AUVRAY, BOURY. Rapport sur l'épidémie de fièvre jaune qui a régné au Soudan français en 1897.. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 433-464

Identifiant

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ark:/67375/2CJMT2ghKCzk

Auteur

AUVRAY
BOURY

Personne

Discipline

Médecine et hygiène coloniales

Type de données

Ressources textuelles

Langue du document

Français

Nom abrégé de la revue

Annales de médecine coloniale

Nom détaillé de la revue

Annales d'hygiène et de médecine coloniales

Editeur de la revue

Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris

Date de parution

1898

Nombre de pages

32

Pathologie

fièvre jaune
vomissement
fièvre
fièvre paratyphoïde
anurie
ictère
pouls
faciès
névralgie
constipation
diarrhée
accès pernicieux
maladie infectieuse
café
fièvre continue
typhus
dysphagie
paludisme
entéralgie
prostration
purgatif
signe clinique
stéatose hépatique
syncope
érythème
crampe
dyspnée
fatigue
hyperthermie
plaques rouges
quinine
épigastralgie
épistaxis
antiseptique
anxieux
apyrexie
asthénie
coagulopathie
confusion
congestion
convulsion
douleur
enfant prématuré
hypertrophie
hépatite chronique
insolation
insomnie
obstruction des voies aériennes
pharyngite
phlyctène
poison
pouls lent
rougeole
sensation de brûlure
signe fonctionnel
stéatose
tableau clinique
typhus exanthématique
ténesme
widal
état délirant

Coordonnées géographiques

[14.5,-14.25#Sénégal]
[16,30#Soudan]
[18,9#Niger]
[22,-79.5#Cuba]

Licence

Licence ouverte - BIU Santé (Paris)

URI fascicule

https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a4a63bb7

URI document

https://api.nakala.fr/data/10.34847/nkl.d35cb8lq/4a559bff6d8f76adf87bdd7dfc5616be6259ee0f
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Cle

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Fichier Texte

433 RAPPORT SUR L’EPIDEMIE DE FIEVRE JAUNE QUI A RÉGNÉ AU 'SOUDANT FRANÇAIS EN 1897 (1), par le Dr AUVRAY, MÉDECIN EN CHEF,Et par le D r BOURY, MÉDECIN DE DEUXIEME CLASSE DES COLONIES. La fièvre jaune a fait pour la première fois son apparition au Soudan en 1878; elle avait été' importée, à celte époque, de Corée à Bakel, par Saint-Louis et parle fleuve le Sénégal. On constata de nouveau sa présence en 1881, au moment de l’arrivée de la colonne. Depuis 1881, il y eut de petites épidémies annuelles. C’est là un point capital que nous allons essayer d’établir d’une façon précise. En 1882 - 1883 , pendant la campagne 1882-1883, d’après les renseignements fournis par les archives, le typhus aurait sévi dans la colonne expéditionnaire, à la suite, a-t-on écrit, de fatigues et de souffrances nombreuses supportées dans le cours de cette campagne, qui nous mena pour la première fois au Niger. Mais la maladie n’avait pas attendu que les troupes fussent surmenées pour agir sur elles. On avait constaté, après l’arrivée de la colonne à Kayes, des décès par affections typhiques, probablement de nature amarile. Et puis de quoi mouraient donc les Marocains et les Chinois employés aux travaux du chemin de fer? En 1883-1S84, on signale de la fièvre typhoïde comme on <?> il nous a paru utîle do faire précéder le rapport ci-joint de l’historique de la fièvre jaune au Soudan, qui a été fait, en 18g 3 , par M. le médecin en chef des colonies Primet. ( L a D ir e c t io n . ) ANN. D’IIYG. COLON. Odoluf-nov.-déc. 189K. 29 434 AUVRAY. l’avait déjà fait en 1881-188a. Pendant la durée de la colonne, la mortalité fut énorme comme pour les années précédentes. En i88 A -i885 , la lièvre typhoïde sévit encore : les décès sont nombreux en janvier. En i8 8 5 -i8 8 6 , la lièvre typhoïde devient plus rare; mais, sous la rubrique de «fièvre continue», nous trouvons, après l’arrivée des troupes, une affection grave qui les décime en novembre, en décembre, en janvier et en février. En 1886-1887, fièvre typho-malarienne fait son apparition : c’est le 19 novembre que nous la trouvons mentionnée pour la première fois sur le registre de la mortalité. On note bien quelques cas de lièvre typhoïde, mais c’est elle qui commande l’épidémie. En 1887-1888, c’est encore la fièvre lypbo-malarienne qui sévit au Soudan, avec moins d’intensité toutefois; c’est à elle qu’il faudra désormais imputer les épidémies qui éclateront chaque année à l’arrivée de la colonne, pendant les campagnes suivantes. En dehors d’elle, on ne trouvera plus comme causes de mortalité que les affections banales, sporadiques, que l’on observe en tout temps et dans tous les postes. DISCUSSION DES DIAGNOSTICS DE CES DIVERSES ÉPIDÉMIES. Ainsi depuis dix ans, sous les noms de typhus, de fièvre typhoïde, de fièvre continue, de fièvre typho-malarienne, une épidémie a sévi tous les ans, sur les troupes fraîches, de novembre à janvier. Ces divers diagnostics ont-ils été portés toujours avec une exactitude absolue? Ne serait-ce pas une seule et même maladie qui aurait causé au Soudan ces ravages annuels? Eu l’absence de documents certains, n’ayant entre les mains qu’une partie des rapports de nos devanciers, nous ne sommes pas autorisé à nous prononcer sur ce point de pathologie exotique, d’autant plus que la délimitation de l’espèce dans les pyrexies, à symptômes typhiques, de typhoïdes, est, de l’aveu de tous, extrêmement difficile; mais, ces réserves RAPPORT. 435 étant faites, qu’il nous soit permis de revenir sur ces diagnostics et de les discuter les uns après les autres. Quand on lit la relation des épidémies de fièvre jaune qui en 1878 et en 1881 ont sévi au Soudan, on est frappé de ce fait, c’est que les premiers cas furent généralement méconnus. On est resté longtemps hésitant sur le diagnostic au début de l’épidémie, soit qu’il fut difficile à porter, soit plutôt que. la maladie se présentât avec des allures trompeuses, sous des formes mal définies. C’est ainsi que la fièvre jaune fut confondue tantôt avec des accès pernicieux, des fièvres rémittentes paludéennes ou des fièvres climatiques, tantôt — et c’est le cas le plus fréquent au Soudan — avec de la fièvre typhoïde ou mieux avec de la typho-malarienne. Le Dr Baril, médecin-major de la colonne qui de Saint- Louis alla opérer à Sabouciré en 1878, avoue avoir posé les diagnostics de fièvre pernicieuse et de fièvre typhoïde chez des malades qui succombèrent, manifestement atteints de typhus amaril. Je trouvai, parmi l’équipage de l'Espadon, un grand nombre de malades, entre autres deux cas graves à forme encore peu déterminée. L’un, malade depuis cinq jours, mourut le lendemain. Je conclus à une fièvre typhoïde, ce que m’expliquaient suffisamment les nombreuses fatigues et privations supportées depuis plusieurs jours. L’autre ne mourut que deux jours après; je portai le diagnostic d’accès pernicieux.» En 1881, les premiers cas furent également pris pour des accès pernicieux et surtout pour de la fièvre typhoïde, une fièvre typhoïde insidieuse à marche irrégulière, à symptômes anormaux, que quelques années plus tard on n’eût pas hésité à ranger dans la catégorie des typho-malariennes. Ces erreurs de diagnostic étaient excusables; elles s’expliquaient d’autant mieux que les symptômes caractéristiques faisaient défaut, ou tout au moins étaient trop peu accentués pour que la nature du mal fût dès le début nettement affirmée. Citons des faits : «Les vomissements noirs pathognomoniques manquèrent dans plus de la moitié des cas, comme ils avaient manqué au début, où les malades, foudroyés par a9• 436 AUVRAY. l’intensité de la maladie, mouraient avant d’arriver à cette phase. Quelques-uns cependant avaient présenté des épistaxis et des selles sanguinolentes qui ne nous laissaient aucun doute sur la nature de leur affection.» On conçoit aisément que les premiers cas aient donc pu être méconnus. Si le malade succombait à la première période, avant l’apparition des symptômes caractéristiques, le diagnostic était : accès pernicieux, ou accès pernicieux suite d’insolation; s’il arrivait à la deuxième période, sans qu’on ait assisté à la première, c’était un cas de fièvre typhoïde ou de typho-malarienne, dont les allures anormales n’échappaient certes pas aux médecins, mais ils croyaient en trouver la cause soit dans les conditions du milieu extérieur, soit dans l’état de misère physiologique où se trouvaient la plupart des malades. Si nous insistons sur les caractères mal définis qu’a présentés, au Soudan, la fièvre jaune au début des épidémies de 1878 et de 1881, c’est que nous allons retrouver les mêmes formes indécises dans les premiers cas de l’épidémie de 1891- 1892. En 1890, à l’arrivée de la colonne, on avait observé’ en moins de dix jours une dizaine de décès, et cette mortalité anormale était due à de la typho-malarienne, à des accès pernicieux simples ou consécutifs à des coups de chaleur. Ces cas mortels se succédèrent nombreux à Kayes, à Médine et accompagnèrent même les troupes dans leur marche sur Nioro jusqu’à Koniakry ; c’étaient toujours des nouveaux venus qui étaient atteints. En même temps éclatait une petite épidémie de dysenterie, remarquable et par son intensité, par sa tendance à se compliquer d’hépatite, et aussi par la fréquence des symptômes typhiques. Tous ces faits annonçaient que la constitution médicale se modifiait; elle avait un caractère typhique de mauvais présage. Or, comme un cas d’ictère grave avait été observé avec des cas de typho-malarienne, on pouvait supposer à cette constitution anormale une tendance amarile, que semblait déceler l’état typhique dont s’accompagnaient la plupart des fièvres chez les Européens récemment débarqués. En l’absence toutefois d’observations cliniques complètes et surtout de feuilles d’autopsie, on ne peut affirmer la nature ictérode de RAPPORT. 437 ces cas de fièvre typho-malarienne pendant les derniers mois de l’année 1890. Au commencement de 1891, l’état sanitaire avait continué à être mauvais et le Soudan était encore sous l’influence de la constitution médicale qui venait d’être si peu clémente aux troupes, à leur débarquement à Kayes. Mais, dès le mois de mai jusqu’au i5 octobre, l’état sanitaire s’était sensiblement amélioré, avec cette restriction toutefois que la morbidité fut forte dans les divers détachements qui, aux hautes eaux, remontèrent de Saint-Louis au Soudan. Dès l’arrivée de ces petits convois, la situation en effet changea aussitôt, mais seulement dans les postes sur lesquels ils furent dirigés. Ainsi l’aviso la Salamandre et l’affrété le Cayor débarquèrent, le a i et le a8 août, 70 hommes environ à Kayes. Quelques jours s’étaient à peine écoulés qu’éclata une petite épidémie de fièvres, à allures typhoïdes. Du a 5 août au i er octobre, sur 67 entrants à l’hôpital, 6a étaient des nouveaux débarqués et, dans ce nombre, 3 mouraient de typho-malarienne. Ces troupes étaient cependant montées à Kayes dans les meilleures conditions; la santé s’était maintenue toujours bonne à bord de la Salamandre et du Cayor. D’autre part, elles avaient trouvé un confortable que n’ont pas les troupes à l’arrivée de la colonne, elles avaient été casern ées dans des locaux vastes, bien aménagés, largement aérés; en outre, l’hôpital où les malades avaient été traités était neuf, situé sur un plateau sec, battu par la brise. Et cependant à peine les hommes avaient-ils mis le pied à Kayes que la typho- malarienne s’emparait d’eux. Débarqué le 38 août, un canonnier meurt le 8 septembre après neuf jours de maladie; un deuxième meurt le i 5 , un troisième le 20, et toujours de la même affection. La description qu’en donne le Dr Coppin se rapporte bien à celle des auteurs, mais on nous permettra d’en citer une et de la disuter : «G. . . , canonnier débarqué le 28 août, était entré à l’hôpital le 10 septembre après avoir été pendant quelques jours exempt de service. Le 10, au soir, il présentait les symptômes 438 AUVRAY. suivants : fièvre continue depuis deux jours, 3g°8, langue noirâtre, un peu sèche, abdomen sensible à la pression, gargouillement iléo-ræcal, insomnie, vertiges, ?céphalalgie très violente. La maladie suivait régulièrement son cours, et le 1h , à la contre-visite, l’amélioration était telle qu’il me demanda à manger!1', ce qui naturellement lui fut refusé. Pendant la nuit, le malade lut calme jusqu’à 2 heures du matin. À ce moment il chercha à se lever; l’infirmier de garde le fit recoucher facilement. Une heure après, venant voir le malade, il le trouva la face grippée, son lit inondé de selles sanguinolentes : il était mort. Nous ne pûmes pratiquer l’autopsie, n’ayant aucune installation permettant de faire une autopsie abdominale sérieuse. Il y a tout lieu de croire que le malade a succombé à une hémorragie foudroyante, car en examinant les selles rendues dans la soirée par le malade, nous constatâmes qu’elles étaient noires, presque de la couleur et delà consistance du goudron. V Est-ce là une fièvre typhoïde vraie? Nous ne le pensons pas. On n’y observe pas cette rémission qui ‘est là si marquée que le malade, six jours après le début de l’affection, demande à manger, ni cette conservation de l’intelligence et de la force musculaire, ni pareille marche de la maladie. Quant à admettre que le malade a succombé à une de ces hémorragies graves comme on en constate dans la dothiénenterie, nous ne sommes pas de cet avis. Les ulcérations intestinales, en supposant que G. . . en ait eu, ne s’observent pas dans le premier septénaire; de plus les selles d’une hémorragie aussi foudroyante n’offrent d’ordinaire ni cet aspect, ni celle consistance , ni cette couleur qui les ont fait comparer à du goudron. El puis, la lièvre typhoïde franche, légitime, est si rare au Soudan. Est-ce une typho-malarienne? Les auteurs sont d’accord pour n’admettre les lésions ulcératives de l’intestin que dans W A propos de celle envie de manger, que le docteur Coppin signale, au moment de la rémission, voir la thèse de P. Selsis : i ï l tu lo s u r la f i è v r e j a u n e à Cuba. «Ce désir de manger que manifestent certains malades est, dit-il, un signe presque certain de terminaison fatale. » RAPPORT. 439 les cas de fièvres dupliquées par association. Or, cette opinion ne s’appuie sur rien. À bord du Caijor et de la Salamandre l’état sanitaire a été excellent : les conditions d’habitat, nous l’avons dit, n’ont pas laissé à désirer. Il n’est donc pas plus vraisemblable que les troupes aient contracté la fièvre typhoïde à bord qu’elles ne l’aient importée de France. Le cas du canonnier G. . . éveillerait plutôt l’idée d’une de ces fièvres bilieuses paludéennes à forme hémorragique que l’on a signalées parfois chez les Européens non acclimatés dans des pays paludéens; mais, vu les événements qui se préparaient, vu la marche de la maladie, vu la rémission qui a précédé la mort, l’hémorragie intestinale en ses caractères tout spéciaux, la rapidité de son évolution, vu enfin ce fait que l’individu, étant récemment débarqué, n’avait pu s’impaluder gravement, nous nous demandons si le diagnostic de typhus ictérode ne devait pas être porté. Évidemment ce cas n’était pas classique. La plupart des symptômes faisaient défaut; mais, si l’on se souvient combien insidieux, indécis, ont été les débuts des épidémies de 1878 et de 1881, on sera amené plus facilement à voir dans le cas du canonnier G ... plutôt une forme ébauchée du typhus amaril qu’une manifestation du paludisme. D'ailleurs ce n’était pas là le seul signe avant-coureur de l’épidémie qui couvait. Depuis l’arrivée des petits convois qui s’étaient succédé à Kayes pendant l’hivernage, la constitution médicale revêtait l’allure du typhisme. Fait curieux, la dysenterie si fréquente les années précédentes avait à peu près disparu; à peine quelques cas des plus bénins furent-ils signalés. D’autre part les conditions saisonnières n’étaient pas habituelles. L’hivernage, qui avait été pluvieux et chaud, se prolongeait outre mesure. Des tornades tardives alternaient avec des calmes étouffants; l’atmosphère était chargée d’électricité, la température moyenne était élevée. Àces conditions météoro-telluriques peu favorables, s’ajoutaient d’autres causes de morbidité qu’il est peut-être bon de rappeler pour expliquer la constitution 440 AIJVRAY. médicale à Kayes, à Médine, à Bafoulabé. Les inondations de 1890 avaient remué autour de ces postes un sol depuis longtemps pollué; ces terres, après le retrait des eaux, étaient sans doute devenues un milieu de culture pour des microbes, de repullulation pour certains germes pathogènes qui, en temps ordinaire, seraient demeurés à l’état latent. E1 même temps, les travaux qui avaient été entrepris pour rectifier le tracé de la voie ferrée avaient nécessité des terrassements importants sur plusieurs points entre Kayes et Bafoulabé. Or, comme les travailleurs marocains et chinois ont en quelque sorte jalonné de leurs cadavres cette ligne de chemin de fer, des terrains souillés ont été probablement bouleversés, et, pour qui se souvient des graves épidémies qui ravagèrent les campements à Diamou, à Peparah, à Sabouciré, etc., on arrive à se demander si tout ce remuement de terres n’aurait pas joué un rôle dans l’étiologie de l’épidémie do 1891, ou tout au moins dans la gravité qu’elle a présentée sur divers chantiers échelonnés sur la ligne. À signaler enfin une épizootie qui venait d’éclater sur divers points de la colonie, épizootie formidable qui, envahissant le Soudan, allait anéantir sur son parcours tous les troupeaux, jonchant le sol de cadavres qui se putréfiaient librement à l’air, à moins que, traînés dans le lleuve, ils n’allassent empester les postes riverains. Telle était la situation au mois d’octobre. Pour que la constitution médicale devînt franchement amarile et se révélât avec éclat, il lui manquait une condition essentielle : un milieu humain favorable au développement des germes pathogènes. Cette condition, la colonne expéditionnaire allait la remplir en jetant plus de 3oo hommes de troupes fraîches à Kayes, à Médine, à Bafoulabé, foyers latents d’infectieux qui n’attendaient plus que cette importation pour s’allumer. Les troupes débarquaient le i5 octobre; le 27, on constatait le premier décès de fièvre jaune : l’épidémie était constituée. N A T U R E D E L A M A L A D I E . ------ D I A G N O S T I C . Bien que la fièvre jaune soit une maladie spécifique présentant- RAPPORT. 441 des symptômes et des lésions propres — au moins quant à leur évolution — son diagnostic est d’une extrême difficulté au début d’une épidémie. Elle a des relations si étroites avec certaines formes graves du paludisme et avec certaines pyrexies typhiques que, pour déterminer sa nature, il est nécessaire de prendre « comme base indivisible l’appréciation combinée des éléments étiologiques, symptomatologiques et nécrosiques ». En effet, comme pyrexie, elle offre les syndromes communs à toutes les fièvres dans les pays intertropicaux; comme typhus, elle présente les caractères génériques du groupe; mais, en tant qu’entité morbide, elle ne possède en réalité aucun caractère qui lui soit propre, aucun signe pathognomonique. Aussi, convaincu des difficultés de ce diagnostic, pénétré d’autre part de la gravité des conséquences qu’entraînerait une erreur d’appréciation, nous n’avons affirmé la nature amarile de l’épidémie qu’après une observation des plus attentives et sur un ensemble de faits précis et suffisamment nombreux. Ces faits les voici : i ° Histoire médicale du convoi T.. . ; 2° Constatation d’un foyer infectieux à Bafoulabé; ses irradiations. — Caractères de transmissibilité de la maladie. — Contamination des convois et des chantiers de la voie ferrée; 3° Faits cliniques; k° Examen cadavérique. Ce n’est qu’après l’étude de tous ces faits que nous avons cru pouvoir, le 8 novembre, affirmer que le soldat L. . . , à Kayes, le sergent T. . ., à Bafoulabé, étaient morts de fièvre jaune et non de typho-malarienne et que là était le véritable diagnostic de la maladie infectieuse qui décimait les troupes à Kayes, comme à Bafoulabé et dans les convois. Voici en effet une maladie qui éclate sous forme épidémique immédiatement après l’arrivée des troupes fraîches, à la fin de la saison d’hivernage et seulement dans les postes où ces troupes avaient été cantonnées, postes déjà suspects que la fièvre jaune avait ravagés deux fois depuis l’occupation. Cette 442 ATJVRAY. maladie n’attaque que les Européens et parmi eux les nouveaux arrives; elle revêt aussi des caractères d’infection, de pseudocontagion — sa transmissibilité n’est pas douteuse — sa tendance à l’irradiation est démontrée par la contamination successive des chantiers de la voie ferrée, des postes de Badumbé et des convois de ravitaillement. Partout où elle éclate elle est une, identique h elle-même; elle évolue en cinq à six jours, lue les quatre cinquièmes de ceux qu’elle frappe. Ses symptômes sont des symptômes de pyrexie typhique; mais ils sont remarquables par leur connexité, par la fréquence de certains d’entre eux, par l’ordre constant de leur évolution en deux périodes séparées par une courte rémission. Fièvre à début brusque, à température élevée, albuminerie, hémorragies, vomissements noirs, ictère pendant la vie, ictère post mortem quand celui-ci a fait défaut, conservation de l’intelligence et de la force musculaire, dans la plupart des cas, jusqu’aux derniers moments, rémission qui précède la mort, phénomènes ataxo-adynamiques, tel est l’ensemble symptomatique de la maladie. À l’autopsie, teinte ictérique du cadavre marbré de plaques livides, pas de lésions intestinales autres que de l’hyperhémie, pas d’ulcérations des plaques de Peyer; l’estomac contient une matière noire hématique semblable à celle du vomito-negro, sa muqueuse offre dans les courbures de petites ulcérations, un piqueté hémorragique; le sang a les caractères du sang dissous; la rate est normale; le foie est stéatosé, de couleur jaune, presque exsangue; telles sont les lésions principales que l’on trouve dans ces cas. Quelle est la maladie, autre que la fièvre jaune, qui offre ces symptômes et ces lésions, qui ait ces allures, celte marche et cette gravité? Nous ne parlerons pas do la fièvre typhoïde et du typhus exanthématique; la confusion ne peut être faite par un bon observateur, surtout s’il a soin de contrôler les données de la clinique par les résultats de l’examen cadavérique. RAPPORT. 443 DÉCÈS PAR FIÈVRE JAUNE AU SOUDAN EN l8 t ) l - l 8 ( ) 2 . P 0 S T K s O C T O B R E . N O V E M B R E . D É C E M B R E . .1 v N V I Ë R . T O T A E . M é d i n e ............................. // 5 n // 5 Kayes................ 11 3 n 1 a B a f o u l n b é ..................... ü 7 3 // 1 3 < » K i t a ...................................... 9 3 1 n II 1 3 K o n d o u .......................... 1 1/ .7 n 1 B a k c l .................................. '/ 1 .3 3 (S N i o r o .................................. II 11 // n 1 1 B a d u m b é ...................... // 5 // n 5 T o t a u x . . . l ( > 3 5 5 5 5 6 I1) D rf cè s s u r v e n u s n o n s e u l e m e n t ù B n f o u l n h é , f e r e t h M n l i i n a . m a i s s u r le s • h a u l i e r s d u c h e m i n d e ÉPIDÉMIE DE 1897.I Débuts de l’épidémie. — Lu s i septembre, sur le trajet de la voie ferrée qui va de Kaycs à Dioubéba, au poste de Talary, mourait subitement, après quatre jours de maladie, le caporal A. . ., de l’arme du génie; l’enquête a révél é que, pendant sa maladie, cet homme se plaignait surtout de violentes douleurs abdominales et d’une céphalalgie intense. Le 8 octobre, clans le train 2, entre Galongo et Talary, mourait le maître-ouvrier B. . . qui, alité depuis trois jours, était évacué sur l’hôpital de Kayes. Au dire des indigènes qui l’avaient soigné pendant le trajet, il avait présenté les symptômes suivants : Diarrhée, faiblesse générale, douleurs abdominales; pas de vomissements, pas de fièvre. Le corps fut amené jusqu’à l’hôpital; mais l’autopsie ne put être faite, par suite de l’arrivée tardive du train qui nous amenait on même temps deux 444 AUVRAY. malades graves, dont l’état réclamait des soins immédiats et absorbants. Toutefois, en examinant le cadavre, je fis observer au médecin résidant sa teinte ictérique, très accusée surtout derrière les oreilles; le corps n’était nullement amaigri. Le i5 octobre, on me signalait à Mabïna, toujours sur la ligne du chemin de fer, le décès du sergent du génie C . . . . Je n’avais pu naturellement émettre un avis ferme sur la cause de la mort de A. . . et de B . . . . Ce troisième décès sur la ligne, en l’espace de trois semaines, augmenta les doutes inquiétants qu’avait fait naître en moi l’examen superficiel du corps de B. . . . Je télégraphiai de ne pas inhumer le corps de C. . . avant mon arrivée. Je me rendis à Mabïna par train spécial, accompagné de l’infirmier habituellement chargé des autopsies. L’heure tardive ne me permit qu’une opération sommaire et très rapide qui cependant me fit constater : i° Hyperhémie intense des deux reins; 2° Foie gras très hypertrophié; vésicule biliaire pleine d’une bile épaisse; 8° Vessie hyperhémiée présentant des taches ecchymotiques dans le bas fond, contenant à peine deux cuillerées à café d’un liquide louche, comme purulent; A° Rate très légèrement hypertrophiée; 5° Cœur ayant un peu de surcharge graisseuse, mou, flasque, jaunâtre, contenant quelques caillots fibrineux. La teinte ictérique du cadavre était très marquée, surtout aux conjonctives et derrière les oreilles. La peau présentait de nombreuses taches ecchymotiques, surtout à la région dorsale. D’après les renseignements que j’ai pu recueillir, le malade est mort dans une syncope succédant à une crise convulsive. Les deux derniers jours de sa maladie il avait souffert d’une anurie complète et ses douleurs lombaires étaient devenues tellement intenses que ses camarades avaient dû passer une partie de leur temps à lui faire des frictions camphrées. Je dois ajouter qu’après l’autopsie je fis à mi-voix cette réflexion que, s’il y avait RAPPORT. 445 à ce moment de la fièvre jaune au Soudan ou au Sénégal, je n’hésiterais pas à attribuer à cette maladie la mort de ce sergent. 446 AUVRAY. Observation I. — En revenant de Mahïna, je pris à Diamou, pour le ramener à Kayes avec moi, le sapeur D. . malade depuis deux jours. À l’entrée à l’hôpital (17 octobre) le médecin traitant constata chez cet homme, depuis deux mois dans la colonie, de l’hyperthermie (39° 8 h l’arrivée), de la céphalalgie, des vomissements rares, un peu d’entéralgie. «En somme, conclut-il sur la feuille de clinique, les symptômes sont ceux de l’accès de fièvre tel qu’on l’observe chez tous les soldats arrivant dans la colonie.» Le 18 octobre, après une mauvaise nuit, l’hyperthermie persiste (38” au matin) ainsi que la céphalalgie et l’entéralgie. L’intolérance gastrique devient extrême et le malade rejette aussitôt tous les aliments ingérés. Le soir, la température est de 39° 5 ; le pouls est petit, dépressihle; la céphalalgie et l’entéralgie ont augmenté. Une heure après la contre-visite, le médecin traitant va revoir le malade et le trouve présentant les mêmes symptômes mais, eu plus, le pouls a disparu. Il m’envoie prévenir aussitôt et je tente une saignée. Le sang coule mal : il en sort au plus 100 grammes. Le malade a de légères convulsions, se débat pendant une minute environ et retombe mort sur son lit (6 h. 15 du soir). À l’autopsie, on trouve le cœur droit complètement dégénéré. Le muscle est couleur feuille morte et d’une minceur notable. La dégénérescence graisseuse est moins marquée sur le cœur gauche. — Foie gras. — Rate et reins normaux. — Congestion intense des poumons et du cerveau. Piqueté hémorragique de la substance blanche. On porte comme diagnostic : «Dégénérescence graisseuse du cœur ayant occasionné une syncope mortelle, au cours d’un accès de lièvre rémittente.» Comme le sergent C. . ., D .. . est mort d’une syncope précédée d’une crise convulsive, après trois ou quatre jours de maladie seulement. Tous deux ont, à l’autopsie, des lésions principales identiques, dégénérescence graisseuse du cœur et du foie, et ces lésions sont signalées comme constantes dans les nécropsies de lièvre jaune. Toutefois, je fais toujours des réserves et n’ose encore poser ouvertement le diagnostic émotionnant et gros de conséquences de typhus amorti. Je me crois encouragé dans cette réserve par ce fait que le cas de D. . ., RAPPORT. 447 le seul observé directement h l’hôpital, n’a pas évolué dans la forme rigoureusement classique. Observation II (hôpital). — Enfin, le lendemain de la mort de D . . 19 octobre, entrait à l’hôpital le sapeur du génie E. . depuis huit jours dans la colonie, et nous arrivant de la station de Mahïna avec les symptômes suivants : Température : 4o°i. — Facies rouge; yeux injectés, larmoyants; céphalalgie frontale insupportable; douleurs dans les membres inférieurs; rien aux reins; urines diminuées, foncées; diarrhée; vomissements fréquents; langue blanche au milieu, rouge sur les bords. Le 20 octobre, température toujours élevée (4o°5); pouls lent, teinte rouge brique de la face, rougeur du pharynx, dysphagie, urines rares. Le 21 octobre, le visage est acajou; les urines deviennent très rares; mêmes symptômes que la veille pour le reste. La température, le malin, est de 4o°. Le 22, ces symptômes s’accentuent encore; l’anurie devient complète et le malade délire. De plus, la muqueuse gingivale devient rouge et saignante. Pouls petit, dépressible. Température : 09°. Le 23 au matin, la température est de 38°2. Le malade a des vomissements incoercibles contenant des stries noirâtres. Dans l’après- midi, état comateux. Décès à 6 heures du soir'. L’ictère, très sensible vers la fin de la maladie, s’accentue encore après la mort. Observation III (hôpital). — Le même jour que E. . ., entrait aussi à Tbêpital de Kayes le maître-ouvrier du génie F. . ., depuis treize mois dans la colonie, venant de Galongo, poste sur la ligne du chemin de fer. Gel, homme est malade depuis deux jours. À son entrée (19 octobre au soir), on constate : Température : 39°5; peau sèche, facies rouge brique, céphalalgie intense, respiration difficile, vomissements bilieux. Pas de douleurs de reins. Le malade urine très peu. Diarrhée légère. La langue, blanche au centre, est rouge sur les bords et surtout à la pointe. La nuit est mauvaise. Le 20 octobre au matin, le malade souffre448 AUVRAY. beaucoup des reins. Les autres symptômes sont les mômes que la veille, mais plus accentués. Pendant la nuit du 20 au 21, le malade délire. Le 21 on constate: douleurs générales; céphalalgie très vive, localisée à la région occipitale. Langue très rouge sur les bords; toujours des vomissements; pharyngite et dysphagie consécutives; enfin l’anurie est complète. Le malade délire toute la journée, avec quelques intervalles de lucidité. Le 21, au soir, les vomissements contiennent des filets noirâtres et un pointillé noir. Dans la nuit du 21 au 22, les vomissements sont nettement noir café. Ictère assez accentué; anurie; pouls imperceptible. À 11 heures du matin, vomissement noir; à 11heures et demie, état comateux. Décès à 4 heures du soir. Ictère post mortem très prononcé. Devant ces deux cas si nets, si classiques, la réserve que je gardais, malgré le cas observé et l’autopsie de D. . . , n’était plus possible. On ne pouvait conserver aucune illusion. Je dus déclarer officiellement la présence du typhus amaril dans la colonie et proposer au gouverneur par intérim différentes mesures propres à limiter les ravages du fléau, mesures que nous ferons connaître plus loin. Pendant que nous observions à l’hôpital ces deux cas bien confirmés, on nous en signalait plusieurs autres dans l'intérieur. Observation IV (Dinguira). — Le 16 octobre, un Frère missionnaire G. . . mourait à Dinguira, toujours sur la ligne, après quelques jours de maladie seulement. D’après les renseignements recueillis, il avait présenté de la fièvre, du délire, de la rougeur de la face, des vomissements, de la rachialgie, et il s’était produit après la mort une teinte jaune généralisée. Observation V ( Kalé). — Le 20 octobre, le commandant du génie, directeur du chemin de fer, me communiquait un rapport du capitaine Belle contenant l’observation du sergent du génie H . . ., mort sur la ligne, à Kalé. Arrivé le 8 octobre dans la colonie, ce sergent est envoyé aussitôt R A P P O R T . 449 à Kalé, où il tombe malade le i h ci meurt le 19, après avoir présenté de la fièvre, des vomissements incoercibles, etc. «Cette maladie, ajoute le capitaine, parait avoir les caractères d’une bilieuse hématurique, mais d'une rapidité foudroyante.» Toutefois il signale bien, en réponse à un télégramme où je lui demandais quelques renseignements complémentaires de son rapport, que les urines n’ont jamais eu la teinte Malaga ou café, mais avaient plutôt l’aspect d’une bière un peu brune et que, pendant le cours do la maladie, il n’y a jamais eu d’ictère bien accusé. Ces deux cas furent inscrits dans la mortalité sous la rubrique : « fièvre jaune». En effet, cette «bilieuse hématurique d’une rapidité foudroyante» se produisant sur un point contaminé, chez un nouveau venu non encore impaludé, nous parut avoir toutes les chances possibles d’être du typhus amaril, et le cas du Frère ne nous laisse aucun doute, vu les symptômes observés, surtout la teinte jaune généralisée après la mort, si caractéristique en l’espèce. Ajoutons d’ailleurs que le Père Bouge, supérieur de la mission, me signale dans une lettre que ce cas présentait des symptômes identiques à ceux qu’il avait observés chez quelques malades en 1892-1893. En outre, lors d’une visite qu’il me fit au mois de décembre, n’ignorant plus la nature de l’épidémie que nous venions de traverser, il me déclara ne plus douter que le malade avait succombé à la fièvre jaune. Observation VI{hôpital). — Le 24octobre, entrait à l’hôpital de Kayes, provenant de Kalé, où il avait soigné le sergent H. . ., le stagiaire du génie I. . ., depuis seize mois dans la colonie et malade depuis le 22 octobre. A son arrivée à l’hôpital, il a une température de 38° 8. Le visage est rouge; les yeux sont larmoyants; la langue, blanche au milieu, est rouge à la pointe et sur les bords. Les urines sont chargées, foncées, contiennent beaucoup d’albumine. Pas de douleurs; intelligence conservée. Le lendemain, 25 octobre, la température est, le matin, de 38°6. Le pharynx est devenu très rouge, la déglutition très douloureuse. Les gencives sont saignantes. Selles bilieuses: pas de vomissements. Le pouls est devenu petit, dépressible, et le malade a de l’anurie depuis la veille à 7 heures du soir. A la contre-visite, la température est de 38°6. L’anurie persiste. Le malade a eu dans la journée des vomissements contenant du sang a n .v . d ’i i ï g . c o l o n . — O c to b r e -n o v .- d é c . i 8 y 8 . I—- 3o 450 AÜVRAY. rouge. Le soir, à 7 heures, après un lavement froid, il a enfin une miction de 5o grammes d’urines foncées, très albumineuses. Le a(>, mêmes symptômes. L’ictère s’accuse, l'anurie persiste. Les vomissements sont toujours striés de sang. En plus, le malade accuse de vives douleurs le long du côlon descendant. La température tombe à 37°8. Dans la soirée, idées délirantes. Le 27 au matin, le visage est acajou; le délire persiste; le pouls devient imperceptible, la respiration anxieuse, haletante. Le malade a eu, dans la nuit et la matinée, des vomissements noirs et des selles noir fumée. La température est de 37°8. A 9 heures du matin, une selle noire. Pas de vomissements. On ne sent plus le pouls. Décès ii 1 heures du malin. Evacuation post mortem de matières noirâtres; ictère plus accusé cpie pendant 1a vie. Le diagnostic non douteux est celui de typhus amaril. Le 3 i octobre, entraient à l’hôpital, venant toujours de la ligne de chemin de 1er, le sergent J. . ., chef de section à Galongo, depuis un mois dans la colonie, et le caporal K. . ., chef de gare à Mahïna, ayant treize mois de séjour au Soudan. Je reproduis les observations de ces deux malades. Observation VII {hôpital). — Sergeut J. . . : A l’arrivée, le 3i octobre, 10 heures du soir, température : 38°6. 1" novembre. Température au matin : 37”y. Malade depuis trois jours. Début insidieux; pas de frisson, pas de coup de barre. Fièvre augmentant peu à peu d’intensité et prenant la forme continue. A l’entrée on constate : facies un peu animé, yeux humides, injectés, un peu jaunes. Langue blanche au centre, nettement rouge sur les bords. Céphalalgie peu intense, à maximum sus-orbitaire. Un peu d’épigastralgie. Vomissements bilieux fréquents. Urines un peu foncées, présentant en suspension des flocons de mucus et contenant 11e quantité notable d’albumine. Pas de rachialgie. Rien de nouveau à la contre-visite. Temperature : 38° 2. 2 novembre. Température, matin : 37"6. Teinte ictérique généralisée augmentant rapidement; facies vultueux. Langue de plus en plus chargée, blanc jaunâtre, à bords rouges. Epistaxis répétées. Crachats RAPPORT. avec filets sanguins. Vomit moins, grâce à la potion de Rivière. Douleurs dans les membres inférieurs et le long des côlons transverse et descendant. Constipation. Urines très colorées, diminuées comme quantité, contenant toujours de fortes proportions d’albumine. Le soir, temperature : 37°3. 3 novembre. Nuit mauvaise. Délire. Ce matin, plaques ecchymotiques sur la langue; gencives tuméfiées, saignantes; dysphagie. Les urines sont rares, foncées, toujours albumineuses; la constipation est opiniâtre. On donne en vain du calomel. A la contre-visite, selle abondante après lavement huileux. Mictions plus abondantes sous l’influence du nitrate de potasse pris dans du lait. Température : matin, 37°; soir, 37° 1. À partir du à novembre, on constate une amélioration progressive. Le malad é entre en pleine convalescence le 9 novembre et sort le i5 complètement guéri. Observation VIII (hôpital). — Caporal K. . . : Température à l’arrivée, le 3i octobre, à 10 heures du soir: .39"a. Malade depuis quatre jours. Début brusque par fièvre, frissons, rachialgie. Céphalalgie occipitale d’abord, sus-orbitaire ensuite. Constipation opiniâtre avec tenesme. Urines diminuées, foncées, avec traces d’albumine. Langue chargée, à bords rouges; gencives normales; facies vultueux, à teinte ictérique peu accusée. Douleurs vives au niveau du foie et le long des côlons transverse et descendant. Vomissements bilieux fréquents. Rachialgie très vive. Crampes très douloureuses aux membres inférieurs. 1er novembre. Température, matin : 38° 1. Le malade est très abattu. Rachialgie et céphalalgie très vives. Urines rares. Vomissements fréquents. Passim sur le corps, taches rouges ecchymotiques, surtout au cou. Toujours de la constipation. A la contre-visite, la température est de 38°3. Des vomissements avec stries sanguinolentes se produisent dans la soirée. Une selle vers 10 heures du soir, sous l’influence d’une dose de calomel. 2 novembre. Température, matin : 37°5. Un peu de diarrhée ce matin. Vomit moins. Ictère léger, mais très net. Les crampes des membres inférieurs disparaissent ainsi que la rachialgie. Le soir, température : 38'’h. Le malade a eu trois selles diarrhéiques dans la journée. Les urines sont toujours rares, foncées, avec dépôt et albumine. Un peu de dyspnée dans la soirée. 3o . 452 AUVRAY. 3 novembre. Température : matin, 36°8; soir, 36°6. Amélioration sensible. Le malade vomit peu, n’a plus de diarrhée. Les urines sont plus abondantes et plus claires. h novembre. L’amélioration continue. 5 novembre. Plus de vomissements, plus d’albumine dans les urines. Le malade entre en pleine convalescence et sort complètement guéri, le i5 novembre, pour être rapatrié. Pour ces deux malades, la marche observée dans la maladie ne laisse aucun doute : ils ont été victimes du poison amaril et on doit poser le diagnostic de lièvre jaune de moyenne intensité, terminée heureusement par guérison. Entre temps se produisaient d’autres cas. Observation IX ( Kita). — À Kita mourait, le 3 novembre, le Père L . . ., de la mission des Pères du Saint-Esprit : Le typhus amaril, cause du décès, n’est pas douteux. Je ne puis reproduire ici ni même analyser le rapport très documenté qui me fut adressé à la suite par le docteur Régnier, médecin du poste, mais je copie son télégramme du 2 novembre, très précis, ne laissant aucun doute sur la nature de la maladie : « Médecin Kita à Santé Kayes. «Père L. . . , de la mission, entré à l’infirmerie ce matin. «Fièvre continue depuis troisjours (Ao°). «Injection des conjonctives; faciès vultueux, anxieux. «Hyperhémie des muqueuses buccales. «Liséré épithélial des gencives. «Céphalalgie paroxystique au début, atténuée aujourd’hui. Rachialgie. «Epigastralgie. État nauséeux constant, vomissements avec parti­ cules mélaniques. «Albumine dans les urines.» Observation X. — Le 2 novembre mourait dans le train, en gare de Kalé, le maréchal des logis M. . ., du convoi A. I ., évacué de Dioubéba sur Kayes. Nous n’avons que peu de renseignements sur l’affection dont il était atteint, mais l’aspect du corps h l’arrivée à Kayes, quelques heures RAPPORT. 453 après, ne laisse aucun doute sur ia maladie. Le corps présente une teinte généralisée jaune safran foncé. Les lèvres sont noirâtres, avec un exsudât sanguinolent desséché, formant croûte. La même chose se voit au nez. On remarque des taches ecchymotiques précoces au cou, au dos. Eu somme, c’est l’aspect caractéristique d’un cadavre de typhus amaril. Observation XI (hôpital). — Le 10 novembre, entrait à l’hôpital le sergent N. . ., provenant de Diamous. Malade depuis deux jours. La température à l’arrivée est de 38'6. Cette température décroît progressivement pour revenir et se maintenir à la normale deux jours après. Il présente un facies assez animé. La langue, chargée au centre, est rougeâtre sur les bords; les gencives saignent facilement. Le malade a de la céphalalgie, des vomissements bilieux, de la constipation. Il n’a pas eu de coup de barre. Enfin les urines, en moindre quantité que la normale, sont très colorées mais sans albumine. Nous le mettons en observation au pavillon d’isolement. Les symptômes, peu intenses au début, s’amendent rapidement. L’ensemble clinique du typhus amaril est si incomplet chez ce malade, les symptômes présentés si bénins, la marche vers la guérison si rapide, que nous avons des doutes et ne le portons que comme suspect en observation. De plus, le malade accroît nos doutes lui-même en nous disant qu’il avait depuis longtemps les gencives malades, saignantes. Enfin les urines, soigneusement analysées tous les jours, n’ont jamais présenté trace d’albumine, alors que la présence de l’albumine avait été constatée dans tous les cas que nous avions examinés jusque-là. Après quatre jours d’observation, le médecin traitant, convaincu que N .. . n’avait pas eu la fièvre jaune, le fit, à la suite d’une consultation de tous les médecins présents, sortir du pavillon d’isolement et rentrer dans la salle commune, après lavage complet au bichlorure de mercure et délivrance d’effets absolument neufs. Il occupe d’abord le lit n° 9. Repris de fièvre pendant trois jours, on le remet en observation dans un cabinet. Toujours après consultation, concluant à une poussée paludéenne, on le renvoie après quatre jours dans la salle commune, où il occupe le lit n" 10 jusqu’à sa sortie. Nous aurons occasion de revenir sur ce cas. Disons tout de suite, 454 AUVRAY. pour compléter l’observation, que N. . . a eu bien réellement la lièvre jaune et sou retour prématuré dans la salle commune sera la cause très probable do la contamination de plusieurs malades. Observation XII [hôpital). — Le 10 novembre, dans l’après- midi, entrait d’urgence à l’hôpital le sergent du génie O. . . : Ce sous-officier, depuis quatorze mois dans la colonie, était juste allé de Kayes h Cuninvillc, le h novembre, et était rentré par le train le lendemain. Il n’avait eu de contact sur la ligne, sauf à Cuninville, où il avait séjourné, qu’avec le sergent N .. ., peut-être déjà contaminé , pendant l’arrêt du train à Diamous. Température à l’arrivée : 89° 6. Malade depuis plusieurs jours. Entre à l’hôpital avec les symptômes suivants : langue blanche au centre, un peu rouge sur les bords; dysphagie, dyspnée. La céphalalgie est intense, les douleurs de reins légères. Urines normales sans albumine; constipation. Passim, sur le corps, mais surtout à la partie antérieure du thorax, on remarque de grandes plaques rouges. L’aspect clinique du malade appelle bien plus l’idée d’une rougeole très intense que d’un cas de fièvre jaune. Le 1 novembre, même ensemble clinique. Les urines diminuent, prennent une coloration plus foncée, mais ne présentent toujours pas d’albumine. La constipation cède à un lavement purgatif. Vomissements bilieux fréquents. 1 novembre. — Température : malin, 38"9; soir, 37°8. 12 novembre. — Les urines, rares, contiennent des Ilots d’albumine. Les vomissements noirs apparaissent. La température remonte. Le malade meurt le 13 novembre, à 5 h. 35 du matin. Observation XIII [hôpital). —- Enfin. le 12 novembre, entrait à l’hôpital, où il mourait le 19, le sapeur du génie P. . ., depuis un mois et demi dans la colonie. L’observation n’a pu être prise, le médecin traitant étant tombé malade le lendemain do l’entrée de ce sapeur, ainsi du reste que. les autres médecins de l’hôpital et de Kayes. Pendant plusieurs jours, je dus, bien que très fatigué moi-même, assurer seul, en plus de la Direction, tous les services de l’hôpital et de Kayes, et il m’a été impossible, avec ce surcroît de travail, de prendre la moindre observation. RAPPORT. 455 J'ai porté comme cause du décès le diagnostic non douteux de typhus amaril. D’autre part, le billet d’entrée, établi par le médecin traitant avec la mention « fièvre ictérode» , montre que, dès le premier examen, on n’avait aucun doute sur la nature de l’affection. Passe le 19 novembre, aucun cas nouveau ne se présente. Dans les premiers jours de décembre, l’épidémie paraissait définitivement arrêtée, les mesures quarantenaires prises par le Sénégal contre toutes les provenances du Soudan, étaient déjà levées quand un cas nouveau, se produisant cette fois à Kayes même, vient remettre tout en question. En effet, le 6 décembre au matin, le médecin chargé du service à Kayes, était appelé auprès du sieur H. . ., employé auxiliaire du commissariat, malade chez lui depuis trois jours, et constatait le typhus amaril. Le même jour, à l'hôpital, le sergent d’infanterie de marine S. . ., en traitement pour une autre affection, était pris de symptômes suspects et mis en observation. D’où provenait la contagion pour ces deux malades? On se perdait en conjonctures. Après bien des hypothèses, on trouva que, jusqu’à preuve du contraire, l’explication suivante de la contagion de ces deux malades était seule plausible. R . . . avait été en traitement à l’hôpital du 26 novembre au 1er décembre [tour dyspepsie et avait couché dans le lit n° 9 de la salle des sous-officiers, lit occupé auparavant (du 1/1 au 20 novembre) par le sergent du génie N . . . , dont nous avons relaté plus haut l’observation, cas, je le répète, considéré d’abord comme suspect, puis jugé sans doute à tort comme nous l’avons dit, par l’unanimité des médecins, comme indemne du principe ictérode, et remis malheureusement dans la salle commune, après toutefois les précautions minutieuses déjà signalées. Le sergent d’infanterie de marine S . . ., suspect, avait occupé le lit n” 8 , voisin du lit n° 9, de N . . . et de II. . .. Bien que lu literie eût été passée à l’étuve après le départ de N. . ., nous ne pouvons que la considérer comme insuffisamment désinfectée et seule cause possible de l’infection. Le jour (G décembre) où nous faisions celte constatation, un autre malade, le caporal fourrier d’infanterie de marine T. . . occupait-456 AUVRAY. ce même lit n° 9. Je lis aussitôt évacuer la salle des sous- officiers et mettre à part, en observation dans un cabinet, le caporal fourrier T. . ., pour lequel, a priori, nous redoutions la terrible contagion. L’avenir devait malheureusement confirmer ces prévisions; neuf jours après, en effet, notre malade témoin mourait du typhus amaril et notre hypothèse •sur le mode de contage de R. . . et de S. . . semblait démontrée exacte. Il est à remarquer : i° que le lit n° 10 occup é plus tard par N. . ., convalescent, n’a jamais été contaminé; 20 que la contagion s’est bornée à ce seul lit n° 9 et son voisinage immédiat, et ne s’est pas étendue, en près de trois semaines, au reste de la salle, presque au complet à cette époque. Ce fait semblerait venir à l’appui de cette opinion avancée par plusieurs médecins ayant la pratique de la fièvre jaune, à savoir que la contagion par le simple contact des malades n’existe pas et qu’il faut des rapports plus intimes et plus prolongés, tels que l’usage d’objets de literie ayant servi à un malade, partant toujours plus ou moins souillé par ses excrétions ou ses déjections. Voici les observations de ces trois malades : Observation XIV (hôpital). — Observation R. . . : R. . ., commis auxiliaire du commissariat, depuis un mois et demi dans la colonie, entre à l’hôpital le G décembre avec le billet d’entrée suivant : fièvre. Malade depuis trois jours. Fièvre continue ; état nauséeux ; facies rouge; yeux très injectés, larmoyants. Constipation opiniâtre; urines rares, moussant beaucoup à l’émission. Suintement sanguinolent du nez au moindre effort. État délirant presque continu. N’a pas eu de rachialgie. Il serait bon de l’isoler en observation. Température à l’arrivée : 39° 8; le soir, 40°. Le malade a dans la journée de nombreux vomissements bilieux; érythème du scrotum. Plusieurs selles le soir, sous l’influence d’un purgatif. 7 décembre. — Température : matin : 39°6; soir : 38°6. Urine peu. Les urines sont foncées et contiennent de grandes quantités d’albumine. La teinte ictérique des téguments, peu accusée à RAPPORT. 457 l’entrée, devient plus nette. Est pris dans la journée de nombreux vomissements noirs contenant des granulations analogues à du marc de café. La prostration du malade est extrême et il est très difficile d’en tirer une réponse. 8 décembre. — Urines toujours rares, albumineuses. Prostration extrême. A, ce matin, des plaques eccbymoliques sur la langue. Liséré épithélial très net aux gencives. A eu encore cette nuit des vomissements noirs. A la contre-visite, 4 heures du soir, il est moins abattu et cause un peu; /’état général parait meilleur. Les lèvres et la langue saignent un peu spontanément et le malade accuse une douleur très vive à la pression, le long des côlons transverse et descendant; de plus, l’anurie est presque complète. Température : matin, 38”; soir, 3ç)05. R . . . meurt, à 8 heures du soir, de typhus amaril non douteux. Observation XV (hôpital). — Observation S. . . : S. . sergent d’infanterie de marine, depuis un mois dans la colonie. Entré à l’hôpital le î h novembre 1897 pour « chancres mous » Est pris brusquement, le 5 décembre au soir, de fièvre, frissons, mal aux reins. Température: 39“8. Le 6 décembre. Température : malin, 40°; soir, 40,1°. Facies rouge; langue simplement chargée ; vomit peu; pas d’ictère. Urines un peu chargées; pas de selles aujourd’hui. Le 7 décembre. Température : matin, 39° 5; soir, 38°7. Le matin, même état peu caractérisé, vomissements bilieux. Les urines, peu abondantes, sont très troubles; va à la selle sous l’influence d’un purgatif. Dans la journée, est pris de vomissements noirs avec granulations marc de café caractéristiques. Le 8 décembre. Température : matin, 37° G: soir, 38" 5. Les vomissements noirs continuent toute la journée. Le soir, on réussit cà les arrêter avec une potion à l’éther. Urine assez bien, mais les urines sont très chargées, albumineuses. Le 9 décembre. Température : matin, 37”G; soir, 38”5. Le malade a eu une très mauvaise nuit. On a eu de la peine, par moments, à le maintenir dans son lit et il a passé la nuit à gémir et à bâiller; les bâillements sont très prolongés, avec une émission 458 AUVRAY. sononore à la fin; ils sont presque continus. Le malade bâille du reste encore toute la matinée. Prostration extrême. Ne vomit plus. Urine peu. Pas de selles. Le pouls est petit, mou, dépressible. A la contre-visite, état comateux. Muqueuse buccale très rouge. Le malade a, dans l’après-midi, une miction involontaire dans son lit. Un lavement donné est rendu de même, sans qu’il s’en aperçoive. Le pouls devient de plus en plus petit, par moments même imperceptible. Mort à 9 b. A5 du soir. Observation XVI [hôpital). — Observation T. . . : T. . caporal fourrier d’infanterie de marine, depuis quelques jours seulement dans la colonie. Entré à l’hôpital le 3 décembre pour fièvre paludéenne. Après plusieurs jours d’apyrexie, est repris le 10 au soir de fièvre avec frisson et rachialgie. Température, 39°3. Le i l décembre. Température : matin, 38° 6 ; soir, 4o°1. Toute la journée, vomissements verdâtres abondants. 12 décembre.— Nuit mauvaise, agitée; vomissements bilieux toute la nuit. Dans la matinée, les vomissements deviennent aqueux et alimentaires. À 2 heures après-midi, vomissement noir. Le malade est très abattu, mais conserve son intelligence. Yeux brillants; céphalalgie assez forte. Langue blanche au centre, rosée sur les bords. Douleurs lombaires. Urines albumineuses. Diarrhée séreuse. Température : matin, 40°3; soir, 40". 13 décembre. — Ce matin, fatigue générale. Teinte ictérique des téguments. Vomissements fréquents de matières noirâtres; selles liquides; urines contenant de l'albumine et du pus. Dans la journée, le malade a deux syncopes de courte durée. Il demande à manger à plusieurs reprises. Température : matin, 38°7; soir, 36°8. 14 décembre. — Nuit mauvaise : le malade commence à divaguer. La teinte ictérique augmente. La langue, très rouge, se tuméfie et porte la marque des dents. Vomit moins depuis qu’on lui donne la potion de Rivière, mais se plaint constamment d’une vive sensation de brûlure dans l’estomac. RAPPORT. 459 Urines diminuées en quantité, albumineuses et purulentes. Température: malin, 38°7; soir, 37°6. i5 décembre. — Nuit liés mauvaise. Les douleurs stomacales augmentent. À une crise d’étouffement dans la matinée. Pouls de plus en plus lent. Anurie. Température : matin, 37°2 : soir, 38°i). Coma à 6 heures; décès à 1 b. 45. Notons enfin, pour être complet, un cas très léger, mais non douteux, de fièvre jaune chez un lieutenant du génie. Il DIAGNOSTIC. ----- TRAITEMENT. Je ne renouvellerai pas l’étude si bien faite par M. le docteur PritneU1) sur le diagnostic entre la lièvre jaune et quelques maladies pouvant présenter des analogies avec elles, mais je ne saurais trop faire remarquer combien il est difficile au début d’affirmer absolument qu’on se trouve en présence d’un cas de typhus amaril. Les ouvrages de pathologie nous présentent généralement un cas type, presque introuvable dans la pratique. Le plus souvent, nos doutes étaient levés quand, après un ou deux jours d’un tableau clinique représentant vaguement la fièvre jaune, nous trouvions dans les urines des quantités notables d’albumine. Jamais nous 1 e nous sommes trompés en procédant ainsi et trouvant de l’albumine. Dans deux cas peu graves ne présentant pas d’albumine, pour « un, le sergent N. . ., nous avons été entraînés par ce l'ait à conclure qu’il n’avait pas le typhus amaril, ce qui nous l’a fait renvoyer dans la salle commune et malheureusement contaminer plusieurs malades; pour l’autre, le lieutenant 1 . . ., le médecin traitant a trouvé dans les urines la réaction de Widal pour confirmer son diagnostic. En traitant nos malades, nous avons constaté une fois de plus la faillite, dans cette pyrexie, de tout l’arsenal thérapeutique (1) Rapport sur l’épidémie de lièvre jaune au Soudan (1 8 9 1 -1 8 9 2 ) dans les A rch iv e s (le m édecine n a va le e t c o lo n ia le , tomes LIX el LX. 460 AUVRAY. en général et de la quinine en particulier. Pour la quinine, c’est un fait d'observation que nous ne saurions expliquer; pour la plupart des médicaments, ils sont le plus souvent nuisibles dans une affection où les principaux symptômes sont l’anurie et l’absence de transpiration et où, par suite, les matières nuisibles ne sont plus éliminées. Le traitement qui nous a donné les meilleurs résultats est le suivant : lait avec eau de Vichy pour soutenir le malade et agir sur l’appareil urinaire. Quand l’anurie était trop complète, on ajoutait môme à ce lait un peu de nitrate de potasse. Toutes les boissons étaient données glacées et le malade ingurgitait même fréquemment de petits morceaux de glace. Cette glace était antithermique, antinauséeuse, décongestionnait le tube digestif et luttait autant que faire se pouvait contre la diathèse hémorragique, si caractéristique dans cette maladie. Lorsque la glace ne réussissait pas à arrêter les vomissements, on administrait la potion de Rivière, qui donnait d’assez bons résultats. Enfin, pour décongestionner les centres nerveux, nous donnions par jour 2 grammes de bromure de potassium et 2 grammes d’antipyrine en potion, en surveillant bien les effets de cette médication et l’arrêtant dès qu’elle ne nous paraissait pas agir convenablement. Si quelques malades ont vu leur affection se terminer heureusement, nous sommes persuadés qu’ils le doivent à cette médication logique, raisonnée et surtout prudente. III É T I O L O G I E . ------- M O D E D E C O N T A G E . Depuis 1878, date à laquelle la fièvre jaune fit sa première apparition au Soudan, importée directement de Gorée à Bakel par Saint-Louis et le fleuve, cette maladie a eu, à plusieurs reprises, des réveils plus ou moins terribles, réveils spontanés dans la genèse desquels on n’a jamais pu incriminer une importation étrangère : ceux de 1881 et de 1891-1892 sont célèbres dans l’histoire médicale de la colonie. RAPPORT. 461 Comment se produisent ces réveils spontanés? Pour moi, je suis persuadé qu’ils sont d’origine tellurique. Le microbe, continuant à évoluer dans le cadavre, arrive à envahir la terre dans laquelle le corps a été inhumé, y trouve un excellent milieu de culture, immense réceptacle microbien, et alors de deux choses l’une : ou il arrive spontanément à la surface du sol, en contact direct avec ses futures victimes, ou on accélère et favorise ce contact en allant au-devant de lui par des travaux de terrassement. On a remarqué que ces réveils d’épidémie se faisaient dans la colonie vers le mois d’octobre, ce qui serait une présomption de plus en faveur de celte théorie. En effet, c’est en octobre que se produit la baisse des eaux et le dessèchement des terres submergées pendant la saison des pluies. L’humidité extrême et la chaleur de l’hivernage donnent un coup de fouet à la pullulation du microbe, dont la progression fait un bond relativement considérable pendant cette période, pour rester stationnaire, faute d’eau, pendant la saison sèche. Dans l’un de ces bonds il arrive à la surface du sol et devient dangereux quand les eaux, se retirant, le laissent à découvert et exposent à son contact direct les personnes qui vivent ou travaillent aux alentours des anciennes tombes. Le comptage est, de plus, favorisé par celait que, dans les épidémies antérieures, on n’a pris ou plutôt on n’a pu prendre que peu de précautions lors de l’inhumation des corps. En effet, beaucoup de victimes, ouvriers malais, coolies chinois, ont été enfouies sans aucun soin le long de la voie ferrée. Aussi est-on exposé à remuer constamment d’anciennes lombes dont il est aujourd’hui impossible de soupçonner l'existence, ce qui est un grave danger. L’eau ne parait pas être l’agent de la contagion. En effet, les eaux filtrant à travers le sol et se trouvant tous les ans en contact, 91 moment des pluies, avec les terres contaminées, ces réveils d’épidémies devraient se reproduire annuellement et les premiers cas se montrer dès les premières pluies, c’est- à-dire vers la fin de juin, si (elle était la voie suivie par le contage. Cette hypothèse explicative des réveils de fièvre jaune au4 6 2 AUV1UY. Soudan me paraît logique et en conformité avec les faits relaies dans l’histoire des épidémies antérieures et avec les observations que j’ai pu faire moi-même cette année. C’est la seule défense de celte hypothèse que je n’ai nullement la prétention de présenter comme une théorie scientifiquement démontrée. Nous n’avons pu malheureusement, faute d’outillage, nous livrer à des recherches sur le bacille ictéroïde. En reprenant tous les cas de fièvre jaune observés dont nous avons relaté longuement l’histoire, nous pourrons légitimer l’hypothèse que nous avons émise ci-dessus et qui est d’ailleurs conforme aux théories générales acceptées par les bactériologistes. Le caporal A . . . , premier cas signalé, travaillait à une tranchée de rectification de la ligne ouverte au kilomètre 1où,5. Le sergent C. . . visitait souvent cette tranchée, à laquelle travaillaient aussi les sapeurs 1). . . et E . . ., ainsi que le maître- ouvrier F . . .. Le sergent .1. . ., chef de section, visitait souvent les travaux à ladite tranchée; de plus, il avait soigné le caporal A. . . à Talar.y. Le maître-ouvrier B. . ., le sergent H. . ., le stagiaire I. . . étaient ensemble à Kalé, où l’on faisait d’importants travaux de terrassement. Le caporal K . . . , chef de gare à Mahïna, avait soigné le sergent C. . . ; de plus, il avait, avec l’aide du sapeur E . . ., creusé la tombe de ce sous-officier. Or cette tombe, placée le long de la voie à a mètres de celle d’un caporal mort de fièvre jaune en 1891, fut creusée dans un terrain riche en microbes ictérodes. Le maréchal des logis M. . ., du convoi A. I, suivait la ligne, mangeant et couchant autant que possible dans les gares et, par suite, en contact avec tous les individus contaminés. Le sergent O . . . était allé à Cuninville, où l’on exécutait des travaux, et avait de plus communiqué à Diamou avec le sergent N. . ., déjà contaminé. Le sergent N. . . avait beaucoup voyagé sur la ligne : or Dia- mou a été très éprouvé en i8g3 et il existe, aux environs de la gare et le long de la ligne, nombre de lombes dont l’emplacement exact n’est pas connu. Le lieutenant U ... est tombé malade au retour d’une inspection de la ligne pendant laquelle il avait visité les travaux et avait couché à Diamou. Le Père RAPPORT. 463 L . . . , de Kila, couchait dans la literie d’un Père mort en 1891 de fièvre jaune et avait, selon l’expression du médecin qui le soignait, perdu de vue les notions les plus élémentaires de l’hygiène et de la propreté. De plus, il s’était produit de nombreux décès à Kila, au cours des épidémies antérieures. Le Frère G. . . était à Dinguira, localité qui avait été très éprouvée précédemment, notamment en 1881 et où les missionnaires font actuellement beaucoup de jardinage. Enfin le sapeur P. . . était à Kafa, près de Médine, région qui avait subi de graves atteintes du fléau en 1878 et en 1881. Déplus, le 28 octobre, il fit une première entrée à l’hôpital pour fièvre paludéenne; ayant présenté des symptômes suspects, on l’envoya en observation au service des isolés. Bien que placé dans un cabinet où aucun malade n’avait encore été traité, il n’en était pas moins en contact, malgré les défenses formelles faites à cet égard, avec les infirmiers chargés des malades contaminés. Ces infirmiers noirs, auxquels il est si difficile de faire prendre les moindres mesures de propreté, si nécessaires en l’espèce, ont très bien pu servir de véhicule aux germes infectieux et les transporter sur P. . . Quoi qu’il en soit, ce malheureux, sorti de l’hôpital le 7 novembre avec la mention complètement guéri, y rentrait le 12 du même mois avec le diagnostic de fièvre ictérade posé d’emblée par le médecin traitant et succombait, sept jours après, des suites de la terrible affection. J’ai déjà indiqué comment s’était faite la contamination pour les trois derniers cas, où la maladie a été contractée à l’hôpital même de Kayes.IV IV Mi: SUHUS PRISES POUR ARRÊTER LES PROGRES DE L’ÉPI DEM IE.D’abord, arrêt complet de tous travaux sur la ligne. Partout où un décès de fièvre jaune s’était produit dans l’’intérieur, on devait, après avoir enterré le cadavre dans un lit de chaux (chaux dessus et dessous) pour éviter autant que possible la pullulation des bacilles dans le sol environnant, 464 AUVRAY. brûler sa literie, ses effets et flamber au pétrole le fer du lit. Si la case était de peu de valeur, on la brûlait. Pour les cases en pierres, on nettoyait l’appartement ou on l’avait à plusieurs reprises toutes les parois avec des solutions antiseptiques, on fumigeait à l’acide sulfureux et on passait ensuite les parois à la chaux. Le sol environnant était, en outre, arrosé avec une solution très forte de bichlorure de mercure ( ) sur une étendue débordant la case de 10 mètres au moins. Pour éviter la contamination des voyageurs le long de la ligne ferrée, on leur interdisait de quitter leurs wagons jusqu’à l’arrivée et, pour plus de sûreté, les trains s’arrêtaient à 200 mètres des stations. Après le décès de Kila, les convois eurent l’ordre de ne plus s’y arrêter et de faire étape à quelques kilomètres de cette localité. Enfin, pour éviter la propagation du fléau au Sénégal par les convois de rapatriés, les vêtements, linge, literie, malles, etc., étaient désinfectés avant le départ, à l’étuve Geneste et Herscher, pour tout ce qui était justiciable de ce mode de faire; le reste était soumis aux vapeurs d’acide sulfureux. Les chalands eux-mêmes étaient soigneusement lavés au savon noir et badigeonnés ensuite dans toutes leurs parties non immergées avec. une solution forte de chlorolarye. Enfin, les équipages étaient lavés au savon noir et rincés à la solution phénique forte, eux et surtout leurs effets. Comme complément de ces précautions, le Sénégal avait organisé un lazaret et une quarantaine à Bakel. Ces mesures ont produit leur plein effet. La colonie voisine n’a pas été atteinte. Bien plus, grâce au véritable cordon sanitaire établi autour de la ligne de chemin de fer, par les mesures ci-dessus énoncées, l’épidémie s’est localisée et éteinte faute d’aliments. En effet, sur 18 Européens employés sur cette ligne, i h ont été atteints et 10 ont succombé. Ces chiffres montrent l’intensité relative de l’épidémie, qui a fait d’autre part 5 autres victimes, et sont, à mon sens, la meilleure justification des mesures prises pour en empêcher la propagation.

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AUVRAY et BOURY, “AUVRAY, BOURY. Rapport sur l'épidémie de fièvre jaune qui a régné au Soudan français en 1897.. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 433-464,” RevColEurop, consulté le 2 mai 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJMT2ghKCzk.

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