BAURAC J.-C.. Clinique d'Outre-Mer. Contribution à l'étude de la toxicologie. Troubles que peut provoquer l'iodure de potassium. Observation faite à l'hôpital colonial de My-Tho (Cochinchine). Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 143-149
Identifiant
ahmc_1898_p_143_149
ark:/67375/2CJmsMxWzVn3
Auteur
BAURAC J.-C.
Personne
Discipline
Médecine et hygiène coloniales
Type de données
Ressources textuelles
Langue du document
Français
Nom abrégé de la revue
Annales de médecine coloniale
Nom détaillé de la revue
Annales d'hygiène et de médecine coloniales
Editeur de la revue
Imprimerie nationale Octave Doin, place de l'Odéon, Paris
Date de parution
1898
Nombre de pages
7
Pathologie
iodure de potassium
fièvre
médicament
quinine
signe fonctionnel
anémie
asthénie
constipation
delirium tremens
diarrhée
fatigue
insolation
lassitude
paludisme
paralysie
parésie
pouls
syphilis
tremblement
émétique
Coordonnées géographiques
[10.36004,106.35996#Mỹ Tho]
[10.82302,106.62965#Saïgon]
Licence
Licence ouverte - BIU Santé (Paris)
URI fascicule
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a4a63bb7
URI document
https://www.nakala.fr/nakala/data/11280/a2db2a36
Cle
ahmc_1898_p_143_149
Fichier Texte
143 CLINIQUE D’OUTRE-MER. CONTRIBUTION, À L'ÉTUDE DE LA TOXICOLOGIE.TROUBLES QUE PEUT PROVOQUER LTODURE DE POTASSIUM. OBSERVATION FAITE À L'HOPITAL COLONIAL DE JIY-TIIO ( c o c i i i n c i u n e ) , p a r le D> J.-C. BA.UHA.C, MÉDECIN DE PREMIÈRE CLASSE DES COLONIES. Si l’iodure de potassium est un médicament précieux à bien des points de vue, il peut quelquefois provoquer des accidents auxquels le médecin 1 e s’attend pas. Les accidents que nous avons constatés chez un de nos malades et qui font l’objet de celte note sont de nature à prouver qu’il faut toujours être en garde sur 1innocuité de ce médicament. De plus, si l’on considère les troubles provoqués, par son ingestion, sur l’organisme de ce même malade, nous arrivons à celte conclusion qu’il ne faut le prescrire qu’avec une grande circonspection et tâter eu quelque sorte tout d’abord la susceptibilité du sujet en cause. Chargé du service de sauté à My-tho en 1897 et médecin- 144 BAURAC. chef de l’hôpital où nous étions secondé par un de nos col lègues médecin de 2° classe, nous fîmes entrer dans nos salles un malade qui venait de Saigon et qui avait déjà consulté un de nos chefs. «Depuis environ deux mois, nous dit M. X. . je prends 3 grammes d’iodure de potassium chaque jour, en solution, et ne fais que suivre, en cela, l’ordonnance de M. le major de Saigon qui m’a même dit, croyant, sans doute, que je suis atteint de syphilis (quoique je n’aie constaté chez moi aucun accident me faisant supposer cette maladie), de commencer par î gramme d’iodure et d’augmenter la dose progressivement jusqu’à 6 et 7 grammes par jour, qu’un de ses malades s’est fort bien trouvé de ce traitement. «Il faut aussi vous dire, ajoute M. X. . ., que déjà, souffrant de l’épaule gauche et de la cuisse, je prenais, pour enrayer ces douleurs, parfois assez vives, du salicylate de soude à la dose de 2 grammes par jour en même temps que l’iodure et je remarquais bientôt que mes douleurs avaient à peu près disparu. Je revis, avant de quitter Saigon, M. le major qui me conseilla de cesser le salicylate de soude et de ne m’en tenir qu’à l’iodure de potassium. «Ayant eu, dans l’intervalle, quelques accès de fièvre, et de plus, étant anémié, j’ai cru que le sulfate de quinine me ferait du bien et que la liqueur de Fowler prise à dose ascendante, jusqu’à 25 ou 3o gouttes, ferait revenir mes forces. Je pris donc, chaque jour, avant mon repas du matin o gr. 5o de sulfate de quinine et 5 gouttes de liqueur de Fowler que j’augmentai d’une goutte journellement; avant l’ingestion de ces deux derniers médicaments, j’absorbais mes 3 grammes d’iodure et j’aurais même pris cette dernière solution à une dose plus forte si les phénomènes ou plutôt les troubles que je vais essayer de vous signaler ne se fussent produits et ne m’eussent obligé de venir me faire hospitaliser à My-tho. «Depuis une huitaine de jours j’éprouve une très grande difficulté pour m’exprimer, ma langue semble ne plus vouloir fonctionner, comme vous pouvez le remarquer, les mots ne viennent pas. Il me semble que j’ai perdu la mémoire, et j’ai CLINIQUE D’OLTRE-MER. 145 cependant conscience de ce que je fais; le côté droit de la face est un peu insensible et j ’ai des fourmillements alternant avec une espèce de paralysie dans l’épaule et le bras droits; les deux doigts de la main droite, médius et index, sont pour ainsi dire parésiés à certains moments. M’étant trouvé plusieurs fois en voiture j’ai, pour diriger le cocher, dit ~à droites en faisant le geste contraire quand je voulais dire rrà gauche». En écrivant, chose qui devient presque impossible aujourd’hui, non seulement j ’oublie la moitié des lettres qui composent les mots que je désire tracer sur le papier, mais encore ces mots viennent très difficilement. La lecture me fatigue et je ne puis soutenir longtemps mes yeux sur n’importe quel écrit imprimé ou calligraphié; le premier mot qui tombe sous mes yeux disparait rapidement et je ne puis apercevoir celui qui suit, et quand je l’ai vu, aussitôt le précédent disparait complètement. « Si je veux dicter à quelqu’un ce que je veux exprimer, les mots ne viennent pas et j’ai parfaitement conscience de tout cela, ce qui me fait supposer, par moments, que je vais être destiné à mener une vie végétative. « Plusieurs fois, étant musicien, j’ai voulu jouer de tête certains morceaux que je connaissais fort bien et la chose n’a pas été possible, m’interrompant à chaque instant par défaut de mémoire; il en était de même si je voulais jouer un morceau de musique, le libretto sous les yeux. — Le même phénomène se produisait dans ce cas que celui que je viens de vous signaler pour l’écriture; j’oubliais beaucoup de notes et les phrases n’avaient plus du tout de liaison ni de suite. « Souvent il m’est arrivé de commencer une phrase en m'adressant à quelqu’un et de m’arrêter tout à coup, sans pouvoir m’expliquer ce phénomène, mais comprenant bien que ma phrase n'était pas achevée et que la personne à laquelle je m’adressais en paraissait toute surprise, mais ne faisait aucune remarque désobligeante en ma présence craignant de me froisser; j ’avais conscience de tout cela. Certain jour, je demandais à un de mes amis de vouloir bien écrire pour moi quelques mots que je tâcherais de signer ensuite. Cette demande lui parut si bizarre et supposant peut-être une mystification de A.x . d ’ h ï u . c o l u x . — Janvier-février-mars 181)8 . 1.— 10 1 4 6 BAURAC. ma part, il me répondit : « Comment, vous ne pouvez pas « écrire ces quatre lignes, mais vous voulez rire!» et sur mes instances, il se décida à me rendre ce petit service. Quand il eut fini, je voulus signer l’écrit, mais la chose fut absolument impossible ne pouvant pas me rappeler la première lettre de mon nom ! .. . « Ce qui, surtout, continue M. X. . ., a contribué le plus à me décider à entrer à l’hôpital de My-tho, c’est un rapport très sérieux que je devais faire et que je n’ai pu transcrire sans le concours d’un aide qui a bien voulu me recopier l’écrit que j’avais émaillé de nombreuses fautes de français et d’ortho graphe; il me fut même très difficile de signer cette pièce pour la raison que je viens de vous donner. tcLa situation que j’occupe, sans être très élevée, ne me permet pas de continuer mon service dans de telles conditions et je vous prie, Monsieur le docteur, de me faire suivre tel traitement que vous jugerez convenable afin de me faire revenir à la santé.» EXAMEN DU MALADE. M. X. . . habite depuis longtemps la Cochinchine, est assez connu dans la colonie et n’a jamais joui d’une mauvaise réputation. Célibataire, âgé de 35 ans environ, il mène une vie assez réglée, ne prend pas d’alcool, il aime l’étude et s’y livre avec ardeur, chose peu commune dans les pays chauds. Les renseignements qu’il nous donne sont d’autant plus dignes île foi qu’il n’a aucun intérêt à déguiser la vérité, étant donné le rang qu’il occupe et sa profession. Nous ne trouvons chez lui aucun indice qui puisse nous révéler de traces d’excès; jusqu’à ce jour il n’a manifesté aucun symptôme qui puisse faire supposer un dérangement quelconque de ses facultés intellectuelles, pas de signes sur sa physionomie ou sur son corps qui portent à croire que nous avons à faire à un syphilitique; bien constitué et de moyenne corpulence, M. X. . . a toujours eu une santé florissante en Cochinchine, à part certains accès de fièvre, suite d’insolation et de paludisme qui ont certainement pu l’anémier, mais rien qui semble avoir motivé les troubles que nous venons d’enregistrer, d’après son dire. CLINIQUE D’OUTHE-MER. 147 Au moment où nous examinons ce malade, il présente l’aspect d’un homme bien portant, cependant il est abattu, le moral semble un peu affaibli, l’air de la physionomie est triste, mélancolique, il se plaint de vives douleurs dans les régions frontale et sus-orbitaire; la langue est chargée, la face un peu congestionnée, un léger tremblement nerveux agite son bras droit et sa main droite, quoique nous ne remarquions chez lui aucun symptôme du delirium tremens; il s’exprime avec la plus grande difficulté, ses phrases sont coupées, interrompues, par moments, il fait de grands efforts pour trouver les mots qui ne viennent pas et semble se résigner quand il voit que ses recherches sont vaines. M. X .. . a le pouls assez agité, le thermomètre mis sous l’aisselle marque 38° 3, indice de fièvre, la transpiration est abondante et froide, une assez grande faiblesse est accusée par lui dans les membres inférieurs ainsi qu’une grande lassitude. L’auscultation ne nous révèle rien de particulier pas plus que la percussion; le foie est légèrement augmenté de volume, ce qui n’a rien de surprenant vu le long séjour colonial qui est à l’actif de notre malade; les urines sont un peu chargées, les selles régulières sans diarrhée, plutôt de la constipation. Quant aux antécédents, nous posons quelques questions à M. X. .. qui nous dit avoir encore son père et sa mère et que toute sa famille est en parfaite santé. Dans de telles conditions, nous ne pouvons qu’observer le malade et lui faire suivre ensuite le traitement que nous croirons le plus approprié; peut-être que le simple repos de quelques jours suffira pour le remettre. M. X. . . , dont l’appétit fait absolument défaut, est séparé des autres malades; nous lui prescrivons, le jour de son entrée, le même traitement qu’il suit depuis longtemps déjà, sans rien y modifier. Dans la nuit, le malade a une forte fièvre; sa température, vers mi nuit, est de 39“ 7 et de h0° à 3 heures du matin; il a un peu de dé lire et se plaint de violents maux de tête. Le lendemain, nous lui prescrivons 1 gr. 5o de poudre d’ipéca, comme vomitif, ce qui le soulage un peu, car une grande quantité de bile se trouve dans les. matières qu’il a rendues. Vers 10 heures du matin, la température est descendue à 37° 8, mais M. X. . . peut à peine s’exprimer, les mots ne viennent pas et la mémoire lui fait absolument défaut. Cet état dure deux jours au bout desquels nous nous décidons, et notre médecin de 2°classe est du même avis, à lui supprimer son 148 BAURAC. traitement ordinaire supposant que peut-être l’ingestion des divers médicaments que nous avons déjà mentionnés peut provoquer l’état que nous constatons chez ce malade. Un régime très léger est prescrit, et dès le surlendemain nous remarquons que M. X.. . va un peu mieux. Huit jours après il a recouvré la parole, la mémoire revient peu à peu, la parésie des deux doigts de la main droite tend à disparaître et les douleurs de l’épaule sont beaucoup moins vives. À partir de ce moment, l’appétit revient, les idées sont plus nettes et notre malade va de mieux en mieux. Le médecin qui avait traité M. X. . . à Saigon se trouvant, à cette époque, de passage à My-tho, nous fit l’honneur de sa visite et nous lui parlâmes de son ancien malade. r La dose de potassium était, sans doute, trop faible, nous dit-il, et vous feriez bien de lui en faire prendre, dès demain, 4 grammes et augmenter de o gr. 5o par jour. j> Malgré la ferme conviction où nous étions que la suppression de l’ancien traitement avait produit les effets d’amélioration que nous signalions à l’instant, nous voulûmes nous rendre compte de la chose et prescrivîmes aussitôt 4 grammes d’iodure de potassium, en solution, à notre malade. Le lendemain soir M. X... était retombé, non seulement dans le même état où nous l’avions vu à son entrée h l’hôpital, mais présentait des symptômes bien plus inquiétants. Dès lors, nous étions convaincus et dûmes, pour la deuxième fois, supprimer à ce malade cette médication et fîmes part du résultat obtenu au médecin-major de Saigon. La guérison vers laquelle s'achemina, depuis ce moment, M. X. . . ne tarda pas à arriver ; au bout d’un mois il avait repris son service et toutes ses facultés étaient revenues à l’état normal. M. X. . . s’est toujours bien porté depuis et ne veut plus entendre parler d’iodure de potassium! .. . Il a suivi un régime tonique qui n’a fait, après l’élimination de l’iodure et autres médicaments qu’il avait absorbés, que lui donner la santé florissante dont il jouissait auparavant. Nous ne croyons pas devoir entrer ici dans d’autres détails et nous donnons cette observation sans commentaires, telle que nous l’avons faite. En publiant ces faits nous n’avons d’autre but que d’attirer l’attention de nos collègues sur les troubles que peul produire RAPPORT. 149 l’iodure de potassium sur certains organismes et de les engager à pousser plus loin leurs investigations sur un médicament dont l’usage est si répandu.
Collection
Citer ce document
BAURAC J.-C., “BAURAC J.-C.. Clinique d'Outre-Mer. Contribution à l'étude de la toxicologie. Troubles que peut provoquer l'iodure de potassium. Observation faite à l'hôpital colonial de My-Tho (Cochinchine). Annales d'hygiène et de médecine coloniales (1898), p. 143-149,” RevColEurop, consulté le 21 novembre 2024, https://revcoleurop.cnrs.fr/ark%3A/67375/2CJmsMxWzVn3.