KERMORGANT Alexandre. La lèpre à la conférence de Berlin. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 263-277

Identifiant

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ark:/67375/2CJjSn6VWM1T

Auteur

KERMORGANT Alexandre

Discipline

Médecine et hygiène coloniales

Type de données

Ressources textuelles

Langue du document

Français

Nom abrégé de la revue

Annales de médecine coloniale

Nom détaillé de la revue

Annales d'hygiène et de médecine coloniales

Editeur de la revue

Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris

Date de parution

1898

Nombre de pages

15

Pathologie

lèpre
désinfectant
rhinite
anesthésique
contagion
plaie
sac à danger de mort
acide salicylique
maladie du nez
maladie infectieuse
phénol
sclérodermie
syringomyélie
sérum antivenimeux
tuberculine
vaccin
épistaxis
érosion
éternuement

Coordonnées géographiques

[-10,-55#Brésil]
[-17.6486,-149.42951#Tahiti]
[-21.1,55.6#La Réunion]
[-21.5,165.5#Nouvelle-Calédonie]
[-9.75,-139#Iles Marquises]
[11,107#Cochinchine]
[11.93381,79.82979#Pondichéry]
[14.66667,-61#Martinique]
[16.25,-61.58333#Guadeloupe]
[18.2176,-67.8639#Antilles]
[22,105#Tonkin]
[22,79#Inde]
[22,79#Indes Anglaises]
[23,-102#Mexique]
[27,30#Egypte]
[28,3#Algérie]
[35,105#Chine]
[35.68536,139.75309#Japon]
[36.20124,37.16117#Alep]
[39,35#Turquie]
[4,-73.25#Colombie]
[4.93333,-52.33333#Cayenne]
[60,100#Russie]
[62,10#Norvège]
[65,-18#Islande]

Licence

Licence ouverte - BIU Santé (Paris)

URI fascicule

https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a4a63bb7

URI document

https://api.nakala.fr/data/10.34847/nkl.d35cb8lq/3c60a579a369eb7797df255b490a96453f74a66c

Cle

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Fichier Texte

263 LA LÈPRE À LA CONFÉRENCE DE BERLIN. La Conférence internationale de la lèpre, qui s’est tenue à Berlin du 11 au 16 octobre 1897, a mis à l’ordre du jour la question de celte affreuse maladie qui, dès l’origine des temps, n’a cessé de régner. Cette affection sévissant plus particulièrement dans presque toutes nos colonies, il m’a paru utile de faire un compte rendu des travaux de cette conférence pour les Annales d’hygiène et de médecine coloniales. 264 LA LÈPRE. La lèpre est aussi vieille que le monde. Dans l’antiquité', on a souvent confondu sous le nom de lèpre une foule d’affections. Plusieurs auteurs ont pensé qu’elle avait été introduite en Europe par les croisés, mais il est établi qu’il existait des léproseries quatre ou cinq siècles avant les croisades et Grégoire de Tours en fait mention. En 1296 on en comptait 2,000 en France. La plupart des autres étaient européens étaient dans le même cas. Déjà à cette époque on était convaincu du caractère contagieux et héréditaire de la lèpre, la preuve en est dans le grand nombre de lieux de réclusion qui existaient alors. De même que Moïse obligeait les lépreux à signaler leur présence, de même au moyen âge ils devaient se faire reconnaître par leur crécelle, leurs cliquettes ou leur petit tonneau. De même que chez les Juifs il leur fallait se couvrir la bouche; de même, dans certaines contrées, ils devaient se placer de manière que le vent emportât, loin de celui qui venait à eux, leur haleine et l’odeur de leur corps. D I S T R I B U T I O N G É O G R A P H I Q U E D E L A L E P R E . Le dénombrement des lépreux est pour ainsi dire impossible à faire, aussi bien dans les pays peu civilisés que dans ceux où la civilisation est la plus avancée. Cela tient à plusieurs causes : i° Les lépreux se cachent ou sont dissimulés par leur entourage; 2° La lèpre, sauf dans les cas très avancés, ne s’accuse pas toujours par des symptômes qui puissent frapper, à un examen rapide ; 3° En général, les médecins connaissent peu la maladie et, parmi ceux qui sont le plus versés dans son élude, il en est qui hésitent à se prononcer. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les statistiques soient inexactes et il est à présumer aussi que les chiffres publiés sont au-dessous de la vérité. LA LÈPRE. 265 A l’occasion de la Conférence de Berlin, il a été fait une enquête médicale à peu près dans tous les pays, et ce sont ces chiffres publiés dans les Annales de dermatologie et de syphiligraphie(1), numéros d’octobre, novembre et décembre 1897, que je transcris ici. En Norvège où l’isolement est obligatoire, cette mesure a eu pour effet de faire tomber le nombre des lépreux de 2,833 en 1856 , à 32 1 en 1895 (Hansen). En Islande, on compte 158 lépreux (Elders). En Russie, il y aurait 1,200 malades, dont 800 pour la Russie d’Europe (V. Petersen, Kirchner, Kübler): En Allemagne, il n’y a de lépreux que dans le district de Mémel. On en compte 22. En Roumanie, 208 cas sont con­ nus (Petrini). En Turquie, on ne saurait évaluer, même approximativement, le chiffre des lépreux; à Constantinople, il n’y en a pas moins de 5 à 600. En Égypte, plus de 3,ooo. Dans le Sud de l’Afrique, on signale 600 lépreux au Cap, 250 au Bassouloland, i5o dans l’État libre d’Orange, plus de 680 dans les territoires de East Gricaland et Transkeian, 105 au Transwaal, 200 au Natal, en tout environ 3,000 lépreux (lmpey). Dans les Indes anglaises, on peut en estimer le nombre à 3o,ooo; à plusieurs milliers pour le Japon (Dobi). On en compte 4,ooo aux lies de la Sonde. On sait les ravages que fait la lèpre aux îles Sandwich. Le Mexique, l’Amérique centrale, l’Amérique du Sud ont la lèpre à l’état endémique et plus particulièrement les Antilles, les Guyanes, le Brésil et surtout la Colombie où on estime qu’il y en a 3o,ooo sur 4 millions d’habitants. En France, d’après M. E. Jeanselme, à l’époque de la Renaissance, la lèpre était encore très répandue en Bretagne, dans les provinces du Sud-Ouest, de la France cl sur le littoral méditerranéen. Cependant au XVIIIe siècle, la lèpre rétrocède et, le 24 août 1693, un arrêté royal transforme 1es maladreries en établissements généraux hospitaliers. La lèpre ainsi rayée de la liste des maladies reconnues Dans le cours de ce résumé nous avons fait de larges emprunts à cette publication ainsi qu’au travail du docteur Jeanselme. a n n . d ’ i i y g . c o c o n . — Àviïl-mai-juin 1 8 9 8 . 1 — 18 2 6 6 LA LÈPRE. officiellement continua à végéter obscurément, et, à l’heure actuelle, il existe encore quelques vestiges de cette maladie. Quelques cas solitaires et fort peu nombreux sont disséminés sur la côte bretonne. Du reste, dans presque tous les ports de mer, on peut observer quelques rares cas de lèpre. Il existe aussi quelques lépreux dans les petits villages situés dans la vallée du Paillon qui se jette dans la Méditerranée; la maladie n’a aucune tendance à l’extension. On compte quelques cas de lèpre dans différentes localités de l’Algérie, mais, parmi les 5 i malades observés par le Dr Kaynaud, un peu plus du tiers (19) sont venus des provinces d’Alicante ou de Valence, où un foyer important aurait été signalé il y a quelques années. Enfin à Paris, le nombre des lépreux immigrants augmente dans des proportions sinon inquiétantes, du moins sujettes à éveiller l’attention. C’est ainsi qu’en 1897 le chiffre des admissions a plus que quintuplé à l’hôpital Saint-Louis, par rapport aux années précédentes. Presque tous ces lépreux viennent des colonies et les nôtres en fournissent la plus grande partie. Nous savons en effet que la lèpre existe dans toutes nos possessions d’outre-mer. Nous ne connaissons pas le nombre des lépreux qui y résident, les familles les cachant le plus possible; aussi tout chiffre, même approximatif, serait-il erroné! Nous n’arriverons à nous faire une idée de l’étendue du mal qu’après avoir fait procéder à une enquête sur le nombre des lépreux et les localités qu’ils habitent. La déclaration obligatoire de cette maladie aux colonies, votée par le Comité d’hygiène de France et par l’Académie de médecine, facilitera certainement la lâche; mais, il ne faut pas se dissimuler cependant les difficultés qu’on rencontrera à chaque instant. Il nous suffira pour le moment de dire qu’elle est très commune aux Antilles, à la Guyane, dans toutes nos possessions de l’Afrique ainsi que dans nos établissements de l’Inde et de l’Océanie. La Nouvelle-Calédonie mérite une mention spéciale, non seulement pour le nombre considérable de lépreux qu’elle con­ tient, mais encore pour la rapidité avec laquelle la maladie LA LÈPRE. ?267 s’est propagée sur les indigènes et même sur les Européens. Aussi cette rapide extension est-elle de nature à convaincre ceux qui pourraient encore hésiter sur le caractère contagieux de la lèpre. D’après M. Ernest Besnier, la lèpre vient du lépreux, non d’ailleurs, et là où il n’y a pas de lépreux, on ne prend pas la lèpre; c’est avec les hommes que la lèpre se déplace, ce sont leurs mouvements qui règlent sa marche, et, depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’heure présente, on en suit les étapes. Immédiate ou médiate du lépreux à l’homme sain, la transmission du bacille est univoque; elle est toujours d’ordre contagieux; mais, comme elle peut se réaliser avant ou après la naissance, le thème se divise de lui-même en deux segments : lèpre acquise avant la naissance, hérédolèpre; lèpre acquise après la naissance, lèpre acquise, lèpre commune, lèpre. « Nul être humain n’est à l’abri de la lèpre, aucun pays, aucune région n’y sont réfractaires et, à aucune époque, elle n’a disparu complètement. Envisagée dans le temps et dans les différentes régions, à la manière de toutes les maladies populaires, la lèpre subit, dans sa virulence et dans sa multiplication, tantôt lentement, tantôt avec une rapidité relative, des affaissements ou des exacerbations extraordinaires; ou bien elle s’installe permanente, endémique» (Besnier). C O N D I T I O N S D E L A C O N T A M I N A T I O N . ------- S O U R C E S E T V O I E S D E R É C E P T I O N D U B A C I L L E L É P R E U X . La contamination peut avoir lieu par le lépreux lui-même ou par tout ce qui a pu être souillé par lui. E. Jeanselme et Laurens ont établi la très grande fréquence des lésions nasales, dès la phase initiale de la lèpre. La précocité de la rhinite nasale a porté ces auteurs à penser que la bacille de Hansen pénètre souvent dans l’organisme à la faveur d’une érosion insignifiante de la pituitaire. L’examen bactériologique des sécrétions nasales leur a fourni des données qui intéressent à la fois la séméiotique et la prophylaxie. Dans le muco-pus de là rhinite lépreuse, comme dans le sang des épis­ taxis, on peut trouver le bacille de Hansen. 18. 268 LA L È P R E . La notion la plus importante qui découle de ces recherches, c’est que le mucus nasal des lépreux est d'une grande virulence. Sans aller au-delà des inductions permises, on peut donc affirmer que la rhinite est une des sources les plus efficaces de la propagation de la lèpre. M. Sticker a apporté à la conférence de Berlin des chiffres qui concordent de tous points avec ceux dp Jeanselme : c’est ainsi que, sur 153 lépreux dont il a fait l’examen bactériologique des fosses nasales, il a pu constater le bacille dans 128 cas. M. Schœffer, s’inspirant d’un travail récent de M. Pllügge,a établi que, par la toux, l’éternuement et, en particulier, par le simple parler, les bacilles sont projetés par milliers, à une distance du lépreux qui peut excéder un mètre et demi. M. Alvarez a fait remarquer qu’aux îles Hawaï la lèpre paraît se propager par l’usage de la pipe en commun, qui circule constamment de bouche en bouche. 1 ne faudrait pas croire cependant que l’accident initial siège toujours sur les muqueuses et Jeanselme déclare que pour sa part il ne peut souscrire au vœu de M. Sticker qui propose d'appeler la lèpre une maladie du nez. E1 effet, les premières manifestations lépreuses dans les pays tropicaux occupent fréquemment les membres inférieurs; or, les habitants de ces contrées marchent le plus souvent nu-pieds ; cette partie du corps est donc plus exposée à l’inoculation, le sol des habitations et des sentiers qui sépare les cases étant imprégné du pus qui s’écoule des plaies et des crachats que projettent à chaque instant les malades atteints de lésions buccales et laryngées. A la moindre humidité, cette terre devient boueuse et adhère fortement aux pieds nus. Ce contact prolongé avec des solutions de continuité accidentelles favorise certainement l’inoculation directe du bacille de la lèpre. D’autre part, la présence du bacille de Hansen dans les glandes génitales, dans leurs sécrétions et leurs canaux vecteurs démontre la possibilité de l’inoculation et de la propagation de la lèpre par la voie génitale. Il est de notion commune- LA L È P R E . 269 que le bacille de la lèpre existe dans la lumière des canaux séminifères. Les glandes mammaires sont souvent infiltrées de lépromes et le lait est bacillifère; c’est donc là aussi une voie de diffusion du bacille. Les follicules pilo-sébacés, l’exfoliation épidermique contiennent aussi le parasite. Le simple contact avec le tégument externe, même non altéré en apparence, peut donc être une source de contagion. Le temps pendant lequel la bactérie lépreuse peut rester inerte dans l’organisme avant d’y trouver soit l’habitat, soit les conditions nécessaires à sa mise en fonction, varie et peut être fort long. D’après Besnier, cette période d’inactivité du germe lépreux a été confondue, à tort, avec l’incubation proprement dite; or, cette dernière comprend le temps qui s’écoule entre le moment où la bactérie lépreuse, arrivée en lieu opportun, trouve l’élément nécessaire à sa multiplication et à sa mise en étal de virulence, et le moment où apparaît la manifestation lépreuse première. Sa durée peut varier selon le lieu anatomo-topographique de réception ou d’arrêt, et les conditions de vitalité des tissus envahis, mais elle ne dépasse pas nécessairement une moyenne de quelques mois et rien ne per­ met de fixer la durée de l’incubation à une moyenne de trois à cinq années, comme l’a proposé A. V. Bergmann, d’après le fait de la rareté de la lèpre chez l’enfant, avant la période de trois à cinq ans. Il faut rapporter ce fait non à une période d’incubation, mais plutôt à une cause d’immunité temporaire. C’est aussi à cette immunité temporaire qu’on doit rapporter ce fait que des sujets émigrés depuis des dizaines d’années de pays lépreux ont pu conserver le bacille à l’état inerte, dans un point neutre de l’organisme. Ces seuls faits suffiront à démontrer l’importance qu’il y a à différencier l’incubation et la période d’inertie du bacille. H O I R D E L ' H É R É D I T É . La transmission de la lèpre par hérédité a perdu beaucoup de terrain depuis qu’on connaît mieux la manière dont s’effectue- 2 7 0 LA L È P R E . tue la contagion. Besnier a en effet démontré que l’action qu’exerce le générateur lépreux peut se traduire par une pré­ disposition, une immunité, des atrophies, alhrepsies, dystrophies, tares dégénératives, d’origine toxinigétique; quant à l’hérédité lépreuse en nature, par la transmission de l’agent pathogène, aux cellules séminales et aux ovules, elle est plus que douteuse; l’herédo-contagion par la voie placentaire est toutefois très concevable, par analogie avec d'autres infections, et assez vraisemblable. Von Dining admet cette hérédo-contagion, mais non l’hérédité proprement dite; mais il insiste sur ce fait que la contagion joue un rôle tout autrement prépondérant. D’autres affirment qu’un enfant séparé de ses parents lépreux, dès sa naissance, ne devient jamais lépreux dans la suite. Alvarez n’a jamais vu aux îles Hawaï un nouveau-né atteint de lèpre; le plus jeune lépreux avait trois ans et demi. La plupart des lépreux de ces îles n’ont pas d’enfants, en sorte que la maladie s’éteindrait vite, dit-il, si elle n’avait que le mécanisme de l’hérédité pour se transmettre. Zambaco-Pacha nie au contraire le rôle pathogène du bacille de Hansen, nie la contagion et accorde la première place à l’hérédité. De nombreuses observations réfutent catégoriquement cette manière de voir. Rappelons que, pour le même auteur, la maladie de Morvan n’est autre chose que de la lèpre mutilante; c’est aussi à la lèpre que cet auteur rattache l’aïnhum, la sclérodermie, etc. DIFFÉRENCE ENTRE LA FORME ANESTHÉSIQUE OU NERVEUSE ET LA FORME TURERCULEUSE OU CUTANEE. Personne ne nie que les deux formes de lèpre ne soient dues aux bacilles de Hansen, cependant les différences entre ces deux formes, tant au point de vue de la marche de la maladie et de son pronostic qu’au point de vue des lésions et de leur richesse en bacilles, ne sont pas élucidées et restent susceptibles d’interprétations variées. D’après Neisser, il n’y a pas qu’une simple différence dans la quantité de bacilles, mais encore une différence qualitative du processus morbide, d’ailleurs autrement localisé, qui dans LA L È P R E . 2 7 1 le cas de forme tubéreuse est prolifératif, tandis qu’il est atrophique et rétractif dans la forme nerveuse. Hansen a tenté de prouver par des statistiques que le climat influe sur les formes de la lèpre. Blaschko admet qu’il n’y a entre les deux formes de lèpre qu’une différence de quantités de bacilles. S. V. Impey (du Cap) prétend que la forme anesthésique n’est pas contagieuse. Dehio (deDorpat) admet une notable différence de contagion suivant la forme. MOYEN RAPIDE DE DECOUVRIR LE BACILLE. Alvarez (Honolulu) a proposé un moyen rapide de découvrir le bacille dans les cas douteux; il consiste à triturer dans un mortier, avec de l’eau salée, un fragment de peau excisé, que l’on aura, si l’on veut, fait bouillir ou soumis à la digestion artificielle, à centrifuger le liquide obtenu et à y rechercher le bacille sur des lamelles. TRAITEMENT DE LA LEPRE. Les travaux apportés à la conférence de Berlin ont prouvé qu’on ne connaissait pas encore le traitement curatif de la lèpre. Certains médicaments paraissent atténuer les symptômes et amener des trêves prolongées dans l’évolution de la maladie. Citons le traitement préconisé par Besnier, qui lui donne des succès. A tous les soins d’hygiène générale, bains, pansements méthodiques et réguliers des lésions, il ajoute la cautérisation énergique et répétée des lépromes au galvanocautère et l’usage à l’intérieur de l’huile de chaulmoogra à doses progressives (jusqu’à 200 gouttes et plus), le tout sous la surveillance active, surtout en ce qui concerne le rein. La réalité d’action de cette médication parait indéniable. Unna reproche à l’huile de chaulmoogra d’être difficilement tolérée et recommande extérieurement le savon vert et l’alexine, au besoin les caustiques (potasse caustique ou phénol, bien 272 LA L È P R E . supérieurs à l'acide nitrique ou acétique; à l’intérieur, la strychnine et l’ichtyol. Neisser a surtout confiance dans les iodiques, iodoforme, europhène; Kaiindero vante le pétrole brut; Ehlers et Haslund ont eu de bons résultats avec les sels mercuriels solubles. Weber (Halle) a présenté un malade très amélioré par l’acide salicylique. Hallopeau a traité cinq cas à l’hôpital Saint-Louis par le sérum de Carrasquilla avec résultats négatifs; deux malades ont eu des poussées. Alvarez, Barillon d’Alger, Déhio, Brieger (Berlin), Aiming, Neisser et d’autres n’ont observé aucun résultat favorable du sérum de Carrasquilla, mais plusieurs fois des poussées fébriles plus, ou moins intenses. Abraham (Londres) a modifié le mode de préparation du sérum sans aucun avantage d’ailleurs. Dehio a obtenu une amélioration passagère avec la tuberculine de Koch, et Dyer avec le sérum antivenimeux de Calmette. En somme, personne ne confirme les avantages du traitement par le sérum, tels que les prône Carrasquilla. Malgré ce que la préparation de ce remède a d'empirique et de peu scientifique, il a été essayé en tout pays et il y avait grand intérêt à récapituler les résultats obtenus. On l’essaye en ce moment en Nouvelle-Calédonie. PROPHYLAXIE. La diminution de la lèpre obtenue en Norvège par l’isolement des lépreux nous montre la voie >à suivre. C’est donc à ce moyen qu’il faut recourir, en le combinant bien entendu avec le traitement et le pansement occlusif des plaies de la peau et des muqueuses. Il faudra de plus recourir à la désinfection des excreta, du linge, des vêtements cl de tous les objets qui peuvent avoir été souillés et des habitations des lépreux elles- mêmes. Dans certains États, en Norvège, en Islande, on oblige les lépreux à s’isoler dans leur demeure, sinon on les contraint à entrer dans un établissement. LA L È P R E . 273 En Russie, la déclaration des cas de lèpre est obligatoire. Aux îles Havaï, tout lépreux est enlevé aux siens et interné de force. En Allemagne, les mesures suivantes ont été adoptées pour combattre la lèpre dans le district de Memel : Examen semestriel des lépreux, examen médical de toute la population; surveillance des immigrants et interdiction de l’émigration pour les lépreux; isolement dans les familles, ou, s’il ne peut être réalisé dans de bonnes conditions, dans un établissement spécial. Aux États-Unis, les lépreux sont surveillés et l’installation d’une léproserie est à l’étude. À côté des dispositions prises par les différents gouvernements pour combattre la lèpre, il faut aussi signaler les admirables résultats dus à l’initiative privée et qui ont été énumérés par M. E. Jeanselme. En Livonie, une société s’est fondée pour lutter contre la lèpre et a créé plusieurs établissements où les lépreux peuvent être soignés et isolés. Les subsides nécessaires lui sont fournis par des contributions régulières des membres et par des dons. Des établissements du même genre ont été fondés en Courlande, en Esthonie et dans le gouvernement de Saint-Péters­ bourg. A Astrakan, il y a un asile de ao lits depuis i8q5. Une léproserie existe déjà en Sibérie. En Islande, c’est la société philanthropique des Odd-Fclows qui s’occupe de l’isolement des lépreux; elle construit une léproserie qui s’ouvrira en juillet 1898. Dans nos colonies où les lépreux sont nombreux, nous avons des léproseries. Pour la Martinique et la Guadeloupe, nous avons la léproserie de la Désirade. Les lépreux de la Guyane, autrefois dirigés sur les lies du Salut, sont dirigés depuis 1833 sur la léproserie de l’Acarouany, située à 200 kilomètres de Cayenne et à 3o kilomètres environ du bourg de Mana. La Réunion a une léproserie établie dans les hauteurs. Pondichéry possède également une léproserie. 274 LA L È P R E . En Cochinchine, les lépreux sont admis dans les hospices d’incurables fondés par les missions. Au Tonkin, plusieurs léproseries correspondant au lepervillages de la Chine sont installées aux environs des grands centres populeux. Les lépreux de Tahiti sont dirigés sur les îles Marquises. En Nouvelle-Calédonie, il y a eu plusieurs léproseries : une i r° à l’île aux Chèvres, une 2e au lieu dit Pic clés Morts, une 3° au cap Bocage, une 4° à Maré (îles Loyalty) au lieu dit «Been- biclgor. Enfin, en 1892, une léproserie fut installée à l’ile Art du groupe des Bélep, situé à l’extrémité Nord de la Nouvelle- Calédonie. Ce dernier établissement était destiné à recevoir tous les malades de la colonie, européens et indigènes, et à faire disparaître les léproseries citées ci-dessus. Il a été impossible à l’administration de transporter et d’isoler tous les lépreux au Bélep ; aussi le conseil général vient- il de proposer l’évacuation de cet établissement et son remplacement par des léproseries partielles placées à proximité des tribus. Quant aux Européens, ils seraient dirigés sur l’ile aux Chèvres. Dans notre colonie de la Guyane, un décret du 22 aoiîtiSAo décidait que « la lèpre, vulgairement appelée mal rouge à la Guyane, donne lieu à la séquestration de toute personne libre qui en est atteinte». Un nouveau décret du 11 mai 1891 a abrogé le précédent; il contient les dispositions suivantes : « Seront admises à la léproserie située à l’Acarouany toutes personnes malades de la lèpre qui en feront la demande. Y seront envoyées d’office toutes celles qui, reconnues atteintes de la lèpre, n’auraient aucun moyen de se soigner......... Les personnes qui voudront se soigner à domicile et à leurs frais devront s’isoler à une distance de 2 kilomètres au moins de Cayenne, et à 1 kilomètre des bourgs.» Malheureusement ces décrets n’ont jamais été appliqués avec toute la rigueur prescrite. Le 22 septembre 1893, un décret à peu près semblable à celui de la Guyane a été promulgué en Nouvelle-Calédonie, mais les mesures édictées par cet acte n’ont pas produit les résultats qu’on en attendait. LA L È P R E . 2 7 5 Ces décrets permettaient à tout lépreux de faire cesser son internement en quittant la colonie. La Nouvelle-Calédonie et la Guyane sont les deux seules colonies françaises où une réglementation d’ensemble ait été établie. Les projets relatifs à la prophylaxie qui ont été apportés à la conférence de Berlin sont fort nombreux. M. E. Besnier s’est borné à exposer dans les propositions suivantes les principes généraux qui doivent guider le législateur : « Améliorer le sort des lépreux; les traiter individuellement et avec énergie, par tous les moyens connus externes ou internes; isoler et hospitaliser ceux dont le contact peut être infectant, toutes les fois que cela sera exécutable; exiger chez les lépreux ambulants la désinfection et le pansement de tous les foyers bacillaires et l’oblitération soigneusement exécutée de toutes les solutions de continuité dans toutes les formes de la maladie; pratiquer les vaccinations antivarioliques exclusivement avec du vaccin de génisse. ttRendre obligatoire, par tous les moyens localement réalisables, la désinfection des vêtements, linge, objets à usage de toute espèce. « Organiser la surveillance médicale et l’inscription administrative; assurer la protection effective des enfants de lépreux contre tous les contacts infectants, etc. « Éclairer sans relâche les intéressés, par tous les moyens appropriés, sur les mesures de préservation efficaces et rédiger des instructions populaires relatives aux ablutions, aux soins de propreté et à la préservation dont l’importance est de premier ordre dans tous les pays lépreux. t Créer des instituts léprologiques, avec enseignement officiel de la léprologie, partout où il est nécessaire de former des médecins destinés aux pays lépreux, médecins qui devront, par des actes probatoires, établir qu'ils sont en mesure de faire de la maladie une étude conforme aux exigences de la science moderne. « A aucun litre, l’action légale ne peut intervenir dans la 2 7 6 LA L E PR E . constitution des mariages, en pays lépreux ou non, soit entre sujets lépreux, soit entre sujets sains et lépreux. «Partout, les mesures nécessaires, sous la direction d’un médecin compétent, désigné par les gouvernements et les municipalités, peuvent être réalisées avec la fermeté légitime, mais sans jamais faillir aux principes de la liberté de l’homme et de la charité humaine.» M. Hallopeau a demandé : que l’entrée des lépreux par les ports maritimes soit interdite en Europe; 2° que, dans chaque port de mer, un médecin spécial examine, à ce point de vue, les passagers; 3" que les médecins des navires soient tenus de faire la déclaration des cas de lèpre existant à bord. M. Thibierge pense que la visite sanitaire obligatoire de tous les sujets provenant des pays contaminés est impraticable; cependant celle-ci pourrait être appliquée à certaines catégories de suspects, tels que les militaires et marins avant fait campagne en pays lépreux, les employés du service colonial et pénitentiaire. Enfin, MM. Gemy et Raynaud (d’Alger), ayant constaté que depuis une trentaine d’années un certain nombre de lépreux originaires d’Espagne (provinces de Valence et d’Alicante) se sont établis à Alger et dans les autres ports de la colonie, voudraient que les immigrants provenant des régions contaminées fussent astreints à l’inscription et restassent soumis à la surveillance effective du service sanitaire M. La Conférence ayant pour objectif principal de réunir en une formule concise l’ensemble des mesures à prendre pour arrêter l’expansion de la lèpre, la proposition de M. Armdeur Hansen, amendée par M. E. Besnier, a réuni l’unanimité des suffrages : « i° Dans tous les pays où la lèpre forme des foyers, ou prend une grande extension, l’isolement est le meilleur moyen d’empêcher la propagation de la maladie; « 2° La déclaration obligatoire, la surveillance et l’isolement, tels qu’on les pratique en Norvège, doivent être recommandés 1) L’Académie de médecine et te Comité consultatif d’hygiène ont décidé de rendre obligatoire, en Algérie, la déclaration de la lèpre. F O N C T IO N N E M E N T AUX C O L O N IE S D E S A M B U LA N C ES. 277 à toutes les nations dont les municipalités sont autonomes et possèdent un nombre suffisant de médecins; tr 3° Il faut laisser aux autorités administratives le soin de fixer, sur l’avis des conseils sanitaires, les mesures de détail en rapport avec les conditions sociales de chaque pays.» Tel est le vote émis par la Conférence, il est formulé en termes généraux, il appartient par suite à chaque gouvernement de rechercher le meilleur moyen de le mettre en pratique; mais, pour faire œuvre utile et durable, il ne faut pas perdre de vue, ainsi que l’a dit Jeanselme, que toute mesure violemment imposée et contraire aux aptitudes et au génie d’une race n’est pas viable. On ne peut, en effet, assujettir aux mêmes lois nos colons et les différentes races qui peuplent notre vaste domaine colonial. Nous devrons donc faire tous nos efforts pour faire accepter par les uns et les autres, après les avoir modifiées selon les mœurs, les coutumes, les croyances et même les préjugés des peuples que nous administrons, les mesures proposées par la Conférence de Berlin. A. K e r m o r g a n t .

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KERMORGANT Alexandre, “KERMORGANT Alexandre. La lèpre à la conférence de Berlin. Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 263-277,” RevColEurop, consulté le 13 mai 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJjSn6VWM1T.

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