LE PALUDISME.ann. d’hyg. colon . — Janvicr-févrie.'-niai's 1898.
34 CLARAC.
demander si l’on se trouve en pays paludéen, tant sont parfois rares les manifestations du paludisme qui, quand elles se produisent, peuvent, abstraction faite des fièvres hémoglobinuriques, être considérées comme de simples fièvres saisonnières. Dans aucune colonie il ne nous a été donné d’observer un sommeil aussi complet du paludisme; nulle part aussi nous n’avons vu un réveil aussi bruyant.
La courbe précédente (années 1895-1896), qui serait à peu près la même pour toutes les années, permet d’apprécier exactement le développement du paludisme par rapport aux saisons. Le régime des pluies constitue le facteur climatérique le plus important dans cette question. Dans tous les pays paludéens, mais à Dakar particulièrement, le développement du paludisme est en rapport direct avec la quantité d’eau tombée. Il suffit pour s’en, convaincre de jeter les yeux sur le tracé que nous donnons et sur les tableaux où sont résumés la morbidité et le régime des pluies depuis l’année 1892. Mais les pluies, comme tous les agents météoriques, la chaleur, l’humidité, les vents, tout en jouant un rôle très important dans le développement de la malaria, ne sauraient la produire de toutes pièces, l’agent infectieux résidant dans le sol. C’est dans la nature du sol de la presqu’île du cap Vert qu’il faut chercher la cause principale de l’endémie et de son intense développement, à des époques déterminées, sous l’influence des agents météoriques indiqués
plus haut.
SOL.
Nous avons déjà parlé plus haut de la constitution du sol et des marais de la presqu’île; voyons quel est leur rôle immédiat, au point de vue qui nous occupe.
Le Marigot de Hann est particulièrement incriminé. Il commence à environ 7 kilomètres de Dakar, au-delà du promontoire de Bel-Air, où il forme un petit lac, communiquant avec un chenal long de 8 à 900 mètres et large 100 mètres (selon les époques). Ce chenal se dirige à peu près du Nord au Sud, parallèlement à la mer dont il n’esl séparé que par une bande de sable. À environ 6 kilomètres de Dakar, ce chenal
NOTES SU! LE PALUDISME. 35
s’ouvre dans la mer avec laquelle il ne communique directe ment que pendant la saison des pluies et les fortes marées. Celte communication est interrompue pendant la saison sèche, mais il se fait, durant toute l’année, des infiltrations à travers la bande de sable qui sépare le chenal de la mer.
Pendant la saison dis pluies, nombre de petits marigots se forment autour de ce marigot principal et s’y déversent, de sorte que les limites de ce dernier ne sont nullement déter minées.
Vers le mois de mars, le marigot qui a commencé à se dessécher depuis le début de la saison sèche l’est à peu près complètement. Le chenal est réduit à un canal étroit. Dès le mois de novembre, les berges inondées pendant les mois d’hivernage ont commencé à se découvrir, laissant exposés à l’action du soleil des détritus de toutes sortes (plantes marines, herbes, animaux morts, déjections, etc.). Le tout dégage des odeurs intolérables. L’examen des eaux du marigot fait par Corre [Archives de médecine navale, 1877) est assez caractéristique.
Il est certain que, dans de pareilles conditions, le marigot de Hann constitue un loyer d’infection intense, et son voisinage est absolument inhabitable. En raison du voisinage de l’eau douce, on avait installé sur ce point un jardin potager, cultivé par les disciplinaires; tous les hommes qui y ont été employés succombèrent à des accès pernicieux, on dut l’abandonner.
Est-ce à dire que ce foyer soit la source du paludisme qui sévit à Dakar? Nous devons reconnaître que c’est une opinion accréditée et souvent émise dans les rapports médicaux. La fièvre paludéenne, disent quelques-uns de ces rapports, prend toujours la forme grave à Dakar, même pendant la bonne saison, et ce sont les vastes marigots dont il est entouré qui font ces manifestations aussi nombreuses et aussi terribles.
Pour qu’il soit possible d’affirmer l’action nocive du marigot de Hann, il faudrait prouver d’abord que les miasmes provenant de ce marigot peuvent arriver jusqu’à Dakar, ensuite, qu’il existe, une relation étroite entre le développement du paludisme et la direction des brises, susceptibles, après avoir passé sui te marigot, d’en transporter les émanations jusqu’à la ville;
3.
36 CLARAC.
enfin que le paludisme sévit dans la ville surtout à l’époque où les rives du marigot sont découvertes, c’est-à-dire fin novembre, décembre, janvier et février.
Invité à donner son opinion sur cette question, notre regretté camarade Nivard s’exprimait ainsi dans son rapport du 4° trimestre 1891 :
« . . . Les fièvres sévissent à Dakar pendant que les vents soufflent de l’Ouest, c’est-à-dire du large. Nous avons pu constater ce fait celte année. La saison des pluies s’est établie en 1891, à la fin de juin; jusque vers le 26 juillet, elles furent assez régulières et le nombre des malades pendant cette période varia de 30 à 40 en moyenne par jour.
« Du 26 juillet au 6 août, nous eûmes une petite saison sèche et bien que les vents continuassent à souffler de l’Ouest, ne passant pas par conséquent sur le marigot, nous vîmes le chiffre des malades augmenter rapidement et atteindre le chiffre de 56; presque tous ces malades étaient atteints de fièvres.»
Dans les lignes qui suivent, Nivard démontre que le nombre des malades est subordonné au régime des pluies : tr A cette époque, les pluies reprirent, et le nombre des malades diminua rapidement et entre le 27 août elle 10 septembre, époque où la saison des pluies battit son plein, nous n’avions que 27 à 32 malades. Mais, à partir du 10 septembre, les pluies diminuent comme fréquence et comme quantité, pour cesser vers le 26 septembre, et le nombre des malades atteint rapidement le chiffre de 55 à 65.
« À partir de ce moment, la saison sèche est établie, les vents continuent à souffler de l’Ouest, et le nombre des malades est tel que nous devons commencer les évacuations sur Gorée. Ce n’est que le 10 octobre que les vents soufflent pour la première fois du Nord. Tous les malades étaient atteints de paludisme. »
Nivard pense que, dans ces conditions, il est difficile d’incriminer le marigot de Hann cet comment admettre qu’un marigot situé à 6 kilomètres soit cause de fièvre, alors que l’on voit les vastes marais de Sorr , distants de Saint-Louis
NOTES SUR LE PALUDISME. 37
de 5oo mètres et séparés de cette ville par le grand bras du fleuve seulement, n’être nullement incriminés.........
« Et cependant aux mois de janvier et février, alors que le vent d'Est souffle souvent pendant des journées entières, passant sur les marais de So it avant de balayer Saint-Louis, on ne constate pas de recrudescence de fièvre; c’est même l’époque de l’année où, comme à Dakar, le chiffre des malades et des fièvres diminue.»
Les observations de Nivard concordent assez bien avec celles
faites à Dakar en 1895.
Les mois d’août, septembre et octobre ont été les plus mauvais; or, à cette époque, le marigot de Hann avait atteint son plus grand développement. En juillet, début des pluies, les brises ont soufflé le plus souvent du Nord, et on n’a presque pas constaté de paludisme à Dakar. Par contre dans la deuxième quinzaine d’août, le chiffre des entrées a augmenté très rapidement, alors que les brises venaient le plus souvent du Sud. En septembre, le paludisme bat son plein, les vents sont alors essentiellement variables, et il existe souvent du calme. L’hôpital de Dakar devient insuffisant pour recevoir tous les paludéens.
L’état sanitaire 1 e commence à s’améliorer qu’à la fin de novembre alors que les vents de N. N. E. sont bien établis et que les rives du marigot de, Hann, en partie découvertes, saturent l'atmosphère des miasmes pathogènes de la malaria. Les impaludés qui entrent à l’hôpital en décembre ont presque tous été atteints pendant l’hivernage.
En résumé, nos observations nous permettent d’arriver aux mêmes conclusions que Nivard. II n’y a nullement lieu d’in voquer l'action prépondérante du marigot de Hann pour expliquer l’intensité avec laquelle le paludisme sévit à Dakar. Du reste il paraît bien difficile d’admettre cette influence, étant donné l’éloignement du marigot.
Cette constatation présente un très grand intérêt pratique, car, dans plusieurs rapports administratifs sur l’assainissement de Dakar, nous voyons proposer l’exécution de grands travaux destinés à faire disparaître ou à transformer le marigot de Hann.
38 CLARAC.
H y a, à notre avis, un meilleur emploi à faire des deniers de la colonie et des travaux d’assainissement plus urgents à exécuter.
Nous avons dit plus haut que la plaine de Ouakam est en grande partie inondée pendant l’hivernage. Pendant la saison sèche, jusqu’en mars ou avril, il subsiste encore une multitude de marais plus ou moins e'tendus, mais plutôt petits. Les vents d’Ouest et du N. 0. passent sur ces marigots avant d’arriver à Dakar. Le camp des Madeleines [2] se trouve plus particulièrement placé sous leur influence.
Il est certain que les marigots les plus proches de Dakar inlluent dans une certaine mesure sur l’état sanitaire de la ville ou du moins des parties de la ville qui confinent à la plaine de Ouakam. L’insalubrité notoire des Madeleines est due au voisinage de ces marais. En ce qui touche la ville européenne, cette influence ne saurait être prépondérante, puisque les vents d’Ouest et du N. 0 . ne soufflent que rarement pendant la saison sèche, alors qui* ces marais en pleine évaporation sont plus dangereux.
En ce qui louche cette question des marais, il importe de
ne pas perdre de vue ces observations très justes de Borius :
« En temps d’hivernage, le marais est partout, là où la surface du sol n’est pas complètement imperméable; la moindre flaque d’eau devant une maison accuse parles fièvres qui atteignent les habitants de celte maison la présence de la cause si difficile à saisir, dans son essence même, qui produit la fièvre.» Certes, ces flaques d’eau existent partout à Dakar cl dans ses environs, car partout le sol est crevassé. Les abords de la ville sont convertis en dépotoirs alors qu’ il serait si facile de jeter les ordures et les déjections à la mer. La population, dont l’indifférence, l’incurie et la malpropreté sont bien connues, trouve plus simple de les déposer à la surface du sol ou dans les nombreuses crevasses résultant de l’extraction de la pierre. Cela ne se passe pas seulement en dehors de la ville, mais dans son centre même où le moindre terrain vague reçoit les matières usées.
Comme nous l’avons vu, il faut chercher ailleurs que dans
NOTES SUR LE PALUDISME. 39
les marais la cause principale du paludisme qui sévit à Dakar.
Nivard émet l’avis que c’est la constitution du sol de Dakar qu’il faut surtout incriminer; après avoir indiqué la constitution du sol. il ajoute : « Pendant l’hivernage, l’eau des pluies n’ayant pas d’écoulement, par suite du manque de caniveaux, de ruisseaux et d’égouts, s’infiltre dans l’interstice de ces roches, traverse la couche sablonneuse et est arrêtée au niveau de la couche argileuse, constituant là un vrai marais souterrain. Tant que dure la saison des pluies, il n’y a pas d’évaporation cl l’état sanitaire de Dakar est hou......... dès que la saison sèche arrive, l’assèchement de cette nappe se fait par évaporation à la surface du sol; toutes les conditions du marais souterrain se trouvent réalisées et apparaît le paludisme sous toutes ses formes......... "
Nous pensons comme Nivard que c’est dans la constitution du sol qu’il faut chercher la cause principale du paludisme de Dakar. Mais, à notre avis, les faits doivent être interprétés autrement. Pour notre collègue, c’est la couche d’eau souterraine qu’il y a lieu d’incriminer; or, cette couche siège souvent à une très grande profondeur, parfois 10 ou i5 mètres; il nous parait difficile dans c -s conditions d’admettre que l’eau arrêtée au niveau de la couche argileuse puisse, en s’évaporant à travers la couche de pierres ferrugineuses épaisse en certains points de h à h mètres, être la cause efficiente des accidents malariens. De plus, cette couche d’eau souterraine, comme l’indique le régime des puits de Dakar, ne disparaît guère que vers la fin de la saison sèche, alors que le paludisme ne sévit presque plus depuis le mois de décembre. L’argile provenant du forage des puits d’égout de l’hôpital était encore humide au mois d’avril. Il n’est pas absolument vrai, comme le dit Nivard, que le paludisme ne commence à sévir qu’au début de la saison sèche. Dès le mois d’août, les fièvres se manifestent avec intensité à Dakar, et, en 1895 , c’est pendant le mois de septembre, pendant les plus fortes chaleurs, alors que les pluies étaient encore très abondantes, que le paludisme a été le plus sévère.
40 GLARAC.
Borius nous semble plutôt dans le vrai quand il émet l’opinion suivante : « Si les couches profondes ont une action sur le climat des localités, par suite du passage plus ou moins facile qu’elles laissent à l’écoulement des eaux, la couche de la superficie paraît jouer un rôle d’une bien plus grande importance; c’est sur elle que se développe la vie, sur elle aussi et dans les parties immédiatement en contact avec l’atmosphère que se développent les organismes inférieurs dont l’influence pathogénique est l’un des plus pressants problèmes de la science moderne (loc. cit., p. 85).
À notre avis, c’est dans la couche de roches ferrugineuses et dans l'argile compacte qui l’accompagne qu’il faut chercher la cause du paludisme, et nous ne sommes pas le premier à émettre cet avis. Sir Romual Martin, cité par Borius, s’est appuyé sur la nature ferrugineuse du sol de Sierra Léone pour admettre que le fer entrant dans la composition du sol est une des causes productrices de la malaria. Ce n’est pas à notre avis le fer qu’il faut incriminer. Comme le fait remarquer Borius, on peut citer des localités salubres où le fer est en grande abondance, et qui seraient les meilleurs sanatoria de la côte d’Afrique. Cependant, plusieurs observateurs ont constaté qu’au Sénégal même, dans le Soudan, les fièvres sévissent avec une gravité particulière dans les localités dont le sol est constitué par des roches analogues à celles de Dakar. Les mêmes observations auraient été faites à Madagascar. Ce sont des faits que nous ne pouvons qu’énoncer, en laissant à ceux qui connaissent les localités en question, le soin de dire jusqu’à quel point ils sont vrais ou erronés.
Comme nous l’avons dit au début de ces notes, la roche de Dakar est éminemment hygroscopique, et si le sol qu’elle constitue semble sécher rapidement à la surface, surtout avec les brises régnantes, il reste en réalité très humide, et l’humidité est d’autant plus persistante que le sous-sol lui-même est imperméable.
Dans la presqu’île du cap Vert, les pluies sont rarement continues, comme aux Antilles par exemple, où l’eau tombe à torrents, pendant plusieurs jours de suite. Il n’est pas rare, à
NOTES SUR LE PALUDISME. 41
Dakar, de voir, pendant la saison de l'hivernage, quinze jours ou même plus s’écouler, entre chaque grain de pluie ou chaque tornade. Dans ces conditions, le soleil agit sur le sol imbibe d’eau et il est alors facile, sans invoquer l’action des marais ou de la nappe d’eau souterraine, d’expliquer le développe ment intense du paludisme. Le sous-sol et les marais ne jouent donc qu’un rôle absolument secondaire et ne font peut-être qu’ajouter leur action à celle prépondérante du sol lui-même. Nous avons entendu accuser l’eau d’alimentation d’être une des causes de la malaria. Cette assertion n'est pas soutenable dans l’espèce. En supposant, ce qui est loin d’être démontré, que l’infectieux malarien puisse empoisonner l’organisme, par l’intermédiaire de l’eau, celle qui sert à l’alimentation de Dakar est de première qualité et ne saurait être incriminée, et, argument péremptoire, l’eau est ingérée toute l’année, alors que le paludisme ne sévit que pendant une période déterminée.
Telle est notre opinion sur l’étiologie du paludisme à Dakar, nous ne saurions affirmer qu’elle soit définitive et qu’aucune observation nouvelle ne viendra la modifier, car bien des faits ont dû nous échapper, et d’autres demanderaient à être éclaircis. Comment expliquer, par exemple, le grand nombre de fièvres paludéennes constatées à bord de l’Héroïne chez des marins qui n’étaient jamais venus à terre? Le ponton est mouillé assez loin, dans une situation excellente. Les règles de l’hygiène y sont bien observées, les matelots européens peu nombreux sont très bien logés. . . Il y a là un fait anormal qu’il importait de signaler.
Si la pathogénie de la malaria à Dakar était celle que nous venons d’exposer, si elle était absolument démontrée, il en résulterait un grand intérêt pratique, au point de vue de la prophylaxie de l’endémie.
En tout cas, un certain nombre de mesures s’imposent dès maintenant, et elles ont été en partie conseillées depuis long temps par MM. les médecins en chef Aymé et Nivard :
i° Actuellement le macadam employé pour b s rues est fa briqué avec la roche ferrugineuse dont nous avons parlé. Bien
42 CLARAC
tassé, ce macadam présente au bout d’un certain temps une surface uniforme et résistante qui semble justifier à première vue le choix de cette pierre, mais le sol, malgré son aspect, reste le même, continue à absorber et à retenir l’eau des pluies cl à garder son humidité nocive. Afin d’éviter cet inconvénient capital, les rues devraient être cimentées ou pavées non, avec les roches ferrugineuses, mais avec les roches basaltiques du cap Manuel, si toutefois il était possible de les tailler;
2° Construction de canaux, de caniveaux, d’égouts permettant l’écoulement des grandes quantités d’eau qui tombent au moment des pluies.» (Nivard.)
Pour répondre à ces desiderata, on a construit un assez grand nombre de canaux, mais en employant la roche de Dakar et le plus souvent sans interposition de mortier ou de ciment, Pour être réellement utiles, ces canaux devront être absolument imperméables;
.3° Installation d’un service de voirie et de vidanges, garantissant le jet à la mer, sur certains points déterminés, de tous les détritus qui, de cette façon, ne seraient pas déposés comme maintenant sur tous les points de la ville;
4° Sarclage et incinération des herbes qui poussent si rapidement pendant l’hivernage. Avoir bien soin surtout de ne pas les laisser pourrir sur le sol;
5° Pratiquer tous les terrassements nécessaires pour faire disparaître les inégalités du sol;
Imposer aux habitants, comme cela se fait partout et comme le prescrivent les arrêtés municipaux, l’obligation de combler les excavations qu’ils pourraient faire dans leurs propriétés.
Les terrains qui avoisinent notre hôpital sont convertis en fondrières, véritables dépotoirs à l’usage des noirs du village indigène. Jl importe de supprimer toutes les causes de la stagnation de l’eau, surtout autour des casernes et de l’hôpital : « On aura beau construire de superbes bâtiments, on est sûr au Sénégal de voir éclater le paludisme, si on les entoure, même provisoirement, d’une série de petits marais.» (Aymé, rapport.)
6° Des travaux de drainage devront également être exécutés
NOTES SUR LE PALUDISME. 43
dans la partie de la plaine de Ouakam qui avoisine Dakar el les camps des Madeleines.DEUXIÈME PARTIE.
LA FIÈVRE IIEMOGLOBINURIQUE ENDEMIQUE OBSERVÉE À DAKAR.
En pathologie, il y a lieu de tenir compte, et c'est là une vérité banale, non seulement de la maladie, mais aussi du malade; à côté de ces deux facteurs, il convient en pathologie exotique surtout d’en ajouter un troisième, le pays.
L'intervention de ce troisième facteur ne contribue pas peu à compliquer singulièrement l’élude de cette partie de la médecine. À vrai dire, il n’y a pas qu’une pathologie exotique, car celte pathologie est aussi variable que les pays eux-mêmes. Sans doute, les grandes endémies, qui en forment le fond, sont à peu près les mêmes dans leurs grandes lignes étiologiques el cliniques, mais parfois les nuances sont telles que les médecins qui n’ont pas acquis une certaine pratique de la pathologie qui nous occupe se trouvent absolument déroutés. Celui qui s’attend à trouver le paludisme, par exemple, partout identique, aussi bien en Amérique qu’en Afrique ou en Indo-Chine, ne tarde pas à reconnaître son erreur et se trouve exposé à de singuliers mécomptes.
En ce qui touche la fièvre hémoglobinurique qui fait l’objet de ce travail, n’a-t-il pas fallu plusieurs générations de médecins pour arrivera la séparer non seulement de la rémittente bilieuse simple, mais encore à reconnaître que les maladies décrites dans différents pays sous les noms si divers de bilieuse grave, bilieuse avec hématurie, pernicieuse ictérique, hémophosphérinurique, bilieuse hématurique, mélanurique, etc. appartenaient en réalité au même cadre pathologique?
En parcourant dans les auteurs les différentes descriptions de la maladie qui nous occupe el en l’étudiant sur place à l’hôpital de Dakar, il nous a paru quelle présentait dans cette localité certaines nuances cliniques qui justifient, croyons-
44 GLARAC
nous, la publication de ces notes. Nous avons eu souvent l’occasion d’entendre des médecins, qui ont pu observer la maladie au Dahomey, au Soudan ou à la Guadeloupe et à Dakar, signaler des nuances importantes aussi bien dans la marche que dans le pronostic de l’affection, cette affirmation n’a rien qui puisse étonner, étant donné le protéisme de la pathologie exotique en général et, en particulier, du paludisme, qui en constitue le fond le plus important.
Notre intention n’est pas, en exposant la fièvre hémoglo- hinurique observée à Dakar, de recommencer, après tant d’autres, une description déjà faite et souvent bien faite; nous voulons simplement utiliser les matériaux que nous avons pu rassembler pour essayer de montrer cette intéressante et grave maladie telle qu’elle s’est présentée à l’hôpital de Dakar ou en en ville.
Nous adopterons la dénomination de fièvre hémoglobinurique endémique (Corre), qui nous paraît être celle qui convient bien à la maladie.
CHAPITRE PREMIER.
SYMPTOMATOLOGIE. ---- MARCHE DE LA MALADIE.
L’observation suivante est une observation type avec persistance de la sécrétion urinaire. Elle nous dispensera de donner une description générale. Nous aurons plus loin l’occasion de citer des cas mortels avec anurie.
O b s e r v a t i o n I. — R. . . , fusilier disciplinaire, 25 ans. —
15 mois de séjour dans la colonie (camp de Ouakam). — Quatre entrées à l’hôpital, ensemble 8 A jours, pour accès paludéens plus ou moins graves, compliqués le plus souvent d’accidents bilieux. — Nombreux accès de fièvre au camp, qui du reste est très paludéen. C’est dans ces conditions que B. . . est envoyé à l’hôpital de Dakar, le 9 décembre, avec le diagnostic de fièvre hématurique. Le malade raconte que la veille, dans la soirée, il a été pris d'un violent frisson, suivi de fièvre.
— Il serait alors devenu complètement jaune et a constaté qu’il pissait rouge. — Selles diarrhéiques; pas de vomissements.—
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Température, 3g°g. — Teinte ictérique légère; langue très chargée; l'oie normal; rate douloureuse et hypertrophiée ; douleurs lombaires vives. — Malade absolument déprimé. — Urines biller très foncées.
Sulfate de quinine, 1 gramme; tisane de kinkélibah; lait. 10 décembre. — La nuit a été très mauvaise. Le malade présente l'aspect d’un homme dont les forces sont anéanties.
— Ictère généralisé très accentué; langue très chargée; vomissements porracés, incessants; foie douloureux; rate très douloureuse et considérablement augmentée de volume. — Le malade accuse un véritable coup de barre. — Les battements du cœur sont mous, souffle au i or temps et à la base; pouls, 120; urines très foncées ; 1.5oo grammes en 24 heures; densité, 1018; neutre; albumine, 1 gr. 20; urée, 13 gr. 80; pas de bile; pas de globules sanguins. — Respiration précipitée. — Température : matin, 38°8; soir, 39°9.
Sulfate de quinine, 1 gramme; injection de 25 centigrammes de bromhydrate de quinine; champagne frappé; potion tonique. — Ventouses sèches sur la région lombaire.
11 décembre. — Les symptômes n’ont fait que s’aggraver : délire; dépression absolue et complète de toutes les forces; ictère très prononcé. — Le malade souffre de partout, mais surtout des lombes et de l’épigastre. — Les vomissements in cessants ne laissent ni trêve ni repos : jus d’herbe, avec dépôt verdâtre grumeleux. — Selles bilieuses. — Urines moins foncées, 125o grammes dans les 24 heures; mêmes résultats à l’analyse. — Les bruits du cœur sont faibles et éloignés; le pouls petit, 120. — Respiration très difficile. — Température : matin, 37°1 ; soir, 36°6.
Prescription. — Thé punché; bromhydrate de quinine en injection; injections de caféine et d’éther; pulvérisation d’éther sur l’épigastre, etc; thé de viande et champagne. — Le malade ne garde rien ou presque rien.
Dans l’après-midi, le malade paraît moins déprimé; douleurs cardiaques très vives.
12 décembre. — La détente signalée hier se maintient: l’ictère est moins marqué; les vomissements moins fréquents.
46 CLARAC.
— Le pouls est toujours très déprimé. — Les urines sont de venues presque jeunes, jumenteuses, très chargées, 1600 gr.; densité, 1020; pas d’albumine; urée, 14 gr. 15 ; dépôt de phosphate et de carbonate calciques.
Dans l’après-midi, plus d’ictère; pâleur terreuse des téguments; pouls filiforme; syncope. Les vomissements sont aussi fréquents qu’au début. — Température : matin, 36°3; soir, 36°i. — Toniques; injections de caféine.
13 décembre. — Délire toute la nuit; prostration complète-
— Le malade semble avoir été saigné à blanc; pouls filiforme-
— Urines involontaires. — Relâchement du sphincter anal-
— Les injections de caféine et de bromhydrate de quinine sont sans effet. — Température : matin, 36°9; soir, 36°2.
14 décembre. —- Délire et plaintes continuelles. — Vomissements d’un liquide clair tenant encore en suspension des grumeaux verdâtres. — À 8 heures du soir, un peu d’ictère. —- Le malade succombe à 1 heure du matin.
A u t o p s i e . — Sujet très vigoureux. — Téguments d’une pâleur terreuse. — Rigidité prononcée.
Dans la cavité thoracique, on constate de légères adhérences pleurales. Les poumons ne présentent de particulier que leur pâleur excessive. — Le cœur, très mou, très pale. — La fibre se déchire facilement.
Dans la cavité abdominale, le grand épiploon est infiltré de pigment noir. — Le foie pèse 1976 grammes; teinte uniforme que l’on compare assez volontiers à celle du foie cuit; le tissu est très friable; les vaisseaux sont vides; la veine porte 1 e laisse écouler qu’une sérosité roussâtre peu abondante, sans caillots. — La vésicule biliaire est distendue par une sorte de pâte semi-liquide rappelant le résiné. — La rate est augmentée de volume dans toutes ses dimensions; elle pèse 82b grammes; ramollie, surtout à si partie centrale. — Les deux reins, loin d’être congestionnés, sont absolument anémiés, comme tous les autres tissus; le gauche pèse i5 o grammes; sur le bord supérieur, teinte ardoisée, n’intéressant que la surface; le rein droit présente les mêmes caractères. — La vessie est vide.
Ce qui frappe surtout, c’est la petite quantité de sang qui
NOTES SUR LE PALUDISME. 47
s’échappe des vaisseaux; ce sang ressemble à du sérum légère ment teinté.
1° Ac c è s Pr é m o n i t o i r e s .
Dans presque tous les cas, pour ne pas dire dans tous, l’accès hémoglobinurique a été précédé d’un ou de plusieurs accès de fièvre. Ces accès, dits prémonitoires, n’ont présenté aucun caractère particulier. Ils ont toujours les allures de simples accès paludéens plus ou moins intenses, précédés de frissons plus ou moins violents.
On n’a pas à rechercher ces accès prémonitoires, comme le conseille M. Béranger-Féraud (fièvre bilieuse mélanurique des pays chauds); à Dakar du moins, rien ne permet de les différencier d’accès paludéens ordinaires, et le plus souvent les malades, habitués à ces accès, ne s’en préoccupent pas outre mesure. Ils sont gardés dans les infirmeries et ne sont envoyés à l’hôpital qu’à l’apparition de l'hémoglobinurie; c’est ce symptôme seul qui permet de porter le diagnostic. Nous devons ce pendant reconnaître que le frisson qui précède l’accès hémoglobinurique est généralement plus violent.
2° Ur in e s .
L’hémoglobinurie a toujours débuté avec l’accès de fièvre ou l’a suivi de très près.
Nous avons pu noter d’assez grandes différences dans la quantité des urines émises et leur diminution ou leur suppression ont toujours constitué un symptôme de la plus haute gravité. Dans certains cas, rares à la vérité, nous avons vu la mort survenir, malgré une diurèse assez abondante (Obs. I). Chez le sujet qui fait l’objet de l’observation suivante, l’anurie s’est produite au contraire rapidement et le malade a succombé.
Ob s e r v a t io n II. — D . . ., disciplinaire, 21 ans, né à Paris, 19 mois de séjour en Algérie, où il aurait eu de fréquents accès de fièvre; 18 mois de Sénégal (camp de Ouakam et des Madeleines). — Accès de fièvre presque toutes les semaines; dix séjours à l'hôpital de Dakar, presque tous pour fièvre
48 GLARAC.
paludéenne; dernier séjour en avril 189/1 pour fièvre bilieuse hématurique (accès léger).
Le 3 i janvier 1896, D. . . est envoyé à l'hôpital avec le diagnostic hémoglobinurie.— Depuis quatre jours, frissons violents tous les soirs et accès de lièvre pendant la nuit. Le 3o dans l’après-midi, quelques instants après un frisson violent suivi de fièvre, le malade s’est aperçu qu’il pissait rouge et que sa peau devenait jaune.
i cl février. — Dépression absolue de toutes les forces. — Teinte subictérique généralisée. — Langue humide, mais très chargée d’un enduit verdâtre. —- Vomissements incoercibles; ces vomissements sont constitués par un liquide clair, tenant en suspension des grumeaux verts. Le moindre mouvement, la moindre tentative pour absorber un liquide provoquent ces vomissements. — Selles bilieuses très fréquentes. — Le foie et la rate, considérablement augmentés de volume, sont très douloureux; du reste, le malade souffre de partout; la céphalalgie et la lombalgie sont intolérables.
Les mictions sont fréquentes, douloureuses et peu copieuses; 750 gr. d’urines bitter très foncées.
La respiration est régulière, pouls plein, 10/1. — Tempé rature : matin, 38°8; soir, 39°5.
Prescriptions.— Lait (toujours rejeté). — Quatre injections de bromhydrale de quinine de 0.25. — Inhalation d’oxygène. Après chaque inhalation d’oxygène, le malade accuse un bien-être considérable; les douleurs sont notablement diminuées.
2 février. — La teinte ictérique est plus accentuée. — Insomnie absolue. — Les symptômes sont les mêmes, sensible ment aggravés.
À peine 100 grammes d’urines biller très foncées (dans les 24 heures). — Sensation très vive de froid aux extrémités. — Pouls dur. — Pas de souille au cœur. — Dyspnée.
Température: malin, 36" 2 ; soir, 36° 9.
Lait; champagne; rien 1 e peut être toléré. —- 1 gramme de bromhydrale de quinine en injection, 0,75 c. eu lavement. — Inhalations d’oxygène; ?eus l’influence de ces inhalations, le
NOTES SLR LE PALUDISME. 49
pouls se régularise, la dyspnée disparaît, les muqueuses se colorent. Le malade les réclame avec instance.
3 février. — Malgré une insomnie absolue, on constate une légère amélioration : A l’ictère a succédé une teinte pâle ter reuse des téguments. — Vomissements incessants. — Selles noirâtres, fréquentes.— Douleurs intolérables partout; maison constate surtout une véritable hyperesthésie du creux épigastrique et des testicules. Le moindre attouchement provoque des cris. Les bruits du cœur sont éloignés et faibles; 90 pulsations,
24 respirations; hoquet intermittent.
Anurie presque complète.
Température : matin, 35° 7; soir, 35° 9.
Les urines contiennent de l’albumine en abondance et seulement 5 grammes d’urée; leur coloration est presque normale.
Tous les moyens sont tentés, en vain, pour alimenter le
malade (lait, thé de viande, champagne, lavements nutritifs).
— Ventouses sèches sur la région lombaire. — Injections de caféine, de bromhydrate de quinine, 1 gramme; en lavement, 75 centigrammes. Inhalations d’oxygène.
4 février. — Le malade est surtout fatigué par la dyspnée. Tous les autres symptômes persistent. — 100 grammes environ d’urines jumenteuses. •— Albumine; o, urée, 6,6. — Pouls dur, 100. — Respiration, 24, mais très difficile.
Température : matin, 35° 2 ; soir, 35° 2.
Même prescription. — Injection de morphine. — Pointes de feu à l’épigastre (on arrive ainsi à arrêter les vomissements).
— Sulfate de quinine par la bouche, 1 gr. 5o (rejeté); en lavement, 1 gramme. — Inhalations d’oxygène.
5 février.— Amélioration manifeste. — 100 grammes d'u rines troubles. — Respiration, 26. — Pouls, 90. — Tempé rature : matin, 36°; soir-, 35° 1.
6 février.—- Tous les symptômes alarmants sont revenus, aggravés : le testicule surtout reste très douloureux; le pouls est filiforme; adynamie profonde; dyspnée intense que rien 1 e peut améliorer; anurie absolue. — Température : matin. 36°; soir, 35° 1.
a n n . D’iiYti. co l o n . — Janvier-février-m ars 1898.
50 CLARAC;
Prescription. — Injections de caféine. — Lavements nutritifs.
7 février. — A deux heures du matin, mort en dyspnée. - Mouvements convulsifs. — Écume roussâtre à la bouche.
Au t o ps i e . — Le sujet est très amaigri, pas d’ictère. — Rien à noter dans la cavité crânienne. — Poumons pâles exsangues.
— Le cœur, de volume normal, est décoloré et flasque; caillot organisé dans le cœur droit.
Le foie, très hypertrophié, pèse 2,0/10 grammes; les vaisseaux sont gorgés de sang, fluide; sérosité rosée. — La vésicule biliaire est distendue par un liquide pâteux rappelant le raisiné ou le coaltar. — La rate, hypertrophiée, pèse 460 gram mes; plutôt dure.
Les reins sont congestionnés et présentent superficiellement des plaques ardoisées. Dans l’épaisseur du rein droit, petit kyste contenant une sérosité légèrement teintée en rouge.
Dans le cas léger qui fait l’objet de 1observation suivante, il s'est produit au bout de deux jours, après une sorte d’indécision dans la sécrétion urinaire, une véritable polyurie (près de 8 litres d’urines dans les vingt-quatre heures ).
Ob s e r v a t io n III — Duc. . ., disciplinaire, 3o ans, 33 mois de séjour au Sénégal (Ouakam et camp des Madeleines); huit entrées à l’hôpital pour fièvre : aurait déjà eu un accès hémoglobinurique léger.
Après quatre jours de lassitude et probablement de fièvre, Duc. . . présente, le 26 août, un violent accès de fièvre; 2 grammes de quinine.— Le lendemain, ipéca; vomissements bilieux abondants. Dans la soirée, urines rouges, un gramme de quinine, plus de fièvre. — La teinte des urines s’accentue. — Le 28, entrée à l’hôpital. — Température à l’entrée, 37° 8.
C’est un sujet vigoureux. — Ictère généralisé, mais peu foncé.
— Pas de céphalalgie, pas de vomissements. — Selles bilieuses.
— Rate et foie considérablement augmentés de volume, mais non douloureux. — Rien au cœur.
Urines peu abondantes, mais présentant une teinte bitter très foncée. — Albumine en abondance; pas de globules. — Bande d’absorption de l’hémoglobine.
NOTES SLR LE PALUDISME. 51
Lait, champagne, 75 centigrammes de bromhydrate de quinine. — Température : malin, 37° 8; soir, 37° 2. — Pouls ; matin, 70"; soir, 74. — Respiration : matin, 24; soir, 22.
— Numération des globules, 1,85o,ooo.
29 août. — Rien de particulier. — Température : ma tin, 36° 5; soir, 37° 2. — A peine 1.000 grammes d'urines foncées.
30 août. — Depuis hier, il s’est produit une véritable dé bâcle urinaire (environ 8 litres d'urines jumenteuses, présentant un dépôt abondant et une teinte ambrée). L’ictère a pâli. — Température : malin, 36°; soir, 36° 9. — Numération des globules : 2,000,000.
Lait, thé de viande, potion tonique,
31 août. •— La convalescence s’établit. Le malade reste très anémié. — Urines, 2 litres, moins épaisses, — Température : matin, 36° 5; soir, 36° 7. — Numération des globules : 2,000,000.
La convalescence marche bien, mais les urines restent très abondantes et chargées. À la sortie du malade, la numération ne donne plus que 2,000,000 de globules.
La polyurie fait seule l’intérêt de cette observation.
Sur a3 observations nous avons noté : urines normales comme quantité ou abondantes (14 à 1,5oo grammes, 7 cas; de 3 litres à 8 litres, 2 cas), 9 cas (dont 2 suivis de mort); diminution sensible(600 à 800 grammes), 4 cas, 4 guérisons. Enfin, anurie absolue ou presque absolue : 4 cas, 4 décès.
Nous n’avons jamais vu l’hémoglobinurie durer plus de cinq jours, et, à moins d’anurie absolue la gravité des cas était en raison directe de cette hémoglobinurie, qui cessait dès le troisième jour dans les cas moyens.
Jamais nous n’avons observé l’hémoglobinurie intermittente se produisant comme l’indique Barthélemy-Benoit. (De la lièvre bilieuse hématurique observée au Sénégal. Arch, de méd. nav., 1865, t. IV.)
Dans le rapport de l’hôpital de Dakar, du 4e trimestre 1888, nous relevons l’observation suivante à propos de la fièvre hémoglobinurique : «Comme particularité à noter, il faut signaler la
52 CLARAC.
forme nettement intermittente qu’ont présentée quelques-unes de ces fièvres. La maladie se compose d’une série d’accès hématuriques, disparaissant avec la fièvre et reparaissant avec l’accès suivant. Cette variété, sans avoir été suivie de mort, a été caractérisée par une convalescence très longue avec tendance aux syncopes. ?
Nous ne serions pas éloigné d’attribuer cette hémoglobinurie intermittente, assez rare du reste, à l’action des sels de quinine, du moins dans bien des cas. La seule fois qu’il nous a été donné de la constater, l’action de la quinine n’a pu être mise en doute. C’est là, pensons-nous, une question qu’il serait intéressant d’élucider.
En général, nous avons vu les urines passer assez brusquement de la teinte bitter foncée à la teinte « cidre doux »; nous n’avons pas observé la dégradation lente des urines signalées par quelques observateurs. L’expression d'urines jumenteuses nous paraît répondre assez exactement à l’aspect que présentent les urines au déclin de la maladie; ces urines ressemblent exactement à celles qui sont émises à la fin du typhus amaril.
Les hémorragies rénales proprement dites n’ont jamais été constatées; c’est à peine si nous avons pu trouver quelques globules rouges dans les urines, et cela très rarement. En réalité, a-t-on jamais observé d’hémorragie rénale dans la fièvre qui nous occupe? On peut en douter, et les hémorragies que l’on a pu constater ont été à peine appréciables et ne peuvent en rien être comparées à celles qui accompagnent les grands délabrements des reins, cancer, lithiase. . . etc., ou à celle que détermine par exemple la filaire du sang; car jamais, comme dans ces dernières maladies, on n’a constaté la présence de caillots, à notre connaissance du moins.
Les bandes d’absorption caractéristiques de l’hémoglobine ont été constatées toutes les fois qu’on les a recherchées. Dans certains cas d’urines bilieuses assez foncées pour donner le changea une observation superficielle, le spectroscope a per mis de constater très nettement la bande de la matière colorante biliaire.
A vrai dire, nous doutons qu’il reste grand chose à ajouter
NOTES SUR LE PALUDISME. 53
à l’élude si complète des urines noires que donne M. Corre (Fièvres bilieuses et typhiques des pays chauds), sans parler de la bactériologie, bien entendu.
Comme l’indiquent nos observations, les analyses d’urines faites à Dakar ont vérifié l’exactitude des notions que nous devons à M. Corre, au point de vue aussi bien de la composition que de la nature réelle des urines noires.
3° Ictère.
En même temps que l’hémoglobinurie, apparaît l’ictère qui débute par les sclérotiques pour se généraliser ensuite très rapidement et commencer à disparaître au bout de trois ou quatre jours, avec l’hémoglobinurie elle-même.
En général, cette disparition de l’ictère se fait d’une façon presque brusque, mais la peau conserve une teinte pille terreuse. Les malades, et c’est la règle, présentent alors une teinte cachectique d’autant plus marquée qu’ils étaient plus cachectisés, antérieurement à l’accès hémoglobinurique.
Il n’entre point dans le cadre de ces notes de discuter la nature bilieuse ou hémaphéique de l’ictère, mais il nous paraît que la question soit loin d’être tranchée, malgré les théories savantes des auteurs, de Kelsch et Kiener en particulier (ma ladies des pays chauds). Pour eux les ictères des fièvres graves dites bilieuses, comme la fièvre hémoglobinurique, seraient des ictères bilieux. Mais toutes les explications qu’ils fournissent, toutes les hypothèses qu’ils émettent, si plausibles soient- elles, apparaissent en contradiction avec les données de la clinique. On ne saurait nier qu’à ce point de vue, il y a loin entre l’ictère banal ou catarrhal et celui qui accompagne la fièvre hémoglobinurique. Dans un cas, ralentissement du pouls, dans l’autre, plutôt accélération; ici, disparition lente de la jaunisse par teintes dégradées, là, disparition presque brusque laissant un tégument pâle et anémié; enfin, dans le premier cas, réaction décelant la présence de la bile dans les urines, dans l’autre, jamais ou presque jamais de réaction biliaire.
Bien que l’ictère de la fièvre qui nous occupe et celle de la fièvre jaune semblent de même nature, il existe cependant
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Entre eux, dans la clinique, des différences également tranchées. Alors que dans la fièvre hémoglobinurique, le malade devient jaune brusquement et dès le début, pour devenir pâle ensuite, dans le typhus amaril, le faciès rouge, acajou au début, les sclérotiques injectées ne deviennent jaunes qu’au bout de quelque temps, souvent au déclin de la maladie et même par fois après la mort. Barthélemy-Benoit écrit, il est vrai, que dans la fièvre hémoglobinurique la teinte jaune est plus marquée après la mort. Nous n’avons jamais rien constaté de semblable et Pellarin nie le fait. Le cadavre est pâle, cireux. La convalescence de la fièvre jaune est nettement établie que le malade reste encore très jaune. Dans son évolution, l’ictère du typhus amaril se rapproche de l’ictère catarrhal. Le ralentisse ment du pouls dans les deux cas accentue cette analogie.
Celte marche même de l’ictère aurait dû suffire, à défaut d’autres caractères différentiels, qui cependant ne manquent pas, pour empêcher toute confusion entre la fièvre hémoglobi nurique et la fièvre jaune. Telle est du moins l’impression que nous laisse l’observation de nombreux cas de fièvre jaune et celle des fièvres hémoglohinuriques qui font l'objet de ces notes.
4° Vomissements.
Après l’ictère et l’hémoglobinurie, les vomissements cou- stituent en quelque sorte le troisième symptôme pathognomo nique de la fièvre hémoglobinurique. Ils ne font presque jamais défaut, même dans les cas légers, ce symptôme est cependant plus retardé, car souvent il n’apparait que le deuxième jour. Il importe de profiter, autant que possible, de ce retard relatif, pour tenter l’administration de certains médicaments qui ne seront plus tolérés le lendemain. Cependant nous avons vu parfois les vomissements commencer avec l’hémoglobinurie elle-même. Dans les cas légers, les vomissements persistent peu tandis qu’en général ils durent jusqu’à la mort dans les cas graves.
Les vomissements ont toujours présenté les mêmes caractères : liquide verdâtre plus ou moins foncé, dans lequel nagent
NOTES SCR LE PALUDISME. 55
des grumeaux, verts épais que l’on a comparés avec raison à de l’oseille pilée. Nous n’avons jamais constaté de vomissements noirs.
Dans les cas graves, ces vomissements ne laissent au malade ni trêve ni repos, le malheureux patient ne peut faire un mouvement sans inonder son lit et tout ce qui l’entoure. Nous tenons ce symptôme pour le plus pénible de tous, et cela d’autant plus que lien ne peut l’enrayer dans certains cas.
Ces vomissements naissent de causes nombreuses qu’il est inutile d’énumérer et, dans certains cas, ils sont manifestement sous la dépendance de l’urémie.
Ob s e r v a t io n IV. — A . . . , disciplinaire, 25 ans, 18 mois de séjour en Tunisie; dans la colonie depuis deux mois et demi seulement, a toujours habité à Ouakam, et depuis son arrivée aurait eu de fréquents accès de fièvre; depuis i5 jours, cette fièvre est continue (température, ho" et Ai0) accompagnée d’une intolérance absolue de l’estomac. Les urines seraient noires depuis quelques jours. Le 28 septembre, il est envoyé à l’hôpital avec le diagnostic d’embarras gastrique. Traitement suivi jusque-là : ipéca et sulfate de quinine.
A l’entrée, le malade est dans une prostration complète, dans l'impossibilité de répondre à aucune question. — Ictère généralisé, d’un jaune citron; pas de céphalalgie; douleurs du ventre et des hypocondres absolument intolérables. — Vomissements incessants, qui durent depuis plusieurs jours. — Hoquet intermittent. — Le foie et la rate, très augmentés de volume, sont très douloureux. Bruits du cœur assez réguliers; souffle à la base. — Pouls filiforme, 114. — Respiration précipitée.— Urines rares, brunâtres, très albumineuses, mais ne contenant que 8 grammes d’urée par litre. Température : matin et soir, 37°.
Champagne; injection de caféine; inhalation d’oxygène. 24 septembre. — Les symptômes ne font que s’aggraver;
rien ne peut arrêter les vomissements. À peine 60 grammes d’urine dans les 24 heures.
Température : matin, 37°; soir, 37° 6. —- Respiration : 3o le
56 CLARAC.
matin et 34 le soir. — Pouls, matin et soir, 130. — Le malade meurt dans la soirée.
Au t o ps ie . — Tous les tissus sont d’une pâleur extrême, exsangues. — Les muscles cardiaques sont très friables. — Le sang est fluide, à peine coloré.
Le foie, augmenté de volume, présente la coloration du foie cuit. — Vésicule biliaire distendue par un liquide épais ayant toutes les apparences du coaltar.
La rate pèse 600 grammes; capsule épaissie; tissu de consistance normale. — Les reins pèsent séparément 220 grammes, ils sont très congestionnés. Les trois symptômes que nous venons de décrire ont été constatés et ont présenté presque toujours les mêmes caractères; les autres présentent des variations.
r
5° E t a t de la langue.
Durant toute la durée de la maladie, la langue reste épaisse, humide, très chargée, recouverte d’un enduit verdâtre.
A aucune période et dans aucun cas, nous n’avons constaté cette sécheresse si caractéristique dans la fièvre typhoïde et la fièvre jaune. Il ne s’est jamais produit d’hémorragie buccale. La langue se nettoie rapidement une fois la com7alescenco établie.
6° S e l l e s .
Le régime desselles est assez variable; souvent il existe de la constipation à laquelle succède de la diarrhée bilieuse, plus ou moins copieuse. Quand01 assiste au début de l’accès, avant l’apparition des vomissements, le malade se trouve très bien d’un purgatif salin énergique. La diarrhée bilieuse, donnée comme un symptôme constant de la maladie, manque très souvent; dans certains cas, nous avons vu une constipation rebelle persister jusqu’à la fin de la maladie. Pellarin fait la même observation (De la fièvre bilieuse liématurique observée à la Guadeloupe. Arch, de méd. nav., 1876).
7° As pe c t g é n é r a l d u ma l a d e .
L’habitus extérieur du malade nous a toujours paru bien
NOTES SUR LE PALUDISME. 57
caractéristique. Il est dans un état d’anéantissement complet, de dépression totale de toutes les forces. Il reste étendu, indifférent à tout, ne changeant de position que pour essayer d'atténuer les douleurs qu’il éprouve. Cet aspect ne rappelle en rien celui que présentent les malades atteints d’affections lyphiques; ce n’est pointée la stupeur. Quand l’ictère disparaît, le malade reste exsangue, comme s’il avait été saigné à blanc.
7° F o i e .
Dans plus de la moitié des cas ( i5 ou 16 sur 25), nous avons constaté une hypertrophie toujours très notable du foie, mais il nous parait utile de faire remarquer que, le plus sou vent, cette hypertrophie était antérieure à l’accès hémoglobinurique, qui n’a fait que l’accentuer. Dans quelques cas, elle était la conséquence évidente de l’accès et disparaissait avec lui.
Mais ce n’est pas un symptôme constant; souvent l’organe reste dans ses limites normales et le malade n’accuse de la douleur ni spontanément, ni à la pression.
8° R a t e .
On ne saurait en dire autant de la rate, dont l’hypertrophie est constante, même dans les cas légers. Dans certains cas, elle augmente de volume, en quelque sorte à vue d’œil. Cette hypertrophie s’accompagne de douleurs très vives, parfois intolérables, véritable hypéresthésie de la région, que l’on ne peut toucher, même légèrement, sans provoquer des plaintes.
Chez le sujet qui fait l’objet de l’observation suivante, on pouvait suivre heure par heure la progression de la rate, qui dès le troisième jour dépassait l’ombilic.
O b s e r v a t io n V. — G. . ., disciplinaire, 27 ans, 2Ù mois de séjour au Sénégal (camp de Ouakam) où il a eu de fréquents accès de fièvre. Était à l’hôpital de Dakar depuis le 9 août pour anémie, hypertrophie du l'oie et de la rate, palpitations cardiaques; trop fatigué pour retourner à Ouakam, il aidait «à soigner ses camarades, dont deux étaient atteints de fièvre hénioglobinurique, quand il a été lui-même atteint de cette dernière affection.
58 CLARAC.
Le 1"' octobre à h heures, céphalalgie, fièvre; temperature, 38°; à 8 heures du soir, frissons d’une violence extrême qui durent 3 heures, puis fièvre et céphalalgie intenses; vomissements bilieux très pénibles; à 3 heures du matin, température, 40°; selles noirâtres; urines noires; à 6 heures et demie du matin, début de l’ictère qui s’accentue très rapidement.
2 octobre. — Ictère généralisé ; céphalalgie; le malade souffre de partout. — Langue humide, très chargée. — Vomissements incoercibles, d’un vert porracé. — Selles bilieuses.
Foie hypertrophié, mais non douloureux. — Rate très douloureuse, débordant les fausses côtes. — Battements cardiaques faibles, souffle à la pointe. — Température, 39°2. — Pouls, 110.
— Respiration, 40 — 400 grammes d’urines biller.
Dans l’après-midi, la rate a plus que doublé de volume. — Température, 40°.
Prescriptions. — Lait, eau chloroformée, champagne frappé, rien n’est toléré; inhalations d’oxygène; 5 injections de bromhydrate de quinine de 25 cent.; injections d’ergotine sur la région splénique.
3 octobre. — On note les mêmes symptômes, notablement aggravés; à peine i5o grammes d’urine. — La rate atteint presque l’ombilic. — La respiration, très difficile, se régularise sous l’influence des inhalations d’oxygène.
Température : matin, 36° 7; soir, 36° 3. — Pouls, 110. — Respiration, 46
Champagne frappé. — Lait. — Inhalations d’oxygène. — Injections d’ergotine.
h octobre. — Moins de douleurs et de vomissements. — La rate a diminué de volume. A peine 3o grammes d’urines biller.
— Le malade est dans une prostration absolue. — Selles bi lieuses. — Plus de vomissements, plus d’ictère, mais teinte terreuse des téguments.
Température: matin et soir, 36°5. — Pouls, 106. — Respiration, 36.
5 octobre. — Prostration extrême; indifférent à tout, le malade est incapable d’aucun effort; hoquets, pas de vomissements, à peine quelques grammes d’urines biller très foncées.
NOTES SUR LE PALUDISME. 59
— Température : matin, 36°5; soir, 38°. — Pouls, 105. — Respiration : malin, 27 ; soir, 31. — Limonade purgative; ventouses sur la région lombaire, etc. Des frictions énergiques sur tout le corps avec du citron provoquent une sudation abondante.
— 6 octobre. — Le malade se dit bien mieux; pas d’urines.
— Température: matin, 37°4; soir, 37°. — Pouls, 100.
— Respiration, 30.
Mèmes prescriptions.
7 octobre. — Environ 60 grammes d’urines brunâtres, laissant un dépôt abondant. Etat général plutôt bon. — Tem pérature : matin, 37°; soir, 36° 2. — Pouls, 80; soir, 79.
— Respiration, 27; soir, 24.
8 octobre. — Selles noirâtres extrêmement fétides, expectoration sanguinolente, épistaxis.— Température: matin, 36°7; soir, 36° 5. — Pouls, 78. — Respiration, 19. — Toniques; lait; thé de bœuf; ventouses sèches; inhalations d’oxygène.
9 octobre. — Le malade se dit très bien et demande à sortir du lit. — Anurie. — Température : matin, 33° 8; soir, 36° b.
— Pouls, 80. — Respiration, 24.
10 octobre. — Nuit très agitée. — Selles bilieuses. — Un peu d’urine.— Température, 36° 4.— Pouls, 80.— Respiration, 24. 11 octobre.— Insomnie absolue.— Vomissements porracés.
Douleurs généralisées. — Pas d’urine.— Température, 36" 5. Pouls, 7 6 .— Respiration, 18.
12 octobre. — Le malade s’affaiblit rapidement ; plaintes continuelles. Il meurt à 4 heures 15 minutes du matin.
Au t o psie. — Poumons petits, ratatinés, exsangues. — Le muscle cardiaque est pâle et friable. — Le sang qui s’écoule des vaisseaux n’est qu’une sérosité roussâtre. — Tous les tissus sont pâles et anémiés.
Le foie est un peu ramolli, graisseux. — La rate est dure, pré sente une consistance scléreuse; elle est loin de présenter le même volume qu’au début de la maladie ; elle pèse 450 grammes. Les reins ne sont pas sensiblement augmentés de volume; mais les pyramides présentent une teinte noire, les tubes sont absolument obstrués par le pigment et les débris globulaires.
60 CLARAC.
La rate ne reste pas hypertrophiée pendant toute la durée
de la maladie, mais commence à régresser en même temps que l’ictère disparaît. Les rates que l’on trouve à l’autopsie, sont loin d’être aussi volumineuses que pendant la vie.
Cette hypertrophie, accompagnée de splénalgie plus ou moins violente, peut être considérée comme un symptôme constant au même titre que l’ictère et l’hémoglobinurie.
Nous aurons à revenir sur cette partie de la question en étudiant l’étiologie et l’anatomie pathologique de la fièvre hémogiobinurique. Il nous semble que les auteurs attachent bien peu d’importance à la rate et au rôle qu’il conviendrait de lui attribuer, pour ne citer que Dutrouleau, qui du reste semble n’avoir eu qu’une conception bien vague de la fièvre hémoglobinurique.
ttLa lésion très fréquente de la rate, écrit-il, n’est que le cachet du concours de l’élément palustre dans l’étiologie.» ( Maladies des Européens dans les pays chauds.) Cette façon par trop brève d’envisager le rôle de la rate résume cependant l’opinion d’un grand nombre d’auteurs.
9° T r o u b l e s d e l ’in n e r v a t io n .
En même temps que la douleur qui accompagne le plus souvent l’hypertrophie du foie et de la rate, on constate des douleurs très vives, parfois intolérables au creux épigastrique; douleurs dont le point de départ peut être aussi bien l’estomac que le lobe gauche du foie.
Nous avons vu les douleurs épigastriques provoquer des cris au malade, chez le nommé B ......... (Obs. VI), qui a succombé à une atteinte de tétanos survenue pendant la convalescence. Souvent le malade se plaint de douleurs abdominales généralisées. Nous avons constaté dans un cas une douleur testiculaire intolérable.
La lombalgie n’est pas constante, mais très fréquente; nous l’avons vue parfois présenter les caractères du coup de barre de la fièvre jaune.
Le plus souvent le malade accuse une céphalalgie plus ou
NOTES SUH LE PALUDISME. 61
moins vive. Dans certains cas, les douleurs sont généralisées, le malade souffre de partout.
L’insomnie est très fréquente; elle est même constante dans les cas graves. Nous avons fait la même observation tou chant le délire et le hoquet.
Ces différents symptômes, communs aux. maladies graves, ne nous ont paru présenter dans la fièvre hiémoglobinurique aucun caractère particulier.
O b s e r v a t i o n VI. — B ................ 2 2 a n s , d i s c i p l i n a i r e ; 2 2 m o i s
de séjour dans la colonie (camp de Ouakam); trois entrées à l’hôpital, dont deux pour fièvre avec vomissements bilieux et une pour fièvre hématurique légère.
Cet homme est dirigé sur l’hôpital, le 9 décembre 1884, et raconte qu’il a de la fièvre depuis trois jours. La veille de son entrée, il a constaté qu’il urinait rouge et qu’il avait la peau jaune.
À l’entrée: ictère généralisé et très intense; dépression des forces; céphalalgie; lombalgie. Les hypocondres et le creux épigastrique sont particulièrement douloureux. Langue chargée; ventre souple; pas de vomissements, constipation.
Le foie est douloureux, mais peu hypertrophié. — La rate est le siège d’une hypertrophie considérable; elle remplit une partie de l’abdomen.
Pouls mou, précipité. — Respiration normale.
Urines abondantes, présentant la teinte bitter très foncée; densité, 1017; albumine, 0 ,90 ; urée, 1/1,70; pas de bile.
— Temperature : matin, 36° 5; à 3 heures, 39°1.
Lait, lavement purgatif; tisane de kinkclibah; un gramme de sulfate de quinine; 0,25 de bromhydrate en injection.
10 décembre. — Mêmes symptômes aggravés; plus de vo missements bilieux; 1,000 grammes d’urines bitter très foncées.
— Température: matin, 38°; soir, 38°3.
Mêmes prescriptions. — Ventouses sèches sur la région lombaire.
11 décembre. — La dépression est absolue et complète.
L’ictère est plus marqué.62
CLARAC.
Vomissements incoercibles et caractéristiques.— Les douleurs
dominent la scène; elles sont intolérables et généralisées. — Température: matin, 36" 5; soir, 87°.— Pouls petit, 120 .— Respiration, 28. — Urines très foncées et abondantes, conte nant 1/1 grammes d’urée par litre.— Bromhydrale de quinine en injection; injection d’éther et de caféine.
12 décembre. — Délire; douleurs intolérables; vomisse ments incoercibles. — Les urines moins foncées présentent presque la teinte normale; pas d’albumine; 17 gr. 5o d’urée par litre. — Température: matin, 37°; soir, 37°G.
Amélioration très sensible dans l’après-midi.
13 décembre. — Les urines présentent la teinte normale; plus d’ictère. — L’amélioration persiste. — Température: matin, 37°; soir-, 37° 9 (1 gramme de bromliydrate de quinine).
14 décembre. — Le malade présente un aspect cachectique très marqué; il est très affaibli. — Pouls : 120. — Souille au cœur. — 760 grammes d’urines normales.— Température : matin, 37°8;soir, 38°. — Toniques; 1 gr. 25 de bromliydrate de quinine.
15 décembre.— L’amélioration continue.— Les urines sont très abondantes: 2,25o grammes et normales. — Température: matin, 37°6; soir, 37° 8.
16 décembre. — Le malade peut être considéré comme convalescent.
17 décembre. — Les urines sont très abondantes et très chargées.— Les doses de quinine sont considérablement diminuées.
Durant les jours suivants, la convalescence s’accentue davantage-
21 décembre. — Durant la nuit, douleurs violentes à la
nuque et dans les articulations temporo-maxillaires. — Au moment de la visite du matin, contracture des muscles de la nuque, de la face (rire sardonique); déglutition à peu près impossible.
Les urines abondantes contiennent 22 grammes d’urée par
litre.
Le lit du malade est placé près d’une fenêtre, et, malgré le
NOTES SUR LE PALUDISME. 63
recommandations les plus expresses, B ......... a persiste' a la laisser ouverte pendant les nuits, très fraîches alors.
À la suite d’une injection de quinine, il s’était produit une petite escarre éliminée hier, laissant une plaie large comme une pièce de 5o centimes, pansée avec soin.
Enfin dans la même salle avait succombé, un an auparavant, un blessé atteint du tétanos.
Malgré un traitement chloralé énergique, le tétanos a continué à évoluer d’une façon classique jusqu’à la mort, qui a eu lieu le 22, à 4 heures du matin, 24 heures après le début des accidents.
Au t o ps i e . — Les cavités thoracique et crânienne n’ont rien présenté de particulier.
Le foie, augmenté de volume, pèse 2 kil. 25o; la rate, 1 kil. 38o. Les deux reins sont légèrement congestionnés.
Le sang qui s’écoule des vaisseaux sectionnés présente un aspect normal et ne ressemble en rien à la sérosité roussâtre constatée dans d’autres autopsies.
B ......... était convalescent quand le tétanos a débuté. Il ne nous paraît donc pas que les accidents tétaniques doivent être considérés comme la conséquence de la fièvre hémoglobinurique, comme sa conséquence immédiate du moins. Du reste, la plaie résultant de la chute de l’escarre, l’inlluence évidente du froid et peut-être une infection directe suffisent pour expliquer le tétanos, sans compter que le convalescent, profondément anémié, était absolument désarmé contre l’infection tétanique.
L’autopsie de ce sujet, mort au début de la convalescence, nous a permis de constater l’état des organes au début du retour ad integrum. Le sang avait repris son aspect normal ; quelques petites ecchymoses rénales de la surface étaient en voie de résorption. — Le foie et la rate, considérablement hypertrophiés, restaient ce qu’ils devaient être avant l’accès hémoglobinurique, preuve d’une profonde intoxication paludéenne, menace de nouveaux accès hémoglobinuriques.
i o ° T h e r m o m é t r i e .
Les tracés thermométriques des cas de fièvre hémoglobinurique
64 CLARAC.
observés à Dakar peuvent se résumer de la façon sui vante: élévation brusque de la température après le frisson, jusqu’à ho et même Ai0; chute également brusque après l’apparition de l’ictère et de l’hémoglobinurie, puis température sous-fébrile, souvent même hypothermie jusqu’à la mort ou la convalescence et même pendant la convalescence. Cette marche de la température s’observe surtout dans les cas légers et dans ceux qui doivent guérir.
On est presque tenté de dire que le plus souvent il n’y a plus de fièvre quand la maladie est confirmée. C’est là un fait général et, quand on examine en détail les courbes thermiques, on doit reconnaître que ces courbes n’ont rien de bien défini, rien de bien caractéristique. On chercherait en vain dans la marche de la température, les règles fixes et constantes que l’on observe dans les grandes pyrexies (la fièvre typhoïde et la fièvre jaune, par exemple). Rien ne justifie la dénomination de fièvre rémittente qui a été attribuée à la fièvre hétnoglobinurique. Il ne s’agit pas plus dans l’espèce du type rémittent que du type continu ou intermittent. Tantôt, avant la chute brusque, on constate une certaine rémittence; dans d’autres cas, quand la température est déjà arrivée au chiffre normal, ou même au-dessous, il n’est pas rare de constater une élévation plus ou moins sensible de la courbe, véritable accès intercurrent. Dans des cas qui ne sont pas les moins graves, la courbe subit de grandes oscillations ascendantes et parfois le malade succombe avec de l’hyperthermie (Obs. IX) ou au contraire elle va en s’abaissant continuellement et la mort arrive en hypothermie (Obs. I et II). Le plus souvent, les températures extrêmes aggravent le pronostic.
Les indications thermométriques des observations complètent suffisamment ce que nous pourrions dire encore de la marche de la température. En réalité, cette marche est très variable, car, abstraction faite de toute théorie pathogénique, la fièvre hémoglobinurique repose toujours sur un fond paludéen et, par conséquent, reste susceptible de subir l’influence thermique du paludisme.
NOTES SLR LE PALUDISME. 65
11“ Ci r c u l a t i o n .
Il nous paraît difficile de résumer l'état du pouls dans une formule générale. Les pulsations augmentent toujours avec la température, mais ne diminuent point avec elle. Le nombre des pulsations reste en général au-dessus du chiffre normal, sans que ce symptôme puisse, à notre avis, être considéré comme fâcheux. Il ne nous a pas été donné d’observer, comme le fait a été signalé, celle lenteur et cette forme de haute tension que possède le pouls dans les états biliphéiques, lenteur si caractéristique dans le typhus amaril. Dans la majorité des cas observés à Dakar, la corrélation entre la courbe thermique et celle du pouls, prend (in avec l'apparition de l’hémoglobinurie. Alors que la première baisse le plus souvent, comme dans un accès intermittent, la seconde reste au contraire plus élevée, même pendant la convalescence cl ne revient à son chiffre normal qu’à la guérison complète.
Le pouls est en général mou, cotonneux, indiquant, aussi bien par son peu d’énergie que par son accélération, l’atteinte portée au système vasculaire par la déglobulisation subite et profonde du sang.
Observation VII. — M. . ., disciplinaire, 93 ans, ao mois de colonie; deux ans de séjour en Algérie. Deux entrées à l’hôpital pour lièvre. Envoyé le 31 janvier 1895 pour fièvre hématurique. Il aurait eu à Ouakam de violents accès de lièvre, accompagnés d’accidents bilieux. — Les 28 et 29 janvier, fièvre et vomissements. — Le 3o, température, 40°. — Urines rouges.
— Ipéca. — Sulfate de quinine. — À l’entrée : ictère; vomissements fréquents, caractéristiques; foie et rate très hypertrophiés et très douloureux; dépression absolue; céphalalgie. 75o grammes d’urines bitter très foncées. — Température à l’arrivée : 37° 5; soir, 37° 4.
Prescription. — Lait; injection de bromhydrate de quinine, o,a5.
1" lévrier.— Mêmes symptômes plus accentués; a,35o grammes d’urines biller foncées, contenant 13 gr. 7 d’urée parVSN. i r i l Y f i . Cfti.ON.
Janvior-fovrior-mars I
66 CLARAC.
litre. — Température : matin 36° 2 — soir 36°. — Pouls mou et régulier, 100. — Respiration, 20.
Prescription. — Lait. — Trois injections de 0,26 de bromhydrate de quinine. — Inhalations d’oxygène. Amélioration considérable; sous l’influence de ces inhalations, tous les symptômes s’atténuent.
2 février. — Amélioration très sensible; plus d’ictère, mais teinte pale, terreuse des téguments. — Bruits du cœur affaiblis, pas de souille. — Respiration : 26 le matin et 24 le soir. — Pouls, 100 et 102. — Température, 36°2 et 36° 8 .— 1,700 grammes d’urines jumenteuses, ne contenant plus d’albumine et donnant 17 gr. 74 d’urée par litre.
Même prescription, plus le sulfate de quinine par la bouche. Toniques. — Lavement purgatif, car, dès le début de la maladie, M. . . est constipé.
3 février. L’amélioration continue. — Les urines sont toujours très chargées. — Respiration : matin, 24; soir, 26.
— Pouls : matin, 112 ; soir, 104.— Température: malin,36°5; soir, 36°2.
L’administration du sulfate de quinine est continuée.
4 février. — La convalescence commence. — Le pouls reste élevé et la température plutôt au-dessous de la normale.— Les battements du cœur sont nets, mais il existe un souffle marqué à la base.
Prescription. — Sulfate de quinine, 0,75; potion tonique; perchlorure de fer. — Inhalations d’oxygène.
6 février. — Nuit très agitée. — Le malade est d’une faiblesse extrême. — Le foie et la rate sont encore volumineux, mais bien moins douloureux, — Constipation.— Respiration, 28.
— Pouls, 104. — Température : matin, 36° 7; soir, 36“ 3. 29 février. — L’amélioration continue et cependant la numération des globules ne donne que 900,000.
L’anémie est profonde.
Un traitement tonique très énergique est continué; les forces ne reviennent que lentement; le pouls reste élevé, bien que la température soit normale. Enfin, le 8 mars, le malade est renvoyé en congé.
NOTES SUR LE PALUDISME. 67
Numération des globules, 3,3oo,ooo.
L’auscultation du cœur ne présente rien de bien particulier; les battements sont en général réguliers, mais mous et éloignes. Le plus souvent, soit dans le cours même de la maladie, soit pendant la convalescence, nous avons constaté un souille anémique plus ou moins prononcé. Dans deux cas, le malade a accusé une douleur précordiale 1res vive.
Sang. —- La piqûre faite à l’extrémité des doigts laisse sourdre une véritable sérosité, à peine teintée dans certains cas.
La numération des globules sanguins présente un grand intérêt. Faite même au début de la maladie, elle révèle une diminution vraiment colossale des globules. Liiez certains de nos malades, leur nombre est tombé à 1,000,000 et même au- dessous. Cette diminution des hématies est un fait constant et capital, mais ce n’est pas tout; car, s’il est vrai qu’en général la destruction des globules est en rapport avec la gravité des cas, il n’est pas moins vrai que, dans bien des cas légers, les globules diminuent considérablement et ne reviennent que lentement et difficilement à leur chiffre normal, malgré une convalescence régulière et un état général satisfaisant. 1 faut conclure de ce fait qu’il y a lieu également de tenir compte de l’état du globule et de son degré d’altération. L’élude de ce deuxième facteur, que nous n’avons malheureusement pu faire, ne peut manquer de présenter un très grand intérêt, car dans la maladie qui nous occupe il s’agit d’une altération globulaire et il est certain que l’agent pathogène agit sur le nombre et sur la qualité des hématies. Du reste celle étude a été faite, du moins pour la fièvre paludéenne en général (Kelsch et Kiéner, Maladies des pays chauds ).
Les observations faites à l’hôpital de Dakar permettent de tirer les conclusions suivantes : la destruction des globules se fait très rapidement; en 24 ou 48 heures, leur nombre descend jusqu’à 1,000,000 (hématimètre Hayem). Il est probable ce pendant que les malades déjà plus ou moins impaludés présentaient, antérieurement à l’accès hémoglobinurique, un chiffre de globules beaucoup moins élevé que le chiffre normal.
6 8 CLARAC.
L’augmentation des globules commence en même temps que disparaît l’hémoglobinurie et que la rate diminue de volume. Cette augmentation se fait très lentement et, quand le malade quitte l’hôpital, il est loin d’avoir retrouvé son chiffre normal d’hématies. Quand, dans le cours de la maladie on constate une aggravation de l’état général, la numération des globules, dont le chiffre commençait à augmenter, permet de constater une nouvelle diminution parfois très accentuée. .
Observation VIII. — T. . ., artilleur, 23 ans. 20 mois de séjour dans la colonie. 2 entrées à l’hôpital pour fièvre paludéenne; fréquents accès de lièvre à la caserne.— Le 12 février 1895, température, 40° 2; le 13 , 40"6; dans la soirée du 13 , frissons intenses, urines noires. Il est envoyé à l'hôpital dans la soirée même: température, 38° 6, pas d’ictère, vomissements porracés. Chute de la température dans la nuit.
Prescription. — Bromhydrate de quinine: 5o centigrammes en injection, 50 centigrammes par la bouche. — Lait.
14 février. — Ictère généralisé très marqué. — Dépression complète. — Langue humide. — Pas de vomissements, pas de diarrhée. — Foie normal. — Rate très hypertrophiée, mais peu douloureuse. — Battements du cœur un peu éloignés. — Pouls mou, 80 pulsations. -— Respiration normale. — Tempéra ture, 37° 3. — 200 grammes d’urines malaga. Soir : respiration, 28. — Pouls, 90. Température, 38° et 38°8. — 600 grammes d’urines. — Globules, 2,700,000.
Prescription. — Lait; tisane de kinkélibah; purgatif, bromhvdrate de quinine: 75 centigrammes en injection, 1 gr. 25 par la bouche; inhalations d’oxygène.
13 février. — Insomnie. — Ictère plus marqué. — Vomissements caractéristiques très fréquents. — Selles bilieuses. — Douleurs lombaires et épigastriques très fortes. — Foie normal. — Rate volumineuse et douloureuse. — Pouls, 120; soir, 130. — Respiration : matin, 3o; soir, 28. — Température: matin, 37°4 ; soir, 37°8.
1000 grammes d’urines biller, contenant beaucoup d’albumine et 17 gr. 5 d’urée par litre. Hématies, 1,860,000.
NOTES SUR LE PALUDISME. 69
Prescription. — Lait; champagne; tisane de kinkélibah (rejetée). — Inhalations d’oxygène. — Bromliydrate de quinine,1 gr - 50-
16 février. — Mêmes symptômes. — Pouls, 112. — Respira t ion ,28. — Température : matin, 36°; soir, 37°2.
1,200 grammes d’urines jumenteuses, avec dépôt abondant, plus d’albumine. — Hématies, 1 ,519,000.
Meme prescription.
17 février. — Etat général moins mauvais. — Anémie très marquée.— Pouls: malin, 100; soir, 90.— Respiration, 28.— Température : matin, 36° 2 ; soir, 36° 6. Hématies, 2,108,000.
18 février. — L’amélioration continue. — Les urines (1,200 gr.) sont moins chargées. — Hématies, 3,100,000. 5o centigrammes de sulfate de quinine seulement.
19 février. —- Un peu d’ictère; le malade est très affaissé.
— Pouls : matin, 88; soir, 80. — Respiration : matin, 28; soir, 24. — Température: matin, 36° 5; soir, 36°8. — Hé maties, 2,281,000.
20 février. — Le malade est moins déprimé. — L’ictère constaté hier a disparu. — Hématies, 3,565,000.
Le pouls, la respiration et la température sont restés les mêmes.
Prescription. — Régime léger; thé de bœuf; toniques; per- chlorure de fer. — Inhalations d’oxygène.
A compter de ce moment, la convalescence marche réguliè rement, jusqu’à la sortie du malade, 8 mars. Le chiffre des hématies a varié entre 3 millions et 3,5oo,ooo; à la sortie, il est de 3,280,000.
12° F o r m e s .
Nous ne pensons pas qu’il soit utile de nous arrêter long temps sur les différentes formes observées par nous. Les faits que nous rapportons, les notes, qui les accompagnent nous dis pensent d’insister sur les formes légères, graves ou sidérantes décrites par les auteurs; il ne s’agit après tout que de symptômes plus ou moins graves.
Nous croyons cependant utile de fournir ici l’observation
70 CLARAC .
d’un cas sidérant, intéressant du reste à plusieurs points de vue.
Observation IX. — G. . . , 29 ans, soldat d’infanterie de
marine. Antérieurement à son arrivée au Sénégal, il a séjourné
27 mois en Algérie, pas de fièvre, 33 mois au Tonkin, courts el rares accès de fièvre. H y a un mois, c’est-à-dire dix mois après son arrivée dans la colonie, premier accès de fièvre sans gravité. Hier, nouvel accès; vomissements bilieux (ipéca, sulfate de quinine, 1 gramme); température, 38° 5, puis, 40°1. — Envoyé d'urgence à l’hôpital dans un état de proslration exfrème. Température, 39°8. - Injection de 50 centigrammes de bromhydrate de quinine.
20 octobre 1895 . — Ictère généralisé. — Prostration très grande. — Vomissements incessants el très pénibles, provoquant des douleurs vives. à l’épigastre. — Pas de selles. — Foie hypertrophié, mais non douloureux. — Rate volumineuse et très douloureuse. — Céphalalgie et lombalgie légères. — Respiration faible, 36. — Pouls mou, 86. — Température: matin, 37“7; soir, 39° 3.
Les urines présentent une teinte bitter foncée; elles sont rares.
Prescription. — Champagne; lait; purgatif (rejeté); lavement
purgatif; eau chloroformée (sans effet sur les vomissements).
— Injections : caféine; bromhydrate de quinine, 75 centigrammes.
21 octobre. — Ictère plus marqué. — Depuis son entrée à
l’hôpital, le malade n’a pas cessé de vomir.— Selles bilieuses fréquentes. — La rate a encore augmenté de volume; la région splénique est absolument hyperesthésiée. — Anurie. Hématies, 1,000,000. —- Température, 38° 5. — Pouls, 80.
Respiration, 36.
Les symptômes ne font que s’aggraver : la prostration augmente; pouls misérable; respiration de Cheynes-Stocks; mouvements convulsifs.
Température : soir, 39°4. — Pouls, 90. — Respiration, 45. Même traitement. — Inhalations d’oxygène.
Dans la soirée, convulsions, mort.
NOTES SUR LE PALUDISME. 71
Au t o ps ie . — 13 heures après la mort. Sujet 1res vigoureux.
— Teinte jaune des téguments et de tous les tissus. — Le sang est pâle, fluide. — Le cœur est normal; son tissu est flasque. — Les poumons sont fortement congestionnés. — Le foie n’est pas sensiblement augmenté de volume; son tissu présente une consistance molle, grasse. La teinte rappelle celle du foie, dans le typhus ictérode. — La rate, énorme, pèse q5o grammes; d’une consistance normale. — Les reins, non augmentés de volume, pèsent 3oo grammes. Ils présentent une teinte généralisée d’un rouge vineux. — La congestion est intense, apoplectique. — Les méninges sont injectées.
C’est bien là la forme sidérante. La maladie a évolué avec une rapidité vraiment foudroyante. Une température toujours élevée, des vomissements incessants ne laissant aucun repos au patient, une respiration et des mouvements convulsifs, caractéristiques de l’urémie, des urines rares, fortement colorées au début et rapidement supprimées, tels sont les symptômes qui ont rapidement déterminé la mort.
En raison de la température élevée et de la gravité du cas, nous avons, malgré l’anurie, continué à donner les sels de quinine. Celte médication a-t-elle contribué à aggraver la situation absolument désespérée de ce malade? Nous ne le pensons pas. En tout cas, elle n’a été d’aucune utilité.
Nous aurons à revenir plus loin sur les lésions trouvées à l’autopsie.
13° Durée.
À ce point de vue nous pensons qu’il faut considérer la maladie comme un simple accès, comparable, par exemple, à un accès pernicieux, plus ou moins prolongé, quand les urines fortement colorées par l’hémoglobine, puis troubles, jumenteuses, sont redevenues claires. Quand le foie et la rate sont à peu près rentrés dans leurs limites antérieures, l'ictère ayant déjà fait place à la teinte cachectique qui existait plus ou moins auparavant, on peut dire que l’accès est terminé et que la convalescence commence.
Ainsi définie, la durée de la fièvre hémoglobinurique est en
7 2 CLARAC.
somme assez courte, el les observations laites à Dakar concordent parfaitement avec les données fournies par M. Gorre.
On ne saurait attribuer, comme durée à la maladie, celle du séjour à l’hôpital. Nous avons déjà dit ce que nous pensions de la période dite fébrile, qui serait de cinq à sept jours d’après certains de nos collègues, période fébrile qui, en réalité, manque presque toujours, ou plutôt prend fin le plus souvent avec l’apparition de l’hémoglobinurie, c’est-à-dire avec la confirmation de la maladie.
1 est juste de dire que les auteurs n’ont pas donné la, marche de la température, le thermomètre n’étant pas à celle époque encore employé en clinique, et qu’ils n’ont eu pour guide que le pouls; or, nous avons montré qu’il est loin de marcher d’accord avec la température.
Dans tous les cas que nous avons observés, la maladie n’a jamais dépassé 12 jours; le plus souvent elle a oscillé entre G et 10 jours. Elle n’a pas dépassé 8 jours dans les cas mortels.
14 ° Co m p l i c a t i o n s .
Nous n’avons jamais constaté de complication proprement dite. On a, il est vrai, décrit des accès pernicieux intercurrents. Les observations données à l’appui ne nous paraissent pas devoir entraîner la conviction; en supposant du reste un accès pernicieux toujours possible, il nous parait qu’il sera bien difficile de porter un diagnostic ferme et de faire la part qui revient à la perniciosité et à la maladie elle-même. Celle-ci n’a-t-elle pas été considérée par quelques-uns comme un véritable accès pernicieux.
Nous ne pouvons donner comme une complication le tétanos constaté chez B. . . (Obs. VI); ce 1’est qu’un accident.
Nous avons retrouvé dans les archives de l’hôpital l’observation suivante que nous résumons: à la fièvre hémoglobinurique a succédé un étal typhoïde qui a entraîné la mort.
O b s e r v a t io n X. — H. . .. lieutenant de spahis, descend du Soudan el est envoyé à l’hôpital de Dakar, le fi juillet 1891.— Accès de fièvre hier; hémoglobinurie. — Température : 37°.
NOTES sur. le PALUDISME. 73
— Café noir, antipyrine et sirop diacode. — Injections de quinine.
7 juillet. — Selles bilieuses et l’on noie que l’hémoglobinurie revient avec les accès. —- Agitation; subdélire. — Vomissements. — Température : matin, 36" 3; soir, 37" 2. - 2 grammes de sulfate de quinine; 2 injections de quinine.
8 juillet. — Ces symptômes s’aggravent. — Vomissements incessants. — Température : matin, 36“ 3; soir, 38° 8.
Caféine. — Injections de quinine.
10 juillet. — Mêmes symptômes. — Purgatif et sulfate de quinine.
11 juillet. — Plus d’hémoglobinurie.
12 juillet. — La température atteint 39° 1. — Sulfate de quinine en injection.
13 juillet. — La fièvre prend une marche continue. — Faciès typhoïde.
La maladie prend alors toutes les allures d’une fièvre typhoïde ou plutôt d’un état typhoïde.
18 juillet.— On note : plus d’ictère, fièvre continue, symptômes typhoïdes de plus en plus accusés. — Le cœur faiblit.
— Suppression des sels de quinine, dont l’administration avait été continuée jusque-là.
20 juillet. — Fièvre continue. — Délire.— Langue rosée.
— Cœur très affaibli.
24 juillet. — A l’agitation des derniers jours a succédé une dépression absolue.— Intelligence obscure.— Météorisme de plus en plus accentué. — Mort dans l’après-midi.
Autopsie. — Résumé : Cadavre très émacié. — Poumons pâles; congestion hypostatique de la face postérieure. - Cœur : dégénérescence graisseuse du muscle. — Muqueuse de l’estomac congestionnée. — Les intestins ne présentent rien d’anormal. — Le foie pèse 1,020 grammes; tissu très friable. — Vésicule distendue par de la bile très épaisse, ressemblant à du coaltar. — La rate, augmentée de volume, est congestionnée et ramollie. — Les reins présentent de la dégénérescence graisseuse. :— Le sang est noir, épais, poissant les doigts, en résumé, rien de caractéristique.
74 CLARAC.
Il n’est. pas sans intérêt dans cette observation de signaler l’étrange abus qui a été fait des sels de quinine, et on peut se demander si la médication est étrangère à la marche suivie par
la maladie.
On peut encore signaler comme complications certaines suppurations, complications qui se montrent pendant la convalescence.
15° Co n v a l e s c e n c e .
Une affection qui porte une atteinte aussi profonde à la composition du sang doit nécessairement entraîner une convalescence longue et pénible. Il suffit de signaler l’état de cachexie qui succède à la maladie elle-même, pour comprendre ce que doit être la convalescence et les indications qu’elle comporte. Il s’agit, en somme, d’un sujet profondément anémié dont le foie, la rate et les reins restent suspects et doivent être activement surveillés. Parfois, la convalescence constitue une véritable maladie, plus longue et tout aussi grave que l’accès hémoglobinurique. Ce que nous avons dit de la déglobulisation du sang indique que la convalescence peut être pénible, même dans les cas légers.
Deux fois nous avons vu survenir des épistaxis très rebelles, accidents auxquels l’état du foie n’était sans doute pas étranger. Un de nos convalescents a accusé pendant longtemps des douleurs névralgiques intolérables.
Un missionnaire, convalescent d’une fièvre hémoglobinurique grave, est venu réclamer nos soins pour une parotidite suppurée qui a failli lui coûter la vie.
L’observation suivante trouvée dans les archives de l’hôpital nous paraît assez intéressante.
O b s e r v a t i o n XI. — Résumé : L. . ., soldat d’infanterie de marine, 12 mois de séjour; 20 entrée à l’hôpital. Le 25 mars, accès de fièvre. — Température : matin, 38° 5; soir, 38" 9.
— Frissons.
26 mars. — Vomissements bilieux. — Ictère. — Urines bitter. — Température : matin, 41°; soir, 40°.
27 mars. — Chute de la température : 36° 2 le matin et
NOTES SUR UE PALUDISME. 75
37" 3- le soir. Les choses restent en l’état, les urines étant toujours très colorées, jusqu’au 3o mars, date à laquelle la température de 37e atteint h 10 3 dans la soirée, pour revenir ensuite à la normale; alors les urines ont les caractères des urines dites jumenteuses (200 à 500 grammes par jour).
La convalescence semble alors établie quand survient de la parotidite. — Température du 8 avril, 38" 8. — Le malade succombe le 14 avril.
Traitement : Sels de quinine en injections ou par la bouche; du s5 mars au 7 avril, le malade a pris 21 grammes de quinine!
Pendant l'accès hémoglobinurique : Eau chloroformée. — Purgatifs. •—• Traitement symptomatique.
A u t o p s i e . — Dégénérescence graisseuse des muscles.— Hypertrophie du foie. — Rate normale.
Les deux glandes parotides sont hypertrophiées, les régions voisines très œdématiées. — Le tissu glandulaire est des deux côtés infiltré d’un pus épais, verdâtre, assez abondant.
D’autres faits du même genre ont été, croyons-nous, déjà signalés dans la fièvre hémoglobinurique.
Il nous paraît intéressant de les rapprocher de ceux que relate
M. le D' Massé (Étude sur /’ictère grave; thèse de Paris, 1879). D’après ce médecin, des parotidites suppurées ont coïncidé plusieurs fois avec la guérison de l’ictère grave.
Les parotidites sont vraisemblablement la conséquence d’associations microbiennes analogues à celles observées dans les grandes pyrexies, dans la fièvre jaune, par exemple.
Chez le malade qui fait l’objet de l’observation suivante, la convalescence a été particulièrement grave et pénible.
O b s e r v a t io n XII. — L. . ., disciplinaire, âgé de âo ans. Cet homme, absolument usé, est au Sénégal (camp de Ouakam) depuis 19 mois, après avoir vécu i3 années en Algérie, où il aurait eu de fréquents accès de fièvre.
Depuis son arrivée dans la colonie, accès de fièvre très fréquents accompagnés d’accidents bilieux. — Séjour à l'hôpital, en juin 189b, pour dysenterie.
Le 3 janvier 1896, à son entrée à l'hôpital, on note : fièvre
76 CLARAC.
depuis plusieurs jours. — Dans la uuil du 9 au 3, frissons violents. — Fièvre. — Urines rouges au réveil.
Prostration extrême; le malade peut à peine répondre aux questions. — Ictère léger. — Douleurs lombaires et abdominales intenses. — Langue très chargée. — Pas de vomissements. — Selles bilieuses abondantes. — Foie normal, non douloureux. — La rate est notablement augmentée de volume et est très douloureuse. — Pouls régulier, mou. — Les bruits du cœur sont faibles; pas de souille.
Les urines sont absolument noires. — Température : matin, 41° 2 ; soir, 40° 9.
Prescription. — Lait. — 5o centigrammes de bromhydrate de quinine en injections. — Larges et continuelles applications de ventouses sèches sur la région lombaire. — Limonade purgative.
4 janvier.— Mêmes symptômes aggravés. Les douleurs lombaires et spléniques arrachent des plaintes continuelles au malade. — L’ictère est plus marqué. — Pas de vomissements.
— La rate a augmenté considérablement de volume. - 1,000 grammes d'urines très foncées depuis hier. — Temperature : matin, 39°; soir, 39° 6.
Même prescription que la veille, plus inhalations d’oxygène.
— Potion chloroformée à k grammes; celle potion est constamment rejetée.
5 janvier. — Vomissements caractéristiques incessants. - Sidles bilieuses abondantes. — 700 grammes d’urines très foncées. — Dans la soirée, le pouls, devenu imperceptible, se relève sous l’inlluence d’une injection de caféine. — Température : matin, 37° 9; soir, 37° 7.
Même prescription. — La potion chloroformée est toujours rejetée.
0 janvier. — Le malade refuse de prendre la potion chloroformée, à laquelle il attribue ses vomissements.
L’ictère est moins marqué; les urines sont peu abondantes et moins foncées. — Syncope assez grave. — Température : malin, 30° 6; soir, 36° 2.
Prescription. — Champagne frappé. — Lait. — Ventouses.— Oxygène. — puis hier.
NOTES SUR LE PALUDISME. 77
Les injections de quinine sont supprimées depuis hier
7 janvier. — Vomissements incessants. — Faiblesse extrême.
— Rate moins volumineuse et moins douloureuse. — Le foie est resté normal. — On constate un peu d'amélioration. — Température : matin, 36° 4; soir, 36° 5.
8 janvier. — Plus d’ictère. — Urines brunâtres peu abondantes, contenant encore de l’albumine.
9 janvier. — Nuit très agitée. — Urines rares.
11 janvier. — Epistaxis très abondante pendant la nuit. — 700 grammes d’urines claires.— Température: matin, 36° 5;
soir, 36° 2.
12 janvier. — Débâcle bilieuse.— Affaiblissement extrême.
Prescription. — Lait. — Bouillon. — Toniques. — Oxygène.
17 et 18 janvier.—• Les épistaxis se renouvellent; la faiblesse du malade est telle que l’on craint une issue fatale.
20 et 21 janvier. — Elévation de la température. — La convalescence se fait avec une lenteur extrême.
La médication par le fer, l’oxygène, les toniques et le lait est continuée.
2 février. — On note encore : Faiblesse extrême. — Ecchymoses sous-conjonctivales.
Enfin, le 18 février, le malade, encore très anémié, peut sor tir de l’hôpital pour rentrer en France.
‘ 16° Re c h u t e s . — R é c id iv e s .
Nous n’avons jamais constaté de rechute pendant la convalescence ou peu après.
Tous les auteurs s’accordent à reconnaître que les récidives
sont fréquentes. Sur 24 cas observés à l’hôpital de Dakar, cinq malades avaient déjà eu un premier accès de fièvre hémoglobinurique; deux sont morts. Un malade en était à son troisième accès. Il est probable que les récidives seraient plus fréquentes si, dans presque tous les cas, les malades n’étaient pas rapatriés.
78 CLARAC.
Nous pensons qu’il ne faut accepter que sous bénéfice d’inventaire, les déclarations de certains malades qui accusent par fois un grand nombre d’accès hémoglobinuriques antérieurs. En allant au fond des choses, on est convaincu que ces malades, qui parlent avec une certaine complaisance, du reste, de leurs nombreuses bilieuses hématnriques, n’ont eu, en réalité, que de simples accès bilieux avec urines plus ou moins colo rées par les pigments biliaires.CHAPITRE II.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Nous pensons qu’il reste fort peu de chose à ajouter à l’anatomie pathologique macroscopique de la lièvre hémoglobinurique; il faut, du reste, avouer que les lésions anatomiques ne sont guère caractéristiques. Aussi serons-nous bref sur les diverses particularités qu’il nous a été donné de constater.
1° Ha b i t u s e x t é r ie u r .
D’après tous les auteurs, le cadavre présenterait une teinte ictérique plus ou moins accentuée; c’est peut-être un fait général, mais qui comporte de nombreuses exceptions. Quand la maladie a duré un certain temps, le cadavre n’est pas jaune, mais d’une pâleur terreuse; c’est celui d’un homme mort eu étal de cachexie profonde.
Nous avons dit plus haut n’avoir jamais constaté une teinte ictérique plus marquée après la mort (B.-Benoit).
Les tissus sont plus ou moins colorés en jaune ou simplement plus ou moins anémiés.
2 ° Cavité thoracique
Dans cette cavité, les poumons, les plèvres et le cœur ne nous ont rien présenté de bien intéressant. Presque toujours le cœur était mou, pâle et flasque, parfois manifestement graisseux. Il est probable que celte dégénérescence, antérieure à l’accès hemoglobinurique, avait contribué à l’aggraver.
NOTES SLR LE PALUDISME. 79
3° C a v i t é a b d o m in a l e .
Nous ne trouvons rien à signaler du côté du péritoine et des intestins.
Le l'oie, la rate et les reins seuls méritent d’arrêter l’attention.
Foie. — Sur 9 autopsies, cinq fois l’organe a présenté des poids variant entre i,5oo et 1,900 grammes; quatre fois ce poids dépassait 2 kilogrammes.
Souvent le tissu hépatique présentait une coloration rap pelant assez exactement celle du foie cuit; généralement le tissu était friable, rarement congestionné, souvent sec, suivant l’époque de la maladie à laquelle avait succombé le sujet.
Chez le nommé6 . . . (Obs. I l) , le foie présentait une teinte jaune café au lait; le tissu, mou, donnait la sensation du mastic. Par son aspect, sinon par sa consistance, le foie rappelait celui de la fièvre jaune. Le tissu était manifestement graisseux.
Cette lésion doit être assez rare puisque MM. B. Benoit et Corre ne l’ont jamais observée; mais M. Pcllarin a rencontré une lésion semblable (Arch, de méd. nav.; loc. cit.), qui est due d’après lui «à l’infiltration graisseuse, comme dans la fièvre jaune». Bourse et Coquerel, cités par M. Corre, donnent deux observations de dégénérescence graisseuse du foie dans la lièvre hétnoglobinurique.
S’agit-il d’une lésion propre à la maladie qui nous occupe? Nous ne le pensons pas. Cet état pathologique doit être antérieur à l’accès hétnoglobinurique, qu’il aura vraisemblablement contribué à aggraver.
Constamment, la vésicule était distendue par une sorte de pâte plus ou moins consistante, comparée à du raisiné ou à du goudron de Norvège et constituée plutôt par des débris de globules que par de la bile.
Rate. — La plus volumineuse que nous ayons trouvée pesait i,38o grammes. Trois fois seulement l’organe présentait son poids normal. Le plus souvent, nous avons trouvé le tissu dur et la capsule épaissie. Chez un sujet il était réduit à l’état de boue et sa rupture semblait imminente.
80 CI.ARAC.
La coloration ardoisée, signalée par Pellarin, existait dans plusieurs cas.
En résumé, nous n’avons rien trouve' de particulier; du reste, comme le fait justement observer Se'rès des altérations du l'oie et de la rate ne diffèrent guère de celles que l’on rencontre chez les sujets qui succombent à une atteinte de fièvre paludéenne; elles n’ont rien de particulier à la maladie». (De l’affection paludéenne et de la fièvre bileuse hématurique observée au poste M’Bidgen en 1863, Th. Mont, 1868.).
Reins. — Nous avons toujours trouvé les reins plus volumineux et plus pesants qu’à l’état normal. Chez le nommé D. . . (Obs. II) les deux reins pesaient ensemble 900 grammes. Dans presque tous les cas, nous avons constaté à la surface de l’organe des plaques ardoisées plus ou moins larges.
Chez plusieurs sujets, les reins étaient congestionnés; cette congestion était particulièrement remarquable chez ( I . . . (Obs. IX). La maladie avait présenté la forme sidérante et à l’autopsie les reins étaient gorgés de sang et présentaient un véritable état apoplectique. La moi tétant survenue dès le début de la maladie, nous avons pu constater l’état des reins à ce moment. En même temps que cette congestion intense explique l’anurie et les complications urémiques, elle constitue une importante indication thérapeutique : arriver, à tout prix, à décongestionner le filtre rénal. C’est pour obéir à celte indication que nous avons insisté, tout particulièrement, sur cette partie du traitement, chez les malades que nous avons eu à traiter dans la suite. Il 1 e suffit pas de faire sur la région lombaire des applications de ventouses plus ou moins espacées, mais il faut que la révulsion soit faite largement et en quelque sorte sans interruption. Les malades s’en sont très bien trouvés. Lidéal serait d’arriver à faire une véritable saignée aux reins.
Nous n’avons jamais constaté d’hémorragie rénale propre ment dite; une seule fois nous avons trouvé quelques petits kystes à la surface de l’organe. Chez certains sujets ayant succombé avec de l’anurie et particulièrement chez G ... (Obs. V), les pyramides présentaient une teinte noirâtre tranchant nette ment sur le reste de l’organe. Les canaux semblaient avoir été
NOTES SUR LE PALUDISME. 81
injectés au noir. Cet examen démontrait, sans que L’on eut lie- soin d’avoir recours à l’examen microscopique ou chimique, l’obstruction complète et absolue du filtre, par les débris hématiques et le pigment; ces faits ont été bien mis en lumière par MM. Kelsch et Kienner.
En l’état actuel de la question, il parait évident que les auteurs qui ont voulu faire jouer un rôle prépondérant à l'hémorragie rénale, eu somme si rare, ont commis une erreur capitale. C’est avec raison que Gorre s’élève contre cette doctrine défendue par B.-Benoit et par d’autres, doctrine tendant à placer l’hématurie «sous la dépendance immédiate de cet état apoplectique des reins».
Il est certain que Pellarin, qui cependant a si largement contribué à faire connaître la fièvre héinoglobinurique, pousse un peu trop loin l’amour-propre d’auteur, quand il veut faire jouer à ce qu’il appelle d ’altération hémorragique des reins» un rôle tel, que tous les caractères pathognomoniques de la maladie en découleraient : urines noires, vomissements bilieux, ictère même (p. Z»GG) : «Ces deux derniers phénomènes n’ont pas d’autres causes, écrit-il, que le retentissement par action réflexe, sur le foie et sur l’estomac, des graves désordres anatomiques survenus dans les reins. »
Il faut remarquer qu’au moment où ces auteurs écrivaient la véritable cause de coloration des urines n’était pas connue. Il est certain, cependant, que les rares globules rouges que l’on trouve parfois dans les urines proviennent de la rupture des capillaires rénaux.
Nous avons trouvé les reins du nommé!). . . (Obs. II) atteints de dégénérescence graisseuse, fait déjà signalé par Guillaud [Arch, de méd. nan. , t. XXVII).
Comme pour le foie, la raie, le cœur et les autres organes, il serait intéressant de rechercher si certaines lésions rénales, comme cela parait probable, ne sont pas antérieures à l’accès héinoglobinurique et dans quelle mesure elles ont contribué à l’aggraver. Nous reviendrons plus loin sur cette question.
Dans un cas d’hémoglobinurie infectieuse, signalé par
M. Léon à la Société de biologie (séance du 29 décembre 1895),
t \ \ . D’iivg, c o l o n . — J a i i v i o r - f c v r i o r - m n i s 1 8 c j 8 - 1-6
82 CLARAC.
on aurait constaté, quelques jours après le début de l’affection, des signes de néphrite. Des laits semblables auraient été relevés dans la fièvre hémoglobinurique. Pour M. Léon, l’altération rénale a été consécutive à {’hémoglobinurie et causée par le passage de l’hémoglobine.
Dans le plus grand nombre des cas de fièvre hémoglobinurique, la néphrite que pourrait produire le passage de l’hémoglobine, en la supposant capable de pareils méfaits, laisse bien peu de traces, puisque, le plus souvent, l’albumine disparait en même temps que l’hémoglobinurie. Cependant il ive serait pas sans intérêt de suivre pendant quelque temps les convalescents et de rechercher dans leurs urines l’albumine et les cylindres.
4° S a n g .
Nous ne filmes pas peu frappé en pratiquant nos premières autopsies de l’aspect que présentait le sang: ce n’était plus du sang qui s’écoulait des vaisseaux sectionnés, mais une sérosité roussàtre peu abondante. Nous avons pu faire la même constatation chez le plus grand nombre des sujets. C’est là un fait qui ne cadre guère avec ce qu’aurait constaté H.-Benoit-, il aurait trouvé le sang constamment noir, cailleboté, etc. Exceptionnellement nous avons trouvé le sang noir, épais (Obs.IV). Ces différences, pensons-nous, tiennent à la durée de la maladie.
En général, tous les tissus étaient décolorés et, selon l'heureuse expression de Pellarin, « l’anémie était partout ».
CHAPITRE III.
DIAGNOSTIC.
Nous n’avons point l’intention de discuter le diagnostic de la fièvre hémoglobinurique; celte question n’entre pas dans le cadre de ces notes et c’est du reste une étude suffisamment faite dans les traités spéciaux, en ce qui touche les ictères, les fièvres bilieuses, la fièvre jaune, etc. Nous estimons, que celui qui a pu voir de près ces différentes affections ne peut guère con fondre
NOTES SUS LK PALUDISME. 83
la fièvre hémoglobinurique qu’avec l’hémoglobinurie paroxystique et l’iiéinoglobinurie quinique. Aussi nous parait-il intéressant de mettre en regard les analogies et les traits différentiels qui existent, d’après les auteurs, entre ces trois affections.
FIÈ VR K HliMOGLOBINUlUQUE
a*n11d•ii•tmiliuit(u|uDr ,
HÉMOGLOBINURIE
PAROXYSTIQUE.
HÉMOGLOBINURIE
QUINIQUE.Antécédents paludéens constants (Carreau, Gorre el tous les au teurs) cl. peut-être sy philitiques.
Provoquée par l’action combinée d’une im pression frigorifique el d’uneimprégnalion malarienne (Cône). Celle opinion est 1res exacte dans un grand nombre de cas.
Parfois idiosyncrasie héréditaire (Gorron, Loiseau).Atteinte souvent consti tuée par une série d’accès à type défini (Corre). Evolution rare à Dakar.Antécédents paludéens nuis, d’après Corre. Cequi n’est pas exact. Antécédents paludé ens el syphilitiques (Carreau, Labadie- Lagrave, Comby et la majorité des auteurs).
L’influence du froid est manifeste; fatigues; paludisme. (Opinion à peu près générale. )Idiosyncrasie évidente. Maladie hérédo-sy- phylilique (Courtois, Suffit, Comby, La- badie-Lagrave).
Accès ou paroxysme se succédant à des in tervalles irréguliers et constituant une af fection chronique.Antécédents paludéens constants. (Opinionà peu près générale. )Influence immédiate de la quinine. Il est pro bable que la quinine provoque plus facile ment l’hémoglobinu rie chez les sujets prédisposés à l'hémo globinurie paroxysti que.
Idiosyncrasie évidente, très souvent hérédi taire (Carreau).Accès succédant à l’ad ministration de la quinine et que l’on peut, par consé quent, faire naître à volonté (Carreau).
Mais il faut remarquer que ces trois affections reposent plus ou moins sur une base paludéenne. Dans la fièvre hémoglobinurique et dans l’hé moglobinurie quinique, seule, la suspension du médicament peut per mettre de trancher la question.
6
8 4 CLARAC.FIÈVRE
llKMOGLOMJiURIQUF.
endémique.
Smile entre lesattaques aussi bonne que le comporte l’état d’un sujet plus ou moins cacheclisé. Intervalle des accès répondant à un état subfébrile ou apyrétique, mais plus ou moins anémique (Corre).
L’accès revèl l’allure d’un accès de fièvre intermittente : fris sons, chaleur, sueurs, douleurs lombaires (Carreau ). Accès pré monitoires. Frissons généralement très violents au début.
Fièvre intense pendant l’accès, mais tombant souvent avec l’appa rition de l’hémoglo- binurie.
Foie et rate tuméfiés et très douloureux; symptôme à peu près constant.Ictère plus ou moins prononcé (Corre), le plus souvent très prononcé.
Vomissements bilieux très abondants et ne faisant jamais dé faut.HÉMOGLOBINURIE
PAROXYSTIQUE.
Santé relativement bonne entre les at taques, le sujet res tant toutefois en puis sance de diatbèse paludéenne ou syphi litique (Carreau).
Frissons assez violents au début de l’accès. Douleurs lombaires.
Fièvre médiocre pen dant l’accès.
Tuméfaction du foie et de la rate non con stante, cl quand elle existe, ordinairement légère (Corre). Gon flement du foie et de la rate, accompagné de douleurs sponta nées (Lahadie-La- grave).
Ictère léger, parfois non appréciable(Carreau, Corre).
Vomissements bilieux, en général peu pro noncés.
HÉMOGLOBINURIE
QUINIQUE.
Entre les attaques, santé assez bonne, sauf un certain degré d’anémie palustre et quelques accès fé briles qui font reve nir à la quinine, la quelle reproduit les attaques.
Frissons, douleurs lombaires, chaleur, sudation (Carreau).Fièvre très forte allant jusqu’à 4i" selon la quantité de quinine ingérée (Carreau).
Tuméfaction très ap préciable du foie et de la rate.
Ictère en général peu prononcé (Carreau).Vomissements bilieux plus ou moins abon dants, constants dans les fortes attaques.
NOTES SI R LE PALUDISME. 85
F I È V 11E
H E M O G L O BI N U R I Q U E
e n d é m i q u e .
HÉMOGLOBINURIE
PA RO X Y S T I Q U E .
HÉMOGLOBINURIE
Q U I .M Q U E .
Parfois suppression des urines; tendance à l’état urémique (Corre).
Les urines offrent les mêmes caractères spectroscopiques que celles de la mélhé- moglohinurie (pii- nique.L’hémo{jlobinurie dure selon l’imporlance de Farces; à Dakar de un à cinq jours.
Anémie consécutive très marquée.
La sécrétion urinaire persiste loujours.Les urines présentent 11 mélange d’hémo globine et de méthé moglobine ( Hayem) et par cela même doivent contenir de l’hémoglobine ré duite.
Durée de l’accès ne dé passant pas 0 ou
8 heures.Réparation sanguine très active (llayem).
La sécrétion urinaire persiste.Les urines offrent lou jours à l’examen speclral la bande de la méthémoglobine en même temps que celle de l’hémoglo bine. Elles contien nent aussi une certaine quantité d’hémoglobine ré duite (Carreau).
Durée : a h heures, si la médication quinique est interrompue. Mais l’hémoglobinu rie peut continuer tant que dure l’ad- ministralion de la quinine.
Rétablissement très prompt. Le sang se régénère vite (Car reau) à moins que le sujet ne soit trop impaludé.
Ie rapprochement des analogies et des traits différentiels, empruntés à ceux qui ont décrit ces trois affections, nous paraît assez concluant. Le plus souvent, il ne s’agit que de nuances assez difficiles à saisir, surtout au lit du malade.
Sans doute en Europe, le diagnostic différentiel entre la lièvre hémoglobinurique et l’hémoglobinurieparoxysliquepourra être facile à faire, mais il ne saurait en être de même dans la zone d’endémicité de la première de ces affections. S’il
86
CLARAC.
est vrai que l'hémoglobinurie paroxystique est une maladie très rare, il est également très logique d’admettre que les sujets prédisposés aux atteintes de cette affection se trouveront singulièrement exposés aux attaques de la fièvre hémoglobinurique, au même titre du reste que ceux qui sont prédisposés l’hémoglobinurie quinique.
Le diagnostic différentiel avec l’hémoglobinurie quinique est encore plus difficile et il n’est pas douteux que de nombreuses erreurs ont dû être commises dans un sens ou dans l’autre.
CHAPITRE IV.
FREQUENCE DE LA FIEVRE HEMOGLOBINURIQUE À DAKAR. ----- PRONOSTIC. C’est une opinion généralement admise que la fièvre hémoglobinurique est fréquente à Dakar, et quelques-uns de ceux qui l’y ont observée estiment qu’elle est plus grave là qu’ailleurs.
Depuis l’année 1892, époque de la transformation de l’ambulance en hôpital, jusqu’au mois d’août 1896 inclus, 36 cas ont été traités dans cet établissement et ont fourni 12 décès, soit 3o p. 100.
Tous ces cas ne proviennent pas uniquement de la presqu’île du cap Vert (Dakar et camps); quelques-uns ont été constatés chez des convalescents provenant du Soudan et des postes du Sud. Nous ne pouvons indiquer exactement les provenances des cas observés antérieurement au /i° trimestre 189/1. Deux cas seulement provenaient de l’extérieur, parmi ceux observés par nous à l’hôpital de Dakar.
De janvier 1892 à octobre 1894, Ie registre des entrées ne mentionne que 12 cas, dont 6 décès, soit 5o p. 100. Ce chiffre nous paraît trop élevé pour être l’expression exacte de la vérité. Du mois d’octobre 189/1 au mois d’août 1896, nous avons observé personnellement 2/1 cas, légers ou graves, et 6 décès, soit 25 p. 100, pourcentage qui est sensiblement le même que celui signalé par Corre(27 p. 100).
La maladie ue nous a pas paru très fréquente en ville; en
NOTES SUS LE l>ALITHSME. 87
deux années, nous n’avons observé que à cas, dont deux provenaient de l’extérieur.
Cette statistique, un peu longue il est vrai, montre, si l’on lient compte de l’importante clientèle de l’hôpital de Dakar, que l’on a quelque peu exagéré la fréquence de la maladie dans la presqu’île du cap Vert et quelle ne semble pas plus grave là que dans les autres centres d’endémie-
Le personnel du chemin de fer à Dakar comprend 5o à 55 agents européens. Du mois de décembre i8q3 au mois de février 1896, ce personnel a fourni 6 cas dont 9 décès (3 en décembre (1 décès), 1 en novembre (1 décès), t en février et 1 en avril).
En ce qui touche la gravité, les 24 cas observés par nous se répartissent ainsi :
Cas légers ou très légers......................................
11
Cas (le moyenne gravité................
Cas graves cl très graves.....................................
a 5
Cas mortels.........................................................
6
Nous comprenons dans ces 6 derniers cas, celui du nommé
B. . . (obs. VI) qui a succombé au tétanos pendant la convalescence. Ce chiffre peut donc à la rigueur être ramené à cinq. En réalité, 5o p. 100 des malades gravement atteints ont succombé.
Comme provenance, ces 24 cas se répartissent ainsi : Dakar, 10 cas, dont 1 mortel et deux graves, tous les autres légers. Camp de Ouakam : 12 cas, dont 5 mortels et 3 graves, les autres légers. Extérieur : 2 cas légers.
La proportion des cas graves et mortels provenant de Ouakam est, comme on le voit, très élevée, ce qui ne veut pas dire que la fièvre hémoglobinurique soit plus grave dans cette localité qu’à Dakar; en effet, 11 cas provenant de Ouakam ont été fournis par le corps des disciplinaires, un seul par un sous- officier du cadre, cas très léger; ce n’est pas la localité qu’il faut incriminer dans l’espèce, bien qu’elle soit très paludéenne, mais la catégorie des hommes, car, de tout temps, les disciplinaires ont payé un lourd tribut à la fièvre hémoglobinurique; nous reviendrons sur ce point.
88 CLARAC.
Contrairement à l’opinion do B.-Benoit, il nous a semblé que les cas étaient d’autant plus graves que l’ictère était plus intense et se produisait plus rapidement, et cotte observation répond assez bien à ce que nous savons du l’ait capital de la maladie : la déglobulisation du sang. Il est évident que l’ictère, qui en est la conséquence, sera d’autant plus marqué et plus subit que la destruction des globules rouges aura été elle-même plus rapide et plus complète.
Des vomissements incessants, une température élevée aggravent le pronostic, mais le symptôme le plus grave est incontestablement l’anurie. Sur six cas mortels, quatre fois nous avons constaté une suppression à peu près absolue des urines, il nous a paru, comme à d’autres auteurs, que l’anurie avait la même valeur séméiologique que dans la lièvre jaune. Aucun malade atteint d’anurie n’a guéri.
Le hoquet est également un symptôme très grave. Nous l’avons constaté quatre lois sur six cas mortels ; de plus, il fatigue énormément les malades.
CHAPITBE V.
ÉTIOLOGIE, PATIIOGÉNIE ET NATURE.
Il y a quelques années à peine, l’étiologie paludéenne de la fièvre hémoglobinurique paraissait absolument indiscutable et aucune opinion contraire ne s’élevait contre cette doctrine, ancienne comme la maladie elle-même; nous serions même presque tenté de dire que cette doctrine était admise jusqu’à l’exagération, car aujourd’hui il ne saurait être question de considérer la fièvre hémoglobinurique « comme la plus haute expression du paludismes », formule qui ne répond à rien, et nous ne voyons pas pourquoi la fièvre hémoglobinurique serait une expression du paludisme plus intense qu’un accès pernicieux.
et II est nécessaire île changer de temps en temps de doctrine, dit Cullen, non pas pour le plaisir d’innover, mais dans le but d’imprimer une direction différente aux intelligences. Rien n’est plus vrai, en médecine surtout, par ce temps de microbiologie; nous dirons même que rien n’est plus utile.
NOTES SIR LE PALUDISME. 89
Est-ce uniquement pour obéir à celte idée si juste du médecin écossais que nous avons vu, pour ne rester que dans la question qui nous occupe, naître une doctrine nouvelle que l’on pourrait, d’après ses auteurs, formuler ainsi : « la fièvre hémoglobinurique n’a que des rapports indirects avec le palu disme; c’est une maladie spécifique, déterminée par un microbe spécial. ».
Cette doctrine, nous devons le reconnaître est, à l’heure actuelle, loin d’être admise par tous, et l’on ne saurait dire quel est le sort que lui réserve l’avenir; mais quoi qu’il arrive, elle aura toujours le mérite d’avoir appelé l'attention de ceux qui s’occupent de pathologie exotique, sur cette question si intéressante de la fièvre hémoglobinuriquc et de sa nature, question que la formule étiologique par trop radicale des anciens auteurs n’avait pas absolument tranchée.
Nous n’avons point l’intention de discuter à fond les opinions en présence; une pareille question mérite plus d’ampleur que ne le comporte l’étude de quelques cas de fièvre hémoglobinurique observés dans une seule localité. Nous voulons simplement rechercher si la maladie, telle que nous l’avons observée à Dakar, peut se réclamer au point de vue pathogénique de l’une ou de l’autre de ces doctrines.
i° I n f l u e n c e s m é t é o r o l o g i q u e s .
À Dakar comme dans tout le Sénégal du reste, c’est du mois de décembre1! au mois d’avril que l’on constate le plus grand nombre de fièvres hémoglobinuriques, c’est-à-dire à un moment où les statistiques des hôpitaux indiquent que le paludisme a commencé à disparaître ou a disparu à peu près complètement. Cette seule constatation suffirait à démontrer que la fièvre hémoglobinurique n’est pas la plus haute manifestation du paludisme, car, s’il en était ainsi, c’est en septembre, alors que le paludisme bat son plein, que les accès pernicieux
Cas observés à rtiôpilal do Dakar, de 1803 à octobre i 8 gG : jan vier 7, février h , mars 1 , avril 3, mai 3 , juin 3 , juillet 1 , août 1, sep
tembre 3 , octobre 3, novembre à, décembre 5.
90 CLARAC.
sont fréquents, que les fièvres hémoglobinuriques devraient être plus nombreuses.
À Dakar, pendant l’hivernage, les variations thermométriques sont à peine sensibles; dans la saison sèche, au con traire, à compter surtout du mois de décembre jusqu’en mai, on note entre les températures extrêmes du jour et de la nuit, des écarts de 1o° à 15°. On comprend que les auteurs, MM. Corre et Béranger-Féraud, se soient préoccupés de ces influences météorologiques et se soient demandés s’il ne fallait pas leur faire jouer un certain rôle dans l’étiologie de la fièvre hémoglobinurique. À notre avis, cette influence est certaine, mais elle ne peut être que secondaire, les répercussions causées par le froid créant un défaut de résistance de l’organisme vis-à-vis de l’agent endémique; cette influence météorologique n’existe pas partout. A la Grande-Terre (Guadeloupe), par exemple, où la fièvre à urines noires est encore plus fréquente qu’au Sénégal, les variations thermométriques sont très peu marquées.
Cette influence du froid, souvent constatée par nous du reste, est très évidente dans le cas suivant :
Observation XIII. — Melle B . . . , métisse, dix ans, née à Corée, habite Dakar depuis longtemps; elle est très pâle; la rate est grosse. Cette enfant a eu de fréquents accès de fièvre, surtout durant l’hivernage de 1895.
Depuis quelques jours, petits accès quotidiens accompagnés de douleurs abdominales et de selles bilieuses.
Le 15 décembre 1896, je fus appelé auprès d’elle : langue très chargée; pas de vomissements; coliques et selles dysentériques. — Foie et rate augmentés de volume et douloureux. — Fièvre précédée de frissons. — Température, 38“ 5.
— Onctions sur le ventre et cataplasmes. 5o centigrammes de bromhvdrate de quinine. — L’enfant avait pris de la quinine la veille. Dans l’après-midi, la fièvre tombe avec de la transpiration. Se trouvant bien, la petite malade demande à se lever. Vers six heures du soir, échappant à la surveillance de ses parents, elle descend au jardin assez légèrement vêtue. À ce moment, il se produisit un refroidissement assez brusque et.
NOTES Sl!R LE PALUDISME. 91
sensible de l’atmosphère. À huit heures du soir, frissons violents. — Température, 39°. — Ictère léger. — Urines bitler assez foncées. Les urines de l’après-midi étaient très claires.
— La petite malade accuse une douleur intolérable à l’épigastre.
16 décembre. — Ictère généralisé très marqué. — Vomissements et diarrhée. — La rate, très augmentée de volume, est très douloureuse. — Urines bitter très foncées et très abondantes; très albumineuses, traces d’hémoglobine et de méthémoglobine. Au microscope, quelques globules rouges déformés. — Pendant la nuit, 5o centigrammes de brombydrate de quinine, purgatif salin (rejeté); brombydrate de quinine (rejeté). Dans l’après-midi, anxiété épigastrique. — La rate a encore augmenté de volume depuis le matin. — Température : matin, 38° 5; soir, 40°. — Urines presque sanglantes.
Injections de bromhydrate de quinine, 5o centigrammes, et d’ergotine.
17 décembre. — Vomissements incoercibles. — Céphalalgie très forte. — Selles bilieuses (a pris dans la nuit 5o centigrammes de brombydrate de quinine). — Température, 38°9.
— Urines bitler encore très foncées. Dans l’après-midi, température, 38°9. — Urines jumenteuses. — Prostration extrême.
Prescription. — Toniques; 25 centigrammes de brombydrate de quinine en injection.
18 décembre. — La petite malade est moins affaissée, moins d’ictère; urines presque normales, très abondantes. — La rate a diminué de volume, est moins douloureuse. — Tempéra ture : matin, 38°4 \ soir, 37°9.
Toniques; perchlorure de fer; lait; brombydrate de quinine, 5o centigrammes.
19 décembre. — Plus de vomissements. — Selles bilieuses.
— Température : matin, 37° 9; soir, 38°. • Toniques; 7b centigrammes de brombydrate de quinine.
20 décembre. — Nuit très agitée; violent accès de lièvre.
— Température : malin, 38°3. — Injection de brombydrate de quinine.
9 2 CLARAC.
21 décembre. — L’améliora Lion commence; à compter de ce moment, la convalescence marche régulièrement.
Liiez cette petite malade, l’influence de la température ambiante a été évidente. Cédant en partie aux instances de la famille, j’ai administré les sels de quinine par la bouche ou en injections, tant que la température est restée élevée, et celte médication semble avoir donné un excellent résultat.
Nous tenons à signaler une coïncidence assez intéressante : alors que, dans le courant de décembre 189/1, deux disciplinaires al teints de fièvre hemoglobinurique grave avaient été envoyés le même jour à l’hôpital, tous deux habitaient la même chambrée et étaient tombés malades en même temps; le 31 janvier 1895, deux autres disciplinaires entraient dans les mêmes conditions.
Ces hommes, également prédisposés et impaludés, ont été soumis en même temps aux mêmes influences saisonnières.
2 ° I n f l u e n c e s e t h n i q u e s .
N o u s n’avons jamais constaté la lièvre hémoglobinurique chez les noirs, mais elle sévit sur les mulâtres; nous avons été appelé à donner des soins à deux petites mulâtresses qui en étaient atteintes. Toutes deux, nées au Sénégal, étaient profondément impaludées.
3 " P a l u d i s m e e t m a l a d i e s a n t é r i e u r e s .
Dans une thèse récente, s’appuyant sur la haute autorité de
M. l’inspecteur général du service de santé des Colonies, M. le I)r Thomas écrit, page 60 : «L’étiologie de la lièvre bilieuse liématurique n’a donc rien à voir avec le paludisme, qui n’entre dans son développement que pour une part indirecte.» (Fièvre bilieuse liématurique et de son traitement. Thèse de Bordeaux, 1896.)
M. Thomas cite, page 31, l’opinion de M. le Dr Treille, pour qui «il est nettement établi que cette redoutable affection atteint les Européens nouvellement débarqués, indemnes de toute tare paludéenne».
Nous voilà donc bien loin du dogme d’après lequel «la fièvre
bilieuse hématurique ne se déclare jamais chez des sujets in demnes
NOTES SUR LE PALUDISME. 93
d’atteintes antérieures de fièvre paludéenne t>. (Barthélemy-Benoit.)
À ce point de vue étiologique, nous ne croyons pas inutile
de donner un résumé très bref des cas observés par nous à Dakar, avec tout le soin désirable, dans le but d’apporter un document de plus à la question :
i° B .. . , disciplinaire, quinze mois de colonie (camp de Ouakam); deux séjours à l'hôpital pour fièvre paludéenne; accès de fièvre nombreux dans l’intervalle. Mort.
2° V. . ., soldat d’infanterie de marine, séjour antérieur au Soudan où il a eu des accès de fièvre; première entrée à l’hôpital de Dakar. Cas très léger.
3° B. . ., disciplinaire, vingt-deux mois de colonie (camp de Ouakam); deux séjours à l’hôpital pour fièvre paludéenne; accès de fièvre nombreux dans l’intervalle. Mort.
i° K. . ., disciplinaire, rapatrié du Soudan après neuf mois de séjour pour cachexie palustre. Cas très léger.
5° D. . ., disciplinaire, dix-huit mois de Sénégal (Ouakam); accès de fièvre au moins une fois par semaine; dix séjours à l’hôpital, dont plusieurs pour paludisme. Mort.
6° M. . ., disciplinaire, sept mois de Sénégal (Ouakam), où il a eu des accès de fièvre à forme rémittente. Cas grave. Guéri.
7° T. . ., artilleur, seize mois de séjour; deux entrées à l’hôpital pour fièvre rémittente palustre grave. Guéri.
8° C. . ., soldat d’infanterie de marine, six mois de Dahomey, neuf mois de Sénégal; accès de fièvre très fréquents dans ces deux localités. Cas léger.
9° C . . . , employé de commerce. Provient de Grand-Bas- sam, qu’il a dû quitter il y a trois mois; convalescent de fièvre hémoglobinurique; fréquents accès de fièvre paludéenne. Cas très léger déclaré en rade de Dakar, retour d’Europe.
io° B. . ., disciplinaire, deux ans d’Algérie, un an au Sénégal (Ouakam); fréquents accès de fièvre ; était employé à des terrassements quand la maladie a débuté. Cas grave. Guéri. i i° D. . ., disciplinaire; séjour antérieur en Algérie; trente- trois mois de Sénégal (Ouakam); sept entrées à l’hôpital pour
94 CLARAC.
fièvre el anémie. Deuxième accès hémoglobinurique. Cas léger.
12° G . . . , artilleur, dix-huit mois de Sénégal (camp des Madeleines); plusieurs accès de fièvre paludéenne. Cas léger. 13° A . . . , disciplinaire, dix-huit mois en Tunisie, deux mois et demi au Sénégal: violents accès de fièvre depuis son
arrivée. Mort.
14° G. . ., disciplinaire, vingt-quatre mois de Sénégal (Ouakam); fréquents accès de fièvre; sujet atteint de cachexie palustre. Mort.
15° G. . ., infanterie de marine, séjour antérieur en Algérie, trente-trois mois au Tonkin; rares accès de fièvre; onze mois au Sénégal où il n’a jamais eu la fièvre. Cas sidérant.
16° M. . ., né à Cayenne, sous-officier d’infanterie de marine; vingt-neuf mois de séjour à Ouakam; quatre entrées antérieures à l’hôpital pour accès bilieux. Cas léger.
17° G . . . , artilleur, dix mois de séjour au Sénégal; un séjour antérieur à l’hôpital pour fièvre intermittente. Cas léger.
18° D. . ., artilleur, provient du Soudan, fortement impaludé; aurait eu de fréquents accès de fièvre, dont deux accès hémoglobinuriques. Cas léger.
19° L. . ., disciplinaire; cachexie; treize ans d’Algérie; accès paludéens fréquents; dix-neuf mois au Sénégal (Ouakam); accès de fièvre très fréquents. Cas très grave. Guéri.
2o° M. . ., disciplinaire, vingt mois au Sénégal (Ouakam); anémie profonde; très fréquents accès de fièvre. Cas de moyenne gravité.
21° C. . ., sergent d’infanterie de marine, vingt-deux mois de Sénégal; évacué de la Cazamance, après un séjour dans le poste le plus malsain de celte partie du Sénégal. Accès de fièvre presque continuels; sujet très profondément impaludé. Cas léger.
22° L. . ., soldat d’infanterie de marine, six mois de séjour au Sénégal; deux entrées à l’hôpital pour fièvre paludéenne; fréquents accès à la caserne; sujet anémié. Cas léger. 23° V. . ., soldat d’artillerie, douze mois de séjour au Sénégal
NOTES SUR LE PALUDISME. 95
, dont neuf entrées à l'hôpital pour fièvre paludéenne; accès quotidiens. Cas très légers.
24° Melle B... ., métisse, dix ans, née dans la colonie; accès paludéens pendant tous les hivernages précédents; très impaludée. Cas grave guéri.
25° M"° J . . ., métisse, née dans la colonie; fréquents accès de fièvre antérieurs, très anémiée; sujet très impaludé. Cas léger.
26° Le Père X. . . , Père du Saint-Esprit; cachexie paludéenne profonde; vingt ans de séjour dans les postes les plus malsains du Sénégal; transporté à Dakar où il meurt.
270 Le Père J . . ., six ans de séjour dans des postes très malsains du Sénégal; cachexie palustre; fièvre hémoglobinurique très grave; parotidite suppurée. Guéri.
Une pareille énumération peut paraître fastidieuse, en raison même des faits bien connus qu’elle relate, mais nous la croyons utile; toutes les observations ont été recueillies avec soin.
Ces faits démontrent, d’une façon évidente, que l’influence du paludisme 1 e saurait être mise en doute chez ces vingt-sept malades et que l’infection paludéenne chronique et l’empreinte qu'elle laisse dans l’organisme constituent tout au moins une cause prédisposante très importante de la fièvre hémoglobinurique.
Deux des observations données par nous peuvent faire naître des doutes à ce point de vue, celle du nommé A. . . , n° 13, et du nomme G . . . , n° i5 . Les antécédents paludéens de ces deux malades paraissent douteux à première vue. A. . . a succombé, il est vrai, à la fièvre hémoglobinurique deux mois seulement après son arrivée à Ouakam. Mais il provenait de la Tunisie, et nous n’avons pu avoir aucun renseignement sur ses antécédents. À son arrivée dans la colonie il était, comme presque tous les disciplinaires, déjà anémié, usé, et pendant son court séjour au camp de Ouakam, il avait eu constamment de violents accès de fièvre.
Le nommé G. . . était au Sénégal depuis 11 mois et l’accès de fièvre hémoglobinurique qui l’a emporté si rapidement
96 CLAR.AC.
était son premier accès de fièvre dans la colonie. Mais il avait vécu longtemps en Algérie, où du reste il n’avait jamais eu de fièvre-, il comptait 33 mois de séjour au Tonkin, séjour pendant lequel il n’avait eu de rares et courts accès de fièvre. L’autopsie nous a mis en présence d’une rate volumineuse pesant 550 grammes, dure et sclérosée, comme on en trouve chez les vieux impaludés, le foie était atteint de dégénérescence graisseuse, affection très probablement antérieure à l’accès de fièvre bémoglobinurique. La maladie survenant chez, un sujet si mal défendu par ses organes devait nécessairement présenter une gravité extrême.
Nous pensons que bien des lésions constatées chez les sujets qui succombent à la fièvre bémoglobinurique sont antérieures à la maladie; il serait intéressant de les rechercher et de déterminer dans quelle mesure les altérations du foie, de la rate, des reins ou du cœur contribuent à prédisposer l’organisme au développement de la maladie qui nous occupe. On peut se demander si la syphilis, par exemple, qui marque parfois si profondément son empreinte sur les organes que nous venons de signaler, ne joue pas ici un certain rôle comme dans l’hémo globinurie paroxystique.
M. Béranger-Féraud (F i è e r e bilieuse mélanurique, p. a 5^ ), en faisant part des recherches faites dans les archives du Sénégal, écrit ce qui suit : » . . .J ’ai fait nombre de recherches contradictoires dont il est ressorti, il me semble très positivement, que le traitement mercuriel, fait soit pour la syphilis, soit pour une affection endémique (hépatite ou dysentrie), prédis posait souvent à la fièvre bilieuse mélanurique. . . pour me résumer, je dirai que le traitement mercuriel, soit à longue portée comme dans le traitement de la syphilis, soit à plus courte échéance, comme dans les affections aiguës endémiques des pays chauds (hépatite, dysenterie), me semble être une cause prédisposante notable de la fièvre bilieuse mélanurique, et j’estime qu’il y aura lieu désormais d’en tenir compte avec une grande attention.» Et parlant de celte constatation, cet auteur la donne comme devant faire rejeter le calomel et les mercuriaux du traitement de la bilieuse mélanurique.
NOTES SUR LE PALUDISME. 97
N’est-on pas autorisé à se demander si ce n’est pas là une interprétation fausse d’un fait exact, si ce ne sont pas les maladies en question et non le traitement suivi, qui doivent être considérées connue causes prédisposantes? Car. ne l’oublions pas, ces différentes maladies sont toutes de nature à laisser apres elles des lésions organiques.
1 est généralement admis que la syphilis joue un rôle prépondérant dans l’étiologie de l’hémoglobinurie paroxystique, qui ne serait qu’une affection para-syphilitique. Ne peut-on pas admettre également que l’altération du foie, des reins et du cœur, si fréquents dans la syphilis, surtout chez les sujets mal, ou pas du tout traités, puisse prédisposer l’organisme à la lièvre hémoglobinurique?
En résumé, les faits observés à Dakar nous autorisent à con sidérer le paludisme chronique comme une cause prédisposante, en quelque sorte indispensable au développement de la lièvre hémoglobinurique. V côté du paludisme, mais en deuxième ligne, nous placerions volontiers toutes les grandes diathèses, toutes celles qui sont susceptibles d’affaiblir l’organisme, de porter une atteinte plus ou moins profonde au fonctionnement des reins, des organes de l’hématopoïèse et du cœur et à la vitalité des globules sanguins. Aucune entité morbide ne contribue autant que le paludisme à mettre les globules sanguins en état d’imminence morbide.
Nous pensons qu’il est inutile d’insister sur les autres causes prédisposantes : fatigues, travaux spéciaux, alcoolisme, etc., signalés par les auteurs. Il ne nous parait pas qu’il soit bien nécessaire d’expliquer pourquoi, parmi toutes les troupes européennes, ce sont les disciplinaires qui fournissent, dans des proportions énormes, le plus grand nombre de cas de fièvre hémoglobinurique.
En 189Ô et 189b , ils ont payé un lourd tribut à la maladie, qui a été notablement plus fréquente durant ces deux années. Celle augmentation très sensible a sans doute pour cause les nombreux travaux de terrassements nécessités par l’établisse ment de batteries autour de Dakar, travaux auxquels les disciplinaires ont été presque exclusivement employés.
ANN. d’iiyü. colon. — .Janvier-février-Mars 1K98. I — 7
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Mais quel est l’agent endémique cause délerminante principale
de la lièvre hémoglobinurique?
Il est bien établi que trc’est sur une altéralion globulaire primitive qu’il convient de jeter les bases d’une palbogénic sérieuse de la pyrexie» (Corre) et il n’y a plus besoin de démontrer que celle altération porte sur le nombre et la qualité des globules rouges; le fait capital de la maladie est une destruction rapide, abondante et subite des globules rouges.
N’est-ce pas là précisément l’action, sur le globule sanguin, du paludisme el de son élément figuré l’hémalozaire de Laveran? «?1 n’est probablement pas un cas de fièvre qui ne se solde par une diminution des globules rouges» écrivent MM. Kelsch et Kienner, si compétents en pareille matière. Non seulement, le paludisme aigu détruit les globules, mais encore ils perdent en partie leurs qualités physiologiques.
Il suffit, pour se convaincre de cette action destructive de l’accès paludéen, de numérer les globules d’un malade avant el après un simple accès de fièvre.
Donc, d’une part, lésions fréquentes des organes de l’hématopoïèse chez les impaludés ou les cacbectisés à d’autres titres, plus rarement lésions des reins, le tout accompagné d’une véritable maladie du globule sanguin; d’autre part, intervention de causes déterminantes accessoires : froid, fatigues, etc, et d’accès paludéens aigus répétés souvent coup sur coup (accès prémonitoires, B. Féraud), accès (fui ont pour conséquence inévitable de détruire une grande quantité de globules. N’avons-nous pas tous les éléments suffisants pour expliquer cette déglobulisation rapide et subite» qui est le fait capital de la fièvre hémoglobinurique, fait duquel découlent tous les
autres symptômes et tous les accidents?
Les produits de la déglobulisation : hémoglobine el débris globulaires, deviennent un élément étranger à l’organisme, nuisible, dont ce dernier cherche à se débarrasser (Pamfick). Si cette destruction est lente, si surtout le foie et la rate sont sains, ces produits sont éliminés et transformés par ces organes. Les accidents de la fièvre hémoglobinurique ne le produisent pas; mais si cette destruction est subite et rapide, et
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elle l’est d’autant plus que le globule est déjà malade, si surtout les organes indiqués plus haut sont alte'rés, les produits de déchet ne sont plus transformés en totalité par des organes insuffisants, les reins éliminent alors l'hémoglobine; s’ils sont en bon état, ils pourront suffire à cel te fonction anormale, dans le cas contraire, ils se laissent plus facilement obstruer, se congestionneront outre mesure; il se produira alors de l’anurie, symptôme le plus souvent mortel.
Telle est résumée, autant que le permet le cadre de ces notes, la théorie pathogénique généralement admise par les partisans de l’origine paludéenne de la maladie. Elle est certes très séduisante et basée sur des faits cliniques, et répond aux données que nous avons indiquées plus liant et aux observations faites à Dakar.
Au fond, le désaccord n’existe que sur l’agent susceptible de produire la destruction des globules rouges : microbe spécial pour les uns, hématozoaire du paludisme pour les autres.
Nous devons rappeler encore que l’accès de fièvre hémoglobinurique est généralement précédé de deux ou trois accès de fièvre simple, plus ou moins violents et présentant toutes les allures classiques d’accès malariens et les présentant à un point tel que les malades, pas plus que les médecins, n’hésitent sur le diagnostic, diagnostic que modifie seule l’apparition de l’hémoglobine dans les urines. Et c’est cette fièvre se produisant dans des conditions d’identité presque absolue avec la fièvre paludéenne qui n’aurait rien .à voir avec le paludisme, qui n’entre dans son développement que pour une part indirecte, tout au plus comme agit dans l’évolution d’une maladie quel conque une diathèse tout autre» (thèse de M. Thomas). Et plus loin notre collègue ajoute : «La fièvre bilieuse hématurique agit non pas comme le paludisme, mais comme un typhus!» Nous pouvons affirmer que, dans aucune de nos observations, nous n’avons trouvé à la maladie les allures d’une affection typhique quelconque. Nous avons cité à dessein l’observation de M. 1 . . . qui a présenté quelques accidents typhoïdes sur lesquels nous nous sommes expliqué. Ces accidents sont toujours à prévoir dans les fièvres paludéennes de longue durée.
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Sans doute les partisans de l’origine paludéenne ont, connue nous le disions plus haut, poussé la doctrine parfois jusqu a l’exagération, mais on ne peut s’empêcher de reconnaître que la doctrine nouvelle, telle que la formule M. Thomas, est encore plus intransigeante.
Nous ne faisons aucune difficulté à admettre que le paludisme, tel (pie nous le connaissons, n’explique pas tout, que la lièvre hémoglobinurique trse manifeste souvent chez des sujets (jui n’ont éprouvé que de rares accès de fièvre, dans la zone malarienne où ils ont subi l’imprégnationd (Corre, p. 229) ou qu’elle atteint des sujets nouvellement débarqués, n’ayant encore aucune tare paludéenne. Mais ne peut-on admettre que dans ces cas, qui constituent du reste une très rare exception, les sujets étaient porteurs d’organes altérés, de globules plus ou moins en étal d’imminence morbide, ou qu'ils étaient en puissance d’une sorte d’idiosyncrasie héréditaire ou acquise, mal déterminée sans doute, mais cependant possible, comme le fait est admis pour les hémoglobinuries quinique et paroxystique? Dans ces conditions, des accès de fièvre plus ou moins violents ou répétés coup sur coup, un empoisonnement paludéen aigu, ne sont-ils pas de nature à déterminer les symptômes graves qui caractérisent la fièvre hémoglobinurique, tout comme le froid détermine chez les prédisposés, les syphilitiques (Soltmann-Comby), l’accès d’hémoglobinurie paroxystique?
Personne n’entend nier «pie la lièvre hémoglobinurique ne se manifeste qu’en pays paludéen ou chez des sujets qui y ont vécu. Dans les hôpitaux des ports, il n’est pas rare d’observer des accès de la maladie chez des convalescents provenant des colonies, cl nous voyons souvent les journaux de médecine publier des observations du même genre. Ce réveil de l’infectieux hors de son pays d’origine, n’est-il pas le propre, en quelque sorte, la caractéristique du poison malarien ?
Il est cependant quelques objections que nous n’entendons point passer sous silence et parmi ces objections nous trouvons d’abord la distribution géographique de la maladie. La fièvre hémoglobinurique n’existe pas également dans tous les
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pays où règne le paludisme; elle e-d à peu près inconnue dans certaines localités, où l’infectieux malarien se manifeste sous ses formes les plus graves.
A la Martinique, en neuf ans d’une pratique assez chargée dans les hôpitaux ou en ville, nous n’avons pas observé un seul cas bien authentique de fièvre hémoglobinurique. Sans doute elle y a été constatée par d’autres, mais très rarement, et cependant certaines localités de cette colonie ne le cèdent en rien comme paludisme, à la Grande Terre de la Guadeloupe, où la fièvre à urines noires est une affection excessivement fréquente, plus fréquente peut-être qu’à la côte occidentale d’Afrique. Ces deux colonies (Martinique et Guadeloupe) très voisines offrent les mêmes conditions météorologiques et telluriques, conditions météorologiques qui sont loin d’être les mêmes qu’à Dakar.
La maladie nous a paru assez rare à la Guyane : deux an nées de pratique dans les grands hôpitaux des pénitenciers ne nous ont permis de constater que deux cas de fièvre à urines noires. Certes à la Guvanne on rencontre les formes les plus graves du paludisme et, de plus, la clientèle des hôpitaux des pénitenciers est constituée en grande partie par des condamnés presque tous plus ou moins impaludés, et présentant un terrain essentiellement propre au développement de la fièvre hémoglobinurique.
La doctrine paludéenne telle que nous avons essayé de l’exposer ne suffit donc pas, en l’état de nos connaissances, à expliquer la genèse de la maladie dans toutes les localités, elle ne suffit pas, même quand on fait intervenir « une influence particulière individuelle, mise enjeu par une influence climatérique ou saisonnière, tel que l’abaissement de la température ».
Faut-il admettre que 1hématozoaire de Laveran soit susceptible d’acquérir dans certaines localités et dans des conditions météorologiques en partie inconnues une toxicité spéciale due peut-être à une morphologie particulière qui augmente son action sur le globule rouge déjà malade?
A ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de rappeler que
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CLARAC.
les hématozoaires, trouvés par Smith et KiIborne dans le sang des bœufs atteints de la fièvre du Texas, ont des aspects qui, d’après Laveran lui-même, «rappellent évidemment certaines formes de l’hématozoaire du paludisme» (Laveran et Blanchard. Hématozoaires et protozoaires du sang, p. 122). Or, celte fièvre du Texas présente des analogies frappantes avec la fièvre hémoglobinurique. Elle est remarquable surtout par une énorme et rapide destruction des globules rouges. N’a-t-on pas même été jusqu’à admettre l’existence de cinq espèces d’hématozoaires donnant naissance chacune à des manifestations différentes du paludisme (Grossi et Felclli, d’après Laveran et Blanchard). De ces faits, on est autorisé à conclure que nous ne sommes pas encore fixés sur toutes les transformations que peut subir l'hématozoaire.
Sans doute nous nous trouvons en présence d’une hypothèse, mais cette hypothèse est conforme aux données que nous pos sédons sur l’infectieux paludéen et son protéisme si remarquable. Pour avoir des qualités morphologiques et pathologiques spéciales, l’agent endémique que nous supposons, seulement pour répondre aux objections que nous avons pré sentées, cet agent endémique, disons-nous, n’en est pas moins du paludisme né et transformé dans le même laboratoire que le paludisme le plus banal. Et comment ne pas admettre celle origine, alors que la fièvre hémoglobinurique, nous ne saurions trop le répéter, ne s’observe que dans des milieux paludéens et d’une façon à peu près constante chez des sujets déjà plus ou moins impaludés.
En restant dans le domaine de I hypothèse, cette transformation de l’hématozoaire n’est-elle pas plus admissible, plus conforme à la clinique que celte autre hypothèse qui consiste à admettre à côté de l’hématozoaire de Laveran un autre élément figuré, un microbe quelconque, n’ayant aucune analogie de nature ou d’origine avec le paludisme»? Car, jusqu’à plus ample informé, on nous permettra de ne considérer que comme une hypothèse l’action pathogène du bacille découvert par Yersin et décrit dans les Archives de médecine navale. Telle est du moins l’impression que laisse la courte note publiée dans ce recueil.
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Combien la découverte de notre collègue eût davantage en traîné la conviction, si le bacille eu question avait été trouvé non seulement dans les urines, niais aussi et surtout dans le sang des sujets atteints de fièvre hémoglobinurique!
Pour nous résumer, en ne tenant compte que de nos observations personnelles faites à Dakar, nous en arrivons à conclure que la doctrine paludéenne donne toute satisfaction et explique tous les faits observés. En ce qui touche l’étude générale de la question, restent les objections que nous avons essayé d’exposer, elles ont une grande valeur et justifient amplement les efforts faits depuis quelque temps pour arriver à une solution satisfaisante, solution que la microbiologie ne peut manquer de donner un jour, peut-être en nous faisant mieux connaître la morphologie de l’hématozoaire de. Laveran.
CHAPITRE VI.
TRAITEMENT.
La fièvre hémoglobinurique nécessite, on le conçoit , un traitement qui peut paraître assez complexe puisqu’il doit répondre à des indications nombreuses. Ce traitement sera spécifique et symptomatique.
1° T r a i t e me n t s pé c i f i q u e .
Sels de quinine. — Nous nous occuperons d’abord du traite ment spécifique, parce que ce traitement, qui repose presque tout entier sur l’emploi des sels de quinine, est le terrain sur lequel doivent s’arrêter plus volontiers les partisans pour ou contre l’origine paludéenne de la maladie.
Ceux qui admettent exclusivement l’origine paludéenne conseillent de donner les sels de quinine à très hautes doses, sans même s’arrêter devant les perturbations fonctionnelles des reins ou des autres organes, car pour eux « l’administration de la quinine est la chose capitales ». Ceux qui nient l’origine paludéenne de la maladie ne se contentent pas de rejeter la quinine connue inutile, ils la proclament dangereuse et seraient même assez disposés à charger ce médicament de tous les méfaits
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CLARAC :.
, même à lui attribuer le plus grand nombre des cas d’hémoglobinurie.
Nous avons dit ailleurs ce que nous pensions de l’hémoglobinurie quinique, nous ne nous y arrêterons donc pas ( Archives de médecine navale, avril 1896).
Désireux d’étudier sans idée préconçue cette question du traitement de la fièvre hémoglobinurique, nous avons cependant pensé qu'il fallait agir avec une extrême prudence. En pilot , pour arriver rapidement à une conclusion ferme, il eût fallu ou traiter tous les malades par la quinime à liantes doses ou plutôt mettre systématiquement le médicament de côté. Une manière d’agir aussi radicale nécessitait plus de conviction que 1 e comportait le peu de pratique que nous avions de la maladie; pour la même raison, nous n’avons pas osé instituer une expérience comparative en traitant une partie des malades graves par la première méthode et une autre par la deuxième. Celle façon de procéder peut être admise à la rigueur pour certaines pyrexies qui nous laissent en quelque sorte le temps de nous retourner, mais en présence d’une affection aussi grave, et à marche aussi rapide que la fièvre hémoglobinurique, nous ne nous sommes pas cru autorisé à faire complètement abstraction d’une doctrine admise jusqu’ici comme indiscutable et à tenter d’emblée une expérience quand la vie des malades était en jeu. Nous 1 e faisons aucune difficulté à avouer nos tâtonnements et nous n’avons aucune raison de regretter une prudence, peut-être exagérée, puisque nous avons obtenu un pourcentage de guérisons ni plus ni moins élevé que celui de nos collègues. Nous ne parlons bien entendu que des statistiques générales et non de celles qui ne pro clament que des guérisons, soit que la quinine ait été absolument mise de côté, soit qu’elle ait été administrée à outrance. Du reste, notre façon de procéder est un peu celle de la majorité des médecins qui reconnaissent que, pour être souvent utile dans le traitement de la maladie qui nous occupe, la quinine est loin d’être un spécifique absolu. Le fait d’admettre l’origine paludéenne ne comporte pas nécessairement que l’on doive quand même et toujours administrer les sels de quinine
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à doses élevées. Il s’agit de s’entendre sur ce que l’on peut demander à ce médicament dans la fièvre hémoglobinurique ad mise comme affection paludéenne. Nous l’avons dit, les éléments étiologiques sont nombreux, en dehors , de la cause principale; nombreux sont également les troubles fonctionnels et les lésions organiques.
Disons tout d’abord qu’au moment où l’hémoglobinurie vient confirmer le diagnostic, presque toujours le malade a déjà pris de la quinine, car pendant les accès prémonitoires, qui ne sont que de simples accès de fièvre, le malade ne pense nullement à la fièvre hémoglobinurique, pas plus que le médecin du reste qui s’empresse, quelle que soit son opinion sur la nature de cette dernière maladie, de prescrire de la quinine en proportionnant les doses à la violence des accès. On peut donc affirmer qu’il y a bien peu d’accès hémoglobinuriques absolument vierges de quinine. Tel est du moins le résultat de notre observation.
Les urines noires apparaissent, l’ictère s’accentue et, dans la majorité des cas, la température tombe. L’agent infectieux, quelle que soit sa nature, semble avoir passé sur l’organisme comme un orage, ne laissant après lui que des dégâts à réparer. Il n’y a plus de fièvre et souvent on constate de l’hypothermie. En supposant comme démontrée la nature paludéenne de cet infectieux, que peut-on, en pareil cas, attendre des sels de quinine? Peut-on espérer qu’ils aideront à la réfection des globules rouges détruits en masse ou qu'ils décongestionneront les reins et les débarrasseront des produits des déchets qui les encombrent? Évidemment non, une action contraire serait plutôt à craindre. Dans ces conditions, il parait plus rationnel d’aller au plus pressé, de chercher à réparer autant que possible les dégâts causés, tout en se tenant prêt à répondre, s’il le faut, à un retour offensif de l’agent infectieux. L’indication immédiate est alors d’aider l’organisme à refaire des globules rouges et à éliminer les produits de déchet dont il a tout intérêt à se débarrasser.
Dans certains cas, l’apparition de l'hémoglobinurie est loin de marquer la fin de la fièvre, la température reste plus ou
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moins élevée ou continue à monter, le type de la fièvre est en général rémittent. L’infectieux semble avoir conservé toute son énergie et continue son action destructive sur le globule. Il nous parait alors tout indiqué d’enrayer celle action et de poursuivre à l’aide des sels de quinine, les élévations de température. Et dans ce cas, on est en droit d’attendre du médicament une action analogue à celle qu’il exerce contre les accès pernicieux, c’est-à-dire que, tout en annihilant l’action du poison paludéen sur l’organisme, il permet d’éviter la subintrance. En effet, de même que l’accès pernicieux à forme cérébrale, par exemple, est la conséquence de l’action de l’infectieux paludéen sur les centres nerveux, lieux de moindre résistance, on peut, pensons-nous, considérer l’accès hémoglobinurique comme la conséquence de l’action de hématozaire sur le globule rouge malade et peut-être secondairement sur les autres organes, et non uniquement sur le foie, comme le pensent certains auteurs.
Il résulte de nos observations que les doses énormes de sels de quinine conseillées par certains auteurs sont au moins inutiles. Nous considérons comme suffisantes les doses journalières de î gramme ou 1 gr. 5o par la bouche ou de o gr. ^5 ou i gramme en injections hypodermiques. Il faut, tout en proportionnant la dose du médicament à l’intensité de la fièvre, tenir grand compte de l’état du cœur ou des reins. Dans le cas où le cœur tend trop à faiblir, il faut associer les injections de caféine aux injections de quinine.
A notre avis, l’anurie constitue une contre-indication de l’administration de la quinine, qui est alors inutile et dangereuse. Nous n’avons pas eu à nous louer d’avoir continué la médication quinique dans ces conditions et particulièrement chez un malade atteint d’anurie presque absolue; le cas était très grave, nous crûmes devoir passer outre, pour suivre les anciens errements, la mort eut lieu très rapidement.
Et de fait, comme nous le disions plus haut, quelle action peuvent avoir les sels de quinine sur des reins congestionnés, dont tous les canaux sont absolument bouchés par les produits de déchet? Or, c’est dans les reins seuls que gît alors le danger
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el c'est par les reins, en fin décompté, que le malade finit par succomber.
En résumé, la quinine, même à fortes doses, est utile dans la période des accès qui précèdent l’hémoglobinurie et le malade en prend toujours.
La médication nous paraît inutile quand la température est tombée; au contraire, si la fièvre persiste, on doit poursuivre les élévations de température par des doses modérées, mais suffisantes de quinine, administrées autant que possible par la voie hypodermique, afin d'arrêter faction destructive de l'hématozoaire cl d’éviter la subintrance. Nous avons en effet pu constater que les reprises de la fièvre ou les augmentations de la température se soldaient presque toujours par une diminution dans le chiffre des globules. Observation conforme aux recherches de Kelseh et Kienner.
Les sels de quinine sont contre-indiqués quand il y a de l’anurie.
Telles sont les conclusions que nous croyons devoir tirer des
faits observés à Dakar, à l’hôpital et en ville.
Médication chloroformée;. — Cette médication a donné entre les mains de quelques-uns de nos collègues des résultats tellements remarquables que l’on serait tenté de considérer le chloroforme comme un véritable spécifique «puisqu’il s’attaque au poison morbide lui-même en suspendant, par action microbicide, le développement des agents pathogènes......... « (D1Treille, cité par 1)' Thomas.)
En présence de ces résultats, nous fûmes naturellement conduit à essayer cette médication.
La potion chloroformée à !\ grammes (Quennec) ou l’eau chloroformée ont été données à 7 malades. Deux malades gravement atteints ont essayé de prendre l’eau chloroformée et n’ont jamais pu la tolérer; ces deux malades sont morts; un troisième malade gravement atteint a pris la potion chloroformée, mais la presque constamment rejetée; peut-être en a-t-il gardé une partie; ce malade a guéri. Tous les trois avaient pris de petites doses de quinine pendant la période fébrile. Le nommé J ......... . cas de moyenne gravité, a pu garder assez
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C LA R AC .
bien la potion chloroformée; il a guéri. Enfin 3 malades légèrement atteints ont très bien toléré la potion chloroformée. La maladie ayant débuté à l’hôpital, le chloroforme a pu être administré avant l’apparition des vomissements. Les malades n’ont pas pris de quinine, à partir de l’apparition de l’hémoglobinurie. La guérison s’est faite très rapidement.
Ces observations sont évidemment trop peu nombreuses pour nous permettre de tirer une conclusion ferme pour ou contre celte médication, cependant elles lui seraient plutôt favorables. Sans nous arrêter à examiner quelle peut être l’action microbicide ou physiologique du chloroforme, il ne nous a pas paru que ce médicament présentât d’une façon bien tranchée les propriétés thérapeutiques que lui attribue le Dr Quennec et que notre collègue résume ainsi : « i° Action efficace contre les
vomissements. »
Il s’en faut qu’il en ait toujours été ainsi chez nos malades, « 2° Augmentation constante de la quantité des urines. » « 3° Diminution constante de la quantité d’albumine des urines et souvent disparition immédiate de cette substance.» Nous devons faire remarquer que l’albumine persiste toujours tant que les urines sont noires et disparaît presque toujours avec l’hémoglobine.
A priori, la conclusion de notre collègue, eu ce qui touche l’albumine, parait contraire à ce que l’on connaît de l’action du chloroforme sur le filtre rénal, action qui pourrait tendre à faire considérer ce médicament plutôt comme dangereux dans le traitement de la fièvre hémoglobinuriquc. Al. Quennec ne s’occupe nullement des contre-indications du chloroforme
«n’ayant pas eu à traiter de malades atteints de fièvre hémoglobinurique chez qui le chloroforme était contre-indiqué». Cependant, il parait admis que le chloroforme a sur la sécrétion urinaire une action évidente et que l’albuminurie passagère est une conséquence relativement fréquente de son administration (Vanderlich, Alessandri, Semaine médicale, janvier 1896).
Une chloroformisation prolongée déterminerait de la dégénérescence graisseuse et de la nécrose de l’épithélium de la substance corticale du rein. Eisendrath, après des recherches
NOTES SUR UE PALI DISME 10'.)
faites sur un grand nombre de chloroformisés, serait arrivé aux conclusions suivantes : u " l’albuminurie préexistante est augmentée par la narcose chloroformique. Dans des urines auparavant normales, l’albuminurie existe dans 32 p. 100 des cas. Sa cylindrurie est fréquente après l’administration du chloroforme.» (Deutsche, Leist, fr. ch., cité par Semaine médicale.)
On pourrait objecter que l\ ou 0 grammes de chloroforme en vingt-quatre heures constituent une dose trop faible pour avoir une action sensible sur les reins. Mais en est-il de même si cette dose est continuée plusieurs jours de suite?
Ces réserves faites, nous pensons que les résultats justifient la médication par le chloroforme, qui doit être appliquée cependant avec prudence, en raison des faits rapportés plus haut, et aussi parce que cette médication n’a pas fait suffisamment ses preuves.
Kinkelibah . — Nous avons employé ce médicament, considéré à la côte occidentale d’Afrique comme un véritable spécifique, mais nos essais ont été faits d’une façon très irrégulière. Les malades toléraient difficilement la tisane de Kinkélibah et le dégoût qu’elle inspirait nous ont empêché d’insister.
2° T r a i t e me n t s y mpt o ma t iq u e .
Il est d’une très grande importance et comporte à notre avis deux indications capitales: aider l’organisme à refaire des globules rouges et combattre la congestion et l’obstruction du filtre rénal. De [dus, il faut essayer de modérer ou même de supprimer les vomissements; débarrasser le tube digestif de la bile et des matériaux septiques qui s’y accumulent; calmer les troubles nerveux ; tenter de régulariser les fonctions du foie cl de la rate; relever l’action du cœur; combattre par tous les moyens les accidents urémiques; enfin, alimenter le malade. i° Pour arrêter la déglobulisation et surtout aider l’organisme à refaire des hématies, nous avons usé largement des inhalations d’oxygène et donné les préparations ferrugineuses
et les toniques.
Les inhalations d’oxygène administrées dès le début de la
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maladie, étaient continuées pendant la convalescence quand elle était Trop pénible. Ces inhalations ont donné des résultats remarquables. Dès que les malades en avaient usé, ils les réclamaient avec insistance. En effet, elles produisent un bien-être immédiat, surtout quand les accidents urémiques interviennent. La respiration se régularise, le cœur reprend son énergie, les muqueuses se colorent, les douleurs mêmes sont notablement atténuées.
À défaut d’appareil plus perfectionné, nous avons fait usage du ballon ordinaire en adaptant à l’extrémité du tube un cor net à chloroforme fermé à sa partie supérieure. U vaut mieux donner peu d’oxygène à la fois cl répéter souvent les inhalations.
Un malade gravement atteint consomme deux ou trois ballons de 3o litres par jour.
Il serait, dans le même ordre d’idées, très utile d’employer l’eau oxygénée, mais elle se décompose facilement dans les pays chauds. Il faudrait la fabriquer sur place et l’utiliser immédiatement.
Les résultats que nous avons obtenus avec l’oxygène n’ont rien qui puisse étonner, si l’on veut se rappeler ceux qu’il peut donner dans le traitement de la néphrite. Dujardin-Beaumetz cite des cas dans lesquels l’oxygène a suffi pour faire disparaître complètement l’albumine des urines. À notre avis, cet agent devrait être employé systématiquement dans le traite ment de la fièvre hémoglobinurique, ce qui malheureusement n’est pas toujours possible.
L’essence de térébenthine ozonisée aurait donné de remarquables résultats à Carreau (Pathogénie des ictères graves et de leur traitement par l’essence de térébenthine, Guadeloupe 1891); ce médicament est administré à assez fortes doses. Nous regrettons de n’avoir pu essayer cette médication.
Les préparations ferrugineuses nous ont donné de bons résultats. Nous avons surtout employé la solution officinale de perchlorure de fer ( 15 à 20 gouttes dans les vingt-quatre heures) en faisant suivre, chaque cuillerée de la potion, d’un demi-verre de lait, quand l’absence de vomissements le permettait.
NOTES SUR LE PALUDISME. 111
Dans certains cas très graves, alors même qu’il n’y a.plus ni fièvre, ni hémoglobinurie, le malade reste profondément anémié et semble avoir été saigné à blanc. En pareil cas, il paraît évident que la transfusion du sang constituerait une ressource héroïque et d’une efficacité à peu près absolue. On pourrait même, si la transfusion était impossible, avoir recours à de simples injections sous-cutanées de chlorure de sodium, qui ont donné d’excellents résultats dans le traitement de l’anémie aiguë et de l’anémie pernicieuse. Dieulafoy les conseille contre les accidents urémiques. Nous n’insistons pas sur cet emploi possible de la transfusion du sang dans le traitement de la fièvre hémoglobinurique. En ce qui touche le paludisme, la question a été longuement traitée dans les Archives de médecine navale (Gros, mai et juin l 896).
Gomme nous l’avons dit, il est d’une importance capitale de prévenir ou de combattre la congestion des reins, d'empêcher, autant que possible, l’obstruction des canaux et de favoriser la diurèse.
Nous sommes arrivé à prescrire des applications réitérées, en quelque sorte continues, de ventouses sèches sur la région lombaire; soit coïncidence heureuse ou efficacité réelle du moyen, nous n’avons jamais constaté d'anurie chez les malades ainsi traités.
Il va sans dire que le régime lacté, quand il est toléré, devra constituer la base de l’alimentation, mais nous devons reconnaître que le lait est difficilement accepté et toléré.
1 serait peut-être utile de respecter les vomissements, comme le conseillent quelques-uns; mais de tous les symptômes c’est celui qui fatigue le plus les malades; sans compter qu’il met obstacle à l’alimentation et à l’absorption des médicaments.
Contre ces vomissements, nous avons employé, avec plus ou moins de succès, tous les moyens ordinaires. Les pointes de feu sur la région épigastrique, les pulvérisations d’éther et le champagne frappé nous ont paru les plus efficaces.
Les évacuants et les purgatifs, prescrits dans le but de débarrasser le tube digestif des matériaux septiques et de la bile qui l’encombrent et de suppléer à la fonction rénale, sont
1 1 2 CLAIIAC.
évidemment parfaitement indiqués, mais c'est là une médication plus facile à conseiller qu’à appliquer, quand le malade, comme c’est la règle, vomit sans trêve ni repos.
Les purgatifs salins nous ont paru les plus propres à ré pondre à cette indication, mais le purgatif n’est toléré que si l’on est appelé auprès du malade dès le début, avant les vomissements.
Nous ne pouvons donner notre opinion sur le calomel, tant vanté, ne l’ayant que peu ou pas employé. Nous pensons, ce n’est peut-être qu’un préjugé, que les mercuriaux en général doivent être rejetés du traitement des maladies de la nature de celle qui nous occupe. Cependant il est admis par quelques thérapeutes (pie le sublimé, en injection ou par la bouche, contribue à augmenter la richesse du sang en globules, et cela non seulement chez les syphilitiques, mais aussi dans tous les cas d’anémie aiguë !
Les vomitifs ne nous ont jamais paru indiqués.
Les malades dont le cœur était trop déprimé ont toujours tiré un grand bénéfice des injections de caféine.
Les ventouses sèches ou les pointes de feu calment assez facilement l’hépatalgie ou les douleurs spléniques. Quand elles sont trop vives, on est autorisé à user modérément des injections de morphine.
Systématiquement dès le début, M. le docteur Simon [Arch, de med. veto., t. LXII, p. 423 , 1874) applique un large vésicatoire sur la région hépatique. Selon nous, ce moyen doit être au contraire systématiquement écarté, à cause des accidents possibles du côté des reins.
1 est, pensons-nous, inutile d’insister sur l’alimentation des malades. Autant que faire se peut, il convient de proscrire toute alimentation susceptible de donner naissance aux toxines (jus de viande, bouillon, etc.), car les reins souvent atteints ne peuvent suffire à les éliminer et, en s’accumulant dans l’organisme, ils s’ajoutent aux produits de déchet provenant de la maladie elle-même. Nous devons cependant reconnaître que souvent le lait, l’aliment par excellence, n’étant pas toléré, on est bien forcé de nourrir les malades comme on peut. Les Lavements
NOTES SUR LE PALUDISME.
alimentaires, dans le cas d’intolérance absolue de l’estomac, constituent une excellente ressource.
Le traitement de la convalescence ne comporte aucune indi cation spéciale, c’est celui de l’anémie aiguë grave. Nous avons employé chez nos malades tous les moyens ordinaires; nous ne nous arrêterons pas à en faire l’énumération.
3° Prophylaxie.
« II est rare, écrit Pellarin, que l’homme qui résiste à des attaques de fièvre hémoglobinurique guérisse complètement; il il ne récupère jamais son intégrité fonctionnelle et organique et résiste moins aux autres causes de m aladie.. . Ce qu’il faut à ces malades, c’est que leur hygiène soit changée de fond en comble, et le changement le plus important, le plus facile à réaliser, c’est de quitter les lieux où ils ont puisé le germe de leur maladie et où ils sont exposés à l’action continuelle ou intermittente des influences délétères.»
C’est en effet un fait admis et reconnu par tous que les attaques de lièvre hémoglobinurique sont d’autant plus graves quelles sont plus répétées. Cette constatation impose par suite au médecin l’obligation étroite de renvoyer en Europe tout malade convalescent d’une fièvre hémoglobinurique, surtout quand l’atteinte a présenté une certaine gravité. Une tare rénale, même quand elle ne se manifeste plus, expose le convalescent à toutes les complications des maladies infectieuses.
Il faudrait également éviter, autant que possible, d’envoyer dans les pays où la fièvre hémoglobinurique est endémique les sujets atteints d’affections du foie, de la rate et surtout des reins et du cœur. On sait combien les lésions de ces deux organes se tiennent. Nous avons pu observer un cas de mort rapide chez un jeune employé de commerce atteint d’une lésion du cœur, compensée jusque-là; l’organe est devenu tout à coup insuffisant, après une série d’accès paludéens.
Les sujets atteints de cachexie palustre ou d’accès paludéens rebelles devront éviter les refroidissements, surtout dans la période des accès. Nous avons cité plus haut un cas de fièvre hémoglobinurique grave survenu chez une fillette qui, après un
Axs. D’ i i ï g . c o l o n . — Janvier-février-mars 189 8 . I — 8
114
FONTAINE.
accès de fièvre, avait été' soumise à un refroidissement brusque. Nous avons eu à soigner à l’hôpital de Dakar un commerçant rentré en Europe, à la suite d’un accès hémoglobinurique; il revenait à la côte occidentale d’Afrique, en très bonne santé, bien qu’ayant eu quelques petits accès de fièvre. Après une nuit passée sur le pont du paquebot, il a été pris de frissons et de fièvre suivie d’hémoglobinurie.
CONTRIBUTION
À LA GÉOGRAPHIE MÉDICALE.
NOTES
SUR
LE PALUDISME OBSERVÉ À DAKAR (SÉNÉGAL),
par le Dr CLARAC,
MÉDECIN EN CHEF DE DEUXIEME CLASSE.
PREMIÈRE PARTIE.
Ces notes ont pour but de résumer l’histoire du paludisme observé à l’hôpital de Dakar, de l’année 1891 à 1896 inclus.
Jusqu’à 1891, Dakar n’avait qu’une ambulance, qui fut alors transformée en hôpital.
La clientèle de l’hôpital est constituée par les malades de la garnison européenne et indigène, de la ville et des camps (Ouakam, où sont cantonnés les disciplinaires, et le camp des Madeleines, affecté aux tirailleurs sénégalais); abstraction faite des indigènes, la garnison européenne représente un effectif moyen de 600 hommes.
Les fonctionnaires européens, les employés des maisons de commerce, les marins de l’État et du commerce fournissent également un chiffre notable de malades, auxquels il faut ajouter tous les convalescents ou malades provenant soit de la côte, soit du Soudan, pour attendre leur rapatriement.
Dans cette étude, nous ferons, autant que possible,
La Rédaction des Annales laisse aux auteurs la responsabilité de leurs articles.
10 CLARAC.
abstraction de ces derniers, ainsi que des troupes indigènes, conducteurs et tirailleurs sénégalais.
Les troupes européennes de Dakar et des camps représentent, avec les fonctionnaires et les employés de commerce, un total de 800 Européens environ qui, tous ou presque tous, se font soigner à l’hôpital. Ce groupe seul nous intéresse, au point de vue du paludisme contracté à Dakar ou dans la presqu’île du cap Vert. Parmi les maladies endémiques qui sévissent sur l’Européen, le paludisme seul mérite réellement d’arrêter l’attention et on peut presque dire qu’il 1’y en a pas d’autres. Les dysenteries et les diarrhées, les affections du foie sont excessivement rares et presque toujours bénignes à Dakar. Les cas graves que l’on peut avoir à soigner à l’hôpital proviennent en général de l’extérieur. En deux années, nous n’avons constaté qu’un seul abcès du foie né sur place et de très rares cas de dysenterie, sans avoir
jamais eu à déplorer de décès du fait de ces deux maladies.
On pourrait considérer Dakar comme une de nos stations coloniales les plus saines, si Je paludisme n’y régnait en maître pendant quatre ou cinq mois de l’année (saison de l’hivernage et post-hivernage), absorbant toute la pathologie. En dehors de cette saison, les Européens n’entrent à l’hôpital que pour de rares affections sporadiques ou chirurgicales. Ce sont alors surtout les indigènes qui font les frais de la clinique avec des affections saisonnières, bronchites et pneumonies, et des maladies relevant de la pathologie externe.
DAKAR.
Dakar n’a presque pas d’histoire pathologique ; jusqu’à 1891, malgré son importance, l’ambulance de Dakar était considérée comme une annexe do l’hôpital de Gorée; c’est le contraire aujourd’hui. Dans ces conditions, on conçoit que la bibliographie médicale soit assez pauvre : en dehors de quelques rapports médicaux, d’une thèse de Santelli, que du reste nous n’avons pu consulter, de quelques pages du livre de Borias sur le climat du Sénégal, il 1’a rien ou presque rien été écrit sur Dakar, au point de vue qui nous occupe.
NOTES SI R LE PALUDISME. 11
Notre but est d’apporter un élément destine' à combler cette lacune; la question demande à être traitée plies complètement que nous ne pouvons le faire après deux années de séjour. Nous espérons cependant convaincre ceux de nos collègues qui seront envoyés à Dakar de la nécessité d’étudier avec soin la pathologie d’une localité appelée à un certain avenir, tout au moins militaire, si nous en jugeons par l’importance de la garnison et des travaux de défense qui s’y poursuivent actuellement. Il v a à peine une quinzaine d’années, on comptait à Dakar quelques rares établissements; aujourd’hui c’est une petite ville qui sera demain un grand port, si la colonie et la métropole veulent consentir à faire les sacrifices que nécessite cette transformation. En attendant, on y a construit de superbes casernes, un hôpital très bien compris; la Marine a transporté en rade ses ateliers et son personnel installés auparavant à Saint-Louis; de nombreux paquebots y relâchent journellement. D’autre part, l’installation à Dakar de l’exploitation du chemin de fer Dakar-Saint-Louis contribue à augmenter considérablement
l’importance de ce point de la côte occidentale d’Afrique.
Pour bien comprendre le développement du paludisme dans la presqu’île du cap Vert, il nous parait indispensable de tenir compte de la situation de la ville et des camps, de leur voisinage immédiat, de la constitution du sol, et enfin de la météorologie de la presqu’île.
Nous regrettons de ne pouvoir traiter complètement celte dernière et cependant si importante question, les observations météorologiques n’étant faites régulièrement à Dakar que de puis 1896.
SITUATION GÉOGRAPHIQUE.
La carte que nous donnons permet de se faire une idée exacte de Dakar et de ses environs.
Une ligne O et E partant des collines situées au N. O. de la presqu’île du cap Vert et connues sous le nom de Mamelles, pour aboutir à la mer, circonscrit un vaste triangle dont la base, attenante au continent, mesure 9 kilomètres et dont le sommet, dirigé au Sud, est représenté par le cap Manuel.
12 CLARAC.
Le long du côté Est de ce triangle, on rencontre deux promontoires : au Nord, celui de Bel-Air; au Sud, celui de Dakar. Tous deux, dirigés à l’Est, ont une étendue à peu près égale; sur le premier se trouve le cimetière, sur l’autre la ville de Dakar. Ces deux promontoires circonscrivent une baie qui est la rade de Dakar.
Le promontoire de Dakar présente la forme d’un triangle dont le sommet est dirigé à l’Est et dont la base N. S. mesure i,3oo à î ,5oo mètres. à l’Ouest s’élève le village indigène et au-delà une série de dunes de sable qui isolent en quelque sorte le promontoire de Dakar du reste de la presqu’île.
Le cap Manuel termine une petite presqu’île à l’extrémité de laquelle est construit le lazaret. L’hôpital militaire en occupe la base. Cet établissement, édifié sur un plateau assez élevé, est à un kilomètre et demi environ de la ville européenne. Le camp de Ouakam est situé à dix kilomètres de la ville,
à la base de la presqu’île du cap Vert.
Le camp des Madeleines [ 2 ] est construit au milieu des dunes, à l’Ouest de Dakar.
Tout le reste de la presqu’île du cap Vert représente une vaste plaine très basse, plus ou moins inondée pendant huit mois de l’année et qui n’est réellement asséchée que durant quatre mois(mars, avril, mai et juin); même pendant ces mois, le sous-sol est très humide et il suffit de creuser à une faible profondeur pour avoir de l’eau, alors que les puits de Dakar et des dunes sont complètement à sec.
A six kilomètres de Dakar, au-delà de Bel-Air, commence un vaste marigot, connu sous le nom de Marigot de Hann. Nous aurons 1occasion d’en reparler longuement.
La ville de Dakar est située par i à° î h' de latitude Nord et 19°46’ de longitude Ouest.
Le triangle (pie forme le promontoire est constitué par un plan incliné, s’élevant de la mer à une altitude de i5 mètres. C’est sur cette partie relativement élevée que sont construites les casernes, qui sont, par conséquent, admirablement aérées, puisqu’elles reçoivent les brises de toutes les directions.
La ville est loin d’être complètement bâtie ; bon nombre de
NOTES SUR LE PALUDISME. 13
rues, très bien tracées du reste, attendent les maisons, de sorte qu’une partie de la ville est constituée par des places ou
Quelques travaux de voirie ont été exécutés, mais il reste dans cet ordre d’idées beaucoup à faire.
Le sol de Dakar offre, au point de vue de la question qui nous occupe, un très grand intérêt. Il est constitué par une série de courbes différentes, représentées d’une façon générale par six ou sept assises, dont trois ont entre elles des différences très tranchées.
La première couche de terre végétale ou de sable est très mince sur le promontoire de Dakar et n’existe même pas du
14
CLARAC.
tout en certains points. Elle est nécessairement très épaisse dans la région des dunes.
La deuxième assise est constituée par une pierre ferrugineuse, très l'épandue, et toujours la même, sur toute la côte occidentale d’Afrique, et même le long du Sénégal et dans le Soudan.
Cette couche, à laquelle nous attachons, comme on le verra, une très grande importance, « consiste en un conglomérat formé d’argile calcinée et d’un minerai de fer à l’état laitier, imbibant la masse argileuse. Analysée par M. Venturini, elle a donné :
Alumine...................................................... 9 |;r. 20
Fer pur....................................................... 37 94
ou 58 p. 100 de sesquioxyde de fer, acides phosphorique, silicique, etc.
«Celte pierre est d’une couleur sombre, terreuse et rougeâtre; elle durcit rapidement à l’air, devient même fort dure et n’est pas attaquée par les agents atmosphériques. Au moment de son extraction, elle est au contraire tondre et friable; elle est criblée dans toute sa masse de trous de forme irrégulière.» (Borius, Topographie médicale du Sénégal, p. 69.)
Cette pierre peut être comparée à une sorte d’éponge dure dont les cellules sont comblées par de l'argile et des débris organiques. Elle est très hygroscopique et, si elle sèche rapidement à l’air, elle s’imbibe avec une très grande facilité et absorbe, en un temps relativement court, le tiers de son poids d'eau.
«L’épaisseur de celte couche est très variable, 2 à 3 mètres,» dit Borius ; sur le plateau de l’hôpital, la couche mesure parfois h mètres.
Viennent ensuite une série de couches d’argile, de tripoli ou de marne, parfois mélangées à du sable; ces couches sont plus ou moins dures, perméables, et aboutissent enfin à une couche de marne imperméable, située à une profondeur plus ou moins grande. C’est au-dessus de cette couche et dans l’épais seur des précédentes que sont creusées les galeries qui alimentent Dakar en eau.
NOTES SUR LE PALUDISME. 15
Ii s’en faut de beaucoup que ces différentes couches de terrain présentent sur le promontoir de Dakar une superposition régulière. C’est ainsi que la couche de pierres ferrugineuses est beaucoup plus épaisse sur la partie élevée de la ville et diminue au fur et à mesure que l’on descend sur la plage ; l’argile affleure alors le sol, plus ou moins mélangée à des rognons de pierres ferrugineuses. Aussi, la couche imperméable se rencontre-t-elle à des profondeurs variables; alors qu’en certains points il suffît de creuser à peine le sol pour avoir de l’eau, en d’autres, il faut aller jusqu’à vingt mètres pour trouver la couche aquifère.
Le Camp de Ouakam, où sont cantonnés les disciplinaires et leurs cadres, est à 10 kilomètres de Dakar, au pied des Mamelles, à la base de la presqu’île du cap Vert. Il est construit sur une colline assez élevée au-dessus du niveau de la mer, mais autour du camp, surtout du côté Est, les terrains sont bas et inondés pendant la saison de l'hivernage. Aussi, bien que les bâtiments soient confortablement installés et le camp entre tenu avec un soin méticuleux, ce cantonnement laisse-t-il beaucoup à désirer au point de vue de la salubrité. Le paludisme y règne presque toute l’année et sévit avec d’autant plus de gravité que le personnel est constitué, en dehors des cadres, par des hommes déjà usés, et très souvent impaludés par un séjour antérieur en Algérie.
En raison même de cette situation et de ce personnel, la lièvre hémoglobinurique et les accès pernicieux sont relative ment fréquents.
Le camp des Madeleines [2] est d’une insalubrité notoire. Les seuls Européens qui y habitent appartiennent à la compagnie des tirailleurs sénégalais, dont ils constituent les cadres.
Les bâtiments sont à proximité des marais de la plaine de Ouakam. Le paludisme, sous toutes ses formes, sévit durant presque toute l’année sur le personnel européen. Ce petit noyau, dix ou douze hommes environ, fournit un pourcentage très élevé d’entrées à l’hôpital.
Ce camp est encore plus malsain que Ouakam.
L’hôpital militaire et le Lazaret sont très bien situés, sur la
16 CLARAC.
partie incontestablement la plus salubre de la presqu’île, et cependant on y constate des cas de paludisme contractés sur place.
Selon la saison pendant laquelle on considère la presqu’île du cap Vert, l’aspect en est bien différent. À partir du mois d’août, il mérite bien son nom ; même avant les pluies, les feuilles commencent à paraître. Le sol est partout recouvert d’une végétation luxuriante de plantes herbacées, qui meurent et pour rissent dès que commence la saison sèche. En même temps que disparaît cette végétation, les arbres, déjà couverts de feuilles dès le mois de juin, se dépouillent également. «Le sol aride offre l’aspect de la désolation et de la mort végétale.» (Borius.) Au début de l’occupation de Dakar, on a eu l’heureuse idée d’y planter un grand nombre d’arbres, choisis parmi les essences qui conservent leurs feuilles toute l’année. Aussi la ville offre-t-elle un aspect moins désolé. Les places et quelques rues
sont assez bien ombragées.
MÉTÉOROLOGIE.
Les observations météorologiques ne sont faites à Dakar que depuis 1895. 1 est par conséquent bien difficile d’en tirer des conclusions fermes touchant le climat de la presqu’île. Borius n’en parle qu’incidemment et le confond avec celui de Corée, ce qui ne saurait être exact en tous points.
Nous ne pourrons donc qu’indiquer cette partie de la question, qui ne pourra être élucidée complètement que plus tard, quand les observations porteront sur un certain nombre d’an nées. Nous donnons cependant le résumé des observations faites en 189b et 1896.
C’est un fait bien connu qu’il existe en Sénégambie deux saisons bien tranchées : la saison des pluies et la saison sèche. A Dakar, ces deux saisons sont nettement séparées, ce qui ne contribue pas peu à caractériser la pathologie de cette localité. La saison des pluies ou hivernage commence dans la deuxième quinzaine de juillet et prend fin dans la deuxième quinzaine d’octobre. Celte saison n’influence pas immédiatement la pathologie; la saison paludéenne ne commence guère qu’un mois
NOTES SUR LE PALUDISME. 17
plus tard, c’est-à-dire dans la deuxième quinzaine d’août, pour prendre fin dans la deuxième quinzaine de novembre. À compter de ce moment, les fièvres paludéennes que l’on constate ne sont guère que les reliquats de l’hivernage. Nous reviendrons en détail sur cette partie de la question.
Voyons d’abord quels sont les éléments constitutifs du climat de la presqu’île, et particulièrement de Dakar.
i° Température. — Jusqu’en mai, la température moyenne reste en général au-dessous de 2A0, avec des différences de 5° à (j° entre le jour et la nuit, et des écarts considérables entre les températures extrêmes.
A compter du mois de juin ou de juillet, la température moyenne oscille entre 2U° et 3o° et au-dessus, sans cependant atteindre un maximum de plus de 38°. Les écarts entre les températures extrêmes ne sont jamais de plus de h° à 5", et de a0ou 3° entre les températures moyennes. Ces faibles variations nycthémérales contribuent à rendre plus pénible la saison de l’hivernage.
Durant l’année 1895, les maxima observés ont été moins élevés qu’en 1896, et les minima plus bas. En 1896, la saison sèche a été moins fraîche qu’en 1895 et l’hivernage moins pluvieux et plus retardé; ce qui n’a pas, comme nous le verrons, peu contribué à modifier la pathologie de 1896, au point de vue du paludisme.
20 Vents. — Cette partie de la météorologie présente une certaine importance. Comme nous le verrons plus loin, on incrimine en général les marais de la pleine de Ouakam et l’on voudrait leur faire jouer un rôle prépondérant dans l’étiologie du paludisme développé à Dakar.
Pour que cette assertion fût exacte, il faudrait démontrer, abstraction faite de toute autre objection, que les vents qui passent sur les marais souillent aux époques pendant lesquelles sévit le paludisme.
Les alizés du N. E., commencent en novembre et durent, avec une fréquence et une intensité variables, jusqu’au mois
ANN. D’HYG. COLON. . — Janvier février-mars 1 8 9 8 . 1— 2
18 CLARAC.
de mai et même pendant une partie du mois de juin; Aux mêmes époques* mais plus rarement, les vents souillent du
N. N. E. et du Nord; à partir du mois de juin, des brises plus
faibles viennent un peu de louics les directions, mais le plus souvent du N. 0 ., de l’Ouest ou même du Sud ou du S. 0. Les calmes sont très fréquents.
« Au point de vue hygiénique, les vents dominants, ceux du N . E., n’arrivent à la presqu’île du cap Vert qu’après avoir perdu une grande partie de leur sécheresse, en passant sur les nombreux marécages du Cayor et du Diander. Ils ne peuvent arriver à Dakar qu’en traversant la rade et en passant sur la surface de la mer, dans une longueur de 4 milles. Si ce passage sur mer diminue encore leur sécheresse, les miasmes qu’ils ont recueillis dans leur trajet doivent perdre une grande partie de leurs propriétés malfaisantes.» (Borius.)
Les vents d’Est sont bien plus rares moins secs et moins pénibles qu’à Saint-Louis.
Nous ne pensons pas que les tornades aient une influence quelconque sur la pathologie de Dakar.
3° Pluies. — Elles commencent à la mi-juillet. Parfois il tombe une très grande quantité d’eau pendant les derniers jours de ce mois, mais c’est généralement en août que les pluies sont le plus abondantes; elles commencent à diminuer en septembre, sont très rares en octobre et cessent complètement pendant la dernière moitié de ce mois.
La quantité totale d’eau tombée est assez variable pour chaque année; c’est ainsi qu’en 1895 il est tombé 741mm tandis que le pluviomètre n’a accusé que 344 mm en 1896.
La quantité d’eau n’est pas toujours en rapport avec le nombre de jours de pluie. En 1895, on a compté à Dakar 18 jours de pluies très abondantes, alors qu’en 1896, année considérée comme très peu pluvieuse, ainsi que l’indique le tableau suivant, la pluie est tombée 29 fois.
NOTES SLR LE PALUDISME. 19
TABLEAU COMPARATIF DES QUANTITES D’EAU TOMBÉE PENDANT LES HIVERNAGES DE 1 8 9 2 À 18 9 6 INCLUS.
M0 1S. 1894. 1893. 1894. 1895. 1896. Juin....................................... o.oo85 / / xn 0 .0 1 3
Juillet................................... o.i 58 0 .09/1 o.o3o5 0.383 0 .0 7 /1/1
Août...................................... o.385 0.318 u . i - j / i o.a5i 0 .0 8 3 8
Septembre............................. o.o83 0.1 l) 1 0 .0 8 0 0.1 01 0 . 13o8
Octobre................................. o.i 51> 0 .087 II 0 .0 0 G o.o/i33
Tot aux 0 .788.5
0.5355 0 .7 h 1 o.3/i53
D’après Borius, le nombre annuel de jours de pluie est eu moyenne de 38 à Gorée, avec une moyenne d’eau de 532 mm. Les chiffres que nous fournissons pour Dakar semblent indiquer que les pluies sont actuellement plus rares dans la presqu’île du cap Vert, car, au point de vue qui nous occupe,
Gorée peut être considérée comme se rattachant à cette partie de l’Afrique.
Pour Borius la fièvre jaune n’est pas, comme on l’a écrit,
sous la dépendance directe du régime des pluies». Nous partageons absolument celte opinion, car il résulte de nombreux rapports que nous avons pu parcourir que la fièvre jaune serait toujours importée, et que certaines épidémies dont on n’a pu déterminer exactement l’origine sont dues au réveil de germes mal éteints.
La question est tout autre, en ce qui touche le paludisme, le régime des pluies a une importance capitale sur la pathologie de Dakar, comme nous le verrons dans le cours de cette étude.
Nous regrettons de ne pouvoir compléter ce court exposé de la météorologie de Dakar, en y ajoutant des observations touchant l’état hygrométrique et la tension de la vapeur d’eau. Les observations n’ont été commencées que celte année et sont, par suite, nécessairement insuffisantes.
Les observations barométriques ne présentent pas un grand intérêt. Elles fournissent à peu près les mêmes résultats qu'à
20 CLARAC.
Saint-Louis. Cette partie de la question a été longuement traitée par Borius.
PALUDISME EN GÉNÉRAL. ----- MORBIDITÉ.
La morbidité du paludisme à Dakar, depuis 1891, se trouve résumée dans le tracé ci-joint. Ces chiffres, si élevés soient-ils par rapport à la garnison, ne répondent pas cependant à la réalité, car ils ne tiennent compte que des malades traités à l’hôpital, sans tenir compte du grand nombre d’hommes traités dans les casernes. Du reste, ces renseignements, même si nous avions pu nous les procurer complètement, n’auraient présenté- qu’un intérêt relatif, les diagnostics portés à la caserne n’étant pas toujours très exacts; il y a lieu aussi de faire quelques réserves pour ceux portés à l’hôpital. Nous devons dire cependant qu’en temps d’hivernage, bien peu d’erreurs sont commises, si nous en jugeons par l’expérience faite en 1896; chez tous les malades cliniquement désignés comme atteints de paludisme, on a pu constater la présence des hématozoaires de Laveran.
Nous mettons en regard du tracé de la morbidité du paludisme celui de la morbidité générale constatée à l’hôpital de Dakar depuis l’année 1891 (voir p. 21).
Nous pouvons conclure de ces chiffres que le paludisme sévit à Dakar, avec une grande intensité, sous toutes ses formes, et cela presque exclusivement pendant la saison de l’hivernage.
En effet, pendant certaines années, le^ chiffre des entrées pour affections paludéennes a atteint, du 15 juin au 15 novembre, 100 p. 100 de la garnison européenne (années 1893- 1895).
Les fièvres ne commencent guère à se manifester qu’à la fin d’août pour cesser à peu près vers la fin de novembre, alors que les pluies ne commencent à tomber qu’en juillet pour prendre fin en octobre, vers la fin de la deuxième quinzaine de ce mois.
Comme nous le disions, au début de cette élude, le paludisme est réellement la seule affection intéressante à observer à
MORBIDITE GENERALE ET MORBIDITE DU PALUDISME COMPAREES.
22
CLARAC.
Dakar, en ce qui touche du moins l’Européen. Pendant la saison de l’hivernage paludéen (août à novembre), bien rares sont les Européens qui, sous une forme quelconque, bénigne ou grave, ne ressentent pas les effets du paludisme. Mais l’empoisonnement paludéen ne se manifeste que par de très légers et très courts accès de fièvre, parfois même par de simples embarras gastriques qu’accompagnent de légères élévations thermiques; états qui pourraient être attribués aussi bien au paludisme qu’à la saison, s’ils n’étaient rapidement modifiés par l’administration des sels de quinine.
Cette morbidité, d’abord très faible, à peine sensible pendant les deux premiers trimestres, augmente rapidement à compter du mois d’août et commence à diminuer dans le courant d’octobre, pour prendre fin en décembre. Il n’est pas rare cependant de constater des accès pernicieux pendant ce dernier mois, et c’est réellement à ce moment que la fièvre hémoglobinurique commence à se manifester. Nous verrons plus loin comment il convient d’interpréter ces faits (voir la a' partie de ce travail : Fièvres hémoglobinuriques).
Le chiffre des entrées pendant le quatrième trimestre est toujours plus élevé, parce que, en plus des cas de paludisme constatés en octobre, les rechutes sont nombreuses en novembre et en décembre, chez les malades déjà atteints pendant l’hivernage.
Le tracé, qui n’a trait qu’au paludisme de Dakar, rend bien saisissante cette marche de l’endémie : la règle est absolue, c’est en septembre et en octobre que le chiffre des entrées pour paludisme atteint son point culminant.
Pendant le mois de septembre i8 g 5 , plus de 60 p. 100 des troupes de l’artillerie de marine se sont trouvées indisponibles. Les rapports médicaux des 3“et 4e trimestres des années 1895 et 1896 permettent, en tenant compte des effectifs moyens de la garnison européenne, d’obtenir un pourcentage assez exact du chiffre des entrées.
Cette morbidité, due presque complètement au paludisme, serait vraiment effrayante si, en réalité, cet état de choses ne durait que pendant trois ou quatre mois de l’année et si de
NOTES SUR LE PALUDISME. 23
plus la mortalité n’était loin de répondre à une aussi grande morbidité.
Comme l’indique le tableau suivant (voir p. 24), l’hivernage 1895 a été particulièrement mauvais, bien plus mauvais qu’en 1896.
Nous reviendrons plus loin sur les causes de ces variations et sur certaines particularités que présente ce tableau.
Il n’est pas sans intérêt de remarquer que beaucoup d’hommes atteints de paludisme l'ont plusieurs entrées à l’hôpital dans le courant de l’hivernage et que, de plus, le chiffre des entrées serait encore beaucoup plus élevé, si à ce moment un nombre très important de convalescents n’étaient rapatriés. C’est également à ce moment de l’année que les fonctionnaires et les officiers rentrent en France.
Depuis 1891, la morbidité générale constatée par le chiffre des entrées à l’hôpital de Dakar a été de 670a et la morbidité spéciale pour affections paludéennes diverses de 3271, soit 57.5 p. 100. Ce chiffre peut même être ramené à 50 p. 100, si l’on tient compte des erreurs de diagnostic, car il est incontestable qu’en pays paludéen on est naturellement porté à attribuer au paludisme certaines fièvres qui, en réalité, n’ont rien de commun avec la grande endémie. Ces erreurs sont ce pendant rares en temps d’hivernage.
MORTALITÉ.
Comme nous le disions plus haut, la mortalité causée par le paludisme n’est nullement en rapport avec la morbidité.
Cette mortalité est.de 70, chiffre relativement faible, mais assez élevé cependant si on le met en regard de celui de la mortalité générale, qui n’est que de 154 pour le même laps de temps, soit 45,4 p. 100.
En réalité, la mortalité générale est relativement plus élevée que la mortalité spéciale imputable au paludisme.
La morbidité générale étant de 5702 et la mortalité de 154, pour la période indiquée, le pourcentage des décès est de 2.70 p. 100. La morbidité du paludisme étant de 3271 et la mortalité de 70, nous n’avons que 2, 13 p. 100.
MORBIDITÉ GÉNÉRALE DE LA GARNISON EUROPÉENNE PENDANT L’HIVERNAGE.
TROUPES EUROPÉENNESEN GARNISON
1895. 1896.
III e TRIMESTRE. IV TRIMESTRE. III C TRIMESTRE. IV TniMESTRE.
Effec- Entrées Moyenne Effec- Entrées Moyennes Effec- Entrées Moyenne Effec- Entrées Moyenne
dans la presqu’île du cap Vert. tifs à des
des
entrées tifs ii
des des
entrées tifs entrées
moyens. l’hôpital. p. 100.. moyens. l’hôpital. p. 100. moyens. l’hôpital. p. 100. moyens. l’hôpital. p. 100.
366 i 5? 4a . 8 3oa 17 4 57 .6 353 102 2 8 .0
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s
155
5i
Cadre des tirailleurs sénégalais.
NOTES SUR LE PALUDISME. 25
En ce qui concerne Dakar proprement dit, ce chiffre doit être notablement diminué, car un grand nombre de decès sont fournis par les malades provenant du camp de Ouakam, d’autres sont la conséquence des nombreuses évacuations faites sur l’hôpital. C’est ainsi que, pendant les années 1892 et i8g3, l’expédition du Dahomey a augmenté considérablement les chiffres des entrées et des décès pour affections paludéennes figurant sur les statistiques de l’hôpital.
Pendant cette période, on a constaté à l’hôpital de Dakar 17 décès chez les malades évacués du Bénin, du Soudan ou des autres points de l’Afrique occidentale.
Dans ces conditions, on peut ramener à 47 le chiffre des décès pour affections palustres, fournis par la garnison européenne de Dakar. Ce chiffre paraîtra réellement peu élevé en regard de l’importance de cette garnison.
Enfin, il importe de faire remarquer, pour expliquer une aussi faible mortalité, que, pendant la saison de l’hivernage, le conseil de santé renvoie en France tous les hommes qui 1 e paraissent pas aptes à supporter les rigueurs de celte saison.
FORMES DU PALUDISME.
L’empoisonnement paludéen se présente à Dakar sous des formes variables, assez difficiles à classer, soit à cause de cette variabilité môme, soit parce que, le plus souvent, pour ne pas dire toujours, la médication par les sels de quinine appliquée immédiatement, dès le début de l’accès, ou même antérieurement, est susceptible de modifier complètement le type de la fièvre. Comme à l’hôpital on n’observe presque jamais d’accès absolument vierge de quinine, il est difficile de faire la part de la médication dans la modification des types.
Le type banal, l’accès de fièvre à trois stades bien tranchés, nous a paru exceptionnel pendant la saison de l’hivernage; on ne le constate guère qu’au début de la saison sèche, chez des sujets antérieurement impaludés, surtout chez les cachectisés.
C’est là une observation que nous trouvons relatée dans tous les rapports de nos prédécesseurs à Dakar.
La fièvre rémittente, le type à température plus ou moins
26 CLARAC.
élevée, mais prolongée avec intermissions plus ou moins tranchées, est le type le plus fréquent. Pendant l’hivernage, c’est celui que l’on constate toujours. Selon le moment, et surtout selon le sujet, ce type s’accompagne de symptômes bilieux parfois très marqués, plus fréquents à la fin de l’hivernage.
Le frisson du début manque souvent ou passe inaperçu. Il n’a presque jamais l’intensité et la durée de la période de froid de la fièvre intermittente observée à la Guyane ou aux Antilles.
Généralement, au début de la période fébrile, les sujets, surtout quand ils subissent un premier hivernage, présentent le masque inflammatoire très marqué : yeux injectés, larmoyants, faciès rouge, etc.
La période fébrile dure trois ou quatre jours; la température, quelle que soit d’ailleurs la médication suivie, tombe à la fin du troisième jour ou au commencement du quatrième. Parfois cette période dure cinq et six jours; alors, il s’est produit au bout du troisième jour ou au commencement du quatrième un accès subintrant. Dans nombre de cas du reste, il nous a paru que la continuité de la période fébrile était la résultante d’une série d’accès subintrants intervenant à la fin d’un accès du type quotidien.
Il n’est pas rare, au cours d’un même hivernage, d’assister à des intervalles différents, à deux ou trois rechutes spontanées ou provoquées par des excès ou des fatigues. La fièvre est sou vent moins intense, mais se manifeste toujours avec le même type qu’à la première invasion.
Tel est en résumé le type de la fièvre paludéenne qui est le plus commun à Dakar.
Nous ferons remorquer que tous les malades avaient pris de la quinine avant leur entrée à l’hôpital. Il serait intéressant afin de bien préciser le type clinique, d’abandonner la maladie à elle-même, mais à coup sur cette expérience ne serait pas sans danger.
Dans certains cas, soit parce que la rémittence réelle et complète, très courte, a passé inaperçue, soit par. suite de l’intervention d’accès subintrants, la lièvre affecte la marche continue
NOTES SUR LE PALUDISME. 27
et présente alors un tracé ayant de grandes analogies avec celui de la fièvre typhoïde.
Ce type, que nous avons trouvé signalé dans les rapports médicaux de Dakar, doit être assez rare, puisqu’il ne nous a été donné de l’observer que deux fois en deux années. Peut-être que, dans ce cas, la fièvre emprunte son caractère particulier à l’intervention d’un agent infectieux, s’ajoutant au paludisme. Ces cas ne peuvent être rangés dans le groupe des typho-malariennes ; le plus grand nombre des symptômes qui caractérisent ce groupe font défaut. Le malade s’anémie très rapidement et, enfin de compte, finit par guérir. Aux An tilles, nous avons vu des accès de ce genre finir brusquement par un accès pernicieux toujours mortel.
Nous nous contentons de signaler ces cas, sans nous y arrêter, mais en constatant que la quinine est en général impuissante.
Comme nous le disions plus haut, la fièvre rémittente observée à Dakar s’accompagne souvent du masque inflammatoire et aussi d’accidents bilieux plus ou moins graves (vomissements, diarrhées, ictère), mais nous ne pensons pas que ces accidents soient le fait du paludisme proprement dit. Comme cet infectieux s’affranchit difficilement de faction du climat, ces complications bilieuses tiennent aux influences climatériques et peut-être davantage encore à la constitution des malades eux- mêmes. C’est ainsi que nous avons vu quelques-uns de nos malades présenter, chaque fois qu’ils avaient le moindre accès de fièvre intermittente ou continue, des accidents bilieux d’une gravité excessive, accidents qui dominaient absolument la maladie.
Nous n’insistons pas davantage sur ce point, ne voulant discuter aucune question de doctrine.
Sur les registres des entrées de l’hôpital, nous avons relevé, sous la rubrique de typho-malarienne, dix-sept cas de fièvre dont nous n’avons pu retrouver que des observations très incomplètes. Personnellement, nous n’avons jamais constaté de cas de fièvre appartenant au groupe des typho-malariennes imputables de toutes pièces à Dakar, pas plus du reste que de fièvre
28 CLARAC.
typhoïde née sur place. Tous les cas de fièvre typhoïde étaient importés; il s’agissait de militaires ou de marins arrivant d’Europe, le plus souvent des ports militaires où régnait une épidémie de fièvre typhoïde, au moment de leur départ.
En 1895, on a constaté à l’hôpital de Dakar quelques cas de fièvre pouvant être classés dans le groupe indiqué plus haut. Voici dans quelles conditions ces fièvres se sont produites.
Au mois d’août, un détachement de soldats venant de Brest était débarqué à Dakar, à destination de Grand-Bassam, et mis en subsistance au camp des Madeleines, qui est peut-être le point le plus paludéen de la presqu’île du cap Vert. A1 bout de quelque temps, ce détachement envoya à l’hôpital un nombre assez élevé de malades graves, présentant à peu de choses près les mêmes symptômes. Lassitude plusieurs jours avant l’entrée, fièvre continue à température très élevée dès le début, avec exaspération vespérale marquée, embarras gastrique, langue sèche, épistaxis, diarrhée bilieuse fédide, météorisme, gargouillements, taches rosées, rate hypertrophiée, délire. A l’autopsie, gaufrage des plaques de Peyer. Tous ces symptômes ont été constatés chez quatre ou cinq hommes.
Les autres malades provenant du même détachement ont présenté des signes plus ou moins graves d’empoisonnement paludéen, avec symptômes abdominaux confinant à la typhisation.
Le médecin traitant crut alors devoir porter le diagnostic de
typho-malarienne, en raison de la marche spéciale de la température et d’un certain nombre de symptômes relevant du paludisme.
En même temps que ces faits étaient constatés à l’hôpital de Dakar, un sous-officier provenant du même détachement et qui, après être resté quelques jours au camp des Madeleines, avait été dirigé sur Sédhiou, présentait des accès de fièvre intermittente qui ne cédèrent pas à la quinine et, à compter du 5 septembre, c’est-à-dire près d’un mois et demi après son départ de Brest, on constatait des symptômes typhoïdes : diarrhées, sécheresse de la langue, gargouillements.. . . subdélire, mort.
NOTES SUH LE PALUDISME. •29
Ces observations démontrent que les hommes débarqués à Dakar le 12 août étaient contaminés et portaient avec eux ou en eux le germe de la dothiénentérie, germe qui n’eût peut- être pas évolué s’ils avaient été placés dans d’autres conditions. Sous l’influence du milieu paludéen, l’infectieux typhique a commencé son évolution et les deux maladies se sont combi nées, l’élément typhogène semblant jouer dans ce cas le rôle principal, pour créer le type dupliqué typho-malarien (Fièvre malarienne typhoïde, Corre). Nul doute que dans ces conditions on eût trouvé le bacille d’Eberth chez ces malades.
Il s’agit de s’entendre sur la dénomination à donner au type clinique dont nous venons de parler. Nous voulons bien admettre qu’il ne s’agit que d’une fièvre typhoïde plus ou moins modifiée par le climat, mais modifiée aussi et surtout par l’intervention de l’infectieux malarien, modification assez profonde pour créer un type spécial et justifier une description particulière.
Ce n’est pas la première fois que des détachements arrivant d’Europe ont importé la fièvre typhoïde dans les hôpitaux et les casernes de la colonie; Dakar est à ce point de vue particulièrement menacé et, si la fièvre typhoïde n’y a pas acquis jus qu’à présent droit de cité, il est à craindre qu’elle ne finisse par s’y acclimater, comme dans plusieurs autres de nos colonies. Aussi pensons-nous que certaines mesures de préservation seraient nécessaires.
Il y aurait lieu de surveiller d’une façon particulière les détachements arrivant des ports où la maladie règne épidémiquement, de désinfecter au besoin leurs bagages, de suivre attentivement les manifestations fébriles chez les nouveaux débarqués et d’éviter surtout de les loger, dès leur arrivée, dans des camps trop exposés au paludisme.
Nous avons eu l’occasion d’observer d’autres cas, très rares du reste, qui peuvent être rapprochés des précédents, comme appartenant au groupe des typho-malariennes. Il s’agit de fièvres rémittentes de longue durée, compliquées d’accidents typhoïdes, constatées chez des sujets qui n’avaient pu être infectés par le bacille d’Eberth.
30 CLAHAC.
Dans ces cas, on se trouve en présence, non de la fièvre
typhoïde doublée de la malaria, mais de fièvre malarienne devenue typhoïde par transformation. Cette transformation étant la résultante d’une sorte d’auto-typhisation, conséquence des conditions particulières et du milieu spécial dans lesquels se sont trouvés les malades. Faut-il alors invoquer l'intervention d’un agent spécial typho-malarien, comme le pensent quelques-uns? Cette hypothèse ne nous parait nullement nécessaire pour expliquer les cas qui nous occupent.
À l’autopsie d’un des sujets, malgré les symptômes abdominaux typhoïdes très nets observés pendant la vie, les plaques, de Peyer présentaient une intégrité absolue, mais la rate était énorme et très ramollie.
L’étiologie de ce cas est assez intéressante. L’aviso l'Ardent, échoué dans le Niger depuis plusieurs mois, avait du renouveler son équipage, décimé par le paludisme. Pendant la longue immobilité de ce bateau, des hommes plus ou moins grave ment atteints avaient logé dans le poste de l’équipage. Le médecin ayant succombé, aucune mesure de désinfection n’avait été appliquée. C’est dans ces conditions que plusieurs hommes provenant du ponton Héroïne, où la fièvre typhoïde est in connue, ont été envoyés à bord de l’Ardent. Au bout d’un certain temps, cet aviso est revenu au mouillage de Dakar avec tout son équipage malade et plusieurs des hommes envoyés de l’Héroïne présentaient des atteintes plus ou moins graves de paludisme compliqué d’accidents typhoïdes.
Les faits du même genre ne sont pas rares dans l’histoire médicale de la côte occidentale d’Afrique. Les observations de Dudon (thèse de Paris) à bord de l’Armorique peuvent être rapprochées de celles faites chez les hommes provenant de l’Ardent, «tandis que certaines fièvres paludéennes évoluant à (erre, dit Dudon, se compliquaient d’accidents bilieux, celles qui prenaient naissance et se développaient à bord se compliquaient, elles, d’accidents typhoïdes graves, ayant de grandes analogies avec la dothiénentérie’).
Ces accidents étaient, comme à bord de l’Ardent, la conséquence d’une hygiène défectueuse et surtout de l’entassement,
NOTES SUR LE PALUDISME. 31
dans les postes d’équipage ou des batteries mal aérées, d’un grand nombre d’hommes atteints d’affections paludéennes. On pourra peut-être se demander si l’équipage ne consommait pas l’eau des fleuves où étaient mouillés les navires et s’il n’y a pas lieu d’attribuer à cette eau plus ou moins souillée un certain rôle dans le développement des accidents typhoïdes. Si les renseignements qui m’ont été fournis sont exacts, l’équipage de l’Ardent ne consommait que de l’eau distillée.
Nous avons pu constater un cas du même genre que ceux fournis par l’équipage de l'Ardent. Il s’agit d’un sous-officier fortement impaludé par un séjour prolongé au Soudan. Arrivé à l’hôpital de Dakar, après 18 jours de voyage, dont i5 eu chaland, dans les conditions hygiéniques les plus défectueuses, il fil à l’hôpital une fièvre rémittente de longue durée, compliquée d’accidents typhoïdes très graves.
Nous n’avons relevé dans les statistiques de l’hôpital de Dakar, depuis 1891, que 37 cas d’accès pernicieux. Plusieurs des malades ont été transportés à l’hôpital alors qu’ils étaient, déjà plongés dans le coma. Ge chiffre est assez peu élevé si on le rapproche de la morbidité générale par le paludisme, ai malades ont succombé, c’est-à-dire plus de 5o p. 100.
La forme comateuse, la plus souvent constatée, a fourni 8 décès. Après, vient la forme algide, qui a déterminé G morts. C’est surtout chez les disciplinaires déjà prédisposés par leurs antécédents morbides que les formes algide et comateuse ont été constatées. Il ne saurait plus être question de considérer les accès pernicieux comme déterminés par des poisons paludéens spéciaux; ils ne sont que la résultante de l’action produite par une forte dose de poison paludéen, sur un organisme prédisposé, l’infectieux portant plus particulièrement son
action sur un organe en état d’imminence morbide.
Un nombre relativement élevé de malades entre à l’hôpital avec le diagnostic de cachexie palustre ou d’anémie paludéenne. Ge sont des disciplinaires ou des évacués du Soudan, car tous les hommes de la garnison ayant eu des accès de fièvre assez graves et assez fréquents pour déterminer l’anémie sont renvoyés en France.
32 CLARAC.
Il nous resterait à parler de la fièvre dite bilieuse hématurique ou hémoglobinurique pour compléter cette revue rapide des formes du paludisme constaté à Dakar, mais celle très intéressante affection fait l’objet de la deuxième partie de ce travail.
é t i o l o g i e .
De prime abord, il semble difficile d’expliquer qu’une ville bâtie, comme l’est Dakar, à l’extrémité d’une presqu’île, balayée durant une bonne partie de l’année par des brises très fortes venant souvent du large, aérée de toutes parts, puisse payer un si large tribut au paludisme. Cette question est assez complexe et nous n’avons nullement l’intention de la trancher d’une façon absolue. Elle n’a jamais cessé de préoccuper le service de santé, comme l’indiquent les rapports médicaux, et c’est avec raison que le Département, qui attache l’importance que l’on sait au port de Dakar, a essayé de la faire élucider. Une dépêche du 20 février 1892 invite le gouverneur du Sénégal à fournir des renseignements sur la salubrité de Dakar et sur les mesures prophylactiques quelle comporte.
Il ne semble pas que les rapports médicaux et administratifs qui ont été fournis aient beaucoup fait avancer la question.
Quelques mesures d’assainissement reconnues indispensables depuis longtemps ont été appliquées par la municipalité, mais presque tout est encore à faire pour obtenir un assainissement relatif, assainissement qui nécessitera d’importants travaux. Avant de les entreprendre, il faudrait au moins être fixé sur les principales causes de l’insalubrité de la ville. Or, nous devons reconnaître que l’accord est loin d’être fait sur ce point. Les uns incriminent les marigots du voisinage et surtout le grand marigot de Hann, d’autres le sous-sol ou le sol même de de la ville, les émanations du rivage..., etc. Voyons quelle part
il y a lieu d’attribuer à ces différents facteurs étiologiques.
CLIMAT.
En ce qui touche le paludisme, la pathologie de Dakar est le reflet exact des saisons si bien tranchées dans la Sénégambie. Dans les premiers mois de l’année, on peut parfois se
NOTES SUR LE PALUDISME.ann. d’hyg. colon . — Janvicr-févrie.'-niai's 1898.
34 CLARAC.
demander si l’on se trouve en pays paludéen, tant sont parfois rares les manifestations du paludisme qui, quand elles se produisent, peuvent, abstraction faite des fièvres hémoglobinuriques, être considérées comme de simples fièvres saisonnières. Dans aucune colonie il ne nous a été donné d’observer un sommeil aussi complet du paludisme; nulle part aussi nous n’avons vu un réveil aussi bruyant.
La courbe précédente (années 1895-1896), qui serait à peu près la même pour toutes les années, permet d’apprécier exactement le développement du paludisme par rapport aux saisons. Le régime des pluies constitue le facteur climatérique le plus important dans cette question. Dans tous les pays paludéens, mais à Dakar particulièrement, le développement du paludisme est en rapport direct avec la quantité d’eau tombée. Il suffit pour s’en, convaincre de jeter les yeux sur le tracé que nous donnons et sur les tableaux où sont résumés la morbidité et le régime des pluies depuis l’année 1892. Mais les pluies, comme tous les agents météoriques, la chaleur, l’humidité, les vents, tout en jouant un rôle très important dans le développement de la malaria, ne sauraient la produire de toutes pièces, l’agent infectieux résidant dans le sol. C’est dans la nature du sol de la presqu’île du cap Vert qu’il faut chercher la cause principale de l’endémie et de son intense développement, à des époques déterminées, sous l’influence des agents météoriques indiqués
plus haut.
SOL.
Nous avons déjà parlé plus haut de la constitution du sol et des marais de la presqu’île; voyons quel est leur rôle immédiat, au point de vue qui nous occupe.
Le Marigot de Hann est particulièrement incriminé. Il commence à environ 7 kilomètres de Dakar, au-delà du promontoire de Bel-Air, où il forme un petit lac, communiquant avec un chenal long de 8 à 900 mètres et large 100 mètres (selon les époques). Ce chenal se dirige à peu près du Nord au Sud, parallèlement à la mer dont il n’esl séparé que par une bande de sable. À environ 6 kilomètres de Dakar, ce chenal
NOTES SU! LE PALUDISME. 35
s’ouvre dans la mer avec laquelle il ne communique directe ment que pendant la saison des pluies et les fortes marées. Celte communication est interrompue pendant la saison sèche, mais il se fait, durant toute l’année, des infiltrations à travers la bande de sable qui sépare le chenal de la mer.
Pendant la saison dis pluies, nombre de petits marigots se forment autour de ce marigot principal et s’y déversent, de sorte que les limites de ce dernier ne sont nullement déter minées.
Vers le mois de mars, le marigot qui a commencé à se dessécher depuis le début de la saison sèche l’est à peu près complètement. Le chenal est réduit à un canal étroit. Dès le mois de novembre, les berges inondées pendant les mois d’hivernage ont commencé à se découvrir, laissant exposés à l’action du soleil des détritus de toutes sortes (plantes marines, herbes, animaux morts, déjections, etc.). Le tout dégage des odeurs intolérables. L’examen des eaux du marigot fait par Corre [Archives de médecine navale, 1877) est assez caractéristique.
Il est certain que, dans de pareilles conditions, le marigot de Hann constitue un loyer d’infection intense, et son voisinage est absolument inhabitable. En raison du voisinage de l’eau douce, on avait installé sur ce point un jardin potager, cultivé par les disciplinaires; tous les hommes qui y ont été employés succombèrent à des accès pernicieux, on dut l’abandonner.
Est-ce à dire que ce foyer soit la source du paludisme qui sévit à Dakar? Nous devons reconnaître que c’est une opinion accréditée et souvent émise dans les rapports médicaux. La fièvre paludéenne, disent quelques-uns de ces rapports, prend toujours la forme grave à Dakar, même pendant la bonne saison, et ce sont les vastes marigots dont il est entouré qui font ces manifestations aussi nombreuses et aussi terribles.
Pour qu’il soit possible d’affirmer l’action nocive du marigot de Hann, il faudrait prouver d’abord que les miasmes provenant de ce marigot peuvent arriver jusqu’à Dakar, ensuite, qu’il existe, une relation étroite entre le développement du paludisme et la direction des brises, susceptibles, après avoir passé sui te marigot, d’en transporter les émanations jusqu’à la ville;
3.
36 CLARAC.
enfin que le paludisme sévit dans la ville surtout à l’époque où les rives du marigot sont découvertes, c’est-à-dire fin novembre, décembre, janvier et février.
Invité à donner son opinion sur cette question, notre regretté camarade Nivard s’exprimait ainsi dans son rapport du 4° trimestre 1891 :
« . . . Les fièvres sévissent à Dakar pendant que les vents soufflent de l’Ouest, c’est-à-dire du large. Nous avons pu constater ce fait celte année. La saison des pluies s’est établie en 1891, à la fin de juin; jusque vers le 26 juillet, elles furent assez régulières et le nombre des malades pendant cette période varia de 30 à 40 en moyenne par jour.
« Du 26 juillet au 6 août, nous eûmes une petite saison sèche et bien que les vents continuassent à souffler de l’Ouest, ne passant pas par conséquent sur le marigot, nous vîmes le chiffre des malades augmenter rapidement et atteindre le chiffre de 56; presque tous ces malades étaient atteints de fièvres.»
Dans les lignes qui suivent, Nivard démontre que le nombre des malades est subordonné au régime des pluies : tr A cette époque, les pluies reprirent, et le nombre des malades diminua rapidement et entre le 27 août elle 10 septembre, époque où la saison des pluies battit son plein, nous n’avions que 27 à 32 malades. Mais, à partir du 10 septembre, les pluies diminuent comme fréquence et comme quantité, pour cesser vers le 26 septembre, et le nombre des malades atteint rapidement le chiffre de 55 à 65.
« À partir de ce moment, la saison sèche est établie, les vents continuent à souffler de l’Ouest, et le nombre des malades est tel que nous devons commencer les évacuations sur Gorée. Ce n’est que le 10 octobre que les vents soufflent pour la première fois du Nord. Tous les malades étaient atteints de paludisme. »
Nivard pense que, dans ces conditions, il est difficile d’incriminer le marigot de Hann cet comment admettre qu’un marigot situé à 6 kilomètres soit cause de fièvre, alors que l’on voit les vastes marais de Sorr , distants de Saint-Louis
NOTES SUR LE PALUDISME. 37
de 5oo mètres et séparés de cette ville par le grand bras du fleuve seulement, n’être nullement incriminés.........
« Et cependant aux mois de janvier et février, alors que le vent d'Est souffle souvent pendant des journées entières, passant sur les marais de So it avant de balayer Saint-Louis, on ne constate pas de recrudescence de fièvre; c’est même l’époque de l’année où, comme à Dakar, le chiffre des malades et des fièvres diminue.»
Les observations de Nivard concordent assez bien avec celles
faites à Dakar en 1895.
Les mois d’août, septembre et octobre ont été les plus mauvais; or, à cette époque, le marigot de Hann avait atteint son plus grand développement. En juillet, début des pluies, les brises ont soufflé le plus souvent du Nord, et on n’a presque pas constaté de paludisme à Dakar. Par contre dans la deuxième quinzaine d’août, le chiffre des entrées a augmenté très rapidement, alors que les brises venaient le plus souvent du Sud. En septembre, le paludisme bat son plein, les vents sont alors essentiellement variables, et il existe souvent du calme. L’hôpital de Dakar devient insuffisant pour recevoir tous les paludéens.
L’état sanitaire 1 e commence à s’améliorer qu’à la fin de novembre alors que les vents de N. N. E. sont bien établis et que les rives du marigot de, Hann, en partie découvertes, saturent l'atmosphère des miasmes pathogènes de la malaria. Les impaludés qui entrent à l’hôpital en décembre ont presque tous été atteints pendant l’hivernage.
En résumé, nos observations nous permettent d’arriver aux mêmes conclusions que Nivard. II n’y a nullement lieu d’in voquer l'action prépondérante du marigot de Hann pour expliquer l’intensité avec laquelle le paludisme sévit à Dakar. Du reste il paraît bien difficile d’admettre cette influence, étant donné l’éloignement du marigot.
Cette constatation présente un très grand intérêt pratique, car, dans plusieurs rapports administratifs sur l’assainissement de Dakar, nous voyons proposer l’exécution de grands travaux destinés à faire disparaître ou à transformer le marigot de Hann.
38 CLARAC.
H y a, à notre avis, un meilleur emploi à faire des deniers de la colonie et des travaux d’assainissement plus urgents à exécuter.
Nous avons dit plus haut que la plaine de Ouakam est en grande partie inondée pendant l’hivernage. Pendant la saison sèche, jusqu’en mars ou avril, il subsiste encore une multitude de marais plus ou moins e'tendus, mais plutôt petits. Les vents d’Ouest et du N. 0. passent sur ces marigots avant d’arriver à Dakar. Le camp des Madeleines [2] se trouve plus particulièrement placé sous leur influence.
Il est certain que les marigots les plus proches de Dakar inlluent dans une certaine mesure sur l’état sanitaire de la ville ou du moins des parties de la ville qui confinent à la plaine de Ouakam. L’insalubrité notoire des Madeleines est due au voisinage de ces marais. En ce qui touche la ville européenne, cette influence ne saurait être prépondérante, puisque les vents d’Ouest et du N. 0 . ne soufflent que rarement pendant la saison sèche, alors qui* ces marais en pleine évaporation sont plus dangereux.
En ce qui louche cette question des marais, il importe de
ne pas perdre de vue ces observations très justes de Borius :
« En temps d’hivernage, le marais est partout, là où la surface du sol n’est pas complètement imperméable; la moindre flaque d’eau devant une maison accuse parles fièvres qui atteignent les habitants de celte maison la présence de la cause si difficile à saisir, dans son essence même, qui produit la fièvre.» Certes, ces flaques d’eau existent partout à Dakar cl dans ses environs, car partout le sol est crevassé. Les abords de la ville sont convertis en dépotoirs alors qu’ il serait si facile de jeter les ordures et les déjections à la mer. La population, dont l’indifférence, l’incurie et la malpropreté sont bien connues, trouve plus simple de les déposer à la surface du sol ou dans les nombreuses crevasses résultant de l’extraction de la pierre. Cela ne se passe pas seulement en dehors de la ville, mais dans son centre même où le moindre terrain vague reçoit les matières usées.
Comme nous l’avons vu, il faut chercher ailleurs que dans
NOTES SUR LE PALUDISME. 39
les marais la cause principale du paludisme qui sévit à Dakar.
Nivard émet l’avis que c’est la constitution du sol de Dakar qu’il faut surtout incriminer; après avoir indiqué la constitution du sol. il ajoute : « Pendant l’hivernage, l’eau des pluies n’ayant pas d’écoulement, par suite du manque de caniveaux, de ruisseaux et d’égouts, s’infiltre dans l’interstice de ces roches, traverse la couche sablonneuse et est arrêtée au niveau de la couche argileuse, constituant là un vrai marais souterrain. Tant que dure la saison des pluies, il n’y a pas d’évaporation cl l’état sanitaire de Dakar est hou......... dès que la saison sèche arrive, l’assèchement de cette nappe se fait par évaporation à la surface du sol; toutes les conditions du marais souterrain se trouvent réalisées et apparaît le paludisme sous toutes ses formes......... "
Nous pensons comme Nivard que c’est dans la constitution du sol qu’il faut chercher la cause principale du paludisme de Dakar. Mais, à notre avis, les faits doivent être interprétés autrement. Pour notre collègue, c’est la couche d’eau souterraine qu’il y a lieu d’incriminer; or, cette couche siège souvent à une très grande profondeur, parfois 10 ou i5 mètres; il nous parait difficile dans c -s conditions d’admettre que l’eau arrêtée au niveau de la couche argileuse puisse, en s’évaporant à travers la couche de pierres ferrugineuses épaisse en certains points de h à h mètres, être la cause efficiente des accidents malariens. De plus, cette couche d’eau souterraine, comme l’indique le régime des puits de Dakar, ne disparaît guère que vers la fin de la saison sèche, alors que le paludisme ne sévit presque plus depuis le mois de décembre. L’argile provenant du forage des puits d’égout de l’hôpital était encore humide au mois d’avril. Il n’est pas absolument vrai, comme le dit Nivard, que le paludisme ne commence à sévir qu’au début de la saison sèche. Dès le mois d’août, les fièvres se manifestent avec intensité à Dakar, et, en 1895 , c’est pendant le mois de septembre, pendant les plus fortes chaleurs, alors que les pluies étaient encore très abondantes, que le paludisme a été le plus sévère.
40 GLARAC.
Borius nous semble plutôt dans le vrai quand il émet l’opinion suivante : « Si les couches profondes ont une action sur le climat des localités, par suite du passage plus ou moins facile qu’elles laissent à l’écoulement des eaux, la couche de la superficie paraît jouer un rôle d’une bien plus grande importance; c’est sur elle que se développe la vie, sur elle aussi et dans les parties immédiatement en contact avec l’atmosphère que se développent les organismes inférieurs dont l’influence pathogénique est l’un des plus pressants problèmes de la science moderne (loc. cit., p. 85).
À notre avis, c’est dans la couche de roches ferrugineuses et dans l'argile compacte qui l’accompagne qu’il faut chercher la cause du paludisme, et nous ne sommes pas le premier à émettre cet avis. Sir Romual Martin, cité par Borius, s’est appuyé sur la nature ferrugineuse du sol de Sierra Léone pour admettre que le fer entrant dans la composition du sol est une des causes productrices de la malaria. Ce n’est pas à notre avis le fer qu’il faut incriminer. Comme le fait remarquer Borius, on peut citer des localités salubres où le fer est en grande abondance, et qui seraient les meilleurs sanatoria de la côte d’Afrique. Cependant, plusieurs observateurs ont constaté qu’au Sénégal même, dans le Soudan, les fièvres sévissent avec une gravité particulière dans les localités dont le sol est constitué par des roches analogues à celles de Dakar. Les mêmes observations auraient été faites à Madagascar. Ce sont des faits que nous ne pouvons qu’énoncer, en laissant à ceux qui connaissent les localités en question, le soin de dire jusqu’à quel point ils sont vrais ou erronés.
Comme nous l’avons dit au début de ces notes, la roche de Dakar est éminemment hygroscopique, et si le sol qu’elle constitue semble sécher rapidement à la surface, surtout avec les brises régnantes, il reste en réalité très humide, et l’humidité est d’autant plus persistante que le sous-sol lui-même est imperméable.
Dans la presqu’île du cap Vert, les pluies sont rarement continues, comme aux Antilles par exemple, où l’eau tombe à torrents, pendant plusieurs jours de suite. Il n’est pas rare, à
NOTES SUR LE PALUDISME. 41
Dakar, de voir, pendant la saison de l'hivernage, quinze jours ou même plus s’écouler, entre chaque grain de pluie ou chaque tornade. Dans ces conditions, le soleil agit sur le sol imbibe d’eau et il est alors facile, sans invoquer l’action des marais ou de la nappe d’eau souterraine, d’expliquer le développe ment intense du paludisme. Le sous-sol et les marais ne jouent donc qu’un rôle absolument secondaire et ne font peut-être qu’ajouter leur action à celle prépondérante du sol lui-même. Nous avons entendu accuser l’eau d’alimentation d’être une des causes de la malaria. Cette assertion n'est pas soutenable dans l’espèce. En supposant, ce qui est loin d’être démontré, que l’infectieux malarien puisse empoisonner l’organisme, par l’intermédiaire de l’eau, celle qui sert à l’alimentation de Dakar est de première qualité et ne saurait être incriminée, et, argument péremptoire, l’eau est ingérée toute l’année, alors que le paludisme ne sévit que pendant une période déterminée.
Telle est notre opinion sur l’étiologie du paludisme à Dakar, nous ne saurions affirmer qu’elle soit définitive et qu’aucune observation nouvelle ne viendra la modifier, car bien des faits ont dû nous échapper, et d’autres demanderaient à être éclaircis. Comment expliquer, par exemple, le grand nombre de fièvres paludéennes constatées à bord de l’Héroïne chez des marins qui n’étaient jamais venus à terre? Le ponton est mouillé assez loin, dans une situation excellente. Les règles de l’hygiène y sont bien observées, les matelots européens peu nombreux sont très bien logés. . . Il y a là un fait anormal qu’il importait de signaler.
Si la pathogénie de la malaria à Dakar était celle que nous venons d’exposer, si elle était absolument démontrée, il en résulterait un grand intérêt pratique, au point de vue de la prophylaxie de l’endémie.
En tout cas, un certain nombre de mesures s’imposent dès maintenant, et elles ont été en partie conseillées depuis long temps par MM. les médecins en chef Aymé et Nivard :
i° Actuellement le macadam employé pour b s rues est fa briqué avec la roche ferrugineuse dont nous avons parlé. Bien
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tassé, ce macadam présente au bout d’un certain temps une surface uniforme et résistante qui semble justifier à première vue le choix de cette pierre, mais le sol, malgré son aspect, reste le même, continue à absorber et à retenir l’eau des pluies cl à garder son humidité nocive. Afin d’éviter cet inconvénient capital, les rues devraient être cimentées ou pavées non, avec les roches ferrugineuses, mais avec les roches basaltiques du cap Manuel, si toutefois il était possible de les tailler;
2° Construction de canaux, de caniveaux, d’égouts permettant l’écoulement des grandes quantités d’eau qui tombent au moment des pluies.» (Nivard.)
Pour répondre à ces desiderata, on a construit un assez grand nombre de canaux, mais en employant la roche de Dakar et le plus souvent sans interposition de mortier ou de ciment, Pour être réellement utiles, ces canaux devront être absolument imperméables;
.3° Installation d’un service de voirie et de vidanges, garantissant le jet à la mer, sur certains points déterminés, de tous les détritus qui, de cette façon, ne seraient pas déposés comme maintenant sur tous les points de la ville;
4° Sarclage et incinération des herbes qui poussent si rapidement pendant l’hivernage. Avoir bien soin surtout de ne pas les laisser pourrir sur le sol;
5° Pratiquer tous les terrassements nécessaires pour faire disparaître les inégalités du sol;
Imposer aux habitants, comme cela se fait partout et comme le prescrivent les arrêtés municipaux, l’obligation de combler les excavations qu’ils pourraient faire dans leurs propriétés.
Les terrains qui avoisinent notre hôpital sont convertis en fondrières, véritables dépotoirs à l’usage des noirs du village indigène. Jl importe de supprimer toutes les causes de la stagnation de l’eau, surtout autour des casernes et de l’hôpital : « On aura beau construire de superbes bâtiments, on est sûr au Sénégal de voir éclater le paludisme, si on les entoure, même provisoirement, d’une série de petits marais.» (Aymé, rapport.)
6° Des travaux de drainage devront également être exécutés
NOTES SUR LE PALUDISME. 43
dans la partie de la plaine de Ouakam qui avoisine Dakar el les camps des Madeleines.DEUXIÈME PARTIE.
LA FIÈVRE IIEMOGLOBINURIQUE ENDEMIQUE OBSERVÉE À DAKAR.
En pathologie, il y a lieu de tenir compte, et c'est là une vérité banale, non seulement de la maladie, mais aussi du malade; à côté de ces deux facteurs, il convient en pathologie exotique surtout d’en ajouter un troisième, le pays.
L'intervention de ce troisième facteur ne contribue pas peu à compliquer singulièrement l’élude de cette partie de la médecine. À vrai dire, il n’y a pas qu’une pathologie exotique, car celte pathologie est aussi variable que les pays eux-mêmes. Sans doute, les grandes endémies, qui en forment le fond, sont à peu près les mêmes dans leurs grandes lignes étiologiques el cliniques, mais parfois les nuances sont telles que les médecins qui n’ont pas acquis une certaine pratique de la pathologie qui nous occupe se trouvent absolument déroutés. Celui qui s’attend à trouver le paludisme, par exemple, partout identique, aussi bien en Amérique qu’en Afrique ou en Indo-Chine, ne tarde pas à reconnaître son erreur et se trouve exposé à de singuliers mécomptes.
En ce qui touche la fièvre hémoglobinurique qui fait l’objet de ce travail, n’a-t-il pas fallu plusieurs générations de médecins pour arrivera la séparer non seulement de la rémittente bilieuse simple, mais encore à reconnaître que les maladies décrites dans différents pays sous les noms si divers de bilieuse grave, bilieuse avec hématurie, pernicieuse ictérique, hémophosphérinurique, bilieuse hématurique, mélanurique, etc. appartenaient en réalité au même cadre pathologique?
En parcourant dans les auteurs les différentes descriptions de la maladie qui nous occupe el en l’étudiant sur place à l’hôpital de Dakar, il nous a paru quelle présentait dans cette localité certaines nuances cliniques qui justifient, croyons-
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nous, la publication de ces notes. Nous avons eu souvent l’occasion d’entendre des médecins, qui ont pu observer la maladie au Dahomey, au Soudan ou à la Guadeloupe et à Dakar, signaler des nuances importantes aussi bien dans la marche que dans le pronostic de l’affection, cette affirmation n’a rien qui puisse étonner, étant donné le protéisme de la pathologie exotique en général et, en particulier, du paludisme, qui en constitue le fond le plus important.
Notre intention n’est pas, en exposant la fièvre hémoglo- hinurique observée à Dakar, de recommencer, après tant d’autres, une description déjà faite et souvent bien faite; nous voulons simplement utiliser les matériaux que nous avons pu rassembler pour essayer de montrer cette intéressante et grave maladie telle qu’elle s’est présentée à l’hôpital de Dakar ou en en ville.
Nous adopterons la dénomination de fièvre hémoglobinurique endémique (Corre), qui nous paraît être celle qui convient bien à la maladie.
CHAPITRE PREMIER.
SYMPTOMATOLOGIE. ---- MARCHE DE LA MALADIE.
L’observation suivante est une observation type avec persistance de la sécrétion urinaire. Elle nous dispensera de donner une description générale. Nous aurons plus loin l’occasion de citer des cas mortels avec anurie.
O b s e r v a t i o n I. — R. . . , fusilier disciplinaire, 25 ans. —
15 mois de séjour dans la colonie (camp de Ouakam). — Quatre entrées à l’hôpital, ensemble 8 A jours, pour accès paludéens plus ou moins graves, compliqués le plus souvent d’accidents bilieux. — Nombreux accès de fièvre au camp, qui du reste est très paludéen. C’est dans ces conditions que B. . . est envoyé à l’hôpital de Dakar, le 9 décembre, avec le diagnostic de fièvre hématurique. Le malade raconte que la veille, dans la soirée, il a été pris d'un violent frisson, suivi de fièvre.
— Il serait alors devenu complètement jaune et a constaté qu’il pissait rouge. — Selles diarrhéiques; pas de vomissements.—
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Température, 3g°g. — Teinte ictérique légère; langue très chargée; l'oie normal; rate douloureuse et hypertrophiée ; douleurs lombaires vives. — Malade absolument déprimé. — Urines biller très foncées.
Sulfate de quinine, 1 gramme; tisane de kinkélibah; lait. 10 décembre. — La nuit a été très mauvaise. Le malade présente l'aspect d’un homme dont les forces sont anéanties.
— Ictère généralisé très accentué; langue très chargée; vomissements porracés, incessants; foie douloureux; rate très douloureuse et considérablement augmentée de volume. — Le malade accuse un véritable coup de barre. — Les battements du cœur sont mous, souffle au i or temps et à la base; pouls, 120; urines très foncées ; 1.5oo grammes en 24 heures; densité, 1018; neutre; albumine, 1 gr. 20; urée, 13 gr. 80; pas de bile; pas de globules sanguins. — Respiration précipitée. — Température : matin, 38°8; soir, 39°9.
Sulfate de quinine, 1 gramme; injection de 25 centigrammes de bromhydrate de quinine; champagne frappé; potion tonique. — Ventouses sèches sur la région lombaire.
11 décembre. — Les symptômes n’ont fait que s’aggraver : délire; dépression absolue et complète de toutes les forces; ictère très prononcé. — Le malade souffre de partout, mais surtout des lombes et de l’épigastre. — Les vomissements in cessants ne laissent ni trêve ni repos : jus d’herbe, avec dépôt verdâtre grumeleux. — Selles bilieuses. — Urines moins foncées, 125o grammes dans les 24 heures; mêmes résultats à l’analyse. — Les bruits du cœur sont faibles et éloignés; le pouls petit, 120. — Respiration très difficile. — Température : matin, 37°1 ; soir, 36°6.
Prescription. — Thé punché; bromhydrate de quinine en injection; injections de caféine et d’éther; pulvérisation d’éther sur l’épigastre, etc; thé de viande et champagne. — Le malade ne garde rien ou presque rien.
Dans l’après-midi, le malade paraît moins déprimé; douleurs cardiaques très vives.
12 décembre. — La détente signalée hier se maintient: l’ictère est moins marqué; les vomissements moins fréquents.
46 CLARAC.
— Le pouls est toujours très déprimé. — Les urines sont de venues presque jeunes, jumenteuses, très chargées, 1600 gr.; densité, 1020; pas d’albumine; urée, 14 gr. 15 ; dépôt de phosphate et de carbonate calciques.
Dans l’après-midi, plus d’ictère; pâleur terreuse des téguments; pouls filiforme; syncope. Les vomissements sont aussi fréquents qu’au début. — Température : matin, 36°3; soir, 36°i. — Toniques; injections de caféine.
13 décembre. — Délire toute la nuit; prostration complète-
— Le malade semble avoir été saigné à blanc; pouls filiforme-
— Urines involontaires. — Relâchement du sphincter anal-
— Les injections de caféine et de bromhydrate de quinine sont sans effet. — Température : matin, 36°9; soir, 36°2.
14 décembre. —- Délire et plaintes continuelles. — Vomissements d’un liquide clair tenant encore en suspension des grumeaux verdâtres. — À 8 heures du soir, un peu d’ictère. —- Le malade succombe à 1 heure du matin.
A u t o p s i e . — Sujet très vigoureux. — Téguments d’une pâleur terreuse. — Rigidité prononcée.
Dans la cavité thoracique, on constate de légères adhérences pleurales. Les poumons ne présentent de particulier que leur pâleur excessive. — Le cœur, très mou, très pale. — La fibre se déchire facilement.
Dans la cavité abdominale, le grand épiploon est infiltré de pigment noir. — Le foie pèse 1976 grammes; teinte uniforme que l’on compare assez volontiers à celle du foie cuit; le tissu est très friable; les vaisseaux sont vides; la veine porte 1 e laisse écouler qu’une sérosité roussâtre peu abondante, sans caillots. — La vésicule biliaire est distendue par une sorte de pâte semi-liquide rappelant le résiné. — La rate est augmentée de volume dans toutes ses dimensions; elle pèse 82b grammes; ramollie, surtout à si partie centrale. — Les deux reins, loin d’être congestionnés, sont absolument anémiés, comme tous les autres tissus; le gauche pèse i5 o grammes; sur le bord supérieur, teinte ardoisée, n’intéressant que la surface; le rein droit présente les mêmes caractères. — La vessie est vide.
Ce qui frappe surtout, c’est la petite quantité de sang qui
NOTES SUR LE PALUDISME. 47
s’échappe des vaisseaux; ce sang ressemble à du sérum légère ment teinté.
1° Ac c è s Pr é m o n i t o i r e s .
Dans presque tous les cas, pour ne pas dire dans tous, l’accès hémoglobinurique a été précédé d’un ou de plusieurs accès de fièvre. Ces accès, dits prémonitoires, n’ont présenté aucun caractère particulier. Ils ont toujours les allures de simples accès paludéens plus ou moins intenses, précédés de frissons plus ou moins violents.
On n’a pas à rechercher ces accès prémonitoires, comme le conseille M. Béranger-Féraud (fièvre bilieuse mélanurique des pays chauds); à Dakar du moins, rien ne permet de les différencier d’accès paludéens ordinaires, et le plus souvent les malades, habitués à ces accès, ne s’en préoccupent pas outre mesure. Ils sont gardés dans les infirmeries et ne sont envoyés à l’hôpital qu’à l’apparition de l'hémoglobinurie; c’est ce symptôme seul qui permet de porter le diagnostic. Nous devons ce pendant reconnaître que le frisson qui précède l’accès hémoglobinurique est généralement plus violent.
2° Ur in e s .
L’hémoglobinurie a toujours débuté avec l’accès de fièvre ou l’a suivi de très près.
Nous avons pu noter d’assez grandes différences dans la quantité des urines émises et leur diminution ou leur suppression ont toujours constitué un symptôme de la plus haute gravité. Dans certains cas, rares à la vérité, nous avons vu la mort survenir, malgré une diurèse assez abondante (Obs. I). Chez le sujet qui fait l’objet de l’observation suivante, l’anurie s’est produite au contraire rapidement et le malade a succombé.
Ob s e r v a t io n II. — D . . ., disciplinaire, 21 ans, né à Paris, 19 mois de séjour en Algérie, où il aurait eu de fréquents accès de fièvre; 18 mois de Sénégal (camp de Ouakam et des Madeleines). — Accès de fièvre presque toutes les semaines; dix séjours à l'hôpital de Dakar, presque tous pour fièvre
48 GLARAC.
paludéenne; dernier séjour en avril 189/1 pour fièvre bilieuse hématurique (accès léger).
Le 3 i janvier 1896, D. . . est envoyé à l'hôpital avec le diagnostic hémoglobinurie.— Depuis quatre jours, frissons violents tous les soirs et accès de lièvre pendant la nuit. Le 3o dans l’après-midi, quelques instants après un frisson violent suivi de fièvre, le malade s’est aperçu qu’il pissait rouge et que sa peau devenait jaune.
i cl février. — Dépression absolue de toutes les forces. — Teinte subictérique généralisée. — Langue humide, mais très chargée d’un enduit verdâtre. —- Vomissements incoercibles; ces vomissements sont constitués par un liquide clair, tenant en suspension des grumeaux verts. Le moindre mouvement, la moindre tentative pour absorber un liquide provoquent ces vomissements. — Selles bilieuses très fréquentes. — Le foie et la rate, considérablement augmentés de volume, sont très douloureux; du reste, le malade souffre de partout; la céphalalgie et la lombalgie sont intolérables.
Les mictions sont fréquentes, douloureuses et peu copieuses; 750 gr. d’urines bitter très foncées.
La respiration est régulière, pouls plein, 10/1. — Tempé rature : matin, 38°8; soir, 39°5.
Prescriptions.— Lait (toujours rejeté). — Quatre injections de bromhydrale de quinine de 0.25. — Inhalation d’oxygène. Après chaque inhalation d’oxygène, le malade accuse un bien-être considérable; les douleurs sont notablement diminuées.
2 février. — La teinte ictérique est plus accentuée. — Insomnie absolue. — Les symptômes sont les mêmes, sensible ment aggravés.
À peine 100 grammes d’urines biller très foncées (dans les 24 heures). — Sensation très vive de froid aux extrémités. — Pouls dur. — Pas de souille au cœur. — Dyspnée.
Température: malin, 36" 2 ; soir, 36° 9.
Lait; champagne; rien 1 e peut être toléré. —- 1 gramme de bromhydrale de quinine en injection, 0,75 c. eu lavement. — Inhalations d’oxygène; ?eus l’influence de ces inhalations, le
NOTES SLR LE PALUDISME. 49
pouls se régularise, la dyspnée disparaît, les muqueuses se colorent. Le malade les réclame avec instance.
3 février. — Malgré une insomnie absolue, on constate une légère amélioration : A l’ictère a succédé une teinte pâle ter reuse des téguments. — Vomissements incessants. — Selles noirâtres, fréquentes.— Douleurs intolérables partout; maison constate surtout une véritable hyperesthésie du creux épigastrique et des testicules. Le moindre attouchement provoque des cris. Les bruits du cœur sont éloignés et faibles; 90 pulsations,
24 respirations; hoquet intermittent.
Anurie presque complète.
Température : matin, 35° 7; soir, 35° 9.
Les urines contiennent de l’albumine en abondance et seulement 5 grammes d’urée; leur coloration est presque normale.
Tous les moyens sont tentés, en vain, pour alimenter le
malade (lait, thé de viande, champagne, lavements nutritifs).
— Ventouses sèches sur la région lombaire. — Injections de caféine, de bromhydrate de quinine, 1 gramme; en lavement, 75 centigrammes. Inhalations d’oxygène.
4 février. — Le malade est surtout fatigué par la dyspnée. Tous les autres symptômes persistent. — 100 grammes environ d’urines jumenteuses. •— Albumine; o, urée, 6,6. — Pouls dur, 100. — Respiration, 24, mais très difficile.
Température : matin, 35° 2 ; soir, 35° 2.
Même prescription. — Injection de morphine. — Pointes de feu à l’épigastre (on arrive ainsi à arrêter les vomissements).
— Sulfate de quinine par la bouche, 1 gr. 5o (rejeté); en lavement, 1 gramme. — Inhalations d’oxygène.
5 février.— Amélioration manifeste. — 100 grammes d'u rines troubles. — Respiration, 26. — Pouls, 90. — Tempé rature : matin, 36°; soir-, 35° 1.
6 février.—- Tous les symptômes alarmants sont revenus, aggravés : le testicule surtout reste très douloureux; le pouls est filiforme; adynamie profonde; dyspnée intense que rien 1 e peut améliorer; anurie absolue. — Température : matin. 36°; soir, 35° 1.
a n n . D’iiYti. co l o n . — Janvier-février-m ars 1898.
50 CLARAC;
Prescription. — Injections de caféine. — Lavements nutritifs.
7 février. — A deux heures du matin, mort en dyspnée. - Mouvements convulsifs. — Écume roussâtre à la bouche.
Au t o ps i e . — Le sujet est très amaigri, pas d’ictère. — Rien à noter dans la cavité crânienne. — Poumons pâles exsangues.
— Le cœur, de volume normal, est décoloré et flasque; caillot organisé dans le cœur droit.
Le foie, très hypertrophié, pèse 2,0/10 grammes; les vaisseaux sont gorgés de sang, fluide; sérosité rosée. — La vésicule biliaire est distendue par un liquide pâteux rappelant le raisiné ou le coaltar. — La rate, hypertrophiée, pèse 460 gram mes; plutôt dure.
Les reins sont congestionnés et présentent superficiellement des plaques ardoisées. Dans l’épaisseur du rein droit, petit kyste contenant une sérosité légèrement teintée en rouge.
Dans le cas léger qui fait l’objet de 1observation suivante, il s'est produit au bout de deux jours, après une sorte d’indécision dans la sécrétion urinaire, une véritable polyurie (près de 8 litres d’urines dans les vingt-quatre heures ).
Ob s e r v a t io n III — Duc. . ., disciplinaire, 3o ans, 33 mois de séjour au Sénégal (Ouakam et camp des Madeleines); huit entrées à l’hôpital pour fièvre : aurait déjà eu un accès hémoglobinurique léger.
Après quatre jours de lassitude et probablement de fièvre, Duc. . . présente, le 26 août, un violent accès de fièvre; 2 grammes de quinine.— Le lendemain, ipéca; vomissements bilieux abondants. Dans la soirée, urines rouges, un gramme de quinine, plus de fièvre. — La teinte des urines s’accentue. — Le 28, entrée à l’hôpital. — Température à l’entrée, 37° 8.
C’est un sujet vigoureux. — Ictère généralisé, mais peu foncé.
— Pas de céphalalgie, pas de vomissements. — Selles bilieuses.
— Rate et foie considérablement augmentés de volume, mais non douloureux. — Rien au cœur.
Urines peu abondantes, mais présentant une teinte bitter très foncée. — Albumine en abondance; pas de globules. — Bande d’absorption de l’hémoglobine.
NOTES SLR LE PALUDISME. 51
Lait, champagne, 75 centigrammes de bromhydrate de quinine. — Température : malin, 37° 8; soir, 37° 2. — Pouls ; matin, 70"; soir, 74. — Respiration : matin, 24; soir, 22.
— Numération des globules, 1,85o,ooo.
29 août. — Rien de particulier. — Température : ma tin, 36° 5; soir, 37° 2. — A peine 1.000 grammes d'urines foncées.
30 août. — Depuis hier, il s’est produit une véritable dé bâcle urinaire (environ 8 litres d'urines jumenteuses, présentant un dépôt abondant et une teinte ambrée). L’ictère a pâli. — Température : malin, 36°; soir, 36° 9. — Numération des globules : 2,000,000.
Lait, thé de viande, potion tonique,
31 août. •— La convalescence s’établit. Le malade reste très anémié. — Urines, 2 litres, moins épaisses, — Température : matin, 36° 5; soir, 36° 7. — Numération des globules : 2,000,000.
La convalescence marche bien, mais les urines restent très abondantes et chargées. À la sortie du malade, la numération ne donne plus que 2,000,000 de globules.
La polyurie fait seule l’intérêt de cette observation.
Sur a3 observations nous avons noté : urines normales comme quantité ou abondantes (14 à 1,5oo grammes, 7 cas; de 3 litres à 8 litres, 2 cas), 9 cas (dont 2 suivis de mort); diminution sensible(600 à 800 grammes), 4 cas, 4 guérisons. Enfin, anurie absolue ou presque absolue : 4 cas, 4 décès.
Nous n’avons jamais vu l’hémoglobinurie durer plus de cinq jours, et, à moins d’anurie absolue la gravité des cas était en raison directe de cette hémoglobinurie, qui cessait dès le troisième jour dans les cas moyens.
Jamais nous n’avons observé l’hémoglobinurie intermittente se produisant comme l’indique Barthélemy-Benoit. (De la lièvre bilieuse hématurique observée au Sénégal. Arch, de méd. nav., 1865, t. IV.)
Dans le rapport de l’hôpital de Dakar, du 4e trimestre 1888, nous relevons l’observation suivante à propos de la fièvre hémoglobinurique : «Comme particularité à noter, il faut signaler la
52 CLARAC.
forme nettement intermittente qu’ont présentée quelques-unes de ces fièvres. La maladie se compose d’une série d’accès hématuriques, disparaissant avec la fièvre et reparaissant avec l’accès suivant. Cette variété, sans avoir été suivie de mort, a été caractérisée par une convalescence très longue avec tendance aux syncopes. ?
Nous ne serions pas éloigné d’attribuer cette hémoglobinurie intermittente, assez rare du reste, à l’action des sels de quinine, du moins dans bien des cas. La seule fois qu’il nous a été donné de la constater, l’action de la quinine n’a pu être mise en doute. C’est là, pensons-nous, une question qu’il serait intéressant d’élucider.
En général, nous avons vu les urines passer assez brusquement de la teinte bitter foncée à la teinte « cidre doux »; nous n’avons pas observé la dégradation lente des urines signalées par quelques observateurs. L’expression d'urines jumenteuses nous paraît répondre assez exactement à l’aspect que présentent les urines au déclin de la maladie; ces urines ressemblent exactement à celles qui sont émises à la fin du typhus amaril.
Les hémorragies rénales proprement dites n’ont jamais été constatées; c’est à peine si nous avons pu trouver quelques globules rouges dans les urines, et cela très rarement. En réalité, a-t-on jamais observé d’hémorragie rénale dans la fièvre qui nous occupe? On peut en douter, et les hémorragies que l’on a pu constater ont été à peine appréciables et ne peuvent en rien être comparées à celles qui accompagnent les grands délabrements des reins, cancer, lithiase. . . etc., ou à celle que détermine par exemple la filaire du sang; car jamais, comme dans ces dernières maladies, on n’a constaté la présence de caillots, à notre connaissance du moins.
Les bandes d’absorption caractéristiques de l’hémoglobine ont été constatées toutes les fois qu’on les a recherchées. Dans certains cas d’urines bilieuses assez foncées pour donner le changea une observation superficielle, le spectroscope a per mis de constater très nettement la bande de la matière colorante biliaire.
A vrai dire, nous doutons qu’il reste grand chose à ajouter
NOTES SUR LE PALUDISME. 53
à l’élude si complète des urines noires que donne M. Corre (Fièvres bilieuses et typhiques des pays chauds), sans parler de la bactériologie, bien entendu.
Comme l’indiquent nos observations, les analyses d’urines faites à Dakar ont vérifié l’exactitude des notions que nous devons à M. Corre, au point de vue aussi bien de la composition que de la nature réelle des urines noires.
3° Ictère.
En même temps que l’hémoglobinurie, apparaît l’ictère qui débute par les sclérotiques pour se généraliser ensuite très rapidement et commencer à disparaître au bout de trois ou quatre jours, avec l’hémoglobinurie elle-même.
En général, cette disparition de l’ictère se fait d’une façon presque brusque, mais la peau conserve une teinte pille terreuse. Les malades, et c’est la règle, présentent alors une teinte cachectique d’autant plus marquée qu’ils étaient plus cachectisés, antérieurement à l’accès hémoglobinurique.
Il n’entre point dans le cadre de ces notes de discuter la nature bilieuse ou hémaphéique de l’ictère, mais il nous paraît que la question soit loin d’être tranchée, malgré les théories savantes des auteurs, de Kelsch et Kiener en particulier (ma ladies des pays chauds). Pour eux les ictères des fièvres graves dites bilieuses, comme la fièvre hémoglobinurique, seraient des ictères bilieux. Mais toutes les explications qu’ils fournissent, toutes les hypothèses qu’ils émettent, si plausibles soient- elles, apparaissent en contradiction avec les données de la clinique. On ne saurait nier qu’à ce point de vue, il y a loin entre l’ictère banal ou catarrhal et celui qui accompagne la fièvre hémoglobinurique. Dans un cas, ralentissement du pouls, dans l’autre, plutôt accélération; ici, disparition lente de la jaunisse par teintes dégradées, là, disparition presque brusque laissant un tégument pâle et anémié; enfin, dans le premier cas, réaction décelant la présence de la bile dans les urines, dans l’autre, jamais ou presque jamais de réaction biliaire.
Bien que l’ictère de la fièvre qui nous occupe et celle de la fièvre jaune semblent de même nature, il existe cependant
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Entre eux, dans la clinique, des différences également tranchées. Alors que dans la fièvre hémoglobinurique, le malade devient jaune brusquement et dès le début, pour devenir pâle ensuite, dans le typhus amaril, le faciès rouge, acajou au début, les sclérotiques injectées ne deviennent jaunes qu’au bout de quelque temps, souvent au déclin de la maladie et même par fois après la mort. Barthélemy-Benoit écrit, il est vrai, que dans la fièvre hémoglobinurique la teinte jaune est plus marquée après la mort. Nous n’avons jamais rien constaté de semblable et Pellarin nie le fait. Le cadavre est pâle, cireux. La convalescence de la fièvre jaune est nettement établie que le malade reste encore très jaune. Dans son évolution, l’ictère du typhus amaril se rapproche de l’ictère catarrhal. Le ralentisse ment du pouls dans les deux cas accentue cette analogie.
Celte marche même de l’ictère aurait dû suffire, à défaut d’autres caractères différentiels, qui cependant ne manquent pas, pour empêcher toute confusion entre la fièvre hémoglobi nurique et la fièvre jaune. Telle est du moins l’impression que nous laisse l’observation de nombreux cas de fièvre jaune et celle des fièvres hémoglohinuriques qui font l'objet de ces notes.
4° Vomissements.
Après l’ictère et l’hémoglobinurie, les vomissements cou- stituent en quelque sorte le troisième symptôme pathognomo nique de la fièvre hémoglobinurique. Ils ne font presque jamais défaut, même dans les cas légers, ce symptôme est cependant plus retardé, car souvent il n’apparait que le deuxième jour. Il importe de profiter, autant que possible, de ce retard relatif, pour tenter l’administration de certains médicaments qui ne seront plus tolérés le lendemain. Cependant nous avons vu parfois les vomissements commencer avec l’hémoglobinurie elle-même. Dans les cas légers, les vomissements persistent peu tandis qu’en général ils durent jusqu’à la mort dans les cas graves.
Les vomissements ont toujours présenté les mêmes caractères : liquide verdâtre plus ou moins foncé, dans lequel nagent
NOTES SCR LE PALUDISME. 55
des grumeaux, verts épais que l’on a comparés avec raison à de l’oseille pilée. Nous n’avons jamais constaté de vomissements noirs.
Dans les cas graves, ces vomissements ne laissent au malade ni trêve ni repos, le malheureux patient ne peut faire un mouvement sans inonder son lit et tout ce qui l’entoure. Nous tenons ce symptôme pour le plus pénible de tous, et cela d’autant plus que lien ne peut l’enrayer dans certains cas.
Ces vomissements naissent de causes nombreuses qu’il est inutile d’énumérer et, dans certains cas, ils sont manifestement sous la dépendance de l’urémie.
Ob s e r v a t io n IV. — A . . . , disciplinaire, 25 ans, 18 mois de séjour en Tunisie; dans la colonie depuis deux mois et demi seulement, a toujours habité à Ouakam, et depuis son arrivée aurait eu de fréquents accès de fièvre; depuis i5 jours, cette fièvre est continue (température, ho" et Ai0) accompagnée d’une intolérance absolue de l’estomac. Les urines seraient noires depuis quelques jours. Le 28 septembre, il est envoyé à l’hôpital avec le diagnostic d’embarras gastrique. Traitement suivi jusque-là : ipéca et sulfate de quinine.
A l’entrée, le malade est dans une prostration complète, dans l'impossibilité de répondre à aucune question. — Ictère généralisé, d’un jaune citron; pas de céphalalgie; douleurs du ventre et des hypocondres absolument intolérables. — Vomissements incessants, qui durent depuis plusieurs jours. — Hoquet intermittent. — Le foie et la rate, très augmentés de volume, sont très douloureux. Bruits du cœur assez réguliers; souffle à la base. — Pouls filiforme, 114. — Respiration précipitée.— Urines rares, brunâtres, très albumineuses, mais ne contenant que 8 grammes d’urée par litre. Température : matin et soir, 37°.
Champagne; injection de caféine; inhalation d’oxygène. 24 septembre. — Les symptômes ne font que s’aggraver;
rien ne peut arrêter les vomissements. À peine 60 grammes d’urine dans les 24 heures.
Température : matin, 37°; soir, 37° 6. —- Respiration : 3o le
56 CLARAC.
matin et 34 le soir. — Pouls, matin et soir, 130. — Le malade meurt dans la soirée.
Au t o ps ie . — Tous les tissus sont d’une pâleur extrême, exsangues. — Les muscles cardiaques sont très friables. — Le sang est fluide, à peine coloré.
Le foie, augmenté de volume, présente la coloration du foie cuit. — Vésicule biliaire distendue par un liquide épais ayant toutes les apparences du coaltar.
La rate pèse 600 grammes; capsule épaissie; tissu de consistance normale. — Les reins pèsent séparément 220 grammes, ils sont très congestionnés. Les trois symptômes que nous venons de décrire ont été constatés et ont présenté presque toujours les mêmes caractères; les autres présentent des variations.
r
5° E t a t de la langue.
Durant toute la durée de la maladie, la langue reste épaisse, humide, très chargée, recouverte d’un enduit verdâtre.
A aucune période et dans aucun cas, nous n’avons constaté cette sécheresse si caractéristique dans la fièvre typhoïde et la fièvre jaune. Il ne s’est jamais produit d’hémorragie buccale. La langue se nettoie rapidement une fois la com7alescenco établie.
6° S e l l e s .
Le régime desselles est assez variable; souvent il existe de la constipation à laquelle succède de la diarrhée bilieuse, plus ou moins copieuse. Quand01 assiste au début de l’accès, avant l’apparition des vomissements, le malade se trouve très bien d’un purgatif salin énergique. La diarrhée bilieuse, donnée comme un symptôme constant de la maladie, manque très souvent; dans certains cas, nous avons vu une constipation rebelle persister jusqu’à la fin de la maladie. Pellarin fait la même observation (De la fièvre bilieuse liématurique observée à la Guadeloupe. Arch, de méd. nav., 1876).
7° As pe c t g é n é r a l d u ma l a d e .
L’habitus extérieur du malade nous a toujours paru bien
NOTES SUR LE PALUDISME. 57
caractéristique. Il est dans un état d’anéantissement complet, de dépression totale de toutes les forces. Il reste étendu, indifférent à tout, ne changeant de position que pour essayer d'atténuer les douleurs qu’il éprouve. Cet aspect ne rappelle en rien celui que présentent les malades atteints d’affections lyphiques; ce n’est pointée la stupeur. Quand l’ictère disparaît, le malade reste exsangue, comme s’il avait été saigné à blanc.
7° F o i e .
Dans plus de la moitié des cas ( i5 ou 16 sur 25), nous avons constaté une hypertrophie toujours très notable du foie, mais il nous parait utile de faire remarquer que, le plus sou vent, cette hypertrophie était antérieure à l’accès hémoglobinurique, qui n’a fait que l’accentuer. Dans quelques cas, elle était la conséquence évidente de l’accès et disparaissait avec lui.
Mais ce n’est pas un symptôme constant; souvent l’organe reste dans ses limites normales et le malade n’accuse de la douleur ni spontanément, ni à la pression.
8° R a t e .
On ne saurait en dire autant de la rate, dont l’hypertrophie est constante, même dans les cas légers. Dans certains cas, elle augmente de volume, en quelque sorte à vue d’œil. Cette hypertrophie s’accompagne de douleurs très vives, parfois intolérables, véritable hypéresthésie de la région, que l’on ne peut toucher, même légèrement, sans provoquer des plaintes.
Chez le sujet qui fait l’objet de l’observation suivante, on pouvait suivre heure par heure la progression de la rate, qui dès le troisième jour dépassait l’ombilic.
O b s e r v a t io n V. — G. . ., disciplinaire, 27 ans, 2Ù mois de séjour au Sénégal (camp de Ouakam) où il a eu de fréquents accès de fièvre. Était à l’hôpital de Dakar depuis le 9 août pour anémie, hypertrophie du l'oie et de la rate, palpitations cardiaques; trop fatigué pour retourner à Ouakam, il aidait «à soigner ses camarades, dont deux étaient atteints de fièvre hénioglobinurique, quand il a été lui-même atteint de cette dernière affection.
58 CLARAC.
Le 1"' octobre à h heures, céphalalgie, fièvre; temperature, 38°; à 8 heures du soir, frissons d’une violence extrême qui durent 3 heures, puis fièvre et céphalalgie intenses; vomissements bilieux très pénibles; à 3 heures du matin, température, 40°; selles noirâtres; urines noires; à 6 heures et demie du matin, début de l’ictère qui s’accentue très rapidement.
2 octobre. — Ictère généralisé ; céphalalgie; le malade souffre de partout. — Langue humide, très chargée. — Vomissements incoercibles, d’un vert porracé. — Selles bilieuses.
Foie hypertrophié, mais non douloureux. — Rate très douloureuse, débordant les fausses côtes. — Battements cardiaques faibles, souffle à la pointe. — Température, 39°2. — Pouls, 110.
— Respiration, 40 — 400 grammes d’urines biller.
Dans l’après-midi, la rate a plus que doublé de volume. — Température, 40°.
Prescriptions. — Lait, eau chloroformée, champagne frappé, rien n’est toléré; inhalations d’oxygène; 5 injections de bromhydrate de quinine de 25 cent.; injections d’ergotine sur la région splénique.
3 octobre. — On note les mêmes symptômes, notablement aggravés; à peine i5o grammes d’urine. — La rate atteint presque l’ombilic. — La respiration, très difficile, se régularise sous l’influence des inhalations d’oxygène.
Température : matin, 36° 7; soir, 36° 3. — Pouls, 110. — Respiration, 46
Champagne frappé. — Lait. — Inhalations d’oxygène. — Injections d’ergotine.
h octobre. — Moins de douleurs et de vomissements. — La rate a diminué de volume. A peine 3o grammes d’urines biller.
— Le malade est dans une prostration absolue. — Selles bi lieuses. — Plus de vomissements, plus d’ictère, mais teinte terreuse des téguments.
Température: matin et soir, 36°5. — Pouls, 106. — Respiration, 36.
5 octobre. — Prostration extrême; indifférent à tout, le malade est incapable d’aucun effort; hoquets, pas de vomissements, à peine quelques grammes d’urines biller très foncées.
NOTES SUR LE PALUDISME. 59
— Température : matin, 36°5; soir, 38°. — Pouls, 105. — Respiration : malin, 27 ; soir, 31. — Limonade purgative; ventouses sur la région lombaire, etc. Des frictions énergiques sur tout le corps avec du citron provoquent une sudation abondante.
— 6 octobre. — Le malade se dit bien mieux; pas d’urines.
— Température: matin, 37°4; soir, 37°. — Pouls, 100.
— Respiration, 30.
Mèmes prescriptions.
7 octobre. — Environ 60 grammes d’urines brunâtres, laissant un dépôt abondant. Etat général plutôt bon. — Tem pérature : matin, 37°; soir, 36° 2. — Pouls, 80; soir, 79.
— Respiration, 27; soir, 24.
8 octobre. — Selles noirâtres extrêmement fétides, expectoration sanguinolente, épistaxis.— Température: matin, 36°7; soir, 36° 5. — Pouls, 78. — Respiration, 19. — Toniques; lait; thé de bœuf; ventouses sèches; inhalations d’oxygène.
9 octobre. — Le malade se dit très bien et demande à sortir du lit. — Anurie. — Température : matin, 33° 8; soir, 36° b.
— Pouls, 80. — Respiration, 24.
10 octobre. — Nuit très agitée. — Selles bilieuses. — Un peu d’urine.— Température, 36° 4.— Pouls, 80.— Respiration, 24. 11 octobre.— Insomnie absolue.— Vomissements porracés.
Douleurs généralisées. — Pas d’urine.— Température, 36" 5. Pouls, 7 6 .— Respiration, 18.
12 octobre. — Le malade s’affaiblit rapidement ; plaintes continuelles. Il meurt à 4 heures 15 minutes du matin.
Au t o psie. — Poumons petits, ratatinés, exsangues. — Le muscle cardiaque est pâle et friable. — Le sang qui s’écoule des vaisseaux n’est qu’une sérosité roussâtre. — Tous les tissus sont pâles et anémiés.
Le foie est un peu ramolli, graisseux. — La rate est dure, pré sente une consistance scléreuse; elle est loin de présenter le même volume qu’au début de la maladie ; elle pèse 450 grammes. Les reins ne sont pas sensiblement augmentés de volume; mais les pyramides présentent une teinte noire, les tubes sont absolument obstrués par le pigment et les débris globulaires.
60 CLARAC.
La rate ne reste pas hypertrophiée pendant toute la durée
de la maladie, mais commence à régresser en même temps que l’ictère disparaît. Les rates que l’on trouve à l’autopsie, sont loin d’être aussi volumineuses que pendant la vie.
Cette hypertrophie, accompagnée de splénalgie plus ou moins violente, peut être considérée comme un symptôme constant au même titre que l’ictère et l’hémoglobinurie.
Nous aurons à revenir sur cette partie de la question en étudiant l’étiologie et l’anatomie pathologique de la fièvre hémogiobinurique. Il nous semble que les auteurs attachent bien peu d’importance à la rate et au rôle qu’il conviendrait de lui attribuer, pour ne citer que Dutrouleau, qui du reste semble n’avoir eu qu’une conception bien vague de la fièvre hémoglobinurique.
ttLa lésion très fréquente de la rate, écrit-il, n’est que le cachet du concours de l’élément palustre dans l’étiologie.» ( Maladies des Européens dans les pays chauds.) Cette façon par trop brève d’envisager le rôle de la rate résume cependant l’opinion d’un grand nombre d’auteurs.
9° T r o u b l e s d e l ’in n e r v a t io n .
En même temps que la douleur qui accompagne le plus souvent l’hypertrophie du foie et de la rate, on constate des douleurs très vives, parfois intolérables au creux épigastrique; douleurs dont le point de départ peut être aussi bien l’estomac que le lobe gauche du foie.
Nous avons vu les douleurs épigastriques provoquer des cris au malade, chez le nommé B ......... (Obs. VI), qui a succombé à une atteinte de tétanos survenue pendant la convalescence. Souvent le malade se plaint de douleurs abdominales généralisées. Nous avons constaté dans un cas une douleur testiculaire intolérable.
La lombalgie n’est pas constante, mais très fréquente; nous l’avons vue parfois présenter les caractères du coup de barre de la fièvre jaune.
Le plus souvent le malade accuse une céphalalgie plus ou
NOTES SUH LE PALUDISME. 61
moins vive. Dans certains cas, les douleurs sont généralisées, le malade souffre de partout.
L’insomnie est très fréquente; elle est même constante dans les cas graves. Nous avons fait la même observation tou chant le délire et le hoquet.
Ces différents symptômes, communs aux. maladies graves, ne nous ont paru présenter dans la fièvre hiémoglobinurique aucun caractère particulier.
O b s e r v a t i o n VI. — B ................ 2 2 a n s , d i s c i p l i n a i r e ; 2 2 m o i s
de séjour dans la colonie (camp de Ouakam); trois entrées à l’hôpital, dont deux pour fièvre avec vomissements bilieux et une pour fièvre hématurique légère.
Cet homme est dirigé sur l’hôpital, le 9 décembre 1884, et raconte qu’il a de la fièvre depuis trois jours. La veille de son entrée, il a constaté qu’il urinait rouge et qu’il avait la peau jaune.
À l’entrée: ictère généralisé et très intense; dépression des forces; céphalalgie; lombalgie. Les hypocondres et le creux épigastrique sont particulièrement douloureux. Langue chargée; ventre souple; pas de vomissements, constipation.
Le foie est douloureux, mais peu hypertrophié. — La rate est le siège d’une hypertrophie considérable; elle remplit une partie de l’abdomen.
Pouls mou, précipité. — Respiration normale.
Urines abondantes, présentant la teinte bitter très foncée; densité, 1017; albumine, 0 ,90 ; urée, 1/1,70; pas de bile.
— Temperature : matin, 36° 5; à 3 heures, 39°1.
Lait, lavement purgatif; tisane de kinkclibah; un gramme de sulfate de quinine; 0,25 de bromhydrate en injection.
10 décembre. — Mêmes symptômes aggravés; plus de vo missements bilieux; 1,000 grammes d’urines bitter très foncées.
— Température: matin, 38°; soir, 38°3.
Mêmes prescriptions. — Ventouses sèches sur la région lombaire.
11 décembre. — La dépression est absolue et complète.
L’ictère est plus marqué.62
CLARAC.
Vomissements incoercibles et caractéristiques.— Les douleurs
dominent la scène; elles sont intolérables et généralisées. — Température: matin, 36" 5; soir, 87°.— Pouls petit, 120 .— Respiration, 28. — Urines très foncées et abondantes, conte nant 1/1 grammes d’urée par litre.— Bromhydrale de quinine en injection; injection d’éther et de caféine.
12 décembre. — Délire; douleurs intolérables; vomisse ments incoercibles. — Les urines moins foncées présentent presque la teinte normale; pas d’albumine; 17 gr. 5o d’urée par litre. — Température: matin, 37°; soir, 37°G.
Amélioration très sensible dans l’après-midi.
13 décembre. — Les urines présentent la teinte normale; plus d’ictère. — L’amélioration persiste. — Température: matin, 37°; soir-, 37° 9 (1 gramme de bromliydrate de quinine).
14 décembre. — Le malade présente un aspect cachectique très marqué; il est très affaibli. — Pouls : 120. — Souille au cœur. — 760 grammes d’urines normales.— Température : matin, 37°8;soir, 38°. — Toniques; 1 gr. 25 de bromliydrate de quinine.
15 décembre.— L’amélioration continue.— Les urines sont très abondantes: 2,25o grammes et normales. — Température: matin, 37°6; soir, 37° 8.
16 décembre. — Le malade peut être considéré comme convalescent.
17 décembre. — Les urines sont très abondantes et très chargées.— Les doses de quinine sont considérablement diminuées.
Durant les jours suivants, la convalescence s’accentue davantage-
21 décembre. — Durant la nuit, douleurs violentes à la
nuque et dans les articulations temporo-maxillaires. — Au moment de la visite du matin, contracture des muscles de la nuque, de la face (rire sardonique); déglutition à peu près impossible.
Les urines abondantes contiennent 22 grammes d’urée par
litre.
Le lit du malade est placé près d’une fenêtre, et, malgré le
NOTES SUR LE PALUDISME. 63
recommandations les plus expresses, B ......... a persiste' a la laisser ouverte pendant les nuits, très fraîches alors.
À la suite d’une injection de quinine, il s’était produit une petite escarre éliminée hier, laissant une plaie large comme une pièce de 5o centimes, pansée avec soin.
Enfin dans la même salle avait succombé, un an auparavant, un blessé atteint du tétanos.
Malgré un traitement chloralé énergique, le tétanos a continué à évoluer d’une façon classique jusqu’à la mort, qui a eu lieu le 22, à 4 heures du matin, 24 heures après le début des accidents.
Au t o ps i e . — Les cavités thoracique et crânienne n’ont rien présenté de particulier.
Le foie, augmenté de volume, pèse 2 kil. 25o; la rate, 1 kil. 38o. Les deux reins sont légèrement congestionnés.
Le sang qui s’écoule des vaisseaux sectionnés présente un aspect normal et ne ressemble en rien à la sérosité roussâtre constatée dans d’autres autopsies.
B ......... était convalescent quand le tétanos a débuté. Il ne nous paraît donc pas que les accidents tétaniques doivent être considérés comme la conséquence de la fièvre hémoglobinurique, comme sa conséquence immédiate du moins. Du reste, la plaie résultant de la chute de l’escarre, l’inlluence évidente du froid et peut-être une infection directe suffisent pour expliquer le tétanos, sans compter que le convalescent, profondément anémié, était absolument désarmé contre l’infection tétanique.
L’autopsie de ce sujet, mort au début de la convalescence, nous a permis de constater l’état des organes au début du retour ad integrum. Le sang avait repris son aspect normal ; quelques petites ecchymoses rénales de la surface étaient en voie de résorption. — Le foie et la rate, considérablement hypertrophiés, restaient ce qu’ils devaient être avant l’accès hémoglobinurique, preuve d’une profonde intoxication paludéenne, menace de nouveaux accès hémoglobinuriques.
i o ° T h e r m o m é t r i e .
Les tracés thermométriques des cas de fièvre hémoglobinurique
64 CLARAC.
observés à Dakar peuvent se résumer de la façon sui vante: élévation brusque de la température après le frisson, jusqu’à ho et même Ai0; chute également brusque après l’apparition de l’ictère et de l’hémoglobinurie, puis température sous-fébrile, souvent même hypothermie jusqu’à la mort ou la convalescence et même pendant la convalescence. Cette marche de la température s’observe surtout dans les cas légers et dans ceux qui doivent guérir.
On est presque tenté de dire que le plus souvent il n’y a plus de fièvre quand la maladie est confirmée. C’est là un fait général et, quand on examine en détail les courbes thermiques, on doit reconnaître que ces courbes n’ont rien de bien défini, rien de bien caractéristique. On chercherait en vain dans la marche de la température, les règles fixes et constantes que l’on observe dans les grandes pyrexies (la fièvre typhoïde et la fièvre jaune, par exemple). Rien ne justifie la dénomination de fièvre rémittente qui a été attribuée à la fièvre hétnoglobinurique. Il ne s’agit pas plus dans l’espèce du type rémittent que du type continu ou intermittent. Tantôt, avant la chute brusque, on constate une certaine rémittence; dans d’autres cas, quand la température est déjà arrivée au chiffre normal, ou même au-dessous, il n’est pas rare de constater une élévation plus ou moins sensible de la courbe, véritable accès intercurrent. Dans des cas qui ne sont pas les moins graves, la courbe subit de grandes oscillations ascendantes et parfois le malade succombe avec de l’hyperthermie (Obs. IX) ou au contraire elle va en s’abaissant continuellement et la mort arrive en hypothermie (Obs. I et II). Le plus souvent, les températures extrêmes aggravent le pronostic.
Les indications thermométriques des observations complètent suffisamment ce que nous pourrions dire encore de la marche de la température. En réalité, cette marche est très variable, car, abstraction faite de toute théorie pathogénique, la fièvre hémoglobinurique repose toujours sur un fond paludéen et, par conséquent, reste susceptible de subir l’influence thermique du paludisme.
NOTES SLR LE PALUDISME. 65
11“ Ci r c u l a t i o n .
Il nous paraît difficile de résumer l'état du pouls dans une formule générale. Les pulsations augmentent toujours avec la température, mais ne diminuent point avec elle. Le nombre des pulsations reste en général au-dessus du chiffre normal, sans que ce symptôme puisse, à notre avis, être considéré comme fâcheux. Il ne nous a pas été donné d’observer, comme le fait a été signalé, celle lenteur et cette forme de haute tension que possède le pouls dans les états biliphéiques, lenteur si caractéristique dans le typhus amaril. Dans la majorité des cas observés à Dakar, la corrélation entre la courbe thermique et celle du pouls, prend (in avec l'apparition de l’hémoglobinurie. Alors que la première baisse le plus souvent, comme dans un accès intermittent, la seconde reste au contraire plus élevée, même pendant la convalescence cl ne revient à son chiffre normal qu’à la guérison complète.
Le pouls est en général mou, cotonneux, indiquant, aussi bien par son peu d’énergie que par son accélération, l’atteinte portée au système vasculaire par la déglobulisation subite et profonde du sang.
Observation VII. — M. . ., disciplinaire, 93 ans, ao mois de colonie; deux ans de séjour en Algérie. Deux entrées à l’hôpital pour lièvre. Envoyé le 31 janvier 1895 pour fièvre hématurique. Il aurait eu à Ouakam de violents accès de lièvre, accompagnés d’accidents bilieux. — Les 28 et 29 janvier, fièvre et vomissements. — Le 3o, température, 40°. — Urines rouges.
— Ipéca. — Sulfate de quinine. — À l’entrée : ictère; vomissements fréquents, caractéristiques; foie et rate très hypertrophiés et très douloureux; dépression absolue; céphalalgie. 75o grammes d’urines bitter très foncées. — Température à l’arrivée : 37° 5; soir, 37° 4.
Prescription. — Lait; injection de bromhydrate de quinine, o,a5.
1" lévrier.— Mêmes symptômes plus accentués; a,35o grammes d’urines biller foncées, contenant 13 gr. 7 d’urée parVSN. i r i l Y f i . Cfti.ON.
Janvior-fovrior-mars I
66 CLARAC.
litre. — Température : matin 36° 2 — soir 36°. — Pouls mou et régulier, 100. — Respiration, 20.
Prescription. — Lait. — Trois injections de 0,26 de bromhydrate de quinine. — Inhalations d’oxygène. Amélioration considérable; sous l’influence de ces inhalations, tous les symptômes s’atténuent.
2 février. — Amélioration très sensible; plus d’ictère, mais teinte pale, terreuse des téguments. — Bruits du cœur affaiblis, pas de souille. — Respiration : 26 le matin et 24 le soir. — Pouls, 100 et 102. — Température, 36°2 et 36° 8 .— 1,700 grammes d’urines jumenteuses, ne contenant plus d’albumine et donnant 17 gr. 74 d’urée par litre.
Même prescription, plus le sulfate de quinine par la bouche. Toniques. — Lavement purgatif, car, dès le début de la maladie, M. . . est constipé.
3 février. L’amélioration continue. — Les urines sont toujours très chargées. — Respiration : matin, 24; soir, 26.
— Pouls : matin, 112 ; soir, 104.— Température: malin,36°5; soir, 36°2.
L’administration du sulfate de quinine est continuée.
4 février. — La convalescence commence. — Le pouls reste élevé et la température plutôt au-dessous de la normale.— Les battements du cœur sont nets, mais il existe un souffle marqué à la base.
Prescription. — Sulfate de quinine, 0,75; potion tonique; perchlorure de fer. — Inhalations d’oxygène.
6 février. — Nuit très agitée. — Le malade est d’une faiblesse extrême. — Le foie et la rate sont encore volumineux, mais bien moins douloureux, — Constipation.— Respiration, 28.
— Pouls, 104. — Température : matin, 36° 7; soir, 36“ 3. 29 février. — L’amélioration continue et cependant la numération des globules ne donne que 900,000.
L’anémie est profonde.
Un traitement tonique très énergique est continué; les forces ne reviennent que lentement; le pouls reste élevé, bien que la température soit normale. Enfin, le 8 mars, le malade est renvoyé en congé.
NOTES SUR LE PALUDISME. 67
Numération des globules, 3,3oo,ooo.
L’auscultation du cœur ne présente rien de bien particulier; les battements sont en général réguliers, mais mous et éloignes. Le plus souvent, soit dans le cours même de la maladie, soit pendant la convalescence, nous avons constaté un souille anémique plus ou moins prononcé. Dans deux cas, le malade a accusé une douleur précordiale 1res vive.
Sang. —- La piqûre faite à l’extrémité des doigts laisse sourdre une véritable sérosité, à peine teintée dans certains cas.
La numération des globules sanguins présente un grand intérêt. Faite même au début de la maladie, elle révèle une diminution vraiment colossale des globules. Liiez certains de nos malades, leur nombre est tombé à 1,000,000 et même au- dessous. Cette diminution des hématies est un fait constant et capital, mais ce n’est pas tout; car, s’il est vrai qu’en général la destruction des globules est en rapport avec la gravité des cas, il n’est pas moins vrai que, dans bien des cas légers, les globules diminuent considérablement et ne reviennent que lentement et difficilement à leur chiffre normal, malgré une convalescence régulière et un état général satisfaisant. 1 faut conclure de ce fait qu’il y a lieu également de tenir compte de l’état du globule et de son degré d’altération. L’élude de ce deuxième facteur, que nous n’avons malheureusement pu faire, ne peut manquer de présenter un très grand intérêt, car dans la maladie qui nous occupe il s’agit d’une altération globulaire et il est certain que l’agent pathogène agit sur le nombre et sur la qualité des hématies. Du reste celle étude a été faite, du moins pour la fièvre paludéenne en général (Kelsch et Kiéner, Maladies des pays chauds ).
Les observations faites à l’hôpital de Dakar permettent de tirer les conclusions suivantes : la destruction des globules se fait très rapidement; en 24 ou 48 heures, leur nombre descend jusqu’à 1,000,000 (hématimètre Hayem). Il est probable ce pendant que les malades déjà plus ou moins impaludés présentaient, antérieurement à l’accès hémoglobinurique, un chiffre de globules beaucoup moins élevé que le chiffre normal.
6 8 CLARAC.
L’augmentation des globules commence en même temps que disparaît l’hémoglobinurie et que la rate diminue de volume. Cette augmentation se fait très lentement et, quand le malade quitte l’hôpital, il est loin d’avoir retrouvé son chiffre normal d’hématies. Quand, dans le cours de la maladie on constate une aggravation de l’état général, la numération des globules, dont le chiffre commençait à augmenter, permet de constater une nouvelle diminution parfois très accentuée. .
Observation VIII. — T. . ., artilleur, 23 ans. 20 mois de séjour dans la colonie. 2 entrées à l’hôpital pour fièvre paludéenne; fréquents accès de lièvre à la caserne.— Le 12 février 1895, température, 40° 2; le 13 , 40"6; dans la soirée du 13 , frissons intenses, urines noires. Il est envoyé à l'hôpital dans la soirée même: température, 38° 6, pas d’ictère, vomissements porracés. Chute de la température dans la nuit.
Prescription. — Bromhydrate de quinine: 5o centigrammes en injection, 50 centigrammes par la bouche. — Lait.
14 février. — Ictère généralisé très marqué. — Dépression complète. — Langue humide. — Pas de vomissements, pas de diarrhée. — Foie normal. — Rate très hypertrophiée, mais peu douloureuse. — Battements du cœur un peu éloignés. — Pouls mou, 80 pulsations. -— Respiration normale. — Tempéra ture, 37° 3. — 200 grammes d’urines malaga. Soir : respiration, 28. — Pouls, 90. Température, 38° et 38°8. — 600 grammes d’urines. — Globules, 2,700,000.
Prescription. — Lait; tisane de kinkélibah; purgatif, bromhvdrate de quinine: 75 centigrammes en injection, 1 gr. 25 par la bouche; inhalations d’oxygène.
13 février. — Insomnie. — Ictère plus marqué. — Vomissements caractéristiques très fréquents. — Selles bilieuses. — Douleurs lombaires et épigastriques très fortes. — Foie normal. — Rate volumineuse et douloureuse. — Pouls, 120; soir, 130. — Respiration : matin, 3o; soir, 28. — Température: matin, 37°4 ; soir, 37°8.
1000 grammes d’urines biller, contenant beaucoup d’albumine et 17 gr. 5 d’urée par litre. Hématies, 1,860,000.
NOTES SUR LE PALUDISME. 69
Prescription. — Lait; champagne; tisane de kinkélibah (rejetée). — Inhalations d’oxygène. — Bromliydrate de quinine,1 gr - 50-
16 février. — Mêmes symptômes. — Pouls, 112. — Respira t ion ,28. — Température : matin, 36°; soir, 37°2.
1,200 grammes d’urines jumenteuses, avec dépôt abondant, plus d’albumine. — Hématies, 1 ,519,000.
Meme prescription.
17 février. — Etat général moins mauvais. — Anémie très marquée.— Pouls: malin, 100; soir, 90.— Respiration, 28.— Température : matin, 36° 2 ; soir, 36° 6. Hématies, 2,108,000.
18 février. — L’amélioration continue. — Les urines (1,200 gr.) sont moins chargées. — Hématies, 3,100,000. 5o centigrammes de sulfate de quinine seulement.
19 février. —- Un peu d’ictère; le malade est très affaissé.
— Pouls : matin, 88; soir, 80. — Respiration : matin, 28; soir, 24. — Température: matin, 36° 5; soir, 36°8. — Hé maties, 2,281,000.
20 février. — Le malade est moins déprimé. — L’ictère constaté hier a disparu. — Hématies, 3,565,000.
Le pouls, la respiration et la température sont restés les mêmes.
Prescription. — Régime léger; thé de bœuf; toniques; per- chlorure de fer. — Inhalations d’oxygène.
A compter de ce moment, la convalescence marche réguliè rement, jusqu’à la sortie du malade, 8 mars. Le chiffre des hématies a varié entre 3 millions et 3,5oo,ooo; à la sortie, il est de 3,280,000.
12° F o r m e s .
Nous ne pensons pas qu’il soit utile de nous arrêter long temps sur les différentes formes observées par nous. Les faits que nous rapportons, les notes, qui les accompagnent nous dis pensent d’insister sur les formes légères, graves ou sidérantes décrites par les auteurs; il ne s’agit après tout que de symptômes plus ou moins graves.
Nous croyons cependant utile de fournir ici l’observation
70 CLARAC .
d’un cas sidérant, intéressant du reste à plusieurs points de vue.
Observation IX. — G. . . , 29 ans, soldat d’infanterie de
marine. Antérieurement à son arrivée au Sénégal, il a séjourné
27 mois en Algérie, pas de fièvre, 33 mois au Tonkin, courts el rares accès de fièvre. H y a un mois, c’est-à-dire dix mois après son arrivée dans la colonie, premier accès de fièvre sans gravité. Hier, nouvel accès; vomissements bilieux (ipéca, sulfate de quinine, 1 gramme); température, 38° 5, puis, 40°1. — Envoyé d'urgence à l’hôpital dans un état de proslration exfrème. Température, 39°8. - Injection de 50 centigrammes de bromhydrate de quinine.
20 octobre 1895 . — Ictère généralisé. — Prostration très grande. — Vomissements incessants el très pénibles, provoquant des douleurs vives. à l’épigastre. — Pas de selles. — Foie hypertrophié, mais non douloureux. — Rate volumineuse et très douloureuse. — Céphalalgie et lombalgie légères. — Respiration faible, 36. — Pouls mou, 86. — Température: matin, 37“7; soir, 39° 3.
Les urines présentent une teinte bitter foncée; elles sont rares.
Prescription. — Champagne; lait; purgatif (rejeté); lavement
purgatif; eau chloroformée (sans effet sur les vomissements).
— Injections : caféine; bromhydrate de quinine, 75 centigrammes.
21 octobre. — Ictère plus marqué. — Depuis son entrée à
l’hôpital, le malade n’a pas cessé de vomir.— Selles bilieuses fréquentes. — La rate a encore augmenté de volume; la région splénique est absolument hyperesthésiée. — Anurie. Hématies, 1,000,000. —- Température, 38° 5. — Pouls, 80.
Respiration, 36.
Les symptômes ne font que s’aggraver : la prostration augmente; pouls misérable; respiration de Cheynes-Stocks; mouvements convulsifs.
Température : soir, 39°4. — Pouls, 90. — Respiration, 45. Même traitement. — Inhalations d’oxygène.
Dans la soirée, convulsions, mort.
NOTES SUR LE PALUDISME. 71
Au t o ps ie . — 13 heures après la mort. Sujet 1res vigoureux.
— Teinte jaune des téguments et de tous les tissus. — Le sang est pâle, fluide. — Le cœur est normal; son tissu est flasque. — Les poumons sont fortement congestionnés. — Le foie n’est pas sensiblement augmenté de volume; son tissu présente une consistance molle, grasse. La teinte rappelle celle du foie, dans le typhus ictérode. — La rate, énorme, pèse q5o grammes; d’une consistance normale. — Les reins, non augmentés de volume, pèsent 3oo grammes. Ils présentent une teinte généralisée d’un rouge vineux. — La congestion est intense, apoplectique. — Les méninges sont injectées.
C’est bien là la forme sidérante. La maladie a évolué avec une rapidité vraiment foudroyante. Une température toujours élevée, des vomissements incessants ne laissant aucun repos au patient, une respiration et des mouvements convulsifs, caractéristiques de l’urémie, des urines rares, fortement colorées au début et rapidement supprimées, tels sont les symptômes qui ont rapidement déterminé la mort.
En raison de la température élevée et de la gravité du cas, nous avons, malgré l’anurie, continué à donner les sels de quinine. Celte médication a-t-elle contribué à aggraver la situation absolument désespérée de ce malade? Nous ne le pensons pas. En tout cas, elle n’a été d’aucune utilité.
Nous aurons à revenir plus loin sur les lésions trouvées à l’autopsie.
13° Durée.
À ce point de vue nous pensons qu’il faut considérer la maladie comme un simple accès, comparable, par exemple, à un accès pernicieux, plus ou moins prolongé, quand les urines fortement colorées par l’hémoglobine, puis troubles, jumenteuses, sont redevenues claires. Quand le foie et la rate sont à peu près rentrés dans leurs limites antérieures, l'ictère ayant déjà fait place à la teinte cachectique qui existait plus ou moins auparavant, on peut dire que l’accès est terminé et que la convalescence commence.
Ainsi définie, la durée de la fièvre hémoglobinurique est en
7 2 CLARAC.
somme assez courte, el les observations laites à Dakar concordent parfaitement avec les données fournies par M. Gorre.
On ne saurait attribuer, comme durée à la maladie, celle du séjour à l’hôpital. Nous avons déjà dit ce que nous pensions de la période dite fébrile, qui serait de cinq à sept jours d’après certains de nos collègues, période fébrile qui, en réalité, manque presque toujours, ou plutôt prend fin le plus souvent avec l’apparition de l’hémoglobinurie, c’est-à-dire avec la confirmation de la maladie.
1 est juste de dire que les auteurs n’ont pas donné la, marche de la température, le thermomètre n’étant pas à celle époque encore employé en clinique, et qu’ils n’ont eu pour guide que le pouls; or, nous avons montré qu’il est loin de marcher d’accord avec la température.
Dans tous les cas que nous avons observés, la maladie n’a jamais dépassé 12 jours; le plus souvent elle a oscillé entre G et 10 jours. Elle n’a pas dépassé 8 jours dans les cas mortels.
14 ° Co m p l i c a t i o n s .
Nous n’avons jamais constaté de complication proprement dite. On a, il est vrai, décrit des accès pernicieux intercurrents. Les observations données à l’appui ne nous paraissent pas devoir entraîner la conviction; en supposant du reste un accès pernicieux toujours possible, il nous parait qu’il sera bien difficile de porter un diagnostic ferme et de faire la part qui revient à la perniciosité et à la maladie elle-même. Celle-ci n’a-t-elle pas été considérée par quelques-uns comme un véritable accès pernicieux.
Nous ne pouvons donner comme une complication le tétanos constaté chez B. . . (Obs. VI); ce 1’est qu’un accident.
Nous avons retrouvé dans les archives de l’hôpital l’observation suivante que nous résumons: à la fièvre hémoglobinurique a succédé un étal typhoïde qui a entraîné la mort.
O b s e r v a t io n X. — H. . .. lieutenant de spahis, descend du Soudan el est envoyé à l’hôpital de Dakar, le fi juillet 1891.— Accès de fièvre hier; hémoglobinurie. — Température : 37°.
NOTES sur. le PALUDISME. 73
— Café noir, antipyrine et sirop diacode. — Injections de quinine.
7 juillet. — Selles bilieuses et l’on noie que l’hémoglobinurie revient avec les accès. —- Agitation; subdélire. — Vomissements. — Température : matin, 36" 3; soir, 37" 2. - 2 grammes de sulfate de quinine; 2 injections de quinine.
8 juillet. — Ces symptômes s’aggravent. — Vomissements incessants. — Température : matin, 36“ 3; soir, 38° 8.
Caféine. — Injections de quinine.
10 juillet. — Mêmes symptômes. — Purgatif et sulfate de quinine.
11 juillet. — Plus d’hémoglobinurie.
12 juillet. — La température atteint 39° 1. — Sulfate de quinine en injection.
13 juillet. — La fièvre prend une marche continue. — Faciès typhoïde.
La maladie prend alors toutes les allures d’une fièvre typhoïde ou plutôt d’un état typhoïde.
18 juillet.— On note : plus d’ictère, fièvre continue, symptômes typhoïdes de plus en plus accusés. — Le cœur faiblit.
— Suppression des sels de quinine, dont l’administration avait été continuée jusque-là.
20 juillet. — Fièvre continue. — Délire.— Langue rosée.
— Cœur très affaibli.
24 juillet. — A l’agitation des derniers jours a succédé une dépression absolue.— Intelligence obscure.— Météorisme de plus en plus accentué. — Mort dans l’après-midi.
Autopsie. — Résumé : Cadavre très émacié. — Poumons pâles; congestion hypostatique de la face postérieure. - Cœur : dégénérescence graisseuse du muscle. — Muqueuse de l’estomac congestionnée. — Les intestins ne présentent rien d’anormal. — Le foie pèse 1,020 grammes; tissu très friable. — Vésicule distendue par de la bile très épaisse, ressemblant à du coaltar. — La rate, augmentée de volume, est congestionnée et ramollie. — Les reins présentent de la dégénérescence graisseuse. :— Le sang est noir, épais, poissant les doigts, en résumé, rien de caractéristique.
74 CLARAC.
Il n’est. pas sans intérêt dans cette observation de signaler l’étrange abus qui a été fait des sels de quinine, et on peut se demander si la médication est étrangère à la marche suivie par
la maladie.
On peut encore signaler comme complications certaines suppurations, complications qui se montrent pendant la convalescence.
15° Co n v a l e s c e n c e .
Une affection qui porte une atteinte aussi profonde à la composition du sang doit nécessairement entraîner une convalescence longue et pénible. Il suffit de signaler l’état de cachexie qui succède à la maladie elle-même, pour comprendre ce que doit être la convalescence et les indications qu’elle comporte. Il s’agit, en somme, d’un sujet profondément anémié dont le foie, la rate et les reins restent suspects et doivent être activement surveillés. Parfois, la convalescence constitue une véritable maladie, plus longue et tout aussi grave que l’accès hémoglobinurique. Ce que nous avons dit de la déglobulisation du sang indique que la convalescence peut être pénible, même dans les cas légers.
Deux fois nous avons vu survenir des épistaxis très rebelles, accidents auxquels l’état du foie n’était sans doute pas étranger. Un de nos convalescents a accusé pendant longtemps des douleurs névralgiques intolérables.
Un missionnaire, convalescent d’une fièvre hémoglobinurique grave, est venu réclamer nos soins pour une parotidite suppurée qui a failli lui coûter la vie.
L’observation suivante trouvée dans les archives de l’hôpital nous paraît assez intéressante.
O b s e r v a t i o n XI. — Résumé : L. . ., soldat d’infanterie de marine, 12 mois de séjour; 20 entrée à l’hôpital. Le 25 mars, accès de fièvre. — Température : matin, 38° 5; soir, 38" 9.
— Frissons.
26 mars. — Vomissements bilieux. — Ictère. — Urines bitter. — Température : matin, 41°; soir, 40°.
27 mars. — Chute de la température : 36° 2 le matin et
NOTES SUR UE PALUDISME. 75
37" 3- le soir. Les choses restent en l’état, les urines étant toujours très colorées, jusqu’au 3o mars, date à laquelle la température de 37e atteint h 10 3 dans la soirée, pour revenir ensuite à la normale; alors les urines ont les caractères des urines dites jumenteuses (200 à 500 grammes par jour).
La convalescence semble alors établie quand survient de la parotidite. — Température du 8 avril, 38" 8. — Le malade succombe le 14 avril.
Traitement : Sels de quinine en injections ou par la bouche; du s5 mars au 7 avril, le malade a pris 21 grammes de quinine!
Pendant l'accès hémoglobinurique : Eau chloroformée. — Purgatifs. •—• Traitement symptomatique.
A u t o p s i e . — Dégénérescence graisseuse des muscles.— Hypertrophie du foie. — Rate normale.
Les deux glandes parotides sont hypertrophiées, les régions voisines très œdématiées. — Le tissu glandulaire est des deux côtés infiltré d’un pus épais, verdâtre, assez abondant.
D’autres faits du même genre ont été, croyons-nous, déjà signalés dans la fièvre hémoglobinurique.
Il nous paraît intéressant de les rapprocher de ceux que relate
M. le D' Massé (Étude sur /’ictère grave; thèse de Paris, 1879). D’après ce médecin, des parotidites suppurées ont coïncidé plusieurs fois avec la guérison de l’ictère grave.
Les parotidites sont vraisemblablement la conséquence d’associations microbiennes analogues à celles observées dans les grandes pyrexies, dans la fièvre jaune, par exemple.
Chez le malade qui fait l’objet de l’observation suivante, la convalescence a été particulièrement grave et pénible.
O b s e r v a t io n XII. — L. . ., disciplinaire, âgé de âo ans. Cet homme, absolument usé, est au Sénégal (camp de Ouakam) depuis 19 mois, après avoir vécu i3 années en Algérie, où il aurait eu de fréquents accès de fièvre.
Depuis son arrivée dans la colonie, accès de fièvre très fréquents accompagnés d’accidents bilieux. — Séjour à l'hôpital, en juin 189b, pour dysenterie.
Le 3 janvier 1896, à son entrée à l'hôpital, on note : fièvre
76 CLARAC.
depuis plusieurs jours. — Dans la uuil du 9 au 3, frissons violents. — Fièvre. — Urines rouges au réveil.
Prostration extrême; le malade peut à peine répondre aux questions. — Ictère léger. — Douleurs lombaires et abdominales intenses. — Langue très chargée. — Pas de vomissements. — Selles bilieuses abondantes. — Foie normal, non douloureux. — La rate est notablement augmentée de volume et est très douloureuse. — Pouls régulier, mou. — Les bruits du cœur sont faibles; pas de souille.
Les urines sont absolument noires. — Température : matin, 41° 2 ; soir, 40° 9.
Prescription. — Lait. — 5o centigrammes de bromhydrate de quinine en injections. — Larges et continuelles applications de ventouses sèches sur la région lombaire. — Limonade purgative.
4 janvier.— Mêmes symptômes aggravés. Les douleurs lombaires et spléniques arrachent des plaintes continuelles au malade. — L’ictère est plus marqué. — Pas de vomissements.
— La rate a augmenté considérablement de volume. - 1,000 grammes d'urines très foncées depuis hier. — Temperature : matin, 39°; soir, 39° 6.
Même prescription que la veille, plus inhalations d’oxygène.
— Potion chloroformée à k grammes; celle potion est constamment rejetée.
5 janvier. — Vomissements caractéristiques incessants. - Sidles bilieuses abondantes. — 700 grammes d’urines très foncées. — Dans la soirée, le pouls, devenu imperceptible, se relève sous l’inlluence d’une injection de caféine. — Température : matin, 37° 9; soir, 37° 7.
Même prescription. — La potion chloroformée est toujours rejetée.
0 janvier. — Le malade refuse de prendre la potion chloroformée, à laquelle il attribue ses vomissements.
L’ictère est moins marqué; les urines sont peu abondantes et moins foncées. — Syncope assez grave. — Température : malin, 30° 6; soir, 36° 2.
Prescription. — Champagne frappé. — Lait. — Ventouses.— Oxygène. — puis hier.
NOTES SUR LE PALUDISME. 77
Les injections de quinine sont supprimées depuis hier
7 janvier. — Vomissements incessants. — Faiblesse extrême.
— Rate moins volumineuse et moins douloureuse. — Le foie est resté normal. — On constate un peu d'amélioration. — Température : matin, 36° 4; soir, 36° 5.
8 janvier. — Plus d’ictère. — Urines brunâtres peu abondantes, contenant encore de l’albumine.
9 janvier. — Nuit très agitée. — Urines rares.
11 janvier. — Epistaxis très abondante pendant la nuit. — 700 grammes d’urines claires.— Température: matin, 36° 5;
soir, 36° 2.
12 janvier. — Débâcle bilieuse.— Affaiblissement extrême.
Prescription. — Lait. — Bouillon. — Toniques. — Oxygène.
17 et 18 janvier.—• Les épistaxis se renouvellent; la faiblesse du malade est telle que l’on craint une issue fatale.
20 et 21 janvier. — Elévation de la température. — La convalescence se fait avec une lenteur extrême.
La médication par le fer, l’oxygène, les toniques et le lait est continuée.
2 février. — On note encore : Faiblesse extrême. — Ecchymoses sous-conjonctivales.
Enfin, le 18 février, le malade, encore très anémié, peut sor tir de l’hôpital pour rentrer en France.
‘ 16° Re c h u t e s . — R é c id iv e s .
Nous n’avons jamais constaté de rechute pendant la convalescence ou peu après.
Tous les auteurs s’accordent à reconnaître que les récidives
sont fréquentes. Sur 24 cas observés à l’hôpital de Dakar, cinq malades avaient déjà eu un premier accès de fièvre hémoglobinurique; deux sont morts. Un malade en était à son troisième accès. Il est probable que les récidives seraient plus fréquentes si, dans presque tous les cas, les malades n’étaient pas rapatriés.
78 CLARAC.
Nous pensons qu’il ne faut accepter que sous bénéfice d’inventaire, les déclarations de certains malades qui accusent par fois un grand nombre d’accès hémoglobinuriques antérieurs. En allant au fond des choses, on est convaincu que ces malades, qui parlent avec une certaine complaisance, du reste, de leurs nombreuses bilieuses hématnriques, n’ont eu, en réalité, que de simples accès bilieux avec urines plus ou moins colo rées par les pigments biliaires.CHAPITRE II.
ANATOMIE PATHOLOGIQUE.
Nous pensons qu’il reste fort peu de chose à ajouter à l’anatomie pathologique macroscopique de la lièvre hémoglobinurique; il faut, du reste, avouer que les lésions anatomiques ne sont guère caractéristiques. Aussi serons-nous bref sur les diverses particularités qu’il nous a été donné de constater.
1° Ha b i t u s e x t é r ie u r .
D’après tous les auteurs, le cadavre présenterait une teinte ictérique plus ou moins accentuée; c’est peut-être un fait général, mais qui comporte de nombreuses exceptions. Quand la maladie a duré un certain temps, le cadavre n’est pas jaune, mais d’une pâleur terreuse; c’est celui d’un homme mort eu étal de cachexie profonde.
Nous avons dit plus haut n’avoir jamais constaté une teinte ictérique plus marquée après la mort (B.-Benoit).
Les tissus sont plus ou moins colorés en jaune ou simplement plus ou moins anémiés.
2 ° Cavité thoracique
Dans cette cavité, les poumons, les plèvres et le cœur ne nous ont rien présenté de bien intéressant. Presque toujours le cœur était mou, pâle et flasque, parfois manifestement graisseux. Il est probable que celte dégénérescence, antérieure à l’accès hemoglobinurique, avait contribué à l’aggraver.
NOTES SLR LE PALUDISME. 79
3° C a v i t é a b d o m in a l e .
Nous ne trouvons rien à signaler du côté du péritoine et des intestins.
Le l'oie, la rate et les reins seuls méritent d’arrêter l’attention.
Foie. — Sur 9 autopsies, cinq fois l’organe a présenté des poids variant entre i,5oo et 1,900 grammes; quatre fois ce poids dépassait 2 kilogrammes.
Souvent le tissu hépatique présentait une coloration rap pelant assez exactement celle du foie cuit; généralement le tissu était friable, rarement congestionné, souvent sec, suivant l’époque de la maladie à laquelle avait succombé le sujet.
Chez le nommé6 . . . (Obs. I l) , le foie présentait une teinte jaune café au lait; le tissu, mou, donnait la sensation du mastic. Par son aspect, sinon par sa consistance, le foie rappelait celui de la fièvre jaune. Le tissu était manifestement graisseux.
Cette lésion doit être assez rare puisque MM. B. Benoit et Corre ne l’ont jamais observée; mais M. Pcllarin a rencontré une lésion semblable (Arch, de méd. nav.; loc. cit.), qui est due d’après lui «à l’infiltration graisseuse, comme dans la fièvre jaune». Bourse et Coquerel, cités par M. Corre, donnent deux observations de dégénérescence graisseuse du foie dans la lièvre hétnoglobinurique.
S’agit-il d’une lésion propre à la maladie qui nous occupe? Nous ne le pensons pas. Cet état pathologique doit être antérieur à l’accès hétnoglobinurique, qu’il aura vraisemblablement contribué à aggraver.
Constamment, la vésicule était distendue par une sorte de pâte plus ou moins consistante, comparée à du raisiné ou à du goudron de Norvège et constituée plutôt par des débris de globules que par de la bile.
Rate. — La plus volumineuse que nous ayons trouvée pesait i,38o grammes. Trois fois seulement l’organe présentait son poids normal. Le plus souvent, nous avons trouvé le tissu dur et la capsule épaissie. Chez un sujet il était réduit à l’état de boue et sa rupture semblait imminente.
80 CI.ARAC.
La coloration ardoisée, signalée par Pellarin, existait dans plusieurs cas.
En résumé, nous n’avons rien trouve' de particulier; du reste, comme le fait justement observer Se'rès des altérations du l'oie et de la rate ne diffèrent guère de celles que l’on rencontre chez les sujets qui succombent à une atteinte de fièvre paludéenne; elles n’ont rien de particulier à la maladie». (De l’affection paludéenne et de la fièvre bileuse hématurique observée au poste M’Bidgen en 1863, Th. Mont, 1868.).
Reins. — Nous avons toujours trouvé les reins plus volumineux et plus pesants qu’à l’état normal. Chez le nommé D. . . (Obs. II) les deux reins pesaient ensemble 900 grammes. Dans presque tous les cas, nous avons constaté à la surface de l’organe des plaques ardoisées plus ou moins larges.
Chez plusieurs sujets, les reins étaient congestionnés; cette congestion était particulièrement remarquable chez ( I . . . (Obs. IX). La maladie avait présenté la forme sidérante et à l’autopsie les reins étaient gorgés de sang et présentaient un véritable état apoplectique. La moi tétant survenue dès le début de la maladie, nous avons pu constater l’état des reins à ce moment. En même temps que cette congestion intense explique l’anurie et les complications urémiques, elle constitue une importante indication thérapeutique : arriver, à tout prix, à décongestionner le filtre rénal. C’est pour obéir à celte indication que nous avons insisté, tout particulièrement, sur cette partie du traitement, chez les malades que nous avons eu à traiter dans la suite. Il 1 e suffit pas de faire sur la région lombaire des applications de ventouses plus ou moins espacées, mais il faut que la révulsion soit faite largement et en quelque sorte sans interruption. Les malades s’en sont très bien trouvés. Lidéal serait d’arriver à faire une véritable saignée aux reins.
Nous n’avons jamais constaté d’hémorragie rénale propre ment dite; une seule fois nous avons trouvé quelques petits kystes à la surface de l’organe. Chez certains sujets ayant succombé avec de l’anurie et particulièrement chez G ... (Obs. V), les pyramides présentaient une teinte noirâtre tranchant nette ment sur le reste de l’organe. Les canaux semblaient avoir été
NOTES SUR LE PALUDISME. 81
injectés au noir. Cet examen démontrait, sans que L’on eut lie- soin d’avoir recours à l’examen microscopique ou chimique, l’obstruction complète et absolue du filtre, par les débris hématiques et le pigment; ces faits ont été bien mis en lumière par MM. Kelsch et Kienner.
En l’état actuel de la question, il parait évident que les auteurs qui ont voulu faire jouer un rôle prépondérant à l'hémorragie rénale, eu somme si rare, ont commis une erreur capitale. C’est avec raison que Gorre s’élève contre cette doctrine défendue par B.-Benoit et par d’autres, doctrine tendant à placer l’hématurie «sous la dépendance immédiate de cet état apoplectique des reins».
Il est certain que Pellarin, qui cependant a si largement contribué à faire connaître la fièvre héinoglobinurique, pousse un peu trop loin l’amour-propre d’auteur, quand il veut faire jouer à ce qu’il appelle d ’altération hémorragique des reins» un rôle tel, que tous les caractères pathognomoniques de la maladie en découleraient : urines noires, vomissements bilieux, ictère même (p. Z»GG) : «Ces deux derniers phénomènes n’ont pas d’autres causes, écrit-il, que le retentissement par action réflexe, sur le foie et sur l’estomac, des graves désordres anatomiques survenus dans les reins. »
Il faut remarquer qu’au moment où ces auteurs écrivaient la véritable cause de coloration des urines n’était pas connue. Il est certain, cependant, que les rares globules rouges que l’on trouve parfois dans les urines proviennent de la rupture des capillaires rénaux.
Nous avons trouvé les reins du nommé!). . . (Obs. II) atteints de dégénérescence graisseuse, fait déjà signalé par Guillaud [Arch, de méd. nan. , t. XXVII).
Comme pour le foie, la raie, le cœur et les autres organes, il serait intéressant de rechercher si certaines lésions rénales, comme cela parait probable, ne sont pas antérieures à l’accès héinoglobinurique et dans quelle mesure elles ont contribué à l’aggraver. Nous reviendrons plus loin sur cette question.
Dans un cas d’hémoglobinurie infectieuse, signalé par
M. Léon à la Société de biologie (séance du 29 décembre 1895),
t \ \ . D’iivg, c o l o n . — J a i i v i o r - f c v r i o r - m n i s 1 8 c j 8 - 1-6
82 CLARAC.
on aurait constaté, quelques jours après le début de l’affection, des signes de néphrite. Des laits semblables auraient été relevés dans la fièvre hémoglobinurique. Pour M. Léon, l’altération rénale a été consécutive à {’hémoglobinurie et causée par le passage de l’hémoglobine.
Dans le plus grand nombre des cas de fièvre hémoglobinurique, la néphrite que pourrait produire le passage de l’hémoglobine, en la supposant capable de pareils méfaits, laisse bien peu de traces, puisque, le plus souvent, l’albumine disparait en même temps que l’hémoglobinurie. Cependant il ive serait pas sans intérêt de suivre pendant quelque temps les convalescents et de rechercher dans leurs urines l’albumine et les cylindres.
4° S a n g .
Nous ne filmes pas peu frappé en pratiquant nos premières autopsies de l’aspect que présentait le sang: ce n’était plus du sang qui s’écoulait des vaisseaux sectionnés, mais une sérosité roussàtre peu abondante. Nous avons pu faire la même constatation chez le plus grand nombre des sujets. C’est là un fait qui ne cadre guère avec ce qu’aurait constaté H.-Benoit-, il aurait trouvé le sang constamment noir, cailleboté, etc. Exceptionnellement nous avons trouvé le sang noir, épais (Obs.IV). Ces différences, pensons-nous, tiennent à la durée de la maladie.
En général, tous les tissus étaient décolorés et, selon l'heureuse expression de Pellarin, « l’anémie était partout ».
CHAPITRE III.
DIAGNOSTIC.
Nous n’avons point l’intention de discuter le diagnostic de la fièvre hémoglobinurique; celte question n’entre pas dans le cadre de ces notes et c’est du reste une étude suffisamment faite dans les traités spéciaux, en ce qui touche les ictères, les fièvres bilieuses, la fièvre jaune, etc. Nous estimons, que celui qui a pu voir de près ces différentes affections ne peut guère con fondre
NOTES SUS LK PALUDISME. 83
la fièvre hémoglobinurique qu’avec l’hémoglobinurie paroxystique et l’iiéinoglobinurie quinique. Aussi nous parait-il intéressant de mettre en regard les analogies et les traits différentiels qui existent, d’après les auteurs, entre ces trois affections.
FIÈ VR K HliMOGLOBINUlUQUE
a*n11d•ii•tmiliuit(u|uDr ,
HÉMOGLOBINURIE
PAROXYSTIQUE.
HÉMOGLOBINURIE
QUINIQUE.Antécédents paludéens constants (Carreau, Gorre el tous les au teurs) cl. peut-être sy philitiques.
Provoquée par l’action combinée d’une im pression frigorifique el d’uneimprégnalion malarienne (Cône). Celle opinion est 1res exacte dans un grand nombre de cas.
Parfois idiosyncrasie héréditaire (Gorron, Loiseau).Atteinte souvent consti tuée par une série d’accès à type défini (Corre). Evolution rare à Dakar.Antécédents paludéens nuis, d’après Corre. Cequi n’est pas exact. Antécédents paludé ens el syphilitiques (Carreau, Labadie- Lagrave, Comby et la majorité des auteurs).
L’influence du froid est manifeste; fatigues; paludisme. (Opinion à peu près générale. )Idiosyncrasie évidente. Maladie hérédo-sy- phylilique (Courtois, Suffit, Comby, La- badie-Lagrave).
Accès ou paroxysme se succédant à des in tervalles irréguliers et constituant une af fection chronique.Antécédents paludéens constants. (Opinionà peu près générale. )Influence immédiate de la quinine. Il est pro bable que la quinine provoque plus facile ment l’hémoglobinu rie chez les sujets prédisposés à l'hémo globinurie paroxysti que.
Idiosyncrasie évidente, très souvent hérédi taire (Carreau).Accès succédant à l’ad ministration de la quinine et que l’on peut, par consé quent, faire naître à volonté (Carreau).
Mais il faut remarquer que ces trois affections reposent plus ou moins sur une base paludéenne. Dans la fièvre hémoglobinurique et dans l’hé moglobinurie quinique, seule, la suspension du médicament peut per mettre de trancher la question.
6
8 4 CLARAC.FIÈVRE
llKMOGLOMJiURIQUF.
endémique.
Smile entre lesattaques aussi bonne que le comporte l’état d’un sujet plus ou moins cacheclisé. Intervalle des accès répondant à un état subfébrile ou apyrétique, mais plus ou moins anémique (Corre).
L’accès revèl l’allure d’un accès de fièvre intermittente : fris sons, chaleur, sueurs, douleurs lombaires (Carreau ). Accès pré monitoires. Frissons généralement très violents au début.
Fièvre intense pendant l’accès, mais tombant souvent avec l’appa rition de l’hémoglo- binurie.
Foie et rate tuméfiés et très douloureux; symptôme à peu près constant.Ictère plus ou moins prononcé (Corre), le plus souvent très prononcé.
Vomissements bilieux très abondants et ne faisant jamais dé faut.HÉMOGLOBINURIE
PAROXYSTIQUE.
Santé relativement bonne entre les at taques, le sujet res tant toutefois en puis sance de diatbèse paludéenne ou syphi litique (Carreau).
Frissons assez violents au début de l’accès. Douleurs lombaires.
Fièvre médiocre pen dant l’accès.
Tuméfaction du foie et de la rate non con stante, cl quand elle existe, ordinairement légère (Corre). Gon flement du foie et de la rate, accompagné de douleurs sponta nées (Lahadie-La- grave).
Ictère léger, parfois non appréciable(Carreau, Corre).
Vomissements bilieux, en général peu pro noncés.
HÉMOGLOBINURIE
QUINIQUE.
Entre les attaques, santé assez bonne, sauf un certain degré d’anémie palustre et quelques accès fé briles qui font reve nir à la quinine, la quelle reproduit les attaques.
Frissons, douleurs lombaires, chaleur, sudation (Carreau).Fièvre très forte allant jusqu’à 4i" selon la quantité de quinine ingérée (Carreau).
Tuméfaction très ap préciable du foie et de la rate.
Ictère en général peu prononcé (Carreau).Vomissements bilieux plus ou moins abon dants, constants dans les fortes attaques.
NOTES SI R LE PALUDISME. 85
F I È V 11E
H E M O G L O BI N U R I Q U E
e n d é m i q u e .
HÉMOGLOBINURIE
PA RO X Y S T I Q U E .
HÉMOGLOBINURIE
Q U I .M Q U E .
Parfois suppression des urines; tendance à l’état urémique (Corre).
Les urines offrent les mêmes caractères spectroscopiques que celles de la mélhé- moglohinurie (pii- nique.L’hémo{jlobinurie dure selon l’imporlance de Farces; à Dakar de un à cinq jours.
Anémie consécutive très marquée.
La sécrétion urinaire persiste loujours.Les urines présentent 11 mélange d’hémo globine et de méthé moglobine ( Hayem) et par cela même doivent contenir de l’hémoglobine ré duite.
Durée de l’accès ne dé passant pas 0 ou
8 heures.Réparation sanguine très active (llayem).
La sécrétion urinaire persiste.Les urines offrent lou jours à l’examen speclral la bande de la méthémoglobine en même temps que celle de l’hémoglo bine. Elles contien nent aussi une certaine quantité d’hémoglobine ré duite (Carreau).
Durée : a h heures, si la médication quinique est interrompue. Mais l’hémoglobinu rie peut continuer tant que dure l’ad- ministralion de la quinine.
Rétablissement très prompt. Le sang se régénère vite (Car reau) à moins que le sujet ne soit trop impaludé.
Ie rapprochement des analogies et des traits différentiels, empruntés à ceux qui ont décrit ces trois affections, nous paraît assez concluant. Le plus souvent, il ne s’agit que de nuances assez difficiles à saisir, surtout au lit du malade.
Sans doute en Europe, le diagnostic différentiel entre la lièvre hémoglobinurique et l’hémoglobinurieparoxysliquepourra être facile à faire, mais il ne saurait en être de même dans la zone d’endémicité de la première de ces affections. S’il
86
CLARAC.
est vrai que l'hémoglobinurie paroxystique est une maladie très rare, il est également très logique d’admettre que les sujets prédisposés aux atteintes de cette affection se trouveront singulièrement exposés aux attaques de la fièvre hémoglobinurique, au même titre du reste que ceux qui sont prédisposés l’hémoglobinurie quinique.
Le diagnostic différentiel avec l’hémoglobinurie quinique est encore plus difficile et il n’est pas douteux que de nombreuses erreurs ont dû être commises dans un sens ou dans l’autre.
CHAPITRE IV.
FREQUENCE DE LA FIEVRE HEMOGLOBINURIQUE À DAKAR. ----- PRONOSTIC. C’est une opinion généralement admise que la fièvre hémoglobinurique est fréquente à Dakar, et quelques-uns de ceux qui l’y ont observée estiment qu’elle est plus grave là qu’ailleurs.
Depuis l’année 1892, époque de la transformation de l’ambulance en hôpital, jusqu’au mois d’août 1896 inclus, 36 cas ont été traités dans cet établissement et ont fourni 12 décès, soit 3o p. 100.
Tous ces cas ne proviennent pas uniquement de la presqu’île du cap Vert (Dakar et camps); quelques-uns ont été constatés chez des convalescents provenant du Soudan et des postes du Sud. Nous ne pouvons indiquer exactement les provenances des cas observés antérieurement au /i° trimestre 189/1. Deux cas seulement provenaient de l’extérieur, parmi ceux observés par nous à l’hôpital de Dakar.
De janvier 1892 à octobre 1894, Ie registre des entrées ne mentionne que 12 cas, dont 6 décès, soit 5o p. 100. Ce chiffre nous paraît trop élevé pour être l’expression exacte de la vérité. Du mois d’octobre 189/1 au mois d’août 1896, nous avons observé personnellement 2/1 cas, légers ou graves, et 6 décès, soit 25 p. 100, pourcentage qui est sensiblement le même que celui signalé par Corre(27 p. 100).
La maladie ue nous a pas paru très fréquente en ville; en
NOTES SUS LE l>ALITHSME. 87
deux années, nous n’avons observé que à cas, dont deux provenaient de l’extérieur.
Cette statistique, un peu longue il est vrai, montre, si l’on lient compte de l’importante clientèle de l’hôpital de Dakar, que l’on a quelque peu exagéré la fréquence de la maladie dans la presqu’île du cap Vert et quelle ne semble pas plus grave là que dans les autres centres d’endémie-
Le personnel du chemin de fer à Dakar comprend 5o à 55 agents européens. Du mois de décembre i8q3 au mois de février 1896, ce personnel a fourni 6 cas dont 9 décès (3 en décembre (1 décès), 1 en novembre (1 décès), t en février et 1 en avril).
En ce qui touche la gravité, les 24 cas observés par nous se répartissent ainsi :
Cas légers ou très légers......................................
11
Cas (le moyenne gravité................
Cas graves cl très graves.....................................
a 5
Cas mortels.........................................................
6
Nous comprenons dans ces 6 derniers cas, celui du nommé
B. . . (obs. VI) qui a succombé au tétanos pendant la convalescence. Ce chiffre peut donc à la rigueur être ramené à cinq. En réalité, 5o p. 100 des malades gravement atteints ont succombé.
Comme provenance, ces 24 cas se répartissent ainsi : Dakar, 10 cas, dont 1 mortel et deux graves, tous les autres légers. Camp de Ouakam : 12 cas, dont 5 mortels et 3 graves, les autres légers. Extérieur : 2 cas légers.
La proportion des cas graves et mortels provenant de Ouakam est, comme on le voit, très élevée, ce qui ne veut pas dire que la fièvre hémoglobinurique soit plus grave dans cette localité qu’à Dakar; en effet, 11 cas provenant de Ouakam ont été fournis par le corps des disciplinaires, un seul par un sous- officier du cadre, cas très léger; ce n’est pas la localité qu’il faut incriminer dans l’espèce, bien qu’elle soit très paludéenne, mais la catégorie des hommes, car, de tout temps, les disciplinaires ont payé un lourd tribut à la fièvre hémoglobinurique; nous reviendrons sur ce point.
88 CLARAC.
Contrairement à l’opinion do B.-Benoit, il nous a semblé que les cas étaient d’autant plus graves que l’ictère était plus intense et se produisait plus rapidement, et cotte observation répond assez bien à ce que nous savons du l’ait capital de la maladie : la déglobulisation du sang. Il est évident que l’ictère, qui en est la conséquence, sera d’autant plus marqué et plus subit que la destruction des globules rouges aura été elle-même plus rapide et plus complète.
Des vomissements incessants, une température élevée aggravent le pronostic, mais le symptôme le plus grave est incontestablement l’anurie. Sur six cas mortels, quatre fois nous avons constaté une suppression à peu près absolue des urines, il nous a paru, comme à d’autres auteurs, que l’anurie avait la même valeur séméiologique que dans la lièvre jaune. Aucun malade atteint d’anurie n’a guéri.
Le hoquet est également un symptôme très grave. Nous l’avons constaté quatre lois sur six cas mortels ; de plus, il fatigue énormément les malades.
CHAPITBE V.
ÉTIOLOGIE, PATIIOGÉNIE ET NATURE.
Il y a quelques années à peine, l’étiologie paludéenne de la fièvre hémoglobinurique paraissait absolument indiscutable et aucune opinion contraire ne s’élevait contre cette doctrine, ancienne comme la maladie elle-même; nous serions même presque tenté de dire que cette doctrine était admise jusqu’à l’exagération, car aujourd’hui il ne saurait être question de considérer la fièvre hémoglobinurique « comme la plus haute expression du paludismes », formule qui ne répond à rien, et nous ne voyons pas pourquoi la fièvre hémoglobinurique serait une expression du paludisme plus intense qu’un accès pernicieux.
et II est nécessaire île changer de temps en temps de doctrine, dit Cullen, non pas pour le plaisir d’innover, mais dans le but d’imprimer une direction différente aux intelligences. Rien n’est plus vrai, en médecine surtout, par ce temps de microbiologie; nous dirons même que rien n’est plus utile.
NOTES SIR LE PALUDISME. 89
Est-ce uniquement pour obéir à celte idée si juste du médecin écossais que nous avons vu, pour ne rester que dans la question qui nous occupe, naître une doctrine nouvelle que l’on pourrait, d’après ses auteurs, formuler ainsi : « la fièvre hémoglobinurique n’a que des rapports indirects avec le palu disme; c’est une maladie spécifique, déterminée par un microbe spécial. ».
Cette doctrine, nous devons le reconnaître est, à l’heure actuelle, loin d’être admise par tous, et l’on ne saurait dire quel est le sort que lui réserve l’avenir; mais quoi qu’il arrive, elle aura toujours le mérite d’avoir appelé l'attention de ceux qui s’occupent de pathologie exotique, sur cette question si intéressante de la fièvre hémoglobinuriquc et de sa nature, question que la formule étiologique par trop radicale des anciens auteurs n’avait pas absolument tranchée.
Nous n’avons point l’intention de discuter à fond les opinions en présence; une pareille question mérite plus d’ampleur que ne le comporte l’étude de quelques cas de fièvre hémoglobinurique observés dans une seule localité. Nous voulons simplement rechercher si la maladie, telle que nous l’avons observée à Dakar, peut se réclamer au point de vue pathogénique de l’une ou de l’autre de ces doctrines.
i° I n f l u e n c e s m é t é o r o l o g i q u e s .
À Dakar comme dans tout le Sénégal du reste, c’est du mois de décembre1! au mois d’avril que l’on constate le plus grand nombre de fièvres hémoglobinuriques, c’est-à-dire à un moment où les statistiques des hôpitaux indiquent que le paludisme a commencé à disparaître ou a disparu à peu près complètement. Cette seule constatation suffirait à démontrer que la fièvre hémoglobinurique n’est pas la plus haute manifestation du paludisme, car, s’il en était ainsi, c’est en septembre, alors que le paludisme bat son plein, que les accès pernicieux
Cas observés à rtiôpilal do Dakar, de 1803 à octobre i 8 gG : jan vier 7, février h , mars 1 , avril 3, mai 3 , juin 3 , juillet 1 , août 1, sep
tembre 3 , octobre 3, novembre à, décembre 5.
90 CLARAC.
sont fréquents, que les fièvres hémoglobinuriques devraient être plus nombreuses.
À Dakar, pendant l’hivernage, les variations thermométriques sont à peine sensibles; dans la saison sèche, au con traire, à compter surtout du mois de décembre jusqu’en mai, on note entre les températures extrêmes du jour et de la nuit, des écarts de 1o° à 15°. On comprend que les auteurs, MM. Corre et Béranger-Féraud, se soient préoccupés de ces influences météorologiques et se soient demandés s’il ne fallait pas leur faire jouer un certain rôle dans l’étiologie de la fièvre hémoglobinurique. À notre avis, cette influence est certaine, mais elle ne peut être que secondaire, les répercussions causées par le froid créant un défaut de résistance de l’organisme vis-à-vis de l’agent endémique; cette influence météorologique n’existe pas partout. A la Grande-Terre (Guadeloupe), par exemple, où la fièvre à urines noires est encore plus fréquente qu’au Sénégal, les variations thermométriques sont très peu marquées.
Cette influence du froid, souvent constatée par nous du reste, est très évidente dans le cas suivant :
Observation XIII. — Melle B . . . , métisse, dix ans, née à Corée, habite Dakar depuis longtemps; elle est très pâle; la rate est grosse. Cette enfant a eu de fréquents accès de fièvre, surtout durant l’hivernage de 1895.
Depuis quelques jours, petits accès quotidiens accompagnés de douleurs abdominales et de selles bilieuses.
Le 15 décembre 1896, je fus appelé auprès d’elle : langue très chargée; pas de vomissements; coliques et selles dysentériques. — Foie et rate augmentés de volume et douloureux. — Fièvre précédée de frissons. — Température, 38“ 5.
— Onctions sur le ventre et cataplasmes. 5o centigrammes de bromhvdrate de quinine. — L’enfant avait pris de la quinine la veille. Dans l’après-midi, la fièvre tombe avec de la transpiration. Se trouvant bien, la petite malade demande à se lever. Vers six heures du soir, échappant à la surveillance de ses parents, elle descend au jardin assez légèrement vêtue. À ce moment, il se produisit un refroidissement assez brusque et.
NOTES Sl!R LE PALUDISME. 91
sensible de l’atmosphère. À huit heures du soir, frissons violents. — Température, 39°. — Ictère léger. — Urines bitler assez foncées. Les urines de l’après-midi étaient très claires.
— La petite malade accuse une douleur intolérable à l’épigastre.
16 décembre. — Ictère généralisé très marqué. — Vomissements et diarrhée. — La rate, très augmentée de volume, est très douloureuse. — Urines bitter très foncées et très abondantes; très albumineuses, traces d’hémoglobine et de méthémoglobine. Au microscope, quelques globules rouges déformés. — Pendant la nuit, 5o centigrammes de brombydrate de quinine, purgatif salin (rejeté); brombydrate de quinine (rejeté). Dans l’après-midi, anxiété épigastrique. — La rate a encore augmenté de volume depuis le matin. — Température : matin, 38° 5; soir, 40°. — Urines presque sanglantes.
Injections de bromhydrate de quinine, 5o centigrammes, et d’ergotine.
17 décembre. — Vomissements incoercibles. — Céphalalgie très forte. — Selles bilieuses (a pris dans la nuit 5o centigrammes de brombydrate de quinine). — Température, 38°9.
— Urines bitler encore très foncées. Dans l’après-midi, température, 38°9. — Urines jumenteuses. — Prostration extrême.
Prescription. — Toniques; 25 centigrammes de brombydrate de quinine en injection.
18 décembre. — La petite malade est moins affaissée, moins d’ictère; urines presque normales, très abondantes. — La rate a diminué de volume, est moins douloureuse. — Tempéra ture : matin, 38°4 \ soir, 37°9.
Toniques; perchlorure de fer; lait; brombydrate de quinine, 5o centigrammes.
19 décembre. — Plus de vomissements. — Selles bilieuses.
— Température : matin, 37° 9; soir, 38°. • Toniques; 7b centigrammes de brombydrate de quinine.
20 décembre. — Nuit très agitée; violent accès de lièvre.
— Température : malin, 38°3. — Injection de brombydrate de quinine.
9 2 CLARAC.
21 décembre. — L’améliora Lion commence; à compter de ce moment, la convalescence marche régulièrement.
Liiez cette petite malade, l’influence de la température ambiante a été évidente. Cédant en partie aux instances de la famille, j’ai administré les sels de quinine par la bouche ou en injections, tant que la température est restée élevée, et celte médication semble avoir donné un excellent résultat.
Nous tenons à signaler une coïncidence assez intéressante : alors que, dans le courant de décembre 189/1, deux disciplinaires al teints de fièvre hemoglobinurique grave avaient été envoyés le même jour à l’hôpital, tous deux habitaient la même chambrée et étaient tombés malades en même temps; le 31 janvier 1895, deux autres disciplinaires entraient dans les mêmes conditions.
Ces hommes, également prédisposés et impaludés, ont été soumis en même temps aux mêmes influences saisonnières.
2 ° I n f l u e n c e s e t h n i q u e s .
N o u s n’avons jamais constaté la lièvre hémoglobinurique chez les noirs, mais elle sévit sur les mulâtres; nous avons été appelé à donner des soins à deux petites mulâtresses qui en étaient atteintes. Toutes deux, nées au Sénégal, étaient profondément impaludées.
3 " P a l u d i s m e e t m a l a d i e s a n t é r i e u r e s .
Dans une thèse récente, s’appuyant sur la haute autorité de
M. l’inspecteur général du service de santé des Colonies, M. le I)r Thomas écrit, page 60 : «L’étiologie de la lièvre bilieuse liématurique n’a donc rien à voir avec le paludisme, qui n’entre dans son développement que pour une part indirecte.» (Fièvre bilieuse liématurique et de son traitement. Thèse de Bordeaux, 1896.)
M. Thomas cite, page 31, l’opinion de M. le Dr Treille, pour qui «il est nettement établi que cette redoutable affection atteint les Européens nouvellement débarqués, indemnes de toute tare paludéenne».
Nous voilà donc bien loin du dogme d’après lequel «la fièvre
bilieuse hématurique ne se déclare jamais chez des sujets in demnes
NOTES SUR LE PALUDISME. 93
d’atteintes antérieures de fièvre paludéenne t>. (Barthélemy-Benoit.)
À ce point de vue étiologique, nous ne croyons pas inutile
de donner un résumé très bref des cas observés par nous à Dakar, avec tout le soin désirable, dans le but d’apporter un document de plus à la question :
i° B .. . , disciplinaire, quinze mois de colonie (camp de Ouakam); deux séjours à l'hôpital pour fièvre paludéenne; accès de fièvre nombreux dans l’intervalle. Mort.
2° V. . ., soldat d’infanterie de marine, séjour antérieur au Soudan où il a eu des accès de fièvre; première entrée à l’hôpital de Dakar. Cas très léger.
3° B. . ., disciplinaire, vingt-deux mois de colonie (camp de Ouakam); deux séjours à l’hôpital pour fièvre paludéenne; accès de fièvre nombreux dans l’intervalle. Mort.
i° K. . ., disciplinaire, rapatrié du Soudan après neuf mois de séjour pour cachexie palustre. Cas très léger.
5° D. . ., disciplinaire, dix-huit mois de Sénégal (Ouakam); accès de fièvre au moins une fois par semaine; dix séjours à l’hôpital, dont plusieurs pour paludisme. Mort.
6° M. . ., disciplinaire, sept mois de Sénégal (Ouakam), où il a eu des accès de fièvre à forme rémittente. Cas grave. Guéri.
7° T. . ., artilleur, seize mois de séjour; deux entrées à l’hôpital pour fièvre rémittente palustre grave. Guéri.
8° C. . ., soldat d’infanterie de marine, six mois de Dahomey, neuf mois de Sénégal; accès de fièvre très fréquents dans ces deux localités. Cas léger.
9° C . . . , employé de commerce. Provient de Grand-Bas- sam, qu’il a dû quitter il y a trois mois; convalescent de fièvre hémoglobinurique; fréquents accès de fièvre paludéenne. Cas très léger déclaré en rade de Dakar, retour d’Europe.
io° B. . ., disciplinaire, deux ans d’Algérie, un an au Sénégal (Ouakam); fréquents accès de fièvre ; était employé à des terrassements quand la maladie a débuté. Cas grave. Guéri. i i° D. . ., disciplinaire; séjour antérieur en Algérie; trente- trois mois de Sénégal (Ouakam); sept entrées à l’hôpital pour
94 CLARAC.
fièvre el anémie. Deuxième accès hémoglobinurique. Cas léger.
12° G . . . , artilleur, dix-huit mois de Sénégal (camp des Madeleines); plusieurs accès de fièvre paludéenne. Cas léger. 13° A . . . , disciplinaire, dix-huit mois en Tunisie, deux mois et demi au Sénégal: violents accès de fièvre depuis son
arrivée. Mort.
14° G. . ., disciplinaire, vingt-quatre mois de Sénégal (Ouakam); fréquents accès de fièvre; sujet atteint de cachexie palustre. Mort.
15° G. . ., infanterie de marine, séjour antérieur en Algérie, trente-trois mois au Tonkin; rares accès de fièvre; onze mois au Sénégal où il n’a jamais eu la fièvre. Cas sidérant.
16° M. . ., né à Cayenne, sous-officier d’infanterie de marine; vingt-neuf mois de séjour à Ouakam; quatre entrées antérieures à l’hôpital pour accès bilieux. Cas léger.
17° G . . . , artilleur, dix mois de séjour au Sénégal; un séjour antérieur à l’hôpital pour fièvre intermittente. Cas léger.
18° D. . ., artilleur, provient du Soudan, fortement impaludé; aurait eu de fréquents accès de fièvre, dont deux accès hémoglobinuriques. Cas léger.
19° L. . ., disciplinaire; cachexie; treize ans d’Algérie; accès paludéens fréquents; dix-neuf mois au Sénégal (Ouakam); accès de fièvre très fréquents. Cas très grave. Guéri.
2o° M. . ., disciplinaire, vingt mois au Sénégal (Ouakam); anémie profonde; très fréquents accès de fièvre. Cas de moyenne gravité.
21° C. . ., sergent d’infanterie de marine, vingt-deux mois de Sénégal; évacué de la Cazamance, après un séjour dans le poste le plus malsain de celte partie du Sénégal. Accès de fièvre presque continuels; sujet très profondément impaludé. Cas léger.
22° L. . ., soldat d’infanterie de marine, six mois de séjour au Sénégal; deux entrées à l’hôpital pour fièvre paludéenne; fréquents accès à la caserne; sujet anémié. Cas léger. 23° V. . ., soldat d’artillerie, douze mois de séjour au Sénégal
NOTES SUR LE PALUDISME. 95
, dont neuf entrées à l'hôpital pour fièvre paludéenne; accès quotidiens. Cas très légers.
24° Melle B... ., métisse, dix ans, née dans la colonie; accès paludéens pendant tous les hivernages précédents; très impaludée. Cas grave guéri.
25° M"° J . . ., métisse, née dans la colonie; fréquents accès de fièvre antérieurs, très anémiée; sujet très impaludé. Cas léger.
26° Le Père X. . . , Père du Saint-Esprit; cachexie paludéenne profonde; vingt ans de séjour dans les postes les plus malsains du Sénégal; transporté à Dakar où il meurt.
270 Le Père J . . ., six ans de séjour dans des postes très malsains du Sénégal; cachexie palustre; fièvre hémoglobinurique très grave; parotidite suppurée. Guéri.
Une pareille énumération peut paraître fastidieuse, en raison même des faits bien connus qu’elle relate, mais nous la croyons utile; toutes les observations ont été recueillies avec soin.
Ces faits démontrent, d’une façon évidente, que l’influence du paludisme 1 e saurait être mise en doute chez ces vingt-sept malades et que l’infection paludéenne chronique et l’empreinte qu'elle laisse dans l’organisme constituent tout au moins une cause prédisposante très importante de la fièvre hémoglobinurique.
Deux des observations données par nous peuvent faire naître des doutes à ce point de vue, celle du nommé A. . . , n° 13, et du nomme G . . . , n° i5 . Les antécédents paludéens de ces deux malades paraissent douteux à première vue. A. . . a succombé, il est vrai, à la fièvre hémoglobinurique deux mois seulement après son arrivée à Ouakam. Mais il provenait de la Tunisie, et nous n’avons pu avoir aucun renseignement sur ses antécédents. À son arrivée dans la colonie il était, comme presque tous les disciplinaires, déjà anémié, usé, et pendant son court séjour au camp de Ouakam, il avait eu constamment de violents accès de fièvre.
Le nommé G. . . était au Sénégal depuis 11 mois et l’accès de fièvre hémoglobinurique qui l’a emporté si rapidement
96 CLAR.AC.
était son premier accès de fièvre dans la colonie. Mais il avait vécu longtemps en Algérie, où du reste il n’avait jamais eu de fièvre-, il comptait 33 mois de séjour au Tonkin, séjour pendant lequel il n’avait eu de rares et courts accès de fièvre. L’autopsie nous a mis en présence d’une rate volumineuse pesant 550 grammes, dure et sclérosée, comme on en trouve chez les vieux impaludés, le foie était atteint de dégénérescence graisseuse, affection très probablement antérieure à l’accès de fièvre bémoglobinurique. La maladie survenant chez, un sujet si mal défendu par ses organes devait nécessairement présenter une gravité extrême.
Nous pensons que bien des lésions constatées chez les sujets qui succombent à la fièvre bémoglobinurique sont antérieures à la maladie; il serait intéressant de les rechercher et de déterminer dans quelle mesure les altérations du foie, de la rate, des reins ou du cœur contribuent à prédisposer l’organisme au développement de la maladie qui nous occupe. On peut se demander si la syphilis, par exemple, qui marque parfois si profondément son empreinte sur les organes que nous venons de signaler, ne joue pas ici un certain rôle comme dans l’hémo globinurie paroxystique.
M. Béranger-Féraud (F i è e r e bilieuse mélanurique, p. a 5^ ), en faisant part des recherches faites dans les archives du Sénégal, écrit ce qui suit : » . . .J ’ai fait nombre de recherches contradictoires dont il est ressorti, il me semble très positivement, que le traitement mercuriel, fait soit pour la syphilis, soit pour une affection endémique (hépatite ou dysentrie), prédis posait souvent à la fièvre bilieuse mélanurique. . . pour me résumer, je dirai que le traitement mercuriel, soit à longue portée comme dans le traitement de la syphilis, soit à plus courte échéance, comme dans les affections aiguës endémiques des pays chauds (hépatite, dysenterie), me semble être une cause prédisposante notable de la fièvre bilieuse mélanurique, et j’estime qu’il y aura lieu désormais d’en tenir compte avec une grande attention.» Et parlant de celte constatation, cet auteur la donne comme devant faire rejeter le calomel et les mercuriaux du traitement de la bilieuse mélanurique.
NOTES SUR LE PALUDISME. 97
N’est-on pas autorisé à se demander si ce n’est pas là une interprétation fausse d’un fait exact, si ce ne sont pas les maladies en question et non le traitement suivi, qui doivent être considérées connue causes prédisposantes? Car. ne l’oublions pas, ces différentes maladies sont toutes de nature à laisser apres elles des lésions organiques.
1 est généralement admis que la syphilis joue un rôle prépondérant dans l’étiologie de l’hémoglobinurie paroxystique, qui ne serait qu’une affection para-syphilitique. Ne peut-on pas admettre également que l’altération du foie, des reins et du cœur, si fréquents dans la syphilis, surtout chez les sujets mal, ou pas du tout traités, puisse prédisposer l’organisme à la lièvre hémoglobinurique?
En résumé, les faits observés à Dakar nous autorisent à con sidérer le paludisme chronique comme une cause prédisposante, en quelque sorte indispensable au développement de la lièvre hémoglobinurique. V côté du paludisme, mais en deuxième ligne, nous placerions volontiers toutes les grandes diathèses, toutes celles qui sont susceptibles d’affaiblir l’organisme, de porter une atteinte plus ou moins profonde au fonctionnement des reins, des organes de l’hématopoïèse et du cœur et à la vitalité des globules sanguins. Aucune entité morbide ne contribue autant que le paludisme à mettre les globules sanguins en état d’imminence morbide.
Nous pensons qu’il est inutile d’insister sur les autres causes prédisposantes : fatigues, travaux spéciaux, alcoolisme, etc., signalés par les auteurs. Il ne nous parait pas qu’il soit bien nécessaire d’expliquer pourquoi, parmi toutes les troupes européennes, ce sont les disciplinaires qui fournissent, dans des proportions énormes, le plus grand nombre de cas de fièvre hémoglobinurique.
En 189Ô et 189b , ils ont payé un lourd tribut à la maladie, qui a été notablement plus fréquente durant ces deux années. Celle augmentation très sensible a sans doute pour cause les nombreux travaux de terrassements nécessités par l’établisse ment de batteries autour de Dakar, travaux auxquels les disciplinaires ont été presque exclusivement employés.
ANN. d’iiyü. colon. — .Janvier-février-Mars 1K98. I — 7
98 CLARAC.
Mais quel est l’agent endémique cause délerminante principale
de la lièvre hémoglobinurique?
Il est bien établi que trc’est sur une altéralion globulaire primitive qu’il convient de jeter les bases d’une palbogénic sérieuse de la pyrexie» (Corre) et il n’y a plus besoin de démontrer que celle altération porte sur le nombre et la qualité des globules rouges; le fait capital de la maladie est une destruction rapide, abondante et subite des globules rouges.
N’est-ce pas là précisément l’action, sur le globule sanguin, du paludisme el de son élément figuré l’hémalozaire de Laveran? «?1 n’est probablement pas un cas de fièvre qui ne se solde par une diminution des globules rouges» écrivent MM. Kelsch et Kienner, si compétents en pareille matière. Non seulement, le paludisme aigu détruit les globules, mais encore ils perdent en partie leurs qualités physiologiques.
Il suffit, pour se convaincre de cette action destructive de l’accès paludéen, de numérer les globules d’un malade avant el après un simple accès de fièvre.
Donc, d’une part, lésions fréquentes des organes de l’hématopoïèse chez les impaludés ou les cacbectisés à d’autres titres, plus rarement lésions des reins, le tout accompagné d’une véritable maladie du globule sanguin; d’autre part, intervention de causes déterminantes accessoires : froid, fatigues, etc, et d’accès paludéens aigus répétés souvent coup sur coup (accès prémonitoires, B. Féraud), accès (fui ont pour conséquence inévitable de détruire une grande quantité de globules. N’avons-nous pas tous les éléments suffisants pour expliquer cette déglobulisation rapide et subite» qui est le fait capital de la fièvre hémoglobinurique, fait duquel découlent tous les
autres symptômes et tous les accidents?
Les produits de la déglobulisation : hémoglobine el débris globulaires, deviennent un élément étranger à l’organisme, nuisible, dont ce dernier cherche à se débarrasser (Pamfick). Si cette destruction est lente, si surtout le foie et la rate sont sains, ces produits sont éliminés et transformés par ces organes. Les accidents de la fièvre hémoglobinurique ne le produisent pas; mais si cette destruction est subite et rapide, et
NOTES SUR LE PALUDISME. 99
elle l’est d’autant plus que le globule est déjà malade, si surtout les organes indiqués plus haut sont alte'rés, les produits de déchet ne sont plus transformés en totalité par des organes insuffisants, les reins éliminent alors l'hémoglobine; s’ils sont en bon état, ils pourront suffire à cel te fonction anormale, dans le cas contraire, ils se laissent plus facilement obstruer, se congestionneront outre mesure; il se produira alors de l’anurie, symptôme le plus souvent mortel.
Telle est résumée, autant que le permet le cadre de ces notes, la théorie pathogénique généralement admise par les partisans de l’origine paludéenne de la maladie. Elle est certes très séduisante et basée sur des faits cliniques, et répond aux données que nous avons indiquées plus liant et aux observations faites à Dakar.
Au fond, le désaccord n’existe que sur l’agent susceptible de produire la destruction des globules rouges : microbe spécial pour les uns, hématozoaire du paludisme pour les autres.
Nous devons rappeler encore que l’accès de fièvre hémoglobinurique est généralement précédé de deux ou trois accès de fièvre simple, plus ou moins violents et présentant toutes les allures classiques d’accès malariens et les présentant à un point tel que les malades, pas plus que les médecins, n’hésitent sur le diagnostic, diagnostic que modifie seule l’apparition de l’hémoglobine dans les urines. Et c’est cette fièvre se produisant dans des conditions d’identité presque absolue avec la fièvre paludéenne qui n’aurait rien .à voir avec le paludisme, qui n’entre dans son développement que pour une part indirecte, tout au plus comme agit dans l’évolution d’une maladie quel conque une diathèse tout autre» (thèse de M. Thomas). Et plus loin notre collègue ajoute : «La fièvre bilieuse hématurique agit non pas comme le paludisme, mais comme un typhus!» Nous pouvons affirmer que, dans aucune de nos observations, nous n’avons trouvé à la maladie les allures d’une affection typhique quelconque. Nous avons cité à dessein l’observation de M. 1 . . . qui a présenté quelques accidents typhoïdes sur lesquels nous nous sommes expliqué. Ces accidents sont toujours à prévoir dans les fièvres paludéennes de longue durée.
100 CLARAC.
Sans doute les partisans de l’origine paludéenne ont, connue nous le disions plus haut, poussé la doctrine parfois jusqu a l’exagération, mais on ne peut s’empêcher de reconnaître que la doctrine nouvelle, telle que la formule M. Thomas, est encore plus intransigeante.
Nous ne faisons aucune difficulté à admettre que le paludisme, tel (pie nous le connaissons, n’explique pas tout, que la lièvre hémoglobinurique trse manifeste souvent chez des sujets (jui n’ont éprouvé que de rares accès de fièvre, dans la zone malarienne où ils ont subi l’imprégnationd (Corre, p. 229) ou qu’elle atteint des sujets nouvellement débarqués, n’ayant encore aucune tare paludéenne. Mais ne peut-on admettre que dans ces cas, qui constituent du reste une très rare exception, les sujets étaient porteurs d’organes altérés, de globules plus ou moins en étal d’imminence morbide, ou qu'ils étaient en puissance d’une sorte d’idiosyncrasie héréditaire ou acquise, mal déterminée sans doute, mais cependant possible, comme le fait est admis pour les hémoglobinuries quinique et paroxystique? Dans ces conditions, des accès de fièvre plus ou moins violents ou répétés coup sur coup, un empoisonnement paludéen aigu, ne sont-ils pas de nature à déterminer les symptômes graves qui caractérisent la fièvre hémoglobinurique, tout comme le froid détermine chez les prédisposés, les syphilitiques (Soltmann-Comby), l’accès d’hémoglobinurie paroxystique?
Personne n’entend nier «pie la lièvre hémoglobinurique ne se manifeste qu’en pays paludéen ou chez des sujets qui y ont vécu. Dans les hôpitaux des ports, il n’est pas rare d’observer des accès de la maladie chez des convalescents provenant des colonies, cl nous voyons souvent les journaux de médecine publier des observations du même genre. Ce réveil de l’infectieux hors de son pays d’origine, n’est-il pas le propre, en quelque sorte, la caractéristique du poison malarien ?
Il est cependant quelques objections que nous n’entendons point passer sous silence et parmi ces objections nous trouvons d’abord la distribution géographique de la maladie. La fièvre hémoglobinurique n’existe pas également dans tous les
NOTES SUR LE PALUDISME. 101
pays où règne le paludisme; elle e-d à peu près inconnue dans certaines localités, où l’infectieux malarien se manifeste sous ses formes les plus graves.
A la Martinique, en neuf ans d’une pratique assez chargée dans les hôpitaux ou en ville, nous n’avons pas observé un seul cas bien authentique de fièvre hémoglobinurique. Sans doute elle y a été constatée par d’autres, mais très rarement, et cependant certaines localités de cette colonie ne le cèdent en rien comme paludisme, à la Grande Terre de la Guadeloupe, où la fièvre à urines noires est une affection excessivement fréquente, plus fréquente peut-être qu’à la côte occidentale d’Afrique. Ces deux colonies (Martinique et Guadeloupe) très voisines offrent les mêmes conditions météorologiques et telluriques, conditions météorologiques qui sont loin d’être les mêmes qu’à Dakar.
La maladie nous a paru assez rare à la Guyane : deux an nées de pratique dans les grands hôpitaux des pénitenciers ne nous ont permis de constater que deux cas de fièvre à urines noires. Certes à la Guvanne on rencontre les formes les plus graves du paludisme et, de plus, la clientèle des hôpitaux des pénitenciers est constituée en grande partie par des condamnés presque tous plus ou moins impaludés, et présentant un terrain essentiellement propre au développement de la fièvre hémoglobinurique.
La doctrine paludéenne telle que nous avons essayé de l’exposer ne suffit donc pas, en l’état de nos connaissances, à expliquer la genèse de la maladie dans toutes les localités, elle ne suffit pas, même quand on fait intervenir « une influence particulière individuelle, mise enjeu par une influence climatérique ou saisonnière, tel que l’abaissement de la température ».
Faut-il admettre que 1hématozoaire de Laveran soit susceptible d’acquérir dans certaines localités et dans des conditions météorologiques en partie inconnues une toxicité spéciale due peut-être à une morphologie particulière qui augmente son action sur le globule rouge déjà malade?
A ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de rappeler que
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CLARAC.
les hématozoaires, trouvés par Smith et KiIborne dans le sang des bœufs atteints de la fièvre du Texas, ont des aspects qui, d’après Laveran lui-même, «rappellent évidemment certaines formes de l’hématozoaire du paludisme» (Laveran et Blanchard. Hématozoaires et protozoaires du sang, p. 122). Or, celte fièvre du Texas présente des analogies frappantes avec la fièvre hémoglobinurique. Elle est remarquable surtout par une énorme et rapide destruction des globules rouges. N’a-t-on pas même été jusqu’à admettre l’existence de cinq espèces d’hématozoaires donnant naissance chacune à des manifestations différentes du paludisme (Grossi et Felclli, d’après Laveran et Blanchard). De ces faits, on est autorisé à conclure que nous ne sommes pas encore fixés sur toutes les transformations que peut subir l'hématozoaire.
Sans doute nous nous trouvons en présence d’une hypothèse, mais cette hypothèse est conforme aux données que nous pos sédons sur l’infectieux paludéen et son protéisme si remarquable. Pour avoir des qualités morphologiques et pathologiques spéciales, l’agent endémique que nous supposons, seulement pour répondre aux objections que nous avons pré sentées, cet agent endémique, disons-nous, n’en est pas moins du paludisme né et transformé dans le même laboratoire que le paludisme le plus banal. Et comment ne pas admettre celle origine, alors que la fièvre hémoglobinurique, nous ne saurions trop le répéter, ne s’observe que dans des milieux paludéens et d’une façon à peu près constante chez des sujets déjà plus ou moins impaludés.
En restant dans le domaine de I hypothèse, cette transformation de l’hématozoaire n’est-elle pas plus admissible, plus conforme à la clinique que celte autre hypothèse qui consiste à admettre à côté de l’hématozoaire de Laveran un autre élément figuré, un microbe quelconque, n’ayant aucune analogie de nature ou d’origine avec le paludisme»? Car, jusqu’à plus ample informé, on nous permettra de ne considérer que comme une hypothèse l’action pathogène du bacille découvert par Yersin et décrit dans les Archives de médecine navale. Telle est du moins l’impression que laisse la courte note publiée dans ce recueil.
NOTES SUR LE PALUDISME. 103
Combien la découverte de notre collègue eût davantage en traîné la conviction, si le bacille eu question avait été trouvé non seulement dans les urines, niais aussi et surtout dans le sang des sujets atteints de fièvre hémoglobinurique!
Pour nous résumer, en ne tenant compte que de nos observations personnelles faites à Dakar, nous en arrivons à conclure que la doctrine paludéenne donne toute satisfaction et explique tous les faits observés. En ce qui touche l’étude générale de la question, restent les objections que nous avons essayé d’exposer, elles ont une grande valeur et justifient amplement les efforts faits depuis quelque temps pour arriver à une solution satisfaisante, solution que la microbiologie ne peut manquer de donner un jour, peut-être en nous faisant mieux connaître la morphologie de l’hématozoaire de. Laveran.
CHAPITRE VI.
TRAITEMENT.
La fièvre hémoglobinurique nécessite, on le conçoit , un traitement qui peut paraître assez complexe puisqu’il doit répondre à des indications nombreuses. Ce traitement sera spécifique et symptomatique.
1° T r a i t e me n t s pé c i f i q u e .
Sels de quinine. — Nous nous occuperons d’abord du traite ment spécifique, parce que ce traitement, qui repose presque tout entier sur l’emploi des sels de quinine, est le terrain sur lequel doivent s’arrêter plus volontiers les partisans pour ou contre l’origine paludéenne de la maladie.
Ceux qui admettent exclusivement l’origine paludéenne conseillent de donner les sels de quinine à très hautes doses, sans même s’arrêter devant les perturbations fonctionnelles des reins ou des autres organes, car pour eux « l’administration de la quinine est la chose capitales ». Ceux qui nient l’origine paludéenne de la maladie ne se contentent pas de rejeter la quinine connue inutile, ils la proclament dangereuse et seraient même assez disposés à charger ce médicament de tous les méfaits
104
CLARAC :.
, même à lui attribuer le plus grand nombre des cas d’hémoglobinurie.
Nous avons dit ailleurs ce que nous pensions de l’hémoglobinurie quinique, nous ne nous y arrêterons donc pas ( Archives de médecine navale, avril 1896).
Désireux d’étudier sans idée préconçue cette question du traitement de la fièvre hémoglobinurique, nous avons cependant pensé qu'il fallait agir avec une extrême prudence. En pilot , pour arriver rapidement à une conclusion ferme, il eût fallu ou traiter tous les malades par la quinime à liantes doses ou plutôt mettre systématiquement le médicament de côté. Une manière d’agir aussi radicale nécessitait plus de conviction que 1 e comportait le peu de pratique que nous avions de la maladie; pour la même raison, nous n’avons pas osé instituer une expérience comparative en traitant une partie des malades graves par la première méthode et une autre par la deuxième. Celle façon de procéder peut être admise à la rigueur pour certaines pyrexies qui nous laissent en quelque sorte le temps de nous retourner, mais en présence d’une affection aussi grave, et à marche aussi rapide que la fièvre hémoglobinurique, nous ne nous sommes pas cru autorisé à faire complètement abstraction d’une doctrine admise jusqu’ici comme indiscutable et à tenter d’emblée une expérience quand la vie des malades était en jeu. Nous 1 e faisons aucune difficulté à avouer nos tâtonnements et nous n’avons aucune raison de regretter une prudence, peut-être exagérée, puisque nous avons obtenu un pourcentage de guérisons ni plus ni moins élevé que celui de nos collègues. Nous ne parlons bien entendu que des statistiques générales et non de celles qui ne pro clament que des guérisons, soit que la quinine ait été absolument mise de côté, soit qu’elle ait été administrée à outrance. Du reste, notre façon de procéder est un peu celle de la majorité des médecins qui reconnaissent que, pour être souvent utile dans le traitement de la maladie qui nous occupe, la quinine est loin d’être un spécifique absolu. Le fait d’admettre l’origine paludéenne ne comporte pas nécessairement que l’on doive quand même et toujours administrer les sels de quinine
NOTES SUR LE PALUDISME. 105
à doses élevées. Il s’agit de s’entendre sur ce que l’on peut demander à ce médicament dans la fièvre hémoglobinurique ad mise comme affection paludéenne. Nous l’avons dit, les éléments étiologiques sont nombreux, en dehors , de la cause principale; nombreux sont également les troubles fonctionnels et les lésions organiques.
Disons tout d’abord qu’au moment où l’hémoglobinurie vient confirmer le diagnostic, presque toujours le malade a déjà pris de la quinine, car pendant les accès prémonitoires, qui ne sont que de simples accès de fièvre, le malade ne pense nullement à la fièvre hémoglobinurique, pas plus que le médecin du reste qui s’empresse, quelle que soit son opinion sur la nature de cette dernière maladie, de prescrire de la quinine en proportionnant les doses à la violence des accès. On peut donc affirmer qu’il y a bien peu d’accès hémoglobinuriques absolument vierges de quinine. Tel est du moins le résultat de notre observation.
Les urines noires apparaissent, l’ictère s’accentue et, dans la majorité des cas, la température tombe. L’agent infectieux, quelle que soit sa nature, semble avoir passé sur l’organisme comme un orage, ne laissant après lui que des dégâts à réparer. Il n’y a plus de fièvre et souvent on constate de l’hypothermie. En supposant comme démontrée la nature paludéenne de cet infectieux, que peut-on, en pareil cas, attendre des sels de quinine? Peut-on espérer qu’ils aideront à la réfection des globules rouges détruits en masse ou qu'ils décongestionneront les reins et les débarrasseront des produits des déchets qui les encombrent? Évidemment non, une action contraire serait plutôt à craindre. Dans ces conditions, il parait plus rationnel d’aller au plus pressé, de chercher à réparer autant que possible les dégâts causés, tout en se tenant prêt à répondre, s’il le faut, à un retour offensif de l’agent infectieux. L’indication immédiate est alors d’aider l’organisme à refaire des globules rouges et à éliminer les produits de déchet dont il a tout intérêt à se débarrasser.
Dans certains cas, l’apparition de l'hémoglobinurie est loin de marquer la fin de la fièvre, la température reste plus ou
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moins élevée ou continue à monter, le type de la fièvre est en général rémittent. L’infectieux semble avoir conservé toute son énergie et continue son action destructive sur le globule. Il nous parait alors tout indiqué d’enrayer celle action et de poursuivre à l’aide des sels de quinine, les élévations de température. Et dans ce cas, on est en droit d’attendre du médicament une action analogue à celle qu’il exerce contre les accès pernicieux, c’est-à-dire que, tout en annihilant l’action du poison paludéen sur l’organisme, il permet d’éviter la subintrance. En effet, de même que l’accès pernicieux à forme cérébrale, par exemple, est la conséquence de l’action de l’infectieux paludéen sur les centres nerveux, lieux de moindre résistance, on peut, pensons-nous, considérer l’accès hémoglobinurique comme la conséquence de l’action de hématozaire sur le globule rouge malade et peut-être secondairement sur les autres organes, et non uniquement sur le foie, comme le pensent certains auteurs.
Il résulte de nos observations que les doses énormes de sels de quinine conseillées par certains auteurs sont au moins inutiles. Nous considérons comme suffisantes les doses journalières de î gramme ou 1 gr. 5o par la bouche ou de o gr. ^5 ou i gramme en injections hypodermiques. Il faut, tout en proportionnant la dose du médicament à l’intensité de la fièvre, tenir grand compte de l’état du cœur ou des reins. Dans le cas où le cœur tend trop à faiblir, il faut associer les injections de caféine aux injections de quinine.
A notre avis, l’anurie constitue une contre-indication de l’administration de la quinine, qui est alors inutile et dangereuse. Nous n’avons pas eu à nous louer d’avoir continué la médication quinique dans ces conditions et particulièrement chez un malade atteint d’anurie presque absolue; le cas était très grave, nous crûmes devoir passer outre, pour suivre les anciens errements, la mort eut lieu très rapidement.
Et de fait, comme nous le disions plus haut, quelle action peuvent avoir les sels de quinine sur des reins congestionnés, dont tous les canaux sont absolument bouchés par les produits de déchet? Or, c’est dans les reins seuls que gît alors le danger
NOTES SUU LE PALUDISME. 107
el c'est par les reins, en fin décompté, que le malade finit par succomber.
En résumé, la quinine, même à fortes doses, est utile dans la période des accès qui précèdent l’hémoglobinurie et le malade en prend toujours.
La médication nous paraît inutile quand la température est tombée; au contraire, si la fièvre persiste, on doit poursuivre les élévations de température par des doses modérées, mais suffisantes de quinine, administrées autant que possible par la voie hypodermique, afin d'arrêter faction destructive de l'hématozoaire cl d’éviter la subintrance. Nous avons en effet pu constater que les reprises de la fièvre ou les augmentations de la température se soldaient presque toujours par une diminution dans le chiffre des globules. Observation conforme aux recherches de Kelseh et Kienner.
Les sels de quinine sont contre-indiqués quand il y a de l’anurie.
Telles sont les conclusions que nous croyons devoir tirer des
faits observés à Dakar, à l’hôpital et en ville.
Médication chloroformée;. — Cette médication a donné entre les mains de quelques-uns de nos collègues des résultats tellements remarquables que l’on serait tenté de considérer le chloroforme comme un véritable spécifique «puisqu’il s’attaque au poison morbide lui-même en suspendant, par action microbicide, le développement des agents pathogènes......... « (D1Treille, cité par 1)' Thomas.)
En présence de ces résultats, nous fûmes naturellement conduit à essayer cette médication.
La potion chloroformée à !\ grammes (Quennec) ou l’eau chloroformée ont été données à 7 malades. Deux malades gravement atteints ont essayé de prendre l’eau chloroformée et n’ont jamais pu la tolérer; ces deux malades sont morts; un troisième malade gravement atteint a pris la potion chloroformée, mais la presque constamment rejetée; peut-être en a-t-il gardé une partie; ce malade a guéri. Tous les trois avaient pris de petites doses de quinine pendant la période fébrile. Le nommé J ......... . cas de moyenne gravité, a pu garder assez
108
C LA R AC .
bien la potion chloroformée; il a guéri. Enfin 3 malades légèrement atteints ont très bien toléré la potion chloroformée. La maladie ayant débuté à l’hôpital, le chloroforme a pu être administré avant l’apparition des vomissements. Les malades n’ont pas pris de quinine, à partir de l’apparition de l’hémoglobinurie. La guérison s’est faite très rapidement.
Ces observations sont évidemment trop peu nombreuses pour nous permettre de tirer une conclusion ferme pour ou contre celte médication, cependant elles lui seraient plutôt favorables. Sans nous arrêter à examiner quelle peut être l’action microbicide ou physiologique du chloroforme, il ne nous a pas paru que ce médicament présentât d’une façon bien tranchée les propriétés thérapeutiques que lui attribue le Dr Quennec et que notre collègue résume ainsi : « i° Action efficace contre les
vomissements. »
Il s’en faut qu’il en ait toujours été ainsi chez nos malades, « 2° Augmentation constante de la quantité des urines. » « 3° Diminution constante de la quantité d’albumine des urines et souvent disparition immédiate de cette substance.» Nous devons faire remarquer que l’albumine persiste toujours tant que les urines sont noires et disparaît presque toujours avec l’hémoglobine.
A priori, la conclusion de notre collègue, eu ce qui touche l’albumine, parait contraire à ce que l’on connaît de l’action du chloroforme sur le filtre rénal, action qui pourrait tendre à faire considérer ce médicament plutôt comme dangereux dans le traitement de la fièvre hémoglobinuriquc. Al. Quennec ne s’occupe nullement des contre-indications du chloroforme
«n’ayant pas eu à traiter de malades atteints de fièvre hémoglobinurique chez qui le chloroforme était contre-indiqué». Cependant, il parait admis que le chloroforme a sur la sécrétion urinaire une action évidente et que l’albuminurie passagère est une conséquence relativement fréquente de son administration (Vanderlich, Alessandri, Semaine médicale, janvier 1896).
Une chloroformisation prolongée déterminerait de la dégénérescence graisseuse et de la nécrose de l’épithélium de la substance corticale du rein. Eisendrath, après des recherches
NOTES SUR UE PALI DISME 10'.)
faites sur un grand nombre de chloroformisés, serait arrivé aux conclusions suivantes : u " l’albuminurie préexistante est augmentée par la narcose chloroformique. Dans des urines auparavant normales, l’albuminurie existe dans 32 p. 100 des cas. Sa cylindrurie est fréquente après l’administration du chloroforme.» (Deutsche, Leist, fr. ch., cité par Semaine médicale.)
On pourrait objecter que l\ ou 0 grammes de chloroforme en vingt-quatre heures constituent une dose trop faible pour avoir une action sensible sur les reins. Mais en est-il de même si cette dose est continuée plusieurs jours de suite?
Ces réserves faites, nous pensons que les résultats justifient la médication par le chloroforme, qui doit être appliquée cependant avec prudence, en raison des faits rapportés plus haut, et aussi parce que cette médication n’a pas fait suffisamment ses preuves.
Kinkelibah . — Nous avons employé ce médicament, considéré à la côte occidentale d’Afrique comme un véritable spécifique, mais nos essais ont été faits d’une façon très irrégulière. Les malades toléraient difficilement la tisane de Kinkélibah et le dégoût qu’elle inspirait nous ont empêché d’insister.
2° T r a i t e me n t s y mpt o ma t iq u e .
Il est d’une très grande importance et comporte à notre avis deux indications capitales: aider l’organisme à refaire des globules rouges et combattre la congestion et l’obstruction du filtre rénal. De [dus, il faut essayer de modérer ou même de supprimer les vomissements; débarrasser le tube digestif de la bile et des matériaux septiques qui s’y accumulent; calmer les troubles nerveux ; tenter de régulariser les fonctions du foie cl de la rate; relever l’action du cœur; combattre par tous les moyens les accidents urémiques; enfin, alimenter le malade. i° Pour arrêter la déglobulisation et surtout aider l’organisme à refaire des hématies, nous avons usé largement des inhalations d’oxygène et donné les préparations ferrugineuses
et les toniques.
Les inhalations d’oxygène administrées dès le début de la
110 CLARAC
maladie, étaient continuées pendant la convalescence quand elle était Trop pénible. Ces inhalations ont donné des résultats remarquables. Dès que les malades en avaient usé, ils les réclamaient avec insistance. En effet, elles produisent un bien-être immédiat, surtout quand les accidents urémiques interviennent. La respiration se régularise, le cœur reprend son énergie, les muqueuses se colorent, les douleurs mêmes sont notablement atténuées.
À défaut d’appareil plus perfectionné, nous avons fait usage du ballon ordinaire en adaptant à l’extrémité du tube un cor net à chloroforme fermé à sa partie supérieure. U vaut mieux donner peu d’oxygène à la fois cl répéter souvent les inhalations.
Un malade gravement atteint consomme deux ou trois ballons de 3o litres par jour.
Il serait, dans le même ordre d’idées, très utile d’employer l’eau oxygénée, mais elle se décompose facilement dans les pays chauds. Il faudrait la fabriquer sur place et l’utiliser immédiatement.
Les résultats que nous avons obtenus avec l’oxygène n’ont rien qui puisse étonner, si l’on veut se rappeler ceux qu’il peut donner dans le traitement de la néphrite. Dujardin-Beaumetz cite des cas dans lesquels l’oxygène a suffi pour faire disparaître complètement l’albumine des urines. À notre avis, cet agent devrait être employé systématiquement dans le traite ment de la fièvre hémoglobinurique, ce qui malheureusement n’est pas toujours possible.
L’essence de térébenthine ozonisée aurait donné de remarquables résultats à Carreau (Pathogénie des ictères graves et de leur traitement par l’essence de térébenthine, Guadeloupe 1891); ce médicament est administré à assez fortes doses. Nous regrettons de n’avoir pu essayer cette médication.
Les préparations ferrugineuses nous ont donné de bons résultats. Nous avons surtout employé la solution officinale de perchlorure de fer ( 15 à 20 gouttes dans les vingt-quatre heures) en faisant suivre, chaque cuillerée de la potion, d’un demi-verre de lait, quand l’absence de vomissements le permettait.
NOTES SUR LE PALUDISME. 111
Dans certains cas très graves, alors même qu’il n’y a.plus ni fièvre, ni hémoglobinurie, le malade reste profondément anémié et semble avoir été saigné à blanc. En pareil cas, il paraît évident que la transfusion du sang constituerait une ressource héroïque et d’une efficacité à peu près absolue. On pourrait même, si la transfusion était impossible, avoir recours à de simples injections sous-cutanées de chlorure de sodium, qui ont donné d’excellents résultats dans le traitement de l’anémie aiguë et de l’anémie pernicieuse. Dieulafoy les conseille contre les accidents urémiques. Nous n’insistons pas sur cet emploi possible de la transfusion du sang dans le traitement de la fièvre hémoglobinurique. En ce qui touche le paludisme, la question a été longuement traitée dans les Archives de médecine navale (Gros, mai et juin l 896).
Gomme nous l’avons dit, il est d’une importance capitale de prévenir ou de combattre la congestion des reins, d'empêcher, autant que possible, l’obstruction des canaux et de favoriser la diurèse.
Nous sommes arrivé à prescrire des applications réitérées, en quelque sorte continues, de ventouses sèches sur la région lombaire; soit coïncidence heureuse ou efficacité réelle du moyen, nous n’avons jamais constaté d'anurie chez les malades ainsi traités.
Il va sans dire que le régime lacté, quand il est toléré, devra constituer la base de l’alimentation, mais nous devons reconnaître que le lait est difficilement accepté et toléré.
1 serait peut-être utile de respecter les vomissements, comme le conseillent quelques-uns; mais de tous les symptômes c’est celui qui fatigue le plus les malades; sans compter qu’il met obstacle à l’alimentation et à l’absorption des médicaments.
Contre ces vomissements, nous avons employé, avec plus ou moins de succès, tous les moyens ordinaires. Les pointes de feu sur la région épigastrique, les pulvérisations d’éther et le champagne frappé nous ont paru les plus efficaces.
Les évacuants et les purgatifs, prescrits dans le but de débarrasser le tube digestif des matériaux septiques et de la bile qui l’encombrent et de suppléer à la fonction rénale, sont
1 1 2 CLAIIAC.
évidemment parfaitement indiqués, mais c'est là une médication plus facile à conseiller qu’à appliquer, quand le malade, comme c’est la règle, vomit sans trêve ni repos.
Les purgatifs salins nous ont paru les plus propres à ré pondre à cette indication, mais le purgatif n’est toléré que si l’on est appelé auprès du malade dès le début, avant les vomissements.
Nous ne pouvons donner notre opinion sur le calomel, tant vanté, ne l’ayant que peu ou pas employé. Nous pensons, ce n’est peut-être qu’un préjugé, que les mercuriaux en général doivent être rejetés du traitement des maladies de la nature de celle qui nous occupe. Cependant il est admis par quelques thérapeutes (pie le sublimé, en injection ou par la bouche, contribue à augmenter la richesse du sang en globules, et cela non seulement chez les syphilitiques, mais aussi dans tous les cas d’anémie aiguë !
Les vomitifs ne nous ont jamais paru indiqués.
Les malades dont le cœur était trop déprimé ont toujours tiré un grand bénéfice des injections de caféine.
Les ventouses sèches ou les pointes de feu calment assez facilement l’hépatalgie ou les douleurs spléniques. Quand elles sont trop vives, on est autorisé à user modérément des injections de morphine.
Systématiquement dès le début, M. le docteur Simon [Arch, de med. veto., t. LXII, p. 423 , 1874) applique un large vésicatoire sur la région hépatique. Selon nous, ce moyen doit être au contraire systématiquement écarté, à cause des accidents possibles du côté des reins.
1 est, pensons-nous, inutile d’insister sur l’alimentation des malades. Autant que faire se peut, il convient de proscrire toute alimentation susceptible de donner naissance aux toxines (jus de viande, bouillon, etc.), car les reins souvent atteints ne peuvent suffire à les éliminer et, en s’accumulant dans l’organisme, ils s’ajoutent aux produits de déchet provenant de la maladie elle-même. Nous devons cependant reconnaître que souvent le lait, l’aliment par excellence, n’étant pas toléré, on est bien forcé de nourrir les malades comme on peut. Les Lavements
NOTES SUR LE PALUDISME.
alimentaires, dans le cas d’intolérance absolue de l’estomac, constituent une excellente ressource.
Le traitement de la convalescence ne comporte aucune indi cation spéciale, c’est celui de l’anémie aiguë grave. Nous avons employé chez nos malades tous les moyens ordinaires; nous ne nous arrêterons pas à en faire l’énumération.
3° Prophylaxie.
« II est rare, écrit Pellarin, que l’homme qui résiste à des attaques de fièvre hémoglobinurique guérisse complètement; il il ne récupère jamais son intégrité fonctionnelle et organique et résiste moins aux autres causes de m aladie.. . Ce qu’il faut à ces malades, c’est que leur hygiène soit changée de fond en comble, et le changement le plus important, le plus facile à réaliser, c’est de quitter les lieux où ils ont puisé le germe de leur maladie et où ils sont exposés à l’action continuelle ou intermittente des influences délétères.»
C’est en effet un fait admis et reconnu par tous que les attaques de lièvre hémoglobinurique sont d’autant plus graves quelles sont plus répétées. Cette constatation impose par suite au médecin l’obligation étroite de renvoyer en Europe tout malade convalescent d’une fièvre hémoglobinurique, surtout quand l’atteinte a présenté une certaine gravité. Une tare rénale, même quand elle ne se manifeste plus, expose le convalescent à toutes les complications des maladies infectieuses.
Il faudrait également éviter, autant que possible, d’envoyer dans les pays où la fièvre hémoglobinurique est endémique les sujets atteints d’affections du foie, de la rate et surtout des reins et du cœur. On sait combien les lésions de ces deux organes se tiennent. Nous avons pu observer un cas de mort rapide chez un jeune employé de commerce atteint d’une lésion du cœur, compensée jusque-là; l’organe est devenu tout à coup insuffisant, après une série d’accès paludéens.
Les sujets atteints de cachexie palustre ou d’accès paludéens rebelles devront éviter les refroidissements, surtout dans la période des accès. Nous avons cité plus haut un cas de fièvre hémoglobinurique grave survenu chez une fillette qui, après un
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accès de fièvre, avait été' soumise à un refroidissement brusque. Nous avons eu à soigner à l’hôpital de Dakar un commerçant rentré en Europe, à la suite d’un accès hémoglobinurique; il revenait à la côte occidentale d’Afrique, en très bonne santé, bien qu’ayant eu quelques petits accès de fièvre. Après une nuit passée sur le pont du paquebot, il a été pris de frissons et de fièvre suivie d’hémoglobinurie.
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CLARAC Albert, “CLARAC Albert. Contribution à la géographie médicale. Notes sur le paludisme observé à Dakar (Sénégal). Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 9-114,” RevColEurop, consulté le 21 novembre 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJd4bMT2gMB.