CALMETTE. Sur le mécanisme de l'immunisation contre les venins. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 129-134

Identifiant

ahmc_1898_p_129_134
ark:/67375/2CJCvcq3p5WQ

Auteur

CALMETTE

Personne

Discipline

Médecine et hygiène coloniales

Type de données

Ressources textuelles

Langue du document

Français

Nom abrégé de la revue

Annales de médecine coloniale

Nom détaillé de la revue

Annales d'hygiène et de médecine coloniales

Editeur de la revue

Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris

Date de parution

1898

Nombre de pages

6

Pathologie

sérum antivenimeux
envenimation
poison
hyperleucocytose
insensibilité
morphine
phlyctène
éthanol

Licence

Licence ouverte - BIU Santé (Paris)

URI fascicule

https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a4a63bb7

URI document

https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/be220afd

Cle

ahmc_1898_p_129_134

Fichier Texte

129 SUR LE MÉCANISME DE L’IMMUNISATION CONTRE LES VENINS, par le D> CALM ETTE. MÉDECIN r m m a i ’AL DES COLONIES, DIRECTEUR DE L’ INSTITUT PASTEUR DE LILLE. L’étude des venins, qui a fait l’objet de nombreuses recherches dans ces dernières années, est très commode pour préciser nos connaissances sur les réactions cellulaires à l’égard des toxines. L’analogie étroite que présentent les venins avec quelques toxines microbiennes, d’une part, et, d’autre part, la rapidité et la précision plus grandes de leur action permettent au physiologiste de varier à l’infini les conditions de ses expériences sans s’exposer aux causes d’erreur qui peuvent exister lorsqu’on expérimente avec des toxines provenant de cultures différentes, ou avec des animaux dont la résistance individuelle à l’égard de certains poisons est très variable. Les travaux que j’ai publiés depuis 1893 sur l’envenimation et sur la sérothérapie antivenimeuse ont nettement établi : i° Que les venins de tous les reptiles venimeux des divers pays du monde présentent entre eux des analogies très étroites, et qu’un animal artificiellement immunisé contre un venin très actif, comme celui du naja ou du bothrops, est réfractaire à l’intoxication par tous les venins moins actifs que ceux qui ont servi à le vacciner; i n n . D’ u m . c o l o n . — Janvier-février-mars 1898. 1. — 9 1 3 0 Ca l m e t t e . a" Que le sérum de chevaux vaccinés contre des doses considérables de venins très actifs possède un pouvoir préventif et un pouvoir curatif tellement intenses, qu’il est capable de communiquer en quelques minutes aux animaux neufs auxquels on l’injecte une insensibilité absolue à l’égard de tous les venins; 3° Que la quantité de sérum curatif que doit recevoir un animal intoxiqué par le venin est inversement proportionnelle à son poids lorsqu’on expérimente sur le cobaye, le lapin et le chien, et directement proportionnelle à la quantité de venin qu’il a reçue, c’est-à-dire, par exemple, qu’il suffit de î centimètre cube et demi du sérum que je possède actuellement pour immuniser en quelques minutes un lapin de a kilogrammes, contre une dose de venin mortelle en quinze minutes par injection intraveineuse, lundis que, pour préserver un chien de 10 kilogrammes contre une dose de venin mortelle en trois ou quatre heures par voie sous-cutanée, la même quantité de sérum peut suffire. Le traitement sérothérapique des morsures venimeuses chez l’homme et chez les animaux est maintenant répandu et adopté dans tous les pays sans qu’aucun échec ait encore été signalé, de sorte qu’il n’est plus utile d’en discuter les avantages. Mais il reste encore beaucoup de points de détail à élucider dans le mode d’action des venins, et pour la raison que j’indiquais tout à l’heure, cette sécrétion toxique normale des ophidiens venimeux présente un intérêt très grand au point de vue biologique. Je poursuis actuellement à l’Institut Pasteur de Lille, en collaboration avec M. Guérin, médecin-vétérinaire, et M. le I)' Wehrmann, de Moscou, une série d’expériences qui ont pour but de déterminer le rôle respectif que jouent le système nerveux, les leucocytes et les diverses humeurs de l ’organisme dans la production de l’immunité artificielle contre les venins. Les recherches de Fraser, d’Édimbourg, puis celles de M. Phisalix, du Muséum d’histoire naturelle de Paris, sur le pouvoir préventif de la bile, du glyeocholate de soude, de la cholestérine et aussi de la tyrosine de la carotte ou des tubercules de SUU LU MECANISME DE L’IMMUNISATION. 131 dahlia sur le venin, ont attiré notre attention, parce que nous avions observé, de notre côté, qu’on pouvait très facilement augmenter la résistance des animaux à l’égard de ce même poison en leur injectant préventivement du sérum antitétanique, du sérum de chiens vaccinés contre la rage, certains sérums normaux de cheval ou de chien, et même, dans quelques cas, du bouillon normal de bœuf fraîchement préparé. Nous avons entrepris alors de vérifier, si, dans ces cas, il s’agissait d’une véritable immunité plus ou moins durable, conférée aux animaux neufs par ces substances si diverses, ou si l’on avait affaire seulement à des phénomènes de résistance cellulaire, essentiellement passagers et ne présentant aucun caractère de spécificité. Nous nous sommes attachés à étudier de plus près les faits annoncés récemment par M. Phisalix, en ce qui concerne le pouvoir préventif de la bile et de la cholestérine, et nous avons fait un nombre considérable d’expériences avec des échantillons de bile provenant de divers animaux et avec de la cholestérine pure. Pour ce qui concerne la bile, nous avons constaté, comme M. Fraser, que cette humeur possède manifestement la propriété de détruire le venin in vitro, c’est-à-dire en mélange, à la condition toutefois qu’on opère avec des doses de venin très voisines de la dose mortelle limite. Tous les venins, comme d’ailleurs certaines toxines microbiennes, la toxine tétanique, par exemple (Wehrmann), mis en contact pendant vingt-quatre heures avec une certaine quantité de bile fraîche, perdent leur toxicité et ne produisent aucun effet nuisible lorsqu’on injecte le mélange à des animaux neufs. Il semble que la bile exerce sur le poison un pouvoir digestif. La bile chauffée à 100° et même 120° est encore active, quoique plus faiblement. Celle chauffée à 120° n e l’est plus, si l’on a soin de la filtrer sur papier pour éliminer les substances précipitées par la chaleur. Mais, lorsqu’on injecte la bile quelques heures ou même vingt-quatre heures avant le venin, et à doses relativement élevées, 1 cent. c. 5 ou 2 centimètres cubes de bile de bœuf, 9• 1 3 2 CALMETTE. par exemple, pour un cobaye de 5oo grammes, on n’observe aucun pouvoir préventif. De même, injectée après le venin, elle n’exerce aucun effet thérapeutique et ne modifie pas la marche de l’envenimation. 1 importe de remarquer que, pour vérifier ces expériences, on doit éprouver les animaux avec des doses de venin sûrement mortelles en deux ou trois heures, car si on n’injecte que des doses mortelles en cinq ou six heures, comme le fait M. Phisalix, on trouve environ quatre cobayes sur dix de même poids qui survivent après avoir été plus ou moins malades, et sans injection préventive de bile. Nous avons injecté directement dans la vésicule biliaire de lapins la dose mortelle de venin, et dans ces cas, la mort est toujours survenue à peu près en même temps que chez les animaux qui recevaient la même dose sous la peau, en une heure et demie à deux heures. Dans ces expériences, le venin est probablement absorbé avant d’avoir pu être modifié ou détruit par la bile, puisque nous avons vu que cette destruction ne peut s’opérer qu’après un assez long contact. En expérimentant avec de la cholestérine pure de Merck, fusible à 146° et dissoute dans l’éther ou dans l’huile de pieds de bœuf, nous avons constaté que cette substance même à doses élevées (1 centimètre cube de solution éthérée saturée) ne possède pas de pouvoir préventif réel. Elle retarde la mort de un à cinq jours lorsqu’on l’injecte deux à quatre heures avant une dose de venin mortelle en trois à quatre heures. Mais si ou l’injecte quarante-huit heures avant le venin, elle ne pro­ duit aucun effet préventif. Or, nous avons pu nous convaincre que beaucoup de substances d’origines très diverses pouvaient donner lieu aux mêmes phénomènes de retard ou d’arrêt dans l’intoxication. Nous avons observé, par exemple, que le bouillon normal frais, injecté à la dose de 5 ou î o centimètres cubes deux heures avant le venin, ou des quantités variables de certains sérums normaux ou antitétaniques, ou antirabiques, possèdent des propriétés préventives semblables. Il n’est pas possible d’envisager ces faits comme démontrant une spécificité réelle de la bile, de la SUR LE MÉCANISME DE L’IMMUNISATION. 133 cholestérine, de certains sérums ou du bouillon normal de bœuf à l’égard du venin. Nous pensons qu’il faut les interpréter tout simplement dans le sens d’une stimulation passagère des leucocytes qui ont pour mission de fixer le venin et de le véhiculer vers les éléments nerveux qu’il doit frapper de mort. Le rôle des leucocytes dans la fixation du venin nous paraît très important, car l’introduction de ce poison dans l’organisme, localement ou par voie intraveineuse, s’accompagne toujours d’une hyperleucocytose manifeste, et d’autre part, si on injecte à un animal neuf une dose de venin diluée dans une petite quantité d’exsudât leucocytaire frais, on observe toujours un retard considérable dans l'envenimation et très souvent, la survie. Nous avons voulu rechercher si les éléments du système nerveux possèdent à l’égard du venin les mêmes propriétés que Wassermann et Takaki leur ont reconnues dernièrement à l’égard de la toxine tétanique. Nous avons fait plusieurs expériences avec des émulsions de cerveau de lapin, et avec des émulsions de cerveau de serpent ( bothrops lameolatus). Aucune de ces émulsions n’a manifesté le moindre pouvoir antitoxique in vitro ou préventif. Il n’y a donc pas d’analogies d’action entre ce qui passe dans les éléments nerveux vis-à-vis de la toxine tétanique et vis-à-vis du venin. Nous avons été amenés à nous demander si, après avoir immunisé passivement des lapins, par exemple avec du sérum antivenimeux, il ne serait pas possible de faire perdre à ces animaux leur immunité en leur injectant certaines substances capables d’agir énergiquement sur les cellules nerveuses du cerveau, du bulbe et de la moelle, et en les éprouvant ensuite avec une dose sûrement mortelle de venin. Nous nous proposions de voir, par ces expériences, si le sérum antivenimeux (dont l’action est si rapide et si intense qu’aucun autre sérum antitoxique ne peut lui être comparé à cet égard) agit sur les éléments nerveux ou sur les leucocytes. Avec mon collaborateur M. Guérin, j’ai injecté à une série de lapins une dose de sérum antivenimeux suffisante pour les immuniser solidement (2 centimètres cubes) contre une dose 134 CALMETTE. de venin sûrement mortelle en quinze minutes par injection intraveineuse. L’un de ces animaux a reçu 3 milligrammes de curare, et une heure après, pendant l’intoxication curarique, il a été éprouvé avec le venin et il a résisté. D’autres lapins ont reçu, après le sérum antivenimeux, de l’alcool éthylique pur (20 centimètres cubes d’une dilution à 5o p. 100 sous la peau) — du chloral (o gr. 5) dans les veines — du chlorhydrate de morphine (o gr. A5) dans les veines — du bromure de potassium (0 gr.0003) dans les veines — du sulfate de strychnine (o gr. ooo3) dans les veines, — puis, quelques instants après, la même dose de venin mortelle eu quinze minutes. Aucun de ces animaux n’est mort. Donc, aucune de ces substances toxiques qui ont une action élective sur les éléments nerveux n’a pu supprimer l’immunité passive conférée préalablement par le sérum antivenimeux. Nous avons répété les mêmes expériences en injectant les substances toxiques d’abord, puis le sérum antivenimeux, puis le venin. Aucun des animaux ainsi éprouvés n’a succombé. Deux conclusions se dégagent donc de nos expériences : 1° Ou ne peut pas considérer l’action antitoxique de la bile, de la cholestérine, etc., pas plus que celle de certains sérums normaux ou antitétaniques ou antirabiques, etc., comme une action antitoxique vraie, c’est-à-dire spécifique à l’égard du venin. On a tout simplement affaire ici à des effets de stimulation cellulaire, mais ces effets sont très passagers et peuvent être produits par des substances très différentes; 2° Après l’injection de sérum antivenimeux, ce sérum manifeste son action préventive malgré que l’on se soit efforcé de diminuer la résistance des éléments nerveux par l’injection de divers poisons qui agissent sur ces derniers.

Citer ce document

CALMETTE, “CALMETTE. Sur le mécanisme de l'immunisation contre les venins. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 129-134,” RevColEurop, consulté le 29 avril 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJCvcq3p5WQ.

Formats de sortie