LASNET Alexandre. Contribution à la géographie médicale. Mission du Baoulé. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 305-348

Identifiant

ahmc_1898_p_305_348
ark:/67375/2CJGnVCFKN3M

Auteur

LASNET Alexandre

Discipline

Médecine et hygiène coloniales

Type de données

Ressources textuelles

Langue du document

Français

Nom abrégé de la revue

Annales de médecine coloniale

Nom détaillé de la revue

Annales d'hygiène et de médecine coloniales

Editeur de la revue

Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris

Date de parution

1898

Nombre de pages

44

Pathologie

fièvre
paludisme
poison
cachexie
quinine
plaie
vomissement
café
convulsion
diarrhée
fatigue
inflammation
insuffisance staturale
morsure
œdème
accès pernicieux
adénite
amaigrissement
amidon
anasarque
antipyrétique
anémie
asphyxie
conjonctivite
constipation
cuivre
céphalée
diaphorèse
diurétique
diverticule
douleur
empoisonnement
entérite
gibbosité
herpès
hydropisie
hypothermie
hépatite chronique
infection sexuellement transmissible
insolation
kératite
liniment
maladie infectieuse
névralgie
oedème périphérique
paralysie
pityriasis versicolor
plante médicinale
rachitisme
syphilis
urticaire
variole
écoulement

Coordonnées géographiques

[10.83333,-10.66667#Guinée]
[14.6937,-17.44406#Dakar]
[16,30#Soudan]
[18,9#Niger]
[28,3#Algérie]
[5.2118,-3.73884#Grand Bassam]
[6.5,-9.5#Liberia]
[8,-5.5#Côte d'Ivoire]
[8.5,-11.5#Sierra Leone]
[9.5,2.25#Dahomey]

Licence

Licence ouverte - BIU Santé (Paris)

URI fascicule

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URI document

https://api.nakala.fr/data/10.34847/nkl.d35cb8lq/f35a1b0bac8394a93ba10341fdc5f4596c590fcf

Cle

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Fichier Texte

M I S S I O N D U B A O U L É . 305CONTRIBUTION À LA GÉOGRAPHIE MEDICALEMISSION DU BAOULE p ar le Dr LASN ET, MÉDECIN I)E PREMIERE CLASSE DES COLONIES. C O M P O S I T I O N E T M A R C H E D E L A M I S S I O N . La mission du Baoulé, organisée par le Gouvernement général de la Côte occidentale d’Afrique, en vue d’un traite' possible avec Samory, avait été ainsi composée à Saint-Louis: Capitaine Braulot, chef de la mission; Docteur Lasnet, médecin de a0 classe; Sous-lieutenant Simonnol, chargé de l’escorte; Un administrateur, que devait désigner la colonie de Grand- Bassam et qui fut remplacé par un commis aux affaires indigènes, M. Delafosse; 9/1 tirailleurs; li conducteurs; 1 infirmier: a interprètes. Des chevaux étaient attribués aux olliciers et à l’administrateur. La mission devait gagner la Côte-d’Ivoire et remonter chez Samory par le Baoulé. L’embarquement à Dakar eut lieu sur le Pélion, le h avril; à Grand-Laliou, le lieutenant Simonnol descendit avec quelques tirailleurs et les vivres, qu’il devait monter par pirogues, sur le Bandama, jusqu’à Thiassalé; le reste du personnel et les chevaux continuèrent sur Grand-Bassam, où le débarquement ANN. D’Ilïfi. COLON. •fuillet-aoùt-sept. 1808. 3 0 6 L A SN E T . se fit le la avril dans d’excellentes conditions. Le 15 , nous traversions en chaland la lagune; le 16, nous étions à Dabou et, dès le lendemain, nous nous mettions en roule pour Thiassalé MISSION DU BAOULÉ. 307 avec quatre-vingts porteurs, levés paries soins de l'administrateur. Jusqu’à Kodiokofi, nous avons pris le chemin suivi précédemment paria colonne Monteil; dans la forêt, c’est-à-dire de Dabou (1) à Singorobo, presque tous les gros obstacles avaient été écartés par elle pour le passage de la cavalerie ; nous n’avons eu qu’à débroussailler par endroits, couper les lianes ou les branches qui avaient envahi le sentier depuis. Nous sommes restés à Thiassalé du a 1avril au 1er Mai, attendant les trois cents porteurs Dioulas qui, de Kodiokofi, devaient venir prendre nos charges; dès leur arrivée, nous avons pu nous mettre en route; depuis plusieurs jours, le lieutenant nous avait rejoints, bagages et vivres, tout était rendu. Notre marche a été dès lors très rapide : à lirimbo, à Singorobo, à Ouessou, nous n’avons passé qu’une demi-journée; à Toumodi, M. Delafosse, qui y remplissait les fonctions d’administrateur, s’est adjoint à nous et nous y sommes restés un jour; le 10 mai, enfin, nous étions à Kodiokofi et nous nous installions au poste civil, alors complètement vacant l2h Les interprètes furent mis en route le 1h mai pour Bédiala, en face Kouroulza, sur la rive droite du Comoé, où se trouvait alors Samory; la route directe de Satana ne pouvant être prise à cause de l’hostilité des N’Gbans, ils suivirent la route, un peu moins mauvaise, de Bouaké; pour assurer leur sécurité jusqu’à ce point, la mission les y accompagna et les remit aux sofas de Kotiakofi, marché de captifs près de Bouaké; dès lors ils étaient sur le territoire de l’almamy et sous la sauvegarde de ses gens; il ne nous restait plus qu’à attendre. La mission revint à Kodiokofi et y resta jusqu’à leur retour, le h juillet. Samory refusant de traiter et de nous recevoir, le départ fut aussitôt décidé et, le 7 juillet, nous nous mettions en roule pour la côte; le i 3 , nous étions à Thiassalé; le î i , nous descendions <*) La furêt commence deux heures après Dabou, quand on a Iraverse la plaine aride (pii esl derrière le poste; elle 11e prend lin qu’à Singorobo. (-i L’administrateur de Kodiokofi, M. Nebout, était en congé et le poste militaire, jusque-là commun avec le poste civil, venait d’etre transféré un peu plus loin. 21 . 3 0 8 LASN ET. le Bandama en pirogues et, dans la soirée du même jour, nous trouvions à Ahuacré la Topaze, chaloupe de la colonie envoyée à notre rencontre; le 15 , nous arrivions à Grand-Lahou et le paquebot du a6, le Stamboul, nous ramenait au Sénégald). Situation sanitaire des postes militaires du Bandama et du Baoulé. — L’itinéraire suivi par la mission nous a permis de visiter les postes de la ligne du Baoulé et de nous rendre à peu près compte de leur situation sanitaire. Nous rapportons ici les renseignements que nous avons pu recueillir; ils nous paraissent nécessaires pour expliquer l’état sanitaire de la mission (personnel et animaux) dans les différents endroits où elle a séjourné; nous insisterons peu sur les postes au-dessous de Thiassalé que nous n’avons fait que traverser. Grand-Laliou. — L’installation du camp n’a pas été modifiée depuis la colonne; il est établi sur le sable de la côte, à l’Ouest des factoreries. Il comprend deux seuls pavillons à peu près habitables, ce sont deux pavillons hospitaliers Decker; l’un sert d’ambulance, l’autre est réservé aux officiers; le reste des habitations est composé de mauvaises paillotles à moitié vermoulues, au ras du sol et infestées de chiques; les tirailleurs couchent sous des lentes Tollet à toiles déchirées. Malgré cette installation déplorable, l’état sanitaire est assez bon ; cela tient aux brises régulières qui, matin et soir, soufflent de la mer et balayent tous les miasmes. Une compagnie de tirailleurs est stationnée à Grand-Lahou. Ahuacré. — Petit poste sur la rive gauche du Bandama, à un jour de Lahou, — quatre tirailleurs, pas d’Européen. — C’est un poste de transit. Les chaloupes vont y déposer les vivres destinés au Baoulé; au delà ils sont remontés par pirogues. Bourou-Bourou. — Sur la rive gauche du fleuve, est également t‘) L e c a p ila iu e e t m o i n o u s n ’a v o n s p a ssé q u ’u n e jo u r n é e à L a h o u , u n vap e u r a n g la is n o u s a c o n d u its à G ra n d -B a s s a n i, o ù n o u s a v o n s p r is le Stamboul. MISSION DU MOULÉ. 3 0 9 un point de transit. La navigation à ce niveau est rendue très dangereuse par des roches et des rapides; les pirogues sont obligées de décharger au poste leurs marchandises, elles les reprennent plus haut. Un sergent européen et huit tirailleurs. L’état sanitaire est assez hon, la brise de mer se fait sentir à peu près régulièrement jusque-là. Thiassalé. — Le poste est installé sur un monticule, à une centaine de mètres de la rive droite du Bandama. 1 est composé de paillottes en mauvais état; ses magasins sont encore encombrés d’orge, de bats de mulets, de tentes, laissés par la colonne Monteil. La garnison est composée d’un sous-lieutenant, d’un sergent (européens) et de dix-huit tirailleurs;l’année dernière, elle était d’une section avec cadre européen complet. L’état sanitaire est des plus mauvais; la fièvre paludéenne y règne en permanence et n’épargne même pas les indigènes; la dysenterie y est presque aussi fréquente, on ne m’a cité aucun cas d’hépatite; en outre, les chiques ont tout envahi et rendent indisponible le quart des hommes. Depuis l’occupation du poste, cinq Européens sont morts de cachexie, d’insolation ou d’accès pernicieux. A mon sens, les causes principales d’insalubrité de Thiassalé sont les suivantes : i° La présence d’un marigot contre lequel est adossé le poste et qui, pendant la saison des pluies, n’est autre chose qu’un bras du Bandama; il prend naissance à deux kilomètres environ au-dessus de Thiassalé, contourne le village et vient rejoindre le fleuve derrière le poste. Pendant la saison sèche, la communication avec la rivière est interrompue et le marigot est formé; les eaux v croupissent infectes et fétides, des plantes de toutes sortes y croissent, la décomposition organique y est des plus actives et, tous les matins, une buée épaisse qui s’en échappe va couvrir les cases du village; rien ne protège le poste, qui est directement adossé à ce marigot; la forêt est immédiatement au-delà; à cause de sa perniciosité, les indigènes on fait 310 L A SN E T . ce marigot fétiche; ils ne boivent pas de ses eaux et ne le traversent qu’en un point; 2° Ventilation insuffisante, état hygrométrique défectueux : le poste est au milieu de la forêt et sur une rivière; il ne reçoit presque pas de brise; la température y est plus élevée que dans le Baoulé et difficile à supporter à cause de la surcharge de vapeur d’eau ; 3° Voisinage du cimetière, qui est à quatre ou cinq mètres du palanquement ouest du poste, au sommet de la pente sur laquelle sont installées les paillottes; b" Encombrement des magasins par des marchandises altérées. Niamwé, en face de Thiassalé, de l’autre côté du Bandama, parait jouir d’une bien meilleure situation; le village est un peu plus élevé et, d’après les renseignements qui m’ont été donnés, il n’y aurait point de marigots dans le voisinage. Au point de vue hygiénique, il y aurait tout intérêt à y transporter le poste. Brimbo est un petit poste de quatre tirailleurs, à i 5 kilomètres de Thiassalé, sur la rive gauche du fleuve; il n’a aucune importance stratégique et surveille seulement le passage du Bandama. Il se compose d’une case en nervures de palmier, élevée sur un petit tertre en terre et de deux hangars vermoulus, dont l’un s’est abattu sur nos hommes pendant une. tornade, ors de notre passage. Singorobo est à la sortie de la forêt. Une plaine marécageuse de î à 2 kilomètres l’en sépare; le poste est installé sur une petite hauteur, entouré d’un palanquement en troncs de rôniers, et tout en paillottes, au ras du sol, bien entretenues, vastes, aérées; les alentours sont proprement nettoyés et servent de campement aux convois de ravitaillement. Le poste est orienté Est-Ouest; les vents d’Est, assez fréquents à la sortie de la forêt, lui apportent les miasmes de la plaine marécageuse M IS S IO N DU B A O U LÉ . 311 qui est à ses pieds. Il est occupé' par un sergent européen et huit tirailleurs; l’état sanitaire y est assez bon, les accès de fièvre sont fréquents, sans complications. Ouessou est à 20 kilomètres plus loin, au milieu des N’Gbans; le poste, récemment restauré par M. le lieutenant Méjanel, est tout en paiHottes, entouré d’un lanier complet; la case principale qu’habite le lieutenant est élevée sur des troncs de rôniers de î m. 5o environ, ses parois sont à jour, formées de nervures de palmiers; la solidité en est très suffisante et l’aération parfaite; d’autres cases plus petites, au ras du sol, sont réservées au sergent européen et aux deux artilleurs qui, avec dix-huit tirailleurs, composent, la garnison de Ouessou. Le poste offre toutes les ressources que l’on peut trouver dans ce pays : jardin avec légumes de toutes sortes, moutons, poulets. L’état sanitaire y est cependant assez défectueux, Ouessou se trouvant au milieu d’une plaine basse et marécageuse et enveloppé de toutes parts d’un rideau d’arbres. Le poste de Toumodi est loin d’être aussi bien installé et est également malsain; il présente à peu près la même situation, sur une petite hauteur au milieu de marigots. Il est défendu par des remblais et par un fossé où croupissent les eaux de pluie, leur écoulement n’étant point assuré. Il est commandé par un capitaine qui a avec lui deux sous-officiers européens et quarante tirailleurs. Un peu plus loin, dans un bas-fond entre les villages bushman et senoufou, est la résidence de l’administrateur, sa situation sanitaire est des plus mauvaises. Le poste militaire de Kodioko/i était autrefois installé dans le poste civil, de construction plus ancienne; il vient d’être transporté par M. le lieutenant de la Verrerie à 1 kilomètre plus loin, sur une colline qui commande toute la plaine. La résidence est donc aujourd’hui réservée uniquement à l’administrateur et à son personnel (miliciens, interprètes) ;nous l’avons ?occupée pendant tout notre séjour à Kodiokofi; elle est 312 LA SN ET . composée de cases vastes, bien aérées pour les Européens ; les cases des indigènes sont basses, mais assez confortables; toutes sont au ras du sol. Dans le milieu de la cour se dresse l’ancien fort, réduit d’une cinquantaine de mètres de côté, maintenant abandonné. Ce poste est dans une situation défectueuse, sur le banc d’une cuvette au fond de laquelle coule un marigot qui va se perdre dans un terrain marécageux encombré de roseaux et dont les miasmes sont portés sur les cases par la brise de Sud- Est; trois cents mètres plus baut, le poste eût. été sur. un plateau à terrain sec et sablonneux, sans voisinage immédiat de marigots. Deux Européens, un capitaine et un clairon, y sont morts, l’an dernier, de paludisme. Le fort actuel est bâti de l’autre côté du village Dioula, sur une colline de ho à 5o mètres d’altitude; sa situation sanitaire est aussi bonne que possible : toutes les brises le balayent; les marigots situés au-dessous ne peuvent y faire sentir leur influence; d’ailleurs les Européens s’y portent bien et y ont rarement la fièvre. La garnison est de quarante tirailleurs et quatre Européens, un officier, un sous-officier et deux canonniers. Etat sanitaire de la mission. — L’état sanitaire de la mission a été bon tant que nous avons avons été en marche; à Thiassalé, à Kodiokofi, il a été médiocre. Européens. — Les Européens ont été les plus frappés; les atteintes du paludisme ont été fréquentes. Les premiers accès de fièvre se sont manifestés à Thiassalé pendant les dix jours que nous y sommes restés, revêtant surtout la forme inflammatoire avec, température très élevée et quelques vomissements bilieux. À Kodiokofi, la forme inflammatoire a été rare; la température était moins élevée, mais se maintenait plusieurs jours, présentant une tendance marquée vers la rémittence. Nous n'avons pas eu de complications, mais seulement une anémie très grande, consécutive à ces atteintes; M. D ......... , qui s’est trouvé dans ce cas, n’a pas été sans nous inspirer des inquiétudes; il a eu souvent de la fièvre, accès bilieux de quatre MISSION DU BAOULÉ. 313 à cinq jours à forme rémittente : un mois après notre arrivée à Kodiokofi, il était tombé dans un état tel qu’il était incapable de faire quelques pas; les fonctions digestives se faisaient mal; l’inappétence était presque absolue et l’ingestion d’aliments ordinairement suivie de vomissements, le lait seul était supporté ; la rate, légèrement hypertrophiée, était très douloureuse à la pression. Dans ces conditions, il était difficile à M. D ......... de continuer à faire partie de la mission, car d’un jour à l’autre nous nous attendions à partir en avant; il redescendit à Toumodi et ne fut point remplacé; quinze jours après, nous redescendions à la côte. Pendant ce même séjour à Kodiokofi, M. le capitaine B. . . . . a eu une poussée de redite ou plutôt une rechute, car précédemment , à Grand-Lahou, il avait eu une première atteinte de cette affection, qui l’avait obligé à rentrer en France. Quinze jours de régime lacté et de médication opiacée font bien rétabli. Indigènes. — La visite médicale de l’escorte n’ayant pas été passée à Dakar, trois tirailleurs ont été laissés à Grand-Lahou : deux indisponibles pour vers de Guinée, le troisième pour hernie inguinale; ils ont été remplacés par le poste de Thiassalé. De Kadiokali, un quatrième a été renvoyé à la côte, atteint de kératite chronique. Cet homme avait des poussées de conjonctivite qui lui rendaient le service fort difficile; son acuité visuelle étant, en outre, insuffisante, nous l’avons proposé pour la réforme. Aucune affection sérieuse ne s’est produite parmi les hommes du détachement. Les poussées d’entérite avec coliques parfois très violentes ont été fréquentes, les tirailleurs dormant souvent à la belle étoile, le ventre découvert et sans prendre aucune précaution. A Kodiokofi, nous avons eu plusieurs cas de fièvre cédant rapidement à la quinine et sans gravité. Après notre passage à Thiassalé, la mission était infestée de chiques; de nombreux cas de plaies en ont été la conséquence. L’un des interprètes, Amat-Sour, a souffert de douleurs ostéocopes pendant presque toute la durée de la mission; il n’a 314 LAS NE T . pu faire les étapes qu’à dos de mulet ou eu hamac. Je n’ai pu lui faire suivre de traitement spécifique qu’à son retour de chez Samory. Quand nous sommes arrivés à la côte, ses douleurs avaient disparu. Pendant notre voyage de retour, dans un campement entre Toumodi et Ouessou, notre cuisinier, jeune Apollonien de Grand-Bassam, a été mordu au pied par un serpent noir; malgré la constriction immédiate du membre et la cautérisation à l’ammoniaque, avec large incision de la morsure, les accidents locaux, œdème, douleurs, paralysie de la jambe n’ont pas tardé à se produire. Le matin du quatrième jour, l’état général s’étant jusque-là maintenu excellent, des phénomènes cérébraux ont commencé à se manifester : délire, convulsions, vomissements, céphalalgie avec sueurs froides et hypothermie. La mort s’est produite par asphyxie, quatre heures après l’apparition de ces phénomènes; la température axillaire était alors de Bà". Ce cas est le seul intéressant auquel nous avons eu affaire. Chevaux de la mission. — Les chevaux de la mission, au nombre de quatre, avaient été fournis par la compagnie de conducteurs sénégalais et examinés, avant le départ de Saint- Louis, par une commission qui les avait reconnus sains, vigoureux et ne présentant aucune lare héréditaire ou acquise, ils provenaient d’Algérie et avaient au moins deux années de séjour au Sénégal. La traversée de Dakar à Grand-Bassam a été effectuée dans d’excellentes conditions; le débarquement s’est fait sans accident, la barre étant très favorable. Après deux jours de repos à Grand-Bassam, les chevaux ont été dirigés en chaland sur Dabou, puis par terre sur Thiassalé, où la mission a été immobilisée une semaine entière, en attendant les porteurs annoncés de Kodiokofi. Jusque-là l’état sanitaire s’était maintenu excellent; nous n’avions eu aucun indisponible. Pendant le séjour à Thiassalé (21 avril-i'r mai), se sont montrées les premières atteintes de paludisme : deux M IS S IO N DU BA O U LÉ . 3 1 5 chevaux ont eu des accès de fièvre très nets avec frissons, chaleur et sueurs; ces accès ont duré quelques heures et ont cédé à la quinine. Le 10 mai, la mission était rendue à Kodiokofi et s’installait au poste civil; une écurie bien couverte, à sol surélevé et avec caniveau, était établie dans la cour de ce poste, la ration était abondamment faite en fourrage coupé sur place et séché, ainsi qu’en orge légèrement salée; deux fois par jour les chevaux étaient conduits à un marigot à eau courante, à a kilomètres du poste, environ; ils étaient en somme dans les meilleures conditions possibles de confort. Quinze jouis après se manifestaient nettement les signes de l’intoxication paludéenne; en moins de deux semaines ils tombaient en pleine cachexie. Les accès de fièvre à forme franche du début étaient remplacés par des accès à forme rémittente, avec exacerbation vespérale et mouvement subfébrile; dans la journée les symptômes généraux s’aggravaient rapidement, identiques dans tous les cas : embarras gastrique continu, inappétence, alternatives de diarrhée et de constipation, respiration haletante, battements cardiaques précipités, amaigrissement progressif, œdème des membres se transformant à la dernière période en véritable anasarque, ulcères aux jambes, éruptions papuleuses généralisées, parfois, poussées d’urticaire. La quinine, l’arsenic, les purgatifs sous forme d’huile de pour guère ont été administrés en vain; la marche de la maladie n’a pas été enrayée; en trois semaines, trois chevaux ont succombé, le quatrième est mort la cinquième semaine. Les différentes autopsies n’ont montré de lésions qu’à la rate, légèrement hypertrophiée avec un peu de sclérose; par ailleurs nous avons trouvé des lésions vulgaires d’œdème et d’hydropisie, le foie et les reins ont paru sains. La marche de la maladie, toujours identique, avec mêmes symptômes, même type fébrile intermittent d’abord, puis rémittent, l’efficacité de la quinine dans les accès francs du début, les lésions constatées à la rate nous font supposer une intoxication paludéenne suraiguë qui aurait profondément atteint l’organisme dans ses diverses fonctions et l’aurait conduit à la3 1 6 U S N E T . cachexie. Les chevaux étant vigoureux, n’ayant pas eu de maladies antérieures, ne présentant aucune tare, le paludisme n’aurait rencontré aucun organe en état de moindre résistance pouvant être un lieu d’appel à ses atteintes et déterminer une forme spéciale d’intoxication palustre; dans ces conditions, l’organisme aurait été frappé d’une façon uniforme dans ses diverses fonctions, ce qui expliquerait cette cachexie à marche rapide, qui implique d’ordinaire une impaludation déjà ancienne. D'après les renseignements que nous avons pu recueillir, les chevaux de la colonne Mouteil auraient succombé de la même façon et aussi rapidement. La plupart sont restés à Ouessou et à Toumodi; quand la colonne est arrivée à Kodiokofi, elle n’en avait plus que dix; un seul est redescendu à la côte pour y mourir. Le seul qui a été ramené au Sénégal n’avait point quitté Grand-Lahou h). Mais, si les chevaux ne peuvent vivre dans un pays aussi paludéen que le Baoulé, les mulets, en revanche, ne paraissent pas trop y souffrir : M. le Gouverneur Bertin avait donné à la mission, pour servir de monture aux interprètes, deux mules provenant des Canaries et appartenant à la colonie; au départ de Grand-Bassam elles étaient maigres, efflanquées et ne paraissaient pas devoir résister bien longtemps; elles ont admirablement supporté le voyage et, quand nous sommes arrivés à Kodiokofi, elles avaient engraissé. L’une a été laissée aux interprètes et est morte pendant leur retour de Bédiala, probablement de fatigue et de manque de soins; l’autre n’a cessé de se bien porter et est restée Tunique monture de la mission. L’an dernier, d’ailleurs, les mulets de la colonne ont été fort peu atteints par le paludisme; ils sont morts des suites de leurs blessures et de privations. Dans le Baoulé, ces animaux sont capables de rendre de grands services et peuvent seuls être utilisés, soit à selle, soit à bât. O L es v é té rin a ire s d u S o u d a n f ra n ç a is o n t sig n a lé d e p u is lo n g te m p s la cachex ie p a lu d é e n n e chez le s chevaux. (La Direction.) .MISSION DU BAOULÉ. 3 1 7ÉTUDE SUR LE BAOULÉ. Limites. — Le Baoulé s’étend au-dessus de la forêt de la Côte-d’Ivoire; il est limité au Nord par les territoires de Ouorodougou et du Diamala, à l’Ouest par le cours du Cavallv et à l’Est par les États de Bondoukou. Ces limites sont tout de convention; l’Ouest du Baoulé n’a pas été exploré, le Cavally n’a pas été reconnu, quant au Bondoukou qui est habité par des Agnis, comme le Baoulé et la famille Achanti à laquelle appartiennent les Baoulés, il se continue même bien au-delà, jusqu’au Dahomey. La forêt est également habitée par des Agnis, dont les caractères physiques, la langue, les coutumes diffèrent fort peu de ceux des gens du Baoulé; notre étude portera sur les uns et sur les autres, mais plus spécialement sur les Baoulés, un séjour de près de deux mois à Kodiokofi, nous les ayant mieux fait connaître. Hydrographie. — Le Baoulé est arrosé par le Bandama, qui prend sa source dans le Kenédougou, près de Teugrela. Ce fleuve descend presque directement du Nord au Sud, obliquant un peu vers l’Est dans sa partie moyenne. AThiassalé, il reçoit le N’Zi et reprend sa direction Nord-Sud jusqu’à Grand-Lahou, où il se jette à la mer. Le cours du Bandama n’est pas régulier dans toute son étendue : de Bourou-Bourou à Tabou, sur une longueur de près de 100 kilomètres, il est encombré de roches basaltiques et granitiques, qui en rendent la navigation impossible, souvent même aux pirogues; le capitaine Marchand a proposé de faire sauter ces roches jusqu’à Thiassalé et de continuer par un chemin de fer jusqu’à Tabou. Au-dessus de ce point, d’après les indigènes et d’après le capitaine Marchand, qui a vérifié leur dire, il n’y aurait plus ni roches, ni rapides : les embarcations pourraient remonter au-dessus du parallèle pendant au moins huit mois de l’année; le point terminus de navigabilité serait la tête de ligne du fameux transnigérien qui irait rejoindre le Bagoé, affluent du Niger, au-dessous du i o' parallèle. 318 L A SN E T . Les affluents du Bandama sont peu nombreux : à gauche, ie N’Zi, affluent principal, qui coule du Nord et vient se jeter dans le fleuve entre Brimbo et Thiassale', au milieu d’une plaine basse et marécageuse. Le N’Zi reçoit le Kan, grossi lui- même par le Poulara; ces dernières rivières sont de véritables torrents pendant l’hivernage et n’ont presque pas d’eau pendant la saison sèche. Les affluents de droite sont peu connus ; les principaux sont le Réré et le Bandama Rouge, qui se jettent dans te tiers supérieur et coulent également du Nord. La direction des rivières du Baoulé est très remarquable : elles vont toutes N.-S., ne subissent presque pas de déviation et suivent une marche à peu près parallèle. Cela tient à la disposition du système orographique du pays : les lignes de partage des eaux sont formées par des chaînes de collines orientées régulièrement N.-S. et déterminent des vallées étroites au fond desquelles coulent les rivières. Il en résulte que le bassin du Bandama, comme d’ailleurs celui du Comoé et comme probablement celui de Cavally, ne présente pas d’affluents latéraux importants, mais un nombre considérable de petits cours d’eau, qui sont des rivières pendant la saison des pluies et deviennent, pendant la saison sèche, autant de marigots, causes de la grande insalubrité du pays. Géologie. — Le sol du Baoulé présente la constitution générale du sol africain : il est principalement formé de roches ferrugineuses avec rognons argileux qui y sont inclus; ces roches sont terreuses et rougeâtres; comme celles de Dakar, elles sont tendres et molles au moment de leur extraction et durcissent rapidement à l’air. Le plus souvent elles se présentent sous forme d’assises qui, en beaucoup de points, affleurent le sol; dans la forêt, elles sont recouvertes d’une épaisse couche d’humus et de débris végétaux; dans le Baoulé, ce sont souvent des bancs de sable qui s’étendent à leur surface. Au milieu de ce terrain argilo-ferrugineux nous avons rencontré parfois d’énormes blocs de grès se présentant sous l’aspect de cailloux roulés, à angles bien arrondis, à face bien M IS S IO N DU BA O U LE . 31!) lisse, ou s’étendant sous forme d’assises sur une longueur de plus de cent mètres. Je ne crois pas qu’ils pénètrent bien profondément dans le sol; j’en ai vu plusieurs émerger complètement. Il est peu probable qu’ils soient de la même époque que les roches ferrugineuses sur lesquelles ils reposent; ils doivent être d’une époque plus récente : alors que le sol était recouvert par les eaux, ils ont dû être roulés là où ils sont aujourd’hui sur les roches déjà formées. Leur présence s’explique ainsi facilement, sans qu’il soit besoin d’entamer la théorie d’origine volcanique du sol de l’Afrique. Le granit est assez fréquent : on le rencontre sur les pics; plusieurs seraient complètement granitiques; il en existe plusieurs variétés. AKodiokofi, on m’a présenté de beaux échantillons de noir et de bleu. C’est sur ces pics granitiques que l’on rencontre le plus fréquemment des cailloux de quartz. Ce quartz est souvent aurifère; il y a une colline près de Toumodi, appelée Kokombo, qui en renferme une assez grande quantité; à l’époque des pluies, alors que le sol est bien détrempé et que l’on est assuré de pouvoir recueillir de l’eau, les indigènes se rendent à Kokombo pour y chercher de l'or. Les hommes extraient le quartz et, au moyen de pierres de granit, ils le cassent sur un dallage également en granit qui recouvre le sol des cases; quand il olfre l’aspect du sable ils achèvent de le pulvériser dans des mortiers en bois très dur, puis ils pratiquent le lavage; de cette façon ils recueillent par jour de cinq à dix francs de poudre d’or.Les hommes seuls travaillent le quartz, les femmes ne cherchent l’or que dans la terre qu’elles ramassent autour de leurs cases; elles peuvent ainsi récolter de 1 à 2 francs de poudre. L’accès des collines aurifères est ouvert à tous les gens du Baoulé, moyennant une légère redevance payée aux chefs des villages Gouros qui les occupent. L’or des alluvions, recueilli surtout dans la forêt, provient sans doute des collines aurifères et est le résultat de la désagrégation des cailloux de quartz par les eaux de pluie, qui l’entraînent ensuite dans les rivières ou dans les marigots, où on le retrouve mêlé à la terre et à la vase. Au-dessous des roches ferrugineuses, le sous-sol présente une 320 LASNET. épaisse couche d’argile compacte, qui forme comme un lit aux assises supérieures. Plus profondément on trouve des roches de natures fort diverses : schistes, mica, roches métamorphiques avec parfois empreintes de coquillages ou de feuilles fossiles. Pendant notre séjour à Kodiokoli, on a creusé un puits au poste militaire, à une profondeur de 20 mètres on a trouvé du lignite, des parcelles de mica et des schistes semblant appartenir à une veine profonde, le forage du puits n’a pas été continué, l’eau s’étant mise à sourdre à celte profondeur. L’argile n’existe pas seulement dans le sous-sol ; elle est très répandue à la surface, soit pure, sous forme d’argile compacte, soit mélangée à l’humus. Elle est employée dans la confection des cases, auxquelles elle donne une grande solidité, et dans la poterie. Parfois elle est chargée de sels de fer qui lui donnent une coloration rougeâtre; cette argile est très recherchée, elle sert à peindre en rouge l’intérieur des cases; les sorciers en barbouillent la figure de leurs malades. Le calcaire est très rare ; quelques marigots à eau laiteuse en renferment une certaine quantité. Les indigènes 1 e le recueillent pas; ils 1’en font aucun usage. L’antimoine est peu abondant; les femmes le recherchent pour se noircir le pourtour des yeux. Nulle part nous n’avons trouvé de cratères ni de vestiges de volcans. MÉTÉOROLOGIE. La colonie entière, depuis la côte jusqu’au Baoulé, appartient aux climats à saisons doubles alternantes, deux périodes de pluies, deux saisons sèches. Les pluies tombent régulièrement de mars à juillet, c’est le grand hivernage et de septembre à novembre, c’est le petit hivernage. Thermométrie. — Nous avons séjourné dans le Baoulé pendant le grand hivernage; celte saison est la plus fraîche et celle que supporte le plus facilement l’Européen ; elle est beaucoup moins rigoureuse qu’au Sénégal et 1 e comporte pas les temperatures MISSION DU BAOULÉ. 321 élevées qu’on observe en septembre et octobre dans cette dernière colonie. Voici la moyenne des observations thermométriques que nous avons faites à Kodiokofi du to mai au 1er juillet: 6 heures du malin.......................................................... 24° a heures du soir.......................................................... 29g 6 heures du soir 26 Maximum absolu ( 3 6 mai)............................................. 3t Minimum (15 juin) 17 L’écart de température en vingt-quatre heures est très marqué et permet la nuit un repos salutaire qui ne ressemble en rien au sommeil lourd et anémiant de l’hivernage sénégalais. Dans la forêt, la température est bien plus élevée, voici la moyenne de nos observations pendant les huit jours que nous sommes restés à Thiassalé ( a i - 3 o avril) : 6 heures du malin........................................................ 25° a heures du soir 31 h heures du soir............................................................ a8 Maximum absolu ( 2 8 avril) 34 Minimum absolu (3o avril) 32 Hygrométrie. — La tension de la vapeur d’eau est peu élevée dans le Baoulé; après une tornade, l’atmosphère se dégage rapidement, il 1 e reste presque plus d’humidité Le ciel cependant n’est pas toujours absolument pur; il est souvent obscurci par des nuages peu épais et très élevés qui masquent les rayons solaires, parfois, pendant des journées entières. La nuit, la brume couvre de rosée toutes les herbes de la brousse et détrempe le sol, qui devient sec deux heures après le lever du soleil. Dans la forêt, les conditions hygrométriques sont bien différentes : l’air est sursaturé de vapeur d’eau et la température, qui est déjà élevée, devient très difficile à supporter. d Ce fait est 1res remarquable, alors qu’au Sénégal, après une tornade, tout reste imprégné de vapeur d’eau et se rouvre de moisissures, à Kodioknli, nos effets, nos harnachements n’ont pas souffert de l’humidité et sont restés à peu près constamment secs. AXS. D’UVG. CULOX. -— Juillel-aoùl-sept. 18 9 8 . 322 LASNET. Vents. — A Kodiokofi, nous avons observé chaque soir une brise régulière de Sud, accompagnée fréquemment d’ondées légères et parfois de véritables tornades. Cette brise semble être sous la dépendance des alizés du Sud; elle est fraîche et se fait sentir pendant une partie de la nuit; le matin, elle passe au S.-O. et souille jusque vers q heures ou 10 heures. Ces deux brises sont les seules qui existent d’une façon régulière; les vents d’Est et de Nord sont exceptionnels. Pluies. — Les pluies sont fréquentes et durent parfois des journées entières; les tornades ne sont pas accompagnées de l’appareil imposant quelles revêtent au Sénégal et surtout dans les rivières du Sud : il y a peu d’éclairs, peu de tonnerre, mais la violence du vent est extrême et suffit souvent pour briser des arbres, enlever le toit des cases ou renverser celles qui paraissent les plus solides. Les tornades viennent de l’Ouest ou du S. O.; pendant l’ouragan le vent change assez irrégulièrement de direction; je ne lui ai jamais vu faire le mouvement tournant que l’on observe habituellement au Sénégal. HISTORIQUE. Les gens du Baoule' sont des Agnis, les Mandés leur donnent improprement le nom de Tons; les Tons habitent le Bondoukou et parlent Tacbanti presque pur; à la côte, on les appelle buslmen (hommes de la brousse); cette appellation est d’usage courant et sert à désigner tout habitant soit du Baoulé, soit de la forêt. Les Agnis ne sont pas de race pure; ce sont des métis de Sénotifos et de Goures (autochtones) et à'Acliantis ( envahisseurs). Les premières invasions achantis doivent remonter fort loin, dans le pays on en a perdu le souvenir; la dernière ne remonte pas au delà de cent cinquante ans; la plupart des chefs et des vieux dans les villages en connaissent fort bien l’histoire; celte histoire a été enjolivée et l’imagination de ces gens primitifs en a fait une légende intéressante. Voici ce qu’ils racontent : teLa conquête du Baoule' a été faite par une femme, Aoua-Pokou, MISSION DU BAOULÉ. 323 qui commandait la tribu achianti des Aka-Tanoé, sur la rive gauche du Comoé; Aoua-Pokou voulant s’étendre de l’autre côté du fleuve réunit son armée, mais le fleuve était gros et les guerriers n’osaient le traverser. Aoua-Pokou jeta sur ses eaux le pagne et la tunique tout tissés de fils d’or quelle portait; les eaux suspendirent leur cours et l’armée traversa à pied sec le lit du Comoé. Le chef qui demeurait à cet endroit de la rive droite, effrayé, voulut passer de l’autre côté du fleuve et s’engagea dans son lit avec tous les siens; quand il fut au milieu, les eaux reprirent leur cours et l’engloutirent avec toute sa tribu. Aoua-Pokou parcourut triomphalement le Baoulé, s’engagea dans la forêt et descendit jusqu’à Thiassalé, où elle fonda un village de captifs W, puis elle remonta la vallée du Bandama et vint s’installer à Sakasso, au milieu de la tribu des Ouarabos. Aoua-Boni, sa fille, lui succéda, mais ne sut pas intégralement conserver le pouvoir; la plupart des tribus soumises reprirent leur indépendance, elle n’eut sur elles qu’une autorité purement illusoire. Ses descendants directs, auxquels la succession a été régulièrement transmise, sont restés de nom chefs du Baoulé, leur pouvoir effectif s’exerce sur les Ouarabos, ils commandent Sakasso. Dans tout le Baoulé, Aoua-Pokou est considérée comme un être surnaturelles tribus éloignées de Sakasso croient encore à son existence; sa tombe et celle de sa fille sont vénérées à Sakasso de tous les Ouarabos, elles sont soigneusement entretenues, cachées au milieu de massifs de pour- guère et abritées par un hangar.» Le résultat des diverses invasions Acbantis a été le mélange intime des envahisseurs et des gens du pays, Sénoufos et Gouros; ce mélange a donné les Agnis et les Tons. Les vaincus ont conservé leur langue (2), faisant peu d’emprunts au dialecte achianti, mais ils ont adopté beaucoup des coutumes, des croyances de leurs vainqueurs, entre autres leur fétichisme et ses coutumes sanguinaires. I1) L e n o m dVEloumouas» que l'on d o n n e aux gens de Thiassalé signifierait crEnfants de la guerre»; il signifierait aussi trqui marche en avant». A Bundoukou, les Tons parlent un mélange d’agni et d’achanti; dans l’Asikasso, l’achanti est à peu près seul en usage. 3 3 . 324 LASNET. Plusieurs tribus autochtones ont reculé devant l’invasion achanti:les Sénoufos du Nord se sont réfugiés dans le Diamala et l’ont occupé jusqu’à l’arrivée de Samory; dans le Sud ils ont été également refoulés et sont probablement devenus les Kroumen qui habitent la côte et présentent beaucoup de caractères communs avec les Sénoufos du Nord. Dans le Baoulé même, plusieurs tribus seraient restées intactes; les Nanafoués seraient des Sénoufos, les Saafoués des Gouros. Outre ces grandes invasions aclianlis, des migrations locales se sont produites fréquemment, accompagnées de guerres de tribu à tribu; la plus récente est celle des N’Gbans, qui, sous la conduite d’Akafou, le promoteur de l’insurrection dernière du Baoulé, sont descendus de Satama pour s’établir, après plusieurs années de guerre avec les Atoutous, entre Toumodi et la forêt. Les tribus les plus importanles du Baoulé sont : A Kodiokofi et à Toumodi, les Atoutous. A l’Est de Kodiokofi , les Aharis. A l’Ouest de Kodiokofi, les Zipouris. Au Sud de Kodiokofi, les Nanafoués. Entre Kodiokofi et Satama, les N’Gbans (du Nord). Entre Toumodi et la forêt, les N'Gbnns (du Sud). A Sakasso, les Ouarabos. AKokambo, les'Saafoués. ANTHROPOLOGIE. Le manque d’instruments anthropologiques ne nous a pas permis de faire sur les Baoulés des observations bien rigoureuses. En général, ils sont brachycéphales, présentent peu de prognathisme; la voûte palatine est normalement constituée, sans exagération de courbure, les dents sont bien plantées, légèrement obliques en avant et leurs incisives n’ont pas le développement exagéré que Ton trouve chez beaucoup de noirs; le front est large, le nez moyennement épaté, souvent il ne Test point du tout; les pommettes sont aplaties, les lèvres assez lippues, les oreilles petites, avec lobule très court, mal détaché MISSION DU BAOULÉ. 325 du pavillon. Le cou est peu développé, souvent enfoncé dans les épaules et les fait paraître bien plus vigoureux qu’ils ne le sont en réalité; le buste est long par rapport aux jambes; quand ils marchent on dirait qu’ils sont affaissés sur leurs membres inférieurs; les pieds sont de longueur moyenne, le gros orteil peu écarté du suivant. Les Baoulés ne pratiquent point la circoncision. La hernie ombilicale est extrêmement rare, je n’en ai pas rencontré plus de deux cas dans toute la durée de la mission, cela tient évidemment au soin tout particulier qu’ils prennent du cordon après la naissance de l’enfant. Les tatouages sont de pratique courante et tous de fantaisie, suivant le talent de l’artiste. Sur les membres supérieurs, la nuque, la face, ces tatouages sont faits avec la pointe d’un couteau et sous la plaie d’incision on introduit de la poudre de guerre ou, à défaut, du charbon pulvérisé; les cicatrices deviennent exubérantes et forment autant de petites saillies noirâtres à la surface de la peau. Ils sont ordinairement disposés par séries parallèles de quatre ou cinq cicatrices sur le front, sur les joues, sur la nuque; sur les membres, ils sont plus nombreux; sur la paroi abdominale, ils sont linéaires et le plus souvent rayonnent autour de l’ombilic. Les Baoulés sont peu intelligents; ils sont sans industrie, sans commerce; rien ne les intéresse, la vue des objets qu’ils ne connaissent pas excitent leur frayeur, rarement leur curiosité. Ils sont très paresseux et travaillent fort peu, ayant tous des captifs. Ils sont guerriers comme tous les peuples primitifs et sans cesse en lutte de tribu à tribu; leurs croyances sont enfantines et leur fétichisme est des plus grossiers. Il faudra bien longtemps selon nous, pour donner de l’essor à ce pays et l’ouvrir efficacement à la civilisation. Linguistique. — La langue du Baoulé est formée en majeure partie d’éléments que l’on retrouve chez les Agnis de la foret et les gens de la côte, Apolloniens, Crowmen, etc., les racines qu’elle a empruntées au dialecte achanti sont rares, mais de- 3 2 6 LASNET. viennent plus fréquentes à mesure que l’on approche du territoire de Boudoukou où l’achanti est très, répandu. Comme les autres dialectes africains, c’est une langue monosyllabique avec peu de mots composés; elle est asexuelle, le genre est exprimé par les désinences gni et blé, qui signifient L’homme et femme. B o in ( m o u to n ) Naï (bœuf).. . , Aco ( p o u l e t ) . . . Boingni (bélier). Boinblé (brebis). Naïgni (taureau). Naïblé (vache). Acogni (coq). Acoblé (poule). La numération est décimale et va jusqu’à 1000 ; les dix premiers chiffres sont Kon, nion, n’zan, naît, non, n’zien, n’zo, moqué, m'gorou, bourou; pour compter de 10 à 20 on répète les neuf premiers chiffres et on termine par 20, branian, de même pour la suite, les neuf premiers ne sont pas associés au nom de la dizaine, ils sont exprimés seuls, la dizaine ne vient qu’après. La conjugaison se fait au moyen de désinences invariables, le verbe restant toujours à l’infinitif. Les noms propres sont peu compliqués : les personnes portent le nom du jour de leur naissance W; les villages, celui de leur chef, suivi du mol krou (qui signifie village), Kodiokofikrou, Àlanikrou, Atakrou, etc. ORGANISATION POLITIQUE. L’organisation politique est des plus vagues; les Agnis se rappellent bien qu’Aoua-Pokou a conquis le pays et que de Sakasso elle a régné sur tout le Baoulé; beaucoup ignorent si elle vit encore; en tout cas, ils ne connaissent pas ses successeurs W Les Baoulés ont le mois lunaire avec la semaine de sept jours; voici les noms de ces jours : lundi, Kécié; mardi, Guère; mercredi, Alaran; jeudi, Oûé; vendredi, la; samedi, Foué; dimanche, Morin. MISSION DU BAOULÉ. 327 et, en fait, ils sont devenus complètement indépendants; toutefois ils ne contestent pas l’autorité suprême des chefs de Sakasso et l’admettent d’autant plus volontiers que depuis longtemps ils n’ont rien à faire avec eux. Ils sont groupés par tribus indépendantes les unes des autres et souvent ennemies. Le pouvoir dans chaque tribu n’appartient qu’à une seule famille; il est régulièrement transmis à l’aîné soit de la voie directe, soit de la voie collatérale. Les chefs peuvent décider la guerre, lever des hommes; ils jugent en dernier ressort les affaires par trop litigieuses; leur autorité est d’autant plus grande qu’ils sont plus riches, possèdent plus de captifs et plus de poudre d’or. Les villages sont commandés par celui qui les a fondés; après lui, par ses descendants. Les familles libres sont peu nombreuses : dans un village de 200 ou 3oo âmes, il n’est pas rare de n’en trouver qu’une seule, celle du chef; le restant est composé de captifs. Ceci explique l’autorité assez grande que paraissent avoir ces chefs, car en réalité ils n’imposent pas beaucoup aux hommes libres ni même aux captifs de case. Mœurs, coutumes. — Habitations. — Les villages du Baoulé ne comptent guère plus de 200 ou 3oo habitants; ils ne sont pas défendus, ne présentent ni sanier, ni tata; on les trouve ordinairement cachés derrière une haie de pourguères. Les cases qui les composent sont bien construites et 1 e manquent pas d’un certain confort; ce sont des galeries circulaires fermées au dehors et ouvertes au dedans, avec véranda et cour intérieure de 5 à i5 mètres de diamètre; le sol en est surélevé et fait d’argile bien battue; elles sont divisées en un certain nombre de compartiments, les uns légèrement exhaussés servent de lit, les autres de cuisine avec trois ou quatre pierres qui en font le foyer; quelques-uns sont des réduits où l’on abrite les richesses de la maison. Le fétiche, les chaises et les armes des parents décédés sont renfermés dans une espèce de corridor, véritable diverticule de la case où l’on ne pénètre qu’avec le chef de la famille. L’intérieur des cases est peint en rouge avec la terre ferrugineuse dont nous avons parlé, les murs sont parfois or- 3 2 8 LASNET. nés île dessins grossiers représentant des guerriers, des chèvres et bien plus souvent des séries de lignes et des triangles. L’ameublement est des plus simples : quelques nattes, des tabourets en bois, des pots en terre, des calebasses, dont celle à lavement, qui ne manque jamais, et différents objets suspendus à la toiture ou aux murs, gris-gris, queues d’animaux, plumes de poulet, etc. Chaque case présente au moins deux ouvertures diamétralement opposées et fermées chacune par une porte massive en bois. Les habitations sont en général propres et bien entretenues. Vêtements. — Le costume des Baoulès est assez simple : une ceinture en cotonnade sur laquelle se fixe une bande de même nature passant entre les jambes, parfois un pagne qu'ils fixent à la ceinture ou dans lequel ils se drapent; le costume des femmes est le même, seulement, lorsqu’elles ont eu un enfant elles ne quittent plus le pagne et le gardent à demeure sur la seule petite bande quelles avaient auparavant. Il n’y a pas de mode spécial de coiffure, les femmes sont rasées ou ont les cheveux courts; les hommes sont mieux partagés, ils laissent pousser leurs cheveux très longs et les ramènent en touffe au sommet de la tête; d’autres fois, ils se coiffent en cimier, parfois en nattes, variant toujours suivant leur fantaisie; ils se servent de peignes de leur fabrication, soit en bois soit en ivoire. Les ornements ne sont pas nombreux et pas bien compliqués : ce sont le plus souvent de volumineux bracelets en ivoire non travaillé ou en fer-blanc que fournissent les boîtes et les caisses de conserve des postes; les femmes portent parfois des colliers de corail et presque toujours des jarretières de perles au-dessus des mollets ; aux cous-de-pied elles ont des anneaux en cuivre; les jours de fête elles exhibent de grossiers bijoux en or, disques ou plaques avec dessins mal tracés qu’elles s’attachent aux bras ou sur le front. Tous les Baoulés adultes possèdent un fusil et une ceinture à munitions; leurs fusils sont à pierre, les ceintures sont en MISSION DU BAOULÉ. 3:29 acier, fermées par un couvercle et divisées en quinze ou vingt compartiments, chacun destiné à recevoir un petit flacon en bois d'une charge de poudre; aux extrémités, deux poches renfermant l’une les bourres (eu libres de palmier ou de fou), l’autre les projectiles. Ils portent, en outre, comme ornement, une large ceinture en cuir de bœuf ou de mouton avec stries obliques qui lui donnent un aspect ondulé. Les chefs de village ont comme insigne de leur commandement un chasse-mouche en queue de bœuf, monté sur or, la monture étant soigneusement enveloppée de ficelles et de débris de pagnes; les queues de chevaux sont très recherchées; les Dioulas en apportent quelquefois du Nord. Les Baoulés sont en général très propres : ils se savonnent et se lavent plusieurs fois par jour; pour travailler aux plantations ils ont des pagnes en écorce de fou qu’ils ôtent au retour; le soir, ils prennent un véritable tub; assis sur un tronc d’arbre, ils ont devant eux une grande jarre d’eau et, à l'aide d’une éponge de fibres de palmier, ils se lavent et se frictionnent de la tête aux pieds. Fait rare chez les noirs, il ont des cabinets d’aisances; c’est un petit carré bien débroussaillé ordinairement au milieu des pourguères qui entourent le village, les ordures sont déposées dans des trous que l’on recouvre aussitôt de terre ou de sable. Famille. — L’organisation de la famille est peu compliquée, le mariage est libre, il n’y a pas de dot, seulement échange de quelques cadeaux, vin de palme ou gin que le village boit un jour de tam-tam. La naissance ne donne lieu à aucun fait particulier. Si un homme libre a un enfant d’une de ses captives, femme et enfant deviennent captifs de case et ne peuvent plus être vendus. La mort est accompagnée de fêtes et de coutumes étranges que l’on retrouve chez toutes les peuplades d’origine aclianti. La mort naturelle n’est pas admise, on succombe par le poison ou par la volonté des esprits, ce sont les sorciers qui diagnostiquent le cas : ils couchent sur une civière le corps du décédé3 3 0 LASNET. et. avec des contorsions et des danses bizarres, le promènent dans tout le village; malheur à la case devant laquelle ils abattent, leur fardeau, c’est le mort qui l’a désignée et il crie vengeance, le propriétaire de cette case, homme ou femme, est traîné au dehors; devant le cadavre on le somme de dire la vérité et la conviction de ces gens est telle, leur foi dans les sorciers est si grande qu’ils subissent alors une véritable autosuggestion, avouent un crime dont ils ne sont pas coupables et donnent même des détails imaginaires sur la façon dont ils ont opéré. Presque aussitôt on leur fait boire un poison d’épreuve dont les sorciers ont le secret et quelques minutes après ils meurent au milieu d’atroces convulsions. Le plus souvent fort heureusement, la mort est attribuée aux esprits et c’est, soit en dehors du village, soit sur une place publique, que les sorciers déposent leur civière. Le corps n’est enterré qu’un certain temps après le décès, quatre ou cinq ans si c’est un chef; il est conservé jusqu’au moment des funérailles dans le compartiment de la case qui lui servait de lit, il est étendu sur une natte ou sur un tara en nervures de palmiers; des pagnes le recouvrent, à côté de lui est sa chaise avec une calebasse de vin de palme et son chasse- mouches. Tous les soirs, pendant plusieurs semaines, les femmes et les parents viennent pleurer dans la case, on brûle des plantes aromatiques et à la longue le cadavre se dessèche et devient une véritable momie. Aussitôt après la mort on égorge généralement un ou deux captifs et de leur tête sanglante on arrose le corps, puis on brûle de la poudre, ou danse, on boit et la série des fêtes continue. Les différents villages de la tribu viennent à tour de rôle tirer des coups de fusil; chaque fois c’est un nouveau tam-tam, une nouvelle occasion de boire. Le cérémonial des fêtes est assez curieux : les femmes du décédé restent auprès de lui pour le pleurer, les parentes sont chargées sur la tête des objets qui lui étaient les plus familiers, ses armes, sa chaise, sa calebasse et celles qui ne portent rien abritent les autres avec des parapluies multicolores et percés, ou agitent des chasse-mouches en queue de mouton; elles se promènent lentement, faisant osciller leurs charges pour figurer MISSION DU BAOULÉ. 33! quelles sont lourdes et que le mort était riche; le tam-tam est battu avec rage, les guerriers, la figure barbouillée de cendre ou de terre, des grelots aux pieds, des plumes dans les cheveux, avancent en dansant et déchargent leurs fusils autour du cortège des porteuses, les femmes les suivent en courant et agitent un chasse-mouches sur leur dos. Cela dure des heures, souvent la nuit entière; on ne cesse que quand la provision de poudre est épuisée et qu’il ne reste ni vin de palme, ni gin. Le jour des funérailles enfin arrivé, la tombe est creusée en galerie horizontale donnant sur une fosse; le cercueil, fait dans un tronc d’arbre et grossièrement sculpté, est descendu au milieu des coups de fusils et du bruit du tam-tam; des captifs sont amenés sur le bord de la fosse et égorgés de façon à ce que leur sang vienne arroser le cercueil, leurs têtes sont jetées pour le caler, les corps ne sont pas enterrés. La chaise du défunt, sa canne, son chasse-mouches sont conservés par la famille, remisés dans un compartiment spécial de la case et deviennent fétiches, personne n’y touche, ils sont l’objet d’un véritable culte (ce n’est pas en somme autre chose que le culte des morts) et de temps en temps on les arrose de jaunes d’œuf et de sang de poulet. Fétichisme. — Les Agnis sont tous fétichistes; leur fétichisme est des plus grossiers, car ils sont incapables de conceptions un peu élevées; ils considèrent leurs fétiches comme des êtres semblables à eux, leur prêtent leurs propres passions et ne les craignent qu’à cause de la puissance supérieure qu’ils leur attribuent. Il ne les invoquent d’ailleurs que dans un but intéressé, pour éviter une maladie ou obtenir une guérison, pour faire mourir un ennemi; dans les affaires en litige, c’est sur le fétiche qu’ils prêtent serment. Le fétiche est ordinairement un amas informe de coquilles d’œufs, de débris de poterie conglomérés par le moyen de jaunes d’œufs et de sang de poulet, le tout ficelé dans un lambeau de pagne. Chaque fétiche porte un nom et a un pouvoir différent, quelques-uns sont très réputés, leur possesseur peut seul les évoquer. 332 LAS.NET. Outre ces fétiches privés, il y a le fétiche du village, logé dans une case un peu écartée avec les chaudrons sur lesquels on sacrifie les poulets. Il est représenté par un masque d’homme ou de singe surmonté de deux cornes, il se promène parfois la nuit sur la tête d’un sorcier qui porte un pagne en fibres de palmier ou en écorce de fou, poussant des cris inarticulés et tirant des sons rauques, de cornes d’animaux. Un fétiche très répandu, surtout chez les Agnis de la forêt, c’est le fétiche Niangolé, on le trouve partout où une mère a eu dix enfants ou des jumeaux; il symbolise en quelque sorte la fécondité de la femme, met la mère et les enfants sous sa protection. C’est un arbuste planté au milieu de la cour de la case, deux ou trois casseroles en terre remplies d’eau, des cailloux informes, quelques coquilles d’œufs sont à son pied; le tout est enveloppé d’une petite palissade qui sert de protection contre les animaux, moutons ou poulets. D’une manière, plus générale, on appelle aussi fétiches grand nombre d’animaux ou d’objets dont l’usage est interdit parfois sans raison apparente d’autres fois, dans un but très calculé: certains individus ne mangeront pas de chèvre, d'autres pas de poulets, parce qu’un jour un sorcier le leur a défendu sous peine de mort; à côté de cela, on voit les ignames fétiches jusqu’à leur maturité, certaines eaux poissonneuses fétiches à l’époque du frai. A Thiassalé, existe un marigot, foyer de fièvre et d’infection, également fétiche et que personne n’ose traverser; ces derniers cas sont bien différents et ont dû être imposés par la prudence de certains chefs à la crédulité de leurs compatriotes. Médecine. — La médecine est pratiquée par les sorciers; ce sont eux aussi qui préparent les poisons. Presque tous les médicaments sont d’origine végétale, nous en parlerons un peu plus loin en faisant l’étude de la flore du pays. Les pointes de feu, les ventouses scarifiées sont d’usage courant: les pointes de feu sont appliquées au moyen d’un couteau chauffé au rouge sur des charbons; la ventouse est une corne de bœuf dont l’ouverture est bien nivelée et dont la pointe MISSION DU BAOOLÉ. 333 est percée d’un trou par lequel l’opérateur fait le vide en aspirant l’air. Le barbouillage de la ligure avec de la terre rouge ou de la cendre joue aussi un grand rôle dans l’art de guérir. Lorsque les remèdes courants ont échoué, on a recours au fétiche; le sorcier se livre à une sarabande échevelée, place le fétiche à côté du malade; il l’appelle par son nom, lui demande son aide, puis il attache au cou du patient un caillou, un morceau de bois qu’il ne doit pas quitter; d’autres fois il fait une large entaille à la langue, laisse couler le sang quelques instants et comble la plaie avec une pâte de terre et de cendre; parfois aussi il feint de retirer de la partie malade un os, un morceau de bois, personne n’eu est étonné, généralement même le soulagement est immédiat. Ces consultations sont toujours bien payées, le sorcier ne se retire jamais sans demander chèvre, poulets, bœuf, suivant les moyens du malade; c’est l’occasion de réjouissances pour le village, car le butin est partagé. Les accouchements sont pratiqués par les vieilles femmes, le travail se fait dans la position accroupie. Après la naissance de l’enfant, le cordon est lié et pansé avec des feuilles pilées et bouillies, il tombe vers le 5" jour. Le pansement est continué jusqu’à cicatrisation complète, aussi la déformation de la région et la hernie ombilicale sont-elles extrêmement rares. La pathologie indigène ne nous a rien présenté de particulier. Les maladies cutanées sont les plus fréquentes: pityriasis versicolor, herpes circiné, Iricophytie, pale, se rencontrent partout et ne sont généralement pas soignées; les chiques ont été importées dans le Baoulé par la colonne, elles infestent, le camp de Grand-Lahou elle poste de Thiassalé, à Ouessou, à Tou- modi; elles sont encore assez nombreuses; on n’en trouve pas à Kodiokofi; le ver de Guinée est très commun et attribué par les indigènes au passage des marigots les jambes nues; l’éléphant- tiasis n’existe guère que dans la forêt, il est très rare dans le Baoulé; les maladies vénériennes sont très répandues, la blennorrhagie existe partout, aussi les sorciers en ont-ils une grande expérience et passent-ils pour très experts dans son traitement. 3 34 LAS\ ET. Ils emploient en infusion des balsamiques qui par le goût se rapprochent étonnamment du copahu, je n’ai pu savoir d’où ils les tiraient; je n’ai rencontré que deux cas de syphilis. Le rachitisme-doit être assez fréquent; chez plusieurs adultes j’ai retrouvé l’élargissement des épiphyses et le chapelet costal. Les maladies épidémiques sont rares. La variole, inconnue en beaucoup d’endroits, a fait son apparition à Kodiokoli etàToumodi depuis l’arrivée des Dioulas, fugitifs du Diamala et du Djimini. MOUVEMENT COMMERCIAL. Les Baoulés ne sont pas industrieux et ne peuvent fabriquer tous les produits dont ils ont besoin. Ils passent la plus grande partie de leurs journées dans les plantations, cultivent leurs ignames ou recueillent du xin de palme, c’est à peu près tout ce qu’ils savent faire. Ils tissent là seulement où sont passés les Dioulas; dans le Sud du Baoulé, dans la forêt, ils ne font des pagnes qu’en écorce de fou. Les forgerons n’extraient pas le fer, ils font quelques couteaux et des fers de lance; ce sont eux aussi qui fabriquent des bijoux, en coulant de l’or dans des moules en cire préparés à l’avance; ces bijoux sont grossiers et bien loin de valoir ceux que l’on trouve au Sénégal. Ils ne travaillent pas le cuir; tout ce qu’ils peuvent faire, ce sont des ceintures en cuir de bœuf ou de mouton et des gaines à couteaux. Le peu de commerce qui se fait dans l’intérieur avec les produits européens est entre les mains des Appolloniens; ces juifs de la côte montent avec une pacotille de poudre, de fusils, de verroterie et de tissus et exploitent de leur mieux les indigènes. Ils servent peu à propager notre influence et à faire connaître nos produits, beaucoup sont anglais et presque tous vont directement de Grand-Lahou à Cape-Coast acheter leurs marchandises. La monnaie courante dans tout le Baoulé est la poudre d’or, elle vaut 3 francs le gramme; les Agnis savent fort bien la peser, et, dans toute la région, il n’v a peut-être pas un village qui ne possède au moins une balance; on peut faire des échanges jusqu’à o fr. 2o de poudre d’or. MISSION DU BAOULÉ. 335 Les articles d’importation sont par ordre d’importance : les captifs, la poudre, les fusils, le sel, les tissus, l’alcool et la verroterie. Les captifs sont très nombreux dans tout le Baoulé; ils constituent une véritable monnaie courante et donnent lieu à un mouvement commercial important. Les guerres de tribu à tribu en procurent très peu, les prisonniers étant ordinairement égorgés; la plupart sont des Senoufos achetés dans le Nord; en ce moment le marché de Sarnory à Kotiakofi en fournit une grande quantité; le chef bushman de Bouaké, voisin de Kotiakofi, se fait l’entremetteur, très intéressé d’ailleurs, des Baoulés et des Sofas; il approvisionne Samory en manioc sec, ignames, moutons, et écoule les captifs qu'il reçoit pour d'e la poudre d’or. La valeur de celte marchandise varie avec les régions : dans la forêt un esclave vaut i5o francs, à Bouaké il n’en vaut que 60; elle varie aussi avec les circonstances; la colonne Monteil ayant brûlé les greniers de Samory à Sokola-Dioulas- sou, il en est résulté une famine assez grande parmi les Sofas du Djimini et une baisse considérable dans le prix des captifs, pour un mouton ou pour quelques poulets on avait un captif; depuis, Samory a eu le temps de faire de nouveaux approvisionnements et les esclaves ont repris de la valeur. La poudre de guerre est consommée en grande quantité dans tout le pays, il n’y a pas de fête, pas de tam-tam où l’on n’épuise deux ou trois barils de poudre. Elle vient de Thiassalé, les indigènes vont l’y chercher directement ou l’achètent sur place aux Apolloniens; à Thiassalé le baril vaut a i francs, à Kodiokofi, près de 35 francs. Les fusils sont à pierre, de fabrication belge : ce sont ceux que l’on vend au Sénégal sous le nom de boucaniers femelles, la crosse est courte et peinte en rouge, le canon est très long. Les Baoulés se les procurent de la même façon que la poudre. Le sel du Baoulë provient de la côte où on l'obtient par l’évaporation de l’eau de mer; quand il est suffisamment pur, on le met dans de grands paniers tressés en forme de bouteille et on l’expédie dans l’intérieur. Ce commerce est uniquement entre les mains des indigènes, les comptoirs de la côte ne s’en sont 3 3 6 LASNET. jamais occupés, c’est cependant une source de beaux bénéfices: à Grand-Lahou, le panier vaut 2 francs; à Thiassalé, h fr. 5o; à Kodiokofi, 6 francs, et à Kong, 10 francs. L’alcool d’importation est le gin des maisons allemandes et anglaises. Les Agnis de la forêt, voisins de Tbiassalé, en font une grande consommation. Les tissus sont ou de fabrication indigène et viennent de chez les Dioulas, ou de fabrication européenne et viennent des factoreries; les premiers sont les plus estimés.: un pagne de to francs des Dioulas de Kodiokofi vaut 12 et i5 francs à Tbiassalé; les seconds, généralement de mauvaise qualité, sont dépréciés en beaucoup d’endroits. La verroterie a peu de valeur, la seule pierre qui ait cours à peu près partout est le corail en cylindres droits, il sert d’ornement et de monnaie; le faux corail est aussi estimé, on ne fait pas de différence. FLORE. La richesse de végétation de la Côte d’ivoire et du Baoulé est extraordinaire. La forêt commence à la plage ou aux lagunes, elle s’étend sur une longueur de 3oo kilomètres, présentant un renfoncement en forme de coin sur le Bandama et ne mesurant plus à cet endroit que i3o kilomètres (route du Baoulé ouverte par le capitaine Marchand); elle renferme les essences les plus diverses et les plantes les plus variées, formant au sol une voûte de verdure que traversent difficilement les rayons de soleil, impénétrable eu dehors des sentiers péniblement tracés à coups de bâche ou de coupe-coupe. La brousse qui fait suite à celle forêt est loin de présenter l’aridité des plaines du Sénégal: les rôniers, les palmiers y abondent sur un sol que recouvrent des plantes herbacées plus hautes qu’un homme; des arbres touffus et élevés, pris dans un enchevêtrement de lianes et de plantes de toute sorte, forment çà et là des bosquets et abritent les nombreux marigots qui sillonnent la région. Une terre aussi riche ne demande qu’à produire; il serait à désirer que, par des cultures faites dans les environs des MISSION DU MOULÉ. 337 postes, on habituât les indigènes aux travaux agricoles, qu’on leur apprit à exploiter les produits naturels du pays, à faire des plantations; le commerce en tirerait un bénéfice considérable, ce serait l’avenir assuré pour notre jeune colonie. Le jardin de Dabou pourrait aussi dans ce sens rendre d’immenses services; de nombreux essais de culture y ont été faits : le cacaotier, le caféier, le cotonnier, les différentes espèces de plantes à caoutchouc ou à gulta, tous les fruitiers de l’Afrique équatoriale y ont donné de bons résultats, les produits indigènes y ont été améliorés, diverses espèces d’Europe y ont été acclimatées; on pourrait y faire non plus seulement des essais, mais des pépinières pour la colonie et y former des élèves, véritables agents agricoles, qu’on disperserait ensuite dans le pays et qui peu à peu habitueraient les indigènes à faire des cultures et à exploiter leur sol. Nous n’avons pas l’intention dans cette étude d’énumérer et de décrire les différentes plantes que nous avons rencontrées. Nous parlerons seulement de celles que nous avons pu reconnaître et qui sont plus spécialement utilisées par les indigènes. Nous passerons successivement en revue les plantes alimentaires, les plantes médicinales, les plantes industrielles.1 ° PLANTES ALIMENTAIBES. Ananas (Bromelia Ananas). — Très répandu dans tout le Baoulé, bien parfumé et de belle qualité; employé dans la médecine indigène, écrasé et bouilli, en application locale. Ar ac h id e (Arachis hypugea L.). — Cultivée en petite quantité, n’est pas exportée, on la mange grillée ou on la fait entrer dans la composition de différentes sauces. Bananier ( Musa ensete). — Existe partout, est cultivé tout particulièrement par les Agnis de la forêt, qui, auprès de leur village, ont des bananeries importantes; ils mangent le fruit quand il est vert et riche en amidon, ils le font cuire sous la cendre ou en fabriquent des espèces de pains; sous cette der nière a n n . d ’ i i ï g . c o l o n . — Juillet-aoùt-sept. 1 8 9 8 . i . --------â3 338 LASM'',T. forme, ils l’emploient comme cataplasme dans le traitement de l’adénite. Caf éier ( Cojfea). — Les essais de culture ont donné les meilleurs résultats; depuis plusieurs années déjà, la maison Verdier exporte le café que lui donne sa plantation d’Elima : i5o hectares lui rapportent chaque année de ho à 5o tonnes de café à petits grains, très parfumé et très apprécié. En ce moment plusieurs plantations sont en train de se faire sur les bords des lagunes, on emploie des plants ou des grains de Libéria; le caféier met quatre à cinq ans avant de parvenir à sa croissance et de produire; la deuxième année de production couvre tous les frais antérieurs de la plantation. Canne à suc r e (Saccharum ojficinamm). — Existe à l’étal sauvage dans les endroits humides sur les bords des marigots; les indigènes ne savent ni la cultiver ni en extraire le sucre; ils la coupent en morceaux dont ils sucent le jus. Cit r o nn ier ( Citrus limonium). •— Très répandu, donne une abondante récolte de fruits petits et acides; en certains endroits, on trouve de gros limons à zeste très parfumé. Employées en médecine, les feuilles réduites en bouillie sont appliquées dans les névralgies sur le siège de la douleur; dans les cas de céphalée, de fièvre, le jus des fruits est exprimé au-dessus de la tête du malade, des crachats y sont mêlés et le tout est répandu sur le cuir chevelu au moyen de frictions énergiques. Co c o t ier ( Cocos mccifera). — N’existe que dans la forêt et sur la plage sablonneuse de la côte; on fait avec l’enveloppe verte extérieure des bourres à fusil, avec la coque des coupes à boire. Co c u r h it ac ées ( Cucurbila). — On en trouve partout : les courges, les concombres ( Cucumis sativus) sont cultivés autour des cases; les indigènes connaissent les propriétés ténifuges des graines et les emploient couramment; le calebassier est ordinairement cultivé en pleine terre au milieu des plantations d’igname et de manioc; le fruit, coupé par le milieu, fournit des vases, des ustensiles de ménage. MISSION DU BAOILÉ. 339 D a d i- gogo ( Ceranthera Beaumetzii Ed. Heel'd). — Est très répandu dans tout le pays; on en trouve surtout dans les lieux humides; il est peu employé dans l’alimentation. Ficus (Famille des Ulmacées). — Très communs, ce sont ordinairement de grands et beaux arbres qui donnent de petits fruits, peu utilisés; ils sont tous susceptibles de fournir du caoutchouc, nulle part ils ne sont exploités. Go mbo (Hibiscus escidentus L [.Malvacées]). — Cultivé dans le voisinage des cases, donne un fruit allongé à pulpe mucilagineuse et à noyaux que l’on cuit avec d’autres aliments. Igname ( Dioscorea alata). — Constitue la nourriture essentielle des gens du Baoulé; ils la cultivent en dehors des villages, cachant leurs plantations derrière un marigot ou un rideau de bois; ils prennent grand soin de cette culture et ne déterrent les ignames que quand elles sont à maturité complète; avant cette époque ils n’osent y toucher, elles sont fétiches. Ils en font des pains qu’ils mangent avec une sauce très pimentée et de la viande ordinairement de singe ou de poisson; c’est le foutou, plat national des Bushmen depuis la côte jusqu’au Baoulé. K ar it é (Bassin Parlcii). — Peu répandu, on n’exploite pas le beurre que fournissent ses fruits, les indigènes lui préfèrent l’huile de palme. Ko l at ier ( Cola acuminata R. Br.). — Existe à l’état sauvage dans la forêt et dans la brousse, il n’est point cultivé dans les villages; les Agnis le connaissent cependant, ils vendent même des kolas aux Dioulaç, mais 1 e paraissent pas en être très friands. M aïs (Zea maïs). — Existe partout, entre en ligne secondaire dans l’alimentation; on le mange légèrement grillé; à Kodiokofi, les Dioulas en font de la farine et du pain. M an io c (Jalroplia Mdnihot). — Les tubercules coupés en morceaux et desséchés constituent la réserve de vivres qui permet d’attendre la récolte des ignames, quand la provision de celles- 340 LASNET. ci est épuisée; du côté de Bouaké, on en vend beaucoup aux sofas de Samory. Man g o t ier s . — Ne dépassent pas la zone de la forêt; à Dabou, ils forment autour du poste de superbes avenues. Le Néré ou Nette (Café du Soudan) [ P a r k i a b ig lo b o s a B e n t b ]. — Celte légumineuse est assez répandue; comme au Soudan, on emploie la farine jaune de ses gousses dans la fabrication de certaines sauces. N’taba (S t i r c u l i a c o r d i f o l ia ) . — Existe à peu près dans tous les villages sur 1a place principale; c’est l’arbre à palabre, il est très respecté, personne ne touche à ses fruits. Or ang er ( Citrus aurcnlium). —- Sauf à Dabou, nous n’avons rencontré qu’une variété d’oranger à fruit extrêmement amer, presque immangeable; il n’est guère employé qu’en médecine, comme le citron. Palmier à huile ( E lo e ïs G u in e e n s i s ). — Est très abondant sur les lagunes et dans la forêt. L’huile que donnent ses amandes constitue l’article principal d’exportation de la colonie; elle est très employée dans l’alimentation indigène et dans les soins de toilette journaliers, les Bushmen ayant l’habitude de s’oindre la peau et de se graisser les cheveux. C’est un des arbres les plus utiles de la région : avec ses feuilles on fait des nattes, des paniers, on recouvre les cases, leurs nervures en font la charpente; les Agnis de la forêt en tirent leur vin de palme, pour cela ils l’abattent et pratiquent l’incision de l’écorce quand il est par terre; le chou qu’il donne est également très estimé. Papay er ( Carica papaya). — Existe dans tous les villages, très employé en médecine : les feuilles sont administrées en infusion dans la fièvre, les fleurs dans la diarrhée et les coliques. Pimen t (Capsicum fastigialum). — Très répandu, très employé en médecine, surtout dans la confection des lavements. Po iv r ie r . — Assez abondant dans la brousse, ses graines sont âcres, les indigènes en usent couramment. MISSION DU BAOULE. ‘ill I Ronieit (Borassus Jlabelliformis). — Dans le Baoulé il est bien plus abondant que le palmiste, dans la forêt il est très rare. Le fruits sont comestibles, ses feuilles sont employées comme celles du palmiste, il donne un vin très estimé que l’on désigne sous le nom de n’zan. Pour recueillir ce liquide, les Bushmen appliquent contre le tronc de l’arbre des nervures de palmier qu’ils fixent par des liens circulaires distants de o m. 5o environ; ils font ainsi une véritable échelle au moyen de laquelle ils atteignent la cime du rônier, ils pratiquent une incision, placent le récipient et le mettent à l’abri du soleil en rabattant une branche au-dessus de lui. L’arbre ainsi saigné meurt souvent, il continue de vivre quand l’incision n’a pas été trop profonde et qu’il reste encore assez de sève. La récolte de n’zan se fait en grand dans toute la région, les arbres sont comptés et ont leurs propriétaires; levin est vendu dans des cabarets échelonnés sur les chemins, dans le voisinage des exploitations; ces cabarets sont nombreux de Singorobo à Toumodi; ce sont des gourbis devant lesquels, sur de petits tertres en terre, sont placées les boulines recueillies le malin. Les propriétaires ne sont pas toujours là; le plus souvent ils sont retournés à leurs plantations, les voyageurs payent consciencieusement le vin qu’ils ont bu en déposant à côté de la cruche un peu de poudre d’or ou quelques grains de corail. La reproduction des rôniers est soigneusement entretenue : les fruits sont placés sur des carrés bien défrichés, à terre un peu humide; quand les jeunes pousses commencent à sortir, ou les repique plus loin. Les plantes parasites, fougères et orchidées, sont fréquentes sur les troncs de rônier, surtout dans le voisinage des marigots. R a f i a v im fe ra . — Peu répandu, le vin qu’il donne est considéré comme inférieur au n’zan. To mat e (Solarium, lycopcrsicum). — Existe partout sous la forme de tomate cerise. Va n il l e ( Vanilla \famille des orchidacées]). — Existe dans les endroits boisés et humides, nous en avons trouvé dans la 3 4 2 LASNET. foret; les indigènes ne in cultivent pas, les femmes écrasent quelquefois les feuilles et les portent au cou comme parfum, enveloppées dans un lambeau de pagne. Ü° P L A N T E S M É D I C I N A L E S . B a o b a b (Adansonia digitata L. ). — N’existe pas dans la forêt; dans le Baoule', ses feuilles et ses fruits sont employe's en infusion dans la diarrhe'c et la dysenterie. C a i l c é d r a t ( kliaya Senaaalensis A. de J.). —>Son écorce et ses fouilles servent en infusion comme fébrifuge et comme tonique. Cal k bass iek ( Crescentia cujete L.). — Une certaine variété fournit la calebasse à lavement dont l’extrémité supérieure est allongée comme une véritable canule et la partie inférieure percée d’un trou par lequel on introduit le liquide, ordinairement une décoction de piments; le lavement médical est donné par un aide qui souille dans l’orifice inférieur de la calebasse, celle-ci étant en place; le lavement ordinaire, presque quotidien chez les Agnis, est pris sans aide, chacun opérant pour son compte, dans la position la plus propice, chassant le liquide avec l’index par une série de chocs sur l’orifice de l’appareil. L’usage du lavement est très répandu chez tous les Bushmen, ils en usent dès l’enfance, les calebasses ad hoc sont suspendues aux murs de toutes les cases et ils ne s’en démunissent jamais, même en voyage. D at u r a s t r amo n iu m (Solanacées). — Existe dans la forêt, on en fabrique du poison. Go mmie r . •— C’est probablement le hammout décrit par le Dr Rançon; l’écorce et les feuilles pilées sont employées dans les maladies des voies urinaires. K i n k é l i b a h ( Combretum Rambaulti [Heckell). — Se trouve un peu partout; les feuilles sèches servent à faire une infusion diurétique. Po u r g iièr e (Jatropha Curcas L.). — Très répandue, forme des massifs épais autour des villages; ses graines sont purgatives MISSION D li BAOULÉ. 343 à la dose de 8 à 10 gouttes d’huile; à dose trop élevée, elles produisent un véritable empoisonnement; nous les avons employées à dose de 3o ou ho gouttes lorsque nos chevaux ont été malades. R ic in (Ricinus communis). — Croit aussi facilement que la pourghère, ses propriétés purgatives sont également utilisées par les indigènes. St r o ph an t u s (Hispidus D. C. et Kambé [Oliver] de lafamille des Apocynacées). — Très employé comme poison surtout dans la forêt. A Kodiokofi et à Toumodi, les Dioulas écrasent ses graines, en font une pale dont ils enduisent leurs flèches qui deviennent alors entre leurs mains des armes fort dangereuses. T é l i ou T a u (Eryllirophleum Guineense Afz.). — Ce poison si usité chez les Balantcs de la Casamance et chez les Bamharas du Soudan est peu employé, on lui préfère le strophantus; il n’entre pas dans la composition des poisons d’épreuve. T amar in ( Tamaridus indica). — Peu répandu, les fruits et la pulpe sont employés en macération comme au Sénégal. T h é de Cambré P ). — Très abondant, très employé, on en fait des infusions sudorifiques dont plusieurs fois nous nous sommes fort bien trouvés. T o u l o u c o u n a ( Campa Guinrcnsis [Don.] Carapa Touloucouna | Guill et Perrot]). — L’huile que l’on retire de ses graines est employée comme liniment dans les douleurs articulaires; appliquée sur le corps, elle aurait pour propriété d’en écarter les insectes, entre autres les moustiques; c’est avec elle qu’est presque exclusivement fabriqué le savon indigène. 3° P L A N T E S I N D U S T R I E L L E S . C o t o n n i e r ( Gossypium [plusieurs espèces]). — Très répandu (*) Ed. Ileckel pense que ce thé est produit par les feuilles d’une verbé- nacée du genre verbena. ( L a D ir e c t io n .) 344 LASNET. dans la brousse et dans la forêt, les Bushmen n’en tirent pas grand profit, ils ne tissent qu’avec l’aide des Dioulas; ceux-ci dans leur village de Kodiokofi ont plus de 3o métiers à tisser, ils fabriquent des pagnes très solides qu’ils vendent i5 et 20 francs. Fou W. — Cet arbre existe dans tous les villages du Baoule' et y est entretenu avec soin; son écorce, battue sur le tronc et détachée ensuite, donne un grossier tissu assez souple cependant pour faire des pagnes. I n d ig o (Indigofera tinctoria). — Très employé parles Dioulas qui font avec les feuilles des pains comme au Sénégal et au Soudan; ils fixent la teinture avec les cendres de calama. Cal ama ( ComhretuiH glutinosum Perr.). — Ses feuilles donnent une teinture jaune que l’on fixe avec ses cendres; elle est très adhérente, résiste à la pluie et aux lavages. Les Àgnis, qui emploient déjà fort peu l’indigo, ne savent pas se servir du calama; les Dioulas en font un grand usage. Sorgho o u mil. — N’existe pas dans le Baoule' ; les Dioulas en cultivent un peu à Kodiokofi pour teindre en rouge les cuirs qu’ils travaillent. Apo c y n ées (2>. — La liane caoutchouc existe partout, dans la forêt et dans la brousse; elle acquiert parfois des dimensions considérables; les Bushmen mangent ses fruits. Ils ne recueillent le latex qu’en petite quantité sur les rives des lagunes. I s o n a n d r a - g u t t a (3). — Son existence dans la forêt n’a pas encore été démontrée, nous n’en n’avons vu qu’au jardin de Dabou où des plants récents avaient admirablement bien réussi. M ak c u é (Sapotacce?). — Cet arbre existe dans la forêt, son bois est rouge et très dur; on nous a dit que du côté d’Assinie (’) Indéterminé. W Lianes du genre landolphia. I3' C’est la première fois qu’on la signale en Afrique, où il existe beaucoup d’arbres do la même famille. L’auleur n’est d’ailleurs pas affirmatif à ce sujet. ( L a D ir e c t io n .) MISSION DU BAOULÉ. 345 il était parfois expédié pour de l’acajou. Les indigènes en font des pirogues; par la saignée il donne un latex qui se solidifie et fait une espèce de gutta. Hymenea c o u h b a r i l ? — Celte légumineuse se trouve aussi dans la forêt, ses graines donnent le copal blanc que l’on exploite à Sierra-Leone. Les bois de construction et les essences précieuses sont nombreux dans toute la forêt; la dilliculté du transport et la main- d'œuvre ne permet pas d’en tirer tout le parti que l’on pourrait , l’installation la plus élémentaire manque d’ailleurs pour cela; les bois déconstruction de la colonie arrivent même d’ordinaire tout débités de France ou d’Angleterre. Les essences que l’on rencontre le plus souvent dans la forêt sont : Le caïlcédrat, dont les indigènes font des pirogues; L'acajou, très répandu et qui présente parfois des dimensions colossales; on en exploite une certaine quantité sur les lagunes, les troncs sont dirigés par eau sur Grand-Bassam et Assinie où on les équarrit avant de les livrer aux bateaux qui sont sur rade; Vébétiier, en dehors de la forêt, assez rare; Le bois de santal, très commun sur les lagunes et les cours d’eau ; Plusieurs variétés de bois de fer, très compact et très lourd. Les indigènes travaillent peu le bois; ils n’utilisent guère que le fromager, le caïlcédrat, les acacias pour la fabrication de leurs pirogues ou de quelques ustensiles primitifs, vases ou tabourets; parfois aussi ils se servent de ficus pour faire des cercueils ou sculpter des fétiches. Fau n e. Les animaux qui existent dans le Baoulé sont très nombreux, ce sont les mêmes espèces qu’au Sénégal; quelques-unes cependant très répandues dans cette dernière colonie ne se trouvent pas à la Côte d’ivoire, probablement parce qu’elles n’ont pu s’y acclimater : le lion, la girafe, l’autruche, l’âne 346 LA SN K T . n’y existent pas et le cheval, quand on essaye de l’y introduire, ne tarde pas à succomber. Les carnassiers sont très nombreux, surtout dans la forêt; ce sont : la panthère, le léopard, le chat-tigre, le lynx, la civette; l’hyène et le chacal sont plus rares. Les pachydermes sont représentés par l’éléphant, l’hippopotame, peut-être le rhinocéros (plusieurs indigènes m’ont affirmé qu’il existait dans la forêt, du côté de Tabou, un animal ressemblant à l’hippopotame avec une corne sur la tête). Le sanglier est rare, le porc domestique n’existe pas dans l’intérieur. Les ruminants sont nombreux. Le bœuf domestique se trouve en faibli* nombre dans toute la région; il est de petite taille, sa chair est de bonne qualité; dans les villages personne ne s’en occupe, les indigènes ne connaissent pas l’élevage, ils rie savent tirer aucun parti du lait. Deux variétés de bœuf sauvage avec et sans bosse, vivent dans la brousse. La chèvre et le mouton sont de petite taille, à poils ras. On rencontre encore plusieurs espèces de biches et d’antilopes. T.es rongeurs les plus communs sont : le rat ordinaire, le rat palmiste, le hérisson, le porc-épic, l’écureuil; le lièvre est plus rare. Les quadrumanes sont très nombreux et représentés par plusieurs variétés : chimpanzé, singe noir, singe vert, singe pleureur, pain à cacheter. Les peaux de ces animaux sont l’objet d’un commerce important dans la colonie voisine de Gold-Coast; à la Côte d’ivoire on en exporte une très petite quantité. Les édentés sont rares ce sont : le paresseux et le pangolin. Les oiseaux sont en quantité innombrable dans la forêt ou près des marigots; les colibris, les veuves, les perruches, les merles de toutes sortes, etc., se rencontrent partout ; les oiseaux de chasse sont aussi nombreux, on trouve la perdrix qui perche le soir et rappelle le matin avant de descendre parmi les herbes de la brousse, la pintade, le pigeon vert, le ramier, la tourterelle, l’outarde, la bécassine, la poule d’eau, etc. . . ; la poule de basse-cour, petite comme au Sénégal et au Soudan, existe dans tous les villages; nous n’avons pas vu de canards .MISSION DL BAOULÉ. 347 domestiques; les oiseaux de proie sont l’aigle, le vautour, le hibou, le chat-huant. Poissons. — Les rivières sont peu peuplées; le mâchoiran est le poisson le plus abondant, sa chair est fade, de qualité médiocre; il existe aussi plusieurs variétés de rouget, de dorade, de carpe. Les indigènes pèchent peu dans l'intérieur; dans les lagunes ils font des barrages avec couloirs fermés où vont se prendre les poissons. Les reptiles sont assez nombreux; ce sont : le python, plusieurs variétés de couleuvres et plusieurs espèces venimeuses, le serpent noir ou cracheur, la vipère cornue, le najah. On m’a parlé aussi d’un serpent qui aurait de 2 à 3 mètres de longueur, pourrait atteindre les dimensions du bras et dont les écailles se redresseraient lorsqu’il est en colère, sa morsure serait mortelle; avec sa peau on fait des gris-gris très estimés. Le caïman est très commun; le caméléon, l’iguane, la tortue sont beaucoup plus rares. Les batraciens, crapaud et grenouille, se trouvent partout. Les insectes sont des plus nombreux et des plus variés. L’ordre le mieux représenté et le plus riche est celui des lépidoptères; le Baoulé et surtout la forêt renferment un nombre considérable de papillons aux couleurs les plus éclatantes, aux dessins les plus variés. Les hyménoptères, guêpes, abeilles, fourmis se trouvent partout. Les termites soul également nombreux et font dans les postes ou dans les cases des dégâts considérables. Les moustiques se rencontrent surtout dans le voisinage des marigots, les puces un peu partout; quant aux chiques, elles sont rares, c’est la colonne Monteil qui les a introduites dans le Baoulé. NOTE SUR LES RÉFUGIÉS MOULAS DE BAOULÉ. Avant de terminer ce rapport, nous dirons quelques mots des Dioulas réfugiés dans le Baoulé à la suite de la conquête de leur pays par Samory. Après l’occupation du Djimini et du Diamala par les Sofas,348 LASNET. les Dioulas se rassemblèrent, les uns à Satama, les autres bien plus nombreux, à Mango, sur le Comoé, où depuis longtemps ils avaient fondé une colonie très prospère. Lors du passage de la colonne Monleil, sur le conseil du capitaine Marchand, très connu d’eux, et qui à plusieurs reprises avait parcouru leur pays, les Dioulas de Satama vinrent se mettre sous notre protection et descendirent avec les troupes jusqu’à Kodiokofi, tête de ligne de nos postes. À leur départ de Satama, ils étaient à peu près 10,000; pendant leur descente, les Sofas et les N’Gbans ne cessèrent de les harceler et de faire des captifs; à Kodiokofi la misère et la maladie vinrent en faire disparaître encore d’autres, actuellement ils ne sont plus que 5 ou 6,000 installés la plupart à Kodiokofi, quelques-uns, environ un millier, à Toumodi. La situation des Dioulas dans le Baoulé est très malheureuse; les Bushmen déjà en ont enlevé un grand nombre, ils considèrent ceux (qui restent comme une proie facile dont ils sont à peu près assurés et, à la première occasion, ils fondront sur eux pour les réduire en esclavage. Cette occasion sera probablement l’évacuation des troupes de la colonie; les Dioulas 1 e sont point courageux et ne résisteront pas plus aux Bushmen qu’ils 1 e l’ont fait à Satnory. Cet étal de choses est des plus regrettables; les Dioulas sont infiniment supérieurs aux Agnis, la civilisation musulmane les a façonnés, ils sont industrieux, très commerçants, durs à la fatigue et, qualité bien rare chez, les noirs, très travailleurs; si leur sécurité était assurée dans ce pays, ils y deviendraient d’admirables agents de pénétration commerciale et sauraient mettre en valeur le sol si riche du Baoulé; de la population Agni nous n’avons rien de semblable à espérer.

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LASNET Alexandre, “LASNET Alexandre. Contribution à la géographie médicale. Mission du Baoulé. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 305-348,” RevColEurop, consulté le 3 mai 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJGnVCFKN3M.

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